III. POUR DES TRANSPORTS PUBLICS LOCAUX AU SERVICE DE LA MOBILITÉ COURANTE DES USAGERS

En France, la problématique technique ou technologique des transports n'est pas facilitée par les aspects institutionnels. Pourtant, il s'agit d'un aspect clef pour l'avenir des transports dans nos territoires.

Notre pays enregistre malheureusement d'importants retards de développement dans ce domaine par exemple en comparaison du Japon, où les titres unifiés permettent d'acheter son billet de train et de faire ses courses à la gare 50 ( * ) .

L'explosion des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) dans les transports est donc une opportunité unique pour améliorer l'offre de transports collectifs dans nos territoires en les rendant « intelligents 51 ( * ) ».

Toutefois, ces développements nécessitent des investissements et, surtout, interrogent sur la nécessité ou non de revoir l'organisation de la compétence transport entre les différentes autorités organisatrices au niveau des territoires . En clair, quel est le schéma idéal de coopération entre les AOT dans le cadre de ces évolutions technologiques ?

A. LES CONDITIONS DE L'INTERMODALITÉ : INFORMATION MULTIMODALE ET BILLETIQUE INTÉGRÉE

Les AOT doivent aujourd'hui intégrer davantage les nouvelles technologies dans leur politique des transports afin d'assurer l'intermodalité et un meilleur service aux usagers.

L'intermodalité , domaine dans lequel la France a pris un certain retard, permet d'optimiser le fonctionnement des systèmes de transport, rend leur utilisation plus aisée et s'inscrit dans des objectifs de développement durable.

Dans cette perspective, l'information multimodale et la billettique intermodale en sont des composantes essentielles. En ce qu'elles favorisent la fluidité dans la chaîne de déplacement, elles constituent ce que l'on peut appeler, aujourd'hui, la « mobilité courante ».

Ce concept implique que l'usager du transport public puisse en permanence adapter son comportement , soit qu'il ait changé d'avis sur son déplacement, soit qu'il ait à réagir à une perturbation. Celui-ci doit ainsi pouvoir être gestionnaire de sa propre mobilité.

1. L'information multimodale est une condition essentielle de mobilité courante

L'information multimodale est la première composante de l'intermodalité :

- en permettant de décrire l'offre de transports collectifs existante, de façon exhaustive et facilement accessible pour le public ;

- en incitant à une meilleure coordination des acteurs et des correspondances entre systèmes, et à une optimisation des moyens.

L'intermodalité est avant tout organisationnelle et suppose donc la mise en correspondance efficiente et cohérente des différents systèmes de transport (quai à quai, avec la mise en place d'une signalétique claire dans les pôles d'échange).

Cette coordination entre les divers réseaux urbains, interurbains, TER, est donc impossible sans la production d'une information multimodale .

Par définition, cette information multimodale ne peut être produite qu'à plusieurs . C'est pourquoi elle nécessite une bonne coordination entre les différentes autorités organisatrices de transport (AOT). Il n'est d'ailleurs plus à démontrer, aujourd'hui, que l'absence d'information multimodale a un effet négatif sur l'utilisation des transports collectifs par les usagers .

Il convient donc, sur le terrain, de dépasser les frontières administratives des AOT par la création de plateformes uniques, les systèmes d'information multimodale (SIM), permettant la mise à disposition des usagers de l'ensemble des informations sur les lignes et les horaires de tous les réseaux de transports publics existant sur un territoire donné.

L'article 1231-8 du code des transports 52 ( * ) (ancien article 27-1 de la LOTI) prévoit la mise en place obligatoire d'un système d'information multimodale par les AOT dans les périmètres de transports urbains inclus dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants .

Toutefois, il convient de relever qu' aucune sanction n'a été prévue par le législateur au cas où les AOT ne prendraient aucune initiative ou interrompraient le service qu'elles ont créé.

Dans la majorité des cas, ce sont les régions qui ont été les coordonnateurs des initiatives de leur territoire (Pays-de-la-Loire, Alsace, Bretagne, Champagne-Ardenne, etc.) mais certains départements ont également pris des initiatives en la matière (Isère, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Oise, etc.).

La carte suivante, transmise par l'Association française pour l'information multimodale et la billettique (AFIMB) montre les SIM en place en 2010 ou en phase d'élaboration dans les régions et les départements.

Cette carte permet, certes, de distinguer la place importante prise par les régions mais également le fait qu'il subsiste des zones blanches . Par ailleurs, le SIM régional, lorsqu'il existe, n'inclut pas nécessairement toutes les AOT.

On peut aussi sur un même territoire régional avoir plusieurs SIM, par exemple, un au niveau de l'agglomération principale et un autre au niveau de la région, ces deux SIM pouvant alors avoir une bonne complémentarité. Dans certains cas toutefois, le contenu des SIM peut être proche et une harmonisation du dispositif apparaît souhaitable.

Dans les territoires, la mise en place de ces systèmes donne lieu, le plus souvent, à la passation de marchés publics .

