B. DÉTRACTEURS DES SOLUTIONS MISES EN oeUVRE

M. Cédric Claquin, secrétaire national de la Fédération de labels indépendants CD1D

Je suis responsable d'une Fédération créée en 2004 qui regroupe plutôt des petits labels indépendants, largement installés sur les territoires ; elle rassemble aujourd'hui 250 structures et contribue plus largement à une confédération appelée la FELIN, qui regroupe des fédérations régionales. Nous sommes environ 500 structures, ce qui donne une idée de notre maillage national et du nombre de personnes que nous représentons.

Cette Fédération se définit comme une fédération professionnelle. En 2004, nous avons voulu profiter de la révolution de la filière numérique et permettre aux petits acteurs de prendre un peu plus de pouvoir dans les circuits de diffusion tout en encourageant la diversité culturelle.

Notre action se situe à la fois dans le champ économique - nos labels et nos producteurs produisent des oeuvres dont on espère qu'ils vont nous permettre d'investir dans d'autres artistes - mais aussi dans le champ général et la diversité culturelle. Notre objectif est de faciliter et d'encourager la création. Les petits labels indépendants représentent en effet 75 à 80 % de la richesse et de la créativité nationale.

Nous avons été considérés comme détracteurs de la loi Hadopi pour avoir publié, il y a quelques années, une tribune dans Libération où nous émettions de grands doutes sur les débats qui avaient lieu autour d'Hadopi et, plus globalement, autour des nouveaux modèles comme Spotify, que nous considérions comme une réflexion nouvelle mais également un élément extrêmement dangereux pour la musique qui ne propose aucune solution de remplacement à la rémunération.

Aujourd'hui, même si certains sites proposent une rémunération, la contribution d'Orange à ce système a été de 3 000 euros pour le troisième trimestre, pour plus de trois millions d'écoutes associées ! On est donc encore loin des modèles économiques qui permettent aux investisseurs privés que nous sommes de rémunérer correctement toute la chaîne, du producteur aux artistes.

Nous sommes donc très vigilants et participons à des débats nationaux comme le débat sur la dynamique du Centre national de la musique. L'intérêt de notre structure collaborative est de pouvoir être partout à la fois, ici et ailleurs. Nous essayons également de défendre d'autres modèles d'organisation largement inspirés de l'économie sociale et solidaire. Notre structure va prochainement se transformer en société coopérative d'intérêt commercial. Nous essayons de montrer que la filière s'est reposée durant des années sur des modèles qui ne s'appliquent plus à Internet.

Pour nous, le débat consiste à considérer qu'Hadopi ne constitue pas, dans son volet répressif, la réponse qui nous semble devoir être apportée par un Gouvernement ou par le Parlement. On a peu parlé d'éducation mais nous essayons de travailler sur les logiques de pédagogie. Depuis quinze ans, l'espace et la compréhension qui existent entre le public et les artistes s'est beaucoup dégradé.

Nous intervenons en milieu scolaire : alors qu'on nous a expliqué que Universal et Pascal Nègre étaient des bandits et qu'il était normal qu'on les pille, nous essayons de tisser à nouveau des liens avec les jeunes pour qu'ils comprennent que la musique est une chaîne de métiers, avec des producteurs, des éditeurs et des labels et qu'il existe peu de personnes et d'espaces où on peut reconstruire ce lien. Nous consacrons une énergie et des moyens importants à cette reconstruction.

L'autre point qui illustre notre spécificité réside dans la logique des territoires. Mon label s'est construit autour d'artistes qui ont souhaité rester indépendants mais qui ont eu besoin d'un ensemble de métiers autour d'eux et souhaitent garder cette liberté. Notre proximité avec les artistes est donc un peu différente des gros indépendants ou des majors et nous essayons de défendre leurs intérêts, qui sont aussi les nôtres.

Nous nous positionnons donc en tant que producteurs et ne sommes pas opposés à la gestion collective des droits sur Internet. Nous trouvons que c'est une façon d'arrêter le gré à gré, qui permet aux majors ou aux gros acteurs de négocier des sommes d'argent dont les artistes ne voient d'ailleurs pas la couleur. Encourager l'offre légale, c'est aussi considérer qu'il existe des conditions communes qui permettent à chacun d'avoir un modèle légal, reconnu et cadré. Ce sont ces grands chantiers sur lesquels nous essayons d'intervenir.

A la différence de grandes structures, nous sommes installés en province et essayons de travailler sur le terrain. Depuis 2004, nous avons stimulé l'organisation de fédérations régionales qui existent actuellement dans onze régions, comme Rhône-Alpes, où nous menons une expérimentation concernant un réseau d'écrans tactiles interconnectés qui se déploient dans des salles de concert, des lycées, des CFA (centres de formation d'apprentis) et dans des lieux de vie culturelle, notamment à la bibliothèque municipale de Lyon Part-Dieu.

Ce système propose une contribution créative territoriale. L'internaute ne paye pas directement les contenus. On a pour l'instant éludé la question de la capacité de l'internaute à payer. Pour le moment, c'est le lieu d'accueil qui paye le contenu, qui l'offre à son public et qui le fait ensuite circuler...

On étudie aujourd'hui la manière dont les choses peuvent se mettre en place à l'échelle d'un territoire comme la région Rhône-Alpes, qui réunit huit départements et quelques dizaines de millions de personnes. Les premières modélisations (« 1D TOUCH ») apparaissent comparativement beaucoup plus efficaces pour les petites structures que nous sommes et pour l'ensemble des auteurs que pour les plus gros labels Rhônalpins.

Cette solution s'avère deux fois plus rémunératrice. Elle demande à se déployer. Elle fait appel à un certain nombre d'éléments techniques et va également se décliner sur Smartphones. L'objectif est de créer une communauté mais la dimension pédagogique réside aussi dans cette expérimentation : si le public n'a pas conscience que la musique a une valeur et qu'il faut réinstaurer celle-ci, on n'arrivera pas à rattraper les années perdues !

Les opérateurs et les fournisseurs d'accès à Internet, comme Wanadoo ou Orange, à une certaine époque, proposaient de télécharger gratuitement de la musique. On ne peut mener de telles campagnes et dépenser des dizaines de millions d'euros sans que le public l'intègre. Il existe des logiques de labellisations et de recommandations ; nous pensons que cette hyperspécialisation a besoin d'être accompagnée. La dimension publique est importante, notamment en matière de pédagogie.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Changement de perspective : la parole est à M. Emmanuel Gadaix, de MegaUpload...

M. Emmanuel Gadaix, directeur technique du site MegaUpload

MegaUpload est une plateforme d'hébergement sur le cloud . Nous sommes une société légale. Nous n'avons jamais été poursuivis en justice. Nous sommes présents sur toute la planète et sommes très populaires en France, où nous représentons une partie significative du trafic sur Internet.

Nous sommes venus ici en tant que « détracteurs » des mesures répressives comme Hadopi qui, selon nous, livre une bataille contre le partage sur l'Internet, qui nous apparaît comme un combat à la fois inefficace, dangereux et contre-productif !

En effet, pour nous, le partage est l'essence même de l'Internet, son ADN. En luttant contre un type de partage avec les lois Hadopi I et II, puis contre un autre, avec le troisième volet de cette loi objet de cette discussion, c'est non seulement contre l'innovation technologique que lutte le Gouvernement mais plus encore contre le fait socialement établi de l'accès immédiat et privé au contenu sur Internet.

Dans un monde où l'innovation est la source du bien être, nous souhaitons apporter au législateur le savoir-faire d'une entreprise qui représente une portion significative des flux des informations sur l'Internet français et mettre à votre disposition une technologie éprouvée, capable de véhiculer, dans les meilleures conditions de sécurité et de confidentialité, une somme illimitée de créations d'oeuvres et de spectacles.

Il est important à nos yeux que le législateur comprenne que non seulement les mesures prises dans le cadre d'Hadopi sont liberticides mais également inefficaces. Les modèles qui précèdent le partage sur Internet sont désuets et obsolètes : ils appartiennent au XX e siècle et non au XXI e siècle ! Plutôt que de refuser le partage sur Internet, nous proposons de le maîtriser et d'ajuster le système de rémunération afin d'en faire mieux profiter les artistes.

Sur le plan éthique, Hadopi pose avant tout plusieurs problèmes. Le Conseil constitutionnel en a rappelé un : les sanctions contre les téléchargements illégaux ne peuvent être appliquées que par une autorité judiciaire et non administrative. Or MegaUpload n'est ni juge, ni policier, ni ministre de l'intérieur. Au nom de quoi pourrions-nous violer la vie privée de nos utilisateurs ? C'est le premier de nos constats.

Pour autant, nous partageons avec vous la certitude qu'il faut lutter sans faiblesse contre le piratage et la violation des droits d'auteur ; MegaUpload n'a pas manqué de s'illustrer en matière de protection des ayants droit en mettant en place une procédure de take down que nous respectons très strictement. Toutes les mesures de take down sont gérées en moins de 24 heures sur MegaUpload et ce depuis le lancement de nos opérations. Nous avons plusieurs milliers de requests de take down chaque jour et les traitons toutes très strictement.

Par ailleurs, la procédure d'identification des adresses IP utilisée pas Hadopi n'est pas probante, bien au contraire. Elle permettrait d'incriminer tout utilisateur de l'Internet tant il est aisé d'en détourner la finalité. Je me permets de préciser au passage que les adresses IP du Palais de l'Élysée ont été identifiées par un système de trafic peer to peer la semaine dernière. Cela ne prouve absolument pas qu'un téléchargement illégal ait eu lieu ! Pour autant, l'application aveugle d'Hadopi aboutirait à couper l'accès Internet du Palais de l'Élysée, ce qui compromettrait la campagne électorale !

Pour nous, je l'ai dit, le partage est l'essence d'Internet. On ne peut lutter contre. Il est même puéril d'essayer de le faire. Vous pouvez fermer quelques sites, quelques systèmes : dix autres s'ouvriront le lendemain ! C'est un peu comme essayer d'arrêter une rivière avec ses mains. Cela ne fonctionne jamais !

Un utilisateur ne peut prouver son innocence par une simple adresse IP et un système de reconnaissance par adresse IP ne peut prouver sa culpabilité. Il n'est point besoin d'être expert en informatique pour savoir qu'une adresse IP peut être interceptée, modifiée, utilisée par un tiers, un groupe, peut être délocalisée, etc.

La chasse aux téléchargements peer to peer n'a fait, on le sait aujourd'hui, que déplacer le problème. Le téléchargement peer to peer a diminué sans qu'ait été résolue la question de la rémunération des ayants droit. Faire la chasse aux téléchargements directs et aux technologies comme le streaming, est de même teneur : les internautes, habitués à l'évolution technologique, se déplaceront vers d'autres initiatives. Les contenus sont disponibles partout ; les moteurs de recherche peuvent être activés par des IP anonymes, des newsgroups , des nouvelles technologies de peer to peer . La course engagée par l'État n'est qu'une course contre l'innovation technologique sur Internet et contre la démocratisation que constitue l'Internet.

Il nous semble donc que l'État doit être en amont de l'ordre social souhaité et doit encadrer la mutation sociologique que représente la liberté d'accès sécurisée aux contenus sur Internet. Nous ne ménagerons ni notre peine, ni notre temps pour apporter à la Haute Assemblée notre expérience, démontrée par une technologie plébiscitée par un milliard de visiteurs dans le monde. Notre site est visité par 15 millions de Français chaque mois et utilisé par les deux tiers des plus grosses entreprises françaises !

Alors qu'Internet fait aujourd'hui partie de tout pays développé, avec 20 millions de foyers connectés en France, les modèles antérieurs à la « toile » nous paraissent dépassés par les technologies que l'on utilise et les supports qu'ils privilégient.

Mettre des entraves aux systèmes de partage sur Internet empêchera très peu le partage sur Internet. Les lois qui poursuivent le partage de fichiers sur Internet ont pour première conséquence de diviser le peuple, entre les jeunes utilisateurs, qui ont compris l'avantage du partage pour la culture et les consommateurs plus âgés, qui n'auront plus accès à cette culture.

De la même façon, s'attaquer aux sites de partage de fichiers, c'est s'attaquer à des milliers d'entreprises françaises qui utilisent ces sites. Les en empêcher ne les détournera pas d'autres moyens car la circulation rapide des fichiers fait partie de leur fonds de commerce.

En revanche, ce ralentissement pourrait nuire à la productivité française et à la compétitivité des entreprises de notre pays dans le monde. Le droit est dans l'ordre social souhaité à un moment donné. MegaUpload se demande si la loi sur les copyrights et sur le code de la propriété intellectuelle reste réellement adaptée au développement des nouvelles technologies. Nous nous tenons à la disposition du Parlement pour établir un rapport circonstancié des typologies et comportements sociaux du spectateur sur Internet. Nous avons des données très détaillées sur le comportement des Français, ce qu'ils font de leur connexion, de leurs échanges de fichiers, etc.

A l'inverse, les sites de partage de fichiers, dont MegaUpload, que nous représentons, mettent à la disposition des entreprises et des citoyens une technologie très moderne, très sécurisée. C'est la liberté d'entreprise et de concurrence qui nous oblige à nous améliorer chaque jour, à faire progresser notre technologie, à innover pour que les ayants droit y trouvent un intérêt, à protéger du mieux possible leurs comptes, leurs fichiers, leur rémunération.

S'agissant de la rémunération des auteurs, MegaUpload est impliqué dans un certain nombre d'initiatives. Nous n'avons pas trouvé la solution finale au problème mais nous recherchons, mettons en place des initiatives pour essayer de rémunérer les artistes directement. On peut parler de notre initiative Megabox, qui est en plein lancement, plébiscitée par un grand nombre d'artistes aux États-Unis et en Europe et qui va permettre une rémunération de ces artistes à 90 % des ventes effectuées sur ce site.

Nous essayons de reverser la majorité des ventes engendrées par ce nouveau service afin qu'elles rémunèrent directement tous les artistes. Nous allons aussi lancer un nouveau système, Megaqui, destiné à voir si l'on peut monétiser le trafic de publicité qui passe sur les sites de téléchargement gratuit et utiliser ces revenus publicitaires pour rémunérer les artistes.

Encore une fois, nous essayons de trouver des solutions qui soient adaptées aux technologies modernes. Nous ne voulons pas revenir en arrière ni interdire le partage. On me demande souvent quelle serait la solution pour éradiquer les contenus illégaux sur Internet. C'est très facile : il suffit d'interdire les médiums de stockage comme les disques durs, les ordinateurs et les écrans haute résolution. Une fois interdits, vous n'aurez plus aucun problème de partage de fichier sur Internet !

Nous travaillons également avec des sociétés françaises pour la mise à disposition de contenus légaux. Je pense par exemple à Guacanim, société qui a une licence de distribution exclusive de mangas pour la France ; elle oeuvre avec nous pour mettre en place de manière tout à fait légale tous leurs contenus sur notre plateforme d'hébergement.

De la même manière, nous travaillons avec une autre société française très innovante qui a développé une technologie qui permet aux ayants droit de contrôler leurs contenus, quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Nous allons faire un essai avec eux pour la distribution d'oeuvres et les mettre en place de manière totalement légale, avec le contrôle complet des ayants droit, afin qu'ils puissent utiliser notre plateforme en tant que site d'hébergement et ainsi profiter de nos centaines de millions d'utilisateurs et de notre présence globale.

Nous travaillons également sur un projet avec une université française pour mettre à disposition en ligne, sur la plateforme MegaUpload, tout le contenu numérique des enseignements de cette université, avec une vue généralisée sur toutes les autres universités en France.

MegaUpload travaille donc pour essayer de trouver des solutions innovantes qui concilient les nouvelles technologies et met toujours en avant l'utilisateur final. Souvent, les solutions dites légales qui ont essayé d'être implémentées favorisent les ayants droit et le législateur mais il ne faut pas oublier que c'est l'utilisateur qui va recourir à cette solution et choisir de l'utiliser ou non !

L'utilisateur final veut la simplicité, la disponibilité, un prix raisonnable et la facilité de pouvoir jouir de son contenu sur ses périphériques. C'est ce dont les utilisateurs ont besoin et que nous essayons de mettre en avant, tout en faisant des recherches pour rémunérer les créateurs.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Rassurez-vous : le législateur ne prend pas de taxes au passage sur les textes qu'il fait voter !

Nous allons maintenant entendre les sociétés d'ayants droit.

La parole est à M. Nicolas Seydoux.

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