DÉBAT AVEC LA SALLE

Yvon COLLIN

Très bien. Nous remercions Michel Griffon dont je rappelle qu'il est Directeur général adjoint de l'Agence Nationale de Recherche. Nous avons écouté avec beaucoup d'attention ces trois dernières interventions. Nous avons noté quelques oppositions, confrontations parfois. Peut-être qu'avant d'entrer dans le débat, certains souhaitent répondre puisqu'il y a eu parfois des interpellations si je puis dire. Est-ce que vous souhaitez apporter des éléments avant que nous passions à la discussion. Madame Cahill, peut-être...

Carmel CAHILL

Merci Monsieur le Président. Je n'ai pas entendu autant de désaccords...

Bernard BACHELIER

On n'a pas tout dit.

Carmel CAHILL

On va l'écouter peut-être par la suite. Cette question de ce que Monsieur Griffon a appelé inertie des structures. Je ne sais pas, j'ai un petit peu envie de lui renvoyer la question et de lui demander de nous présenter sa vision de la vie de ces milliards d'agriculteurs qui aujourd'hui font une agriculture de subsistance, ou un petit peu mieux peut-être, mais qui sont dans cette pauvreté. Quelle vision a-t-il pour la vie qu'ils vont avoir s'ils restent dans le secteur ? C'est peut-être la meilleure façon d'aborder la question. Je voulais peut-être aussi dