C. L'INCOHÉRENCE DE LA POLITIQUE DE PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES CONDUITE DEPUIS 2007

Les augmentations discrétionnaires de prélèvements obligatoires, de l'ordre de 12,5 milliards d'euros de 2008 à 2012, se décomposeraient entre :

- des allégements nets d'environ 10 milliards d'euros en 2008 et 15 milliards d'euros en 2009 ;

- des mesures nouvelles légèrement positives en 2010 ;

- surtout, deux « paquets fiscalo-sociaux » en 2011 et en 2012, années correspondant à des mesures nouvelles de respectivement 19 et 15 milliards d'euros.

A moins de supposer que le Gouvernement a délibérément mené une politique absurde, consistant, dans un premier temps, à réaliser de forts allégements de recettes, puis, dans un second temps, à accroître celles-ci pour un montant supérieur, on est bien obligé de considérer que ces augmentations de recettes n'auraient pas été réalisées sans la crise, et qu'elles sont donc une conséquence de celle-ci.

Ce revirement explique l'incohérence de la politique de prélèvements obligatoires de la présente législature, marquée - contrairement à ce que l'on observe habituellement lors des cycles électoraux - par des baisses d'impôt en début de période et des hausses d'impôt en fin de période. On peut supposer que c'est pour cette raison que le rapport relatif aux prélèvements obligatoires annexé au présent projet de loi de finances ne présente pas de bilan de la politique de prélèvements obligatoires menée depuis 2007 - contrairement à ce qui avait été le cas à l'issue du quinquennat précédent 7 ( * ) .

1. La loi TEPA

La politique fiscale du Gouvernement est symbolisée, jusqu'à la caricature, par la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (dite « TEPA »).

Cette loi, qui mettait en oeuvre les promesses de campagne du candidat à la présidence de la République vis-à-vis des contribuables aisés, au nom du « travailler plus pour gagner plus », aggravait le déficit public d'un montant initialement évalué à 14 milliards d'euros en « régime de croisière » 8 ( * ) .

Diverses mesures (réforme de l'accession à la propriété, suppression du bouclier fiscal, intégration des heures supplémentaires dans le barème de calcul des allégements généraux de charges...) ont pu donner l'impression que le Gouvernement était revenu sur la quasi-totalité des dispositions de la loi TEPA 9 ( * ) . Malheureusement, il n'en est rien .

Ainsi, si le coût de la loi TEPA, après prise en compte de ses « atténuations » directes et indirectes, est désormais de l'ordre de 9,3 milliards d'euros , c'est essentiellement parce que le coût du dispositif initial avait été surestimé . Le coût de la loi TEPA stricto sensu (c'est-à-dire si elle n'avait pas été modifiée depuis l'origine) serait en effet désormais d'environ 10 milliards d'euros , dont la moitié pour la mesure relative aux heures supplémentaires, le reste se répartissant en quasi-totalité entre le crédit d'impôt sur le revenu au titre des intérêts d'emprunt et l'allégement des droits de mutation à titre gratuit.

Les diverses mesures d'atténuation directe ou indirecte ne s'élèvent qu'à environ 0,7 milliard d'euros en 2012 - correspondant notamment à l'alourdissement des droits de donation, de partage et de succession (1 milliard d'euros) et à l'intégration des heures supplémentaires dans le barème des allégements généraux de charges prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 (0,6 milliard d'euros), plus que compensés par l'allégement de l'ISF (1,9 milliard d'euros). La suppression du crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt par la loi de finances initiale pour 2011 ne fera quant à elle sentir que progressivement ses effets, le « stock » d'avantages accordés ne devant s'éteindre qu'en 2017. Ainsi, le coût de la loi TEPA stricto sensu , de 10 milliards d'euros en 2012, est encore de l'ordre de 9,3 milliards d'euros après prise en compte de ces atténuations , comme le montre le tableau ci-après 10 ( * ) .

Le coût de la loi TEPA, après prise en compte de ses « atténuations »
directes et indirectes

(en mesures nouvelles et en milliards d'euros)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Impact sur les recettes de 2012

Loi TEPA

-1,3

-6,2

-2,1

-0,5

-0,4

-0,5

-10,0

Heures supplémentaires

-0,9

-3,3

-1,0

-0,1

0,0

-4,9

dont impôt sur le revenu

0,0

-0,2

ND

ND

ND

ND

- 1,4*

dont cotisations sociales

-0,9

-3,1

ND

ND

ND

ND

- 3,5*

Crédit d'impôt sur le revenu au titre des intérêts d'emprunt

0,0

-0,3

-0,8

-0,4

-0,4

-0,5

-1,8**

Droits de mutation à titre gratuit

-0,4

-1,6

-0,2

0,0

0,0

0,0

-2,2

Bouclier fiscal

0,0

-0,3

-0,1

-0,4

Affectation de l'ISF aux PME et hausses de la décote sur la résidence principale

0,0

-0,7

-0,7

Exonération des salaires étudiants

0,0

-0,04

-0,04

Atténuations directes ou indirectes de la loi TEPA

-0,4

1,1

0,7

Atténuations directes

-0,1

1,1

1,0

Réforme de l'accession à la propriété (LFI 2011)

0,3

0,3

Abaissement de 75 % à 50 % du taux de la réduction d'ISF au titre des investissements dans les PME (LFI 2011)

0,1

0,1

0,2

Suppression du bouclier fiscal (LFR1 2011)

0

0,3

0,3

Généralisation de l'auto-liquidation du bouclier fiscal (LFR1 2011)

-0,2

0,4

0,2

Intégration des heures supplémentaires dans le barème de calcul des allégements généraux de charges (PLFSS 2012)

0,6

0,6

LFR1 2011 (hors bouclier fiscal)

-0,3

-0,6

-0,9

Nouveau barème de l'impôt de solidarité sur la fortune (LFR1 2011)

-0,4

-1,5

-1,9

Suppression de la réduction des droits de donation (LFR1 2011)

0,1

0,1

0,2

Allongement du délai de reprise de six à dix ans des donations (LFR1 2011)

0,3

0,3

Augmentation des droits de partage (LFR1 2011)

0,3

0,3

Hausse de 5 points des taux des deux dernières tranches des droits de succession (LFR1 2011)

0,2

0,2

Loi TEPA nette des « atténuations »

-1,3

-6,2

-2,1

-0,5

-0,8

0,6

-9,3

Lecture : conformément à ce qui est habituellement le cas dans les documents budgétaires, les mesures sont exprimées en « mesures nouvelles », c'est-à-dire en variation par rapport à l'année précédente. En raison des montants marqués (*) et (**), la dernière colonne peut ne pas parfaitement correspondre à la somme des colonnes précédentes.

* Sources : fascicule des « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances pour 2012 (IR) et annexe 5 du PLFSS 2012 (cotisations sociales)

** Source : fascicule des « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances pour 2012. Cette mesure doit s'éteindre progressivement d'ici 2017.

Source : calculs de la commission des finances, d'après les rapports relatifs aux prélèvements obligatoires annexés aux projets de lois de finances

La « mesure phare » de la loi TEPA, l'exonération des heures supplémentaires d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales, coûtera toujours environ 5 milliards d'euros en 2012 (dont 1,4 milliard d'euros pour l'exonération d'impôt sur le revenu et 3,5 pour les exonérations de cotisations sociales). Certes, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 prévoit l'intégration des heures supplémentaires dans le barème de calcul des allégements généraux de charges. Toutefois cette mesure devrait rapporter seulement 0,6 milliard d'euros en 2012.

Si, grâce à la loi de finances initiale pour 2011, le crédit d'impôt sur le revenu au titre des intérêts d'emprunt doit s'éteindre progressivement à partir de 2011, pour disparaître en 2017 (année où, à droit inchangé, il aurait dû coûter 3,7 milliards d'euros, contre une estimation d'alors 2 milliards d'euros en 2011), cela ne majore que faiblement les recettes de 2012. En effet, selon le fascicule des « Voies et moyens » annexé au présent projet de loi de finances, ce crédit d'impôt coûtera encore 1,8 milliard d'euros en 2012. En fait, la réforme de la loi de finances initiale pour 2011 avait pour objet d'empêcher le coût global des principaux dispositifs d'accession à la propriété de passer de 3,5 milliards d'euros en 2011 à 5,1 milliards d'euros en 2017. Il ne s'agissait pas de fortement réduire ce coût par rapport à son niveau actuel, mais essentiellement de l'empêcher d'exploser 11 ( * ) .

L' exonération des salaires étudiants , au coût négligeable, n'a quant à elle pas été modifiée.

Les seules dispositions à avoir été véritablement remises en cause, soit directement, soit indirectement, sont :

- l'allégement des droits de mutation à titre gratuit (2,2 milliards d'euros en 2012). Cette remise en cause est toutefois indirecte : la mesure proprement dite demeure à abroger. Les divers alourdissements de droits de donation, de partage et de succession instaurés par la première loi de finances rectificative pour 2011 s'élèvent à 1 milliard d'euros, soit près de la moitié du coût de la mesure ;

- la réduction de l'ISF au titre des investissements dans les PME , dont la loi de finances initiale pour 2011 a fait passer le taux de réduction de 75 % à 50 % (+ 0,2 milliard d'euros) ;

- et, bien entendu, le bouclier fiscal , qui a été supprimé par la première loi de finances rectificative pour 2011 (+ 0,3 milliard d'euros).