A cet égard, l'exemple du département de l'Oise est illustrant avec la mise en place, sous la forme d'un partenariat public-privé (PPP), à l'initiative du Syndicat mixte des transports collectifs de l'Oise (SMTCO), d'une véritable « centrale » de la mobilité : le « SISMO » 53 ( * ) .

Un système innovant d'information des usagers des transports publics dans l'Oise : le « SISMO »

Le projet « SISMO » pour « Système intégré de service à la mobilité », officiellement lancé en avril 2010, dans le département de l'Oise, est un système de services innovants et d'information des voyageurs unique en France.

SISMO est une centrale unique d'information et de réservation couvrant l'ensemble des modes de déplacement qu'ils soient publics (TER, bus, cars, transport à la demande) ou privés (covoiturage, taxi), combinée à une billettique unifiée à l'échelle du département, et à un observatoire de la mobilité qui doit permettre aux différents réseaux concernés d'ajuster leur offre de transport au plus près des besoins.

La réalisation de ce projet à été confiée à un groupement industriel Citiway/ERG (deux sociétés spécialisées en informations voyageurs et billettique) dans le cadre d'un contrat de partenariat public/privé de douze ans.

Le SISMO combine les fonctionnalités suivantes : billettique sur réseaux payants (carte à puce utilisable sur tous les réseaux de l'Oise) ; système de comptage sur réseaux gratuits ; système d'information voyageurs (Agence de mobilité, site Internet avec calcul d'itinéraire, équipements embarqués dans les véhicules, cent cinquante panneaux d'information aux arrêts) ; gestion des transports à la demande et de covoiturage (centrale de covoiturage accessible par Internet, par téléphone et par téléphone portable) ; centrale de réservation des taxis ; aide à l'exploitation par géo-localisation des véhicules ; calculs du coût réel des voyages ; suivi de l'état du réseau routier ; observatoire de la mobilité (statistiques de fréquentation et préconisation d'améliorations).

Pour l'usager du transport public, une information coordonnée et un titre unique utilisable sur tous les réseaux de transport urbain, départemental et cars TER à l'échelle du département est accessible. Ce projet doit également intégrer la possibilité d'interopérabilité des titres de transport avec ceux de l'Île-de-France et les départements voisins de l'Oise.

Source : SMTCO

Dans ce département, les AOT sont donc pleinement impliquées dans les SIM . Elles bénéficient gratuitement du « SISMO » et ont, par convention avec le SMTCO, l'obligation d'assurer la mise à jour régulière du référentiel transport (base de données centrale dans laquelle sont collectées l'ensemble des données utiles au fonctionnement des systèmes) et d'informer la centrale d'information « voyageur » de toutes perturbations.

Le déploiement, l'exploitation et l'entretien du matériel d'information voyageur embarqué et au sol sont assurés par le partenaire privé dans le cadre du contrat de partenariat.

Les prestations offertes par le SMTCO sont encore appelées à progresser dans l'avenir, notamment avec une information multimodale évoluée (calcul d'itinéraires d'adresse à adresse en combinant les différents modes de transports, information en temps réel des perturbations, représentation cartographique du département, rubriques « lieux publics », « événements », « service entreprises et administrations », etc.).

Quel intérêt représente ce type de système intégré ?

- La mutualisation des coûts, l'harmonisation des systèmes à l'échelle d'un département et le développement d'une vision globale de la mobilité ;

- la simplification des déplacements pour l'usager en lui donnant une information en temps réel (horaires des lignes, localisation des points d'arrêt, correspondances, tarifs, informations sur les perturbations) et, en le dotant d'une carte unique de transport utilisable sur tous les réseaux de transport (bus urbains, cars départementaux, trains et cars TER) à l'échelle du département de l'Oise ;

- l'augmentation du nombre des usagers des transports collectifs et la mise en accessibilité ;

- une meilleure lisibilité sur la fréquentation réelle de leurs réseaux par les AOT. La validation billettique leur donne une mesure réelle des fréquentations et leur permet d'ajuster leur offre ;

- le développement des technologies innovantes (utilisation du téléphone portable) qui permet d'accompagner les tendances actuelles de la jeunesse à s'emparer des outils modernes (code barre sur les points d'arrêt et alertes « sms ») ;

La question de l'utilisation des données collectées

L'Agence française pour l'information multimodale et la billettique (AFIMB) s'est rapidement préoccupée des questions de sécurité de transfert et de gestion des données. Elle a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) sur la réutilisation des données servant à l'information sur le transport en se référant aux obligations imposées par la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) dans les termes suivants :

« Les informations sur les transports collectées par les collectivités locales pour répondre aux obligations prévues dans la LOTI sont-elles réutilisables au sens de l'article 10 (relatif à la réutilisation des informations publiques) de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public » ?

La CADA a répondu que les données des systèmes d'information multimodale sont réutilisables au sens de la loi de 1978, c'est-à-dire à « d'autres fins » que la fin pour laquelle elles ont été produites. En particulier, elles sont réutilisables à des fins commerciales.

La loi de 1978 ne s'applique pas :

- aux échanges d'informations entre les autorités organisatrices et les délégataires dans le cadre de leur mission de service public ;

- à la réutilisation d'informations publiques « aux mêmes fins ».

Dans un premier temps, les démarches locales (agglomérations) se sont concentrées sur le concept de « centrale de mobilité » mis en place par les opérateurs, et par les sites d'information des principaux exploitants.

Ces dernières années, sous l'impulsion du GART et de la Plate-forme de recherche et d'expérimentation pour le développement de l'information multimodale 54 ( * ) (PREDIM), il est apparu nécessaire de développer les SIM au niveau régional en constituant un portail d'accès à tous les transports de la région, en relation généralement avec l'offre SNCF. Le déploiement des SIM est, dans la plupart des cas, sous-traité à des opérateurs privés.

Aujourd'hui, plusieurs facteurs limitent pourtant l'efficacité des SIM :

- ceux qui existent ont été, pour la plupart, mis en oeuvre au niveau régional . Or, le bassin de déplacement se situe surtout au niveau de l'agglomération, comme le prouve l'audience encore faible des SIM au niveau régional ;

- les SIM actuellement déployés produisent encore trop souvent des informations théoriques , le principal service offert étant le calcul d'itinéraire qui s'appuie justement sur les horaires théoriques. Or, les usagers souhaitent une information en temps réel 55 ( * ) (passages, perturbations...) afin d'adapter et de recomposer leurs trajets. Sur ce point, on observe que les particuliers, dans le cadre des réseaux sociaux, échangent entre eux des informations sur les transports (perturbations, grèves, voire localisation des contrôleurs...) en s'improvisant ainsi, sous certaines conditions 56 ( * ) , gestionnaires de mobilité 57 ( * ) ;

- les SIM actuellement déployés restent principalement centrés sur le transport public . Or, les usagers veulent utiliser toute la palette des transports disponibles sur un territoire (covoiturage, vélo, ou encore rabattement en voiture particulière sur un parking relais) ;

- il existe encore, comme on l'a vu, de nombreuses zones blanches sur le territoire échappant totalement à ces SIM ;

- à la différence de nombreux pays voisins de la France, il n'existe pas de SIM au niveau national 58 ( * ) . La perspective la plus réaliste à court et moyen termes est d'opérer une mise en réseau des différents SIM régionaux. Celle-ci peut d'ailleurs être effectuée sous la forme d'une initiative publique (partenariat public-privé) ou privée (convention avec un opérateur privé).


* 50 La mobilité est désormais un domaine qui permet en effet d'agréger de très nombreux services marchands basés sur la fidélisation du voyageur et sa traçabilité.

* 51 Les systèmes de transports intelligents (STI) regroupent toutes les applications destinées à l'optimisation de l'utilisation des réseaux, la promotion des transports publics, la sécurité routière, la réduction des consommations d'énergie et de la pollution notamment.

* 52 « Dans les périmètres de transports urbains inclus dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 221-2 du code de l'environnement ou recoupant celles-ci, les autorités organisatrices du transport public de personnes élaborent des outils d'aide aux décisions publiques et privées ayant un impact sur les pratiques de mobilité à l'intérieur du périmètre de transports urbains et sur les déplacements à destination ou au départ de ceux-ci.

Elles établissent un compte relatif aux déplacements dont l'objet est de faire apparaître, pour les différentes pratiques de mobilité dans l'agglomération et dans son aire urbaine, les coûts pour l'usager et ceux qui en résultent pour la collectivité.

Elles instaurent un service d'information, consacré à l'ensemble des modes de transports et à leur combinaison, à l'intention des usagers, en concertation avec l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements et les entreprises publiques ou privées de transports.

Elles mettent en place un service de conseil en mobilité à l'intention des employeurs et des gestionnaires d'activités générant des flux de déplacements importants . »

* 53 Le « SISMO » a remporté le trophée de l'innovation au salon européen du transport public le 8 juin 2010 et a reçu le prix de l'innovation lors du congrès mondial de l'Union internationale des transports publics (UITP) à Dubaï en avril 2011.

* 54 La PREDIM constitue un dispositif national d'appui mutualisé au bénéfice des autorités de transport et des acteurs désireux d'améliorer, par un dispositif d'information adéquat, la complémentarité des différents modes de transport et de déplacement, tant individuels que collectifs.

* 55 Le temps réel, par opposition aux données théoriques, désigne : les perturbations prévues à l'avance (travaux) ; les perturbations importantes en cours d'exécution du service (la ligne ne fonctionne plus) ; les avances et retards (variations de quelques minutes).

* 56 La prise en compte des informations en provenance ou à destination des réseaux sociaux doit se faire en cohérence avec la politique globale de déplacements de l'opérateur de transports.

* 57 Par exemple, l'information sur l'accessibilité d'itinéraires aux personnes handicapées ou les caractéristiques de pistes cyclables qui peuvent être apportées par des particuliers ou des associations.

* 58 Les perspectives de développement d'un portail SIM national permettant la connexion des SIM régionaux est en cours de réflexion et de discussion entre le GART et l'Agence française pour l'information multimodale et la billettique (AFIMB). L'État, via l'AFIMB, est disposé à le faire tout comme un certain nombre d'opérateurs privés qui encouragent le développement de tels systèmes.

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