2. La remise en cause de la politique de baisse des prélèvements obligatoires par les « paquets fiscalo-sociaux » de 2011 et 2012

Les 12,5 milliards d'euros résultant, pendant le quinquennat qui s'achève de décisions discrétionnaires d'augmentation des prélèvements, ne résultent pas principalement des remises en causes de la loi TEPA.

Le tableau ci-après, réalisé à partir des données publiées par le Gouvernement, permet de distinguer trois grands blocs de mesures :

- d'un côté, des mesures coûteuses, pour 17 milliards d'euros (loi TEPA pour 10 milliards, TVA restauration pour 3 milliards, allégement de la taxe professionnelle pour 4 milliards) ;

- de l'autre, des dispositions faisant plus que compenser ces mesures coûteuses, pour 28 milliards d'euros (dont un milliard d'euros d'atténuations directes ou indirectes de la loi TEPA), en quasi-totalité concentrées sur 2011 et 2012 ;

- entre les deux, le plan de relance, qui a coûté 12,7 milliards d'euros en 2009 mais n'a eu qu'un coût temporaire.

Les principales mesures relatives aux prélèvements obligatoires depuis juin 2007

(en mesures nouvelles et en milliards d'euros)

2007*

2008

2009

2010

2011

2012

Impact sur les recettes de 2012

Total des mesures nouvelles

-1,3

-9,4

-15,2

4,1

19,2

15,1

12,5

Dont :

Loi TEPA

-1,3

-6,2

-2,1

-0,5

-0,4

-0,5

-10,0

TVA restauration

0,0

0,0

-1,5

-1,5

0,0

0,0

-3,0

Réforme de la taxe professionnelle

0,0

0,0

0,0

-7,8

3,9

-0,1

-4,0

Plan de relance

0,0

0,0

-12,7

11,0

3,2

0,0

1,5

Atténuations directes ou indirectes de la loi TEPA**

0,0

0,0

0,0

0,0

-0,4

1,1

0,7

Autres (essentiellement les deux « paquets fiscalo-sociaux » de 2011 et 2012)

0,0

-3,2

1,1

2,9

12,9

14,6

27,3

Lecture : conformément à ce qui est habituellement le cas dans les documents budgétaires, les mesures sont exprimées en « mesures nouvelles », c'est-à-dire en variation par rapport à l'année précédente. La dernière colonne, qui fait la somme des colonnes précédentes, indique donc le coût total pour l'année 2012.

Ainsi, la TVA restauration, qui coûte 3 milliards d'euros par an en « régime de croisière », mais est entrée en vigueur à la mi-2009, a réduit les recettes de 2009 de 1,5 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent, en 2010, 1,5 milliard d'euros de mesures nouvelles supplémentaires.

* Par convention, loi TEPA.

** Cf. tableau précédent.

Source : calculs de la commission des finances, d'après le tableau précédent et les rapports relatifs aux prélèvements obligatoires annexés aux projets de lois de finances pour 2011 et 2012


* 7 Le rapport relatif aux prélèvements obligatoires annexé au projet de loi de finances pour 2007 comprenait un dossier intitulé « La politique fiscale du Gouvernement depuis 2002 ».

* 8 Source : rapport sur les prélèvements obligatoires annexé au projet de loi de finances pour 2008.

* 9 Cf. notamment Le Monde, « Il ne reste presque plus rien de la loi TEPA », 23 août 2011.

* 10 Le rapport relatif aux prélèvements obligatoires annexé au présent projet de loi de finances ne présente pas de bilan de la politique de prélèvements obligatoires menée depuis 2007 - contrairement à ce qui avait été le cas à l'issue du quinquennat précédent. Ce tableau, réalisé à partir des documents budgétaires d'années différentes, indique donc de simples ordres de grandeur.

* 11 On rappelle que la réforme de la loi de finances initiale pour 2011 consiste à remplacer le crédit d'impôt et le prêt à taux zéro (PTZ) par un nouveau dispositif, dit « PTZ+ », dont l'ordre de grandeur de coût en 2018 (2,6 milliards d'euros) est certes inférieur à celui des deux dispositifs actuels en 2012 (3,6 milliards d'euros), mais nettement supérieur à celui du PTZ actuel (qui aurait coûté environ 1,4 milliard d'euros par an de 2011 à 2017 s'il avait été maintenu).

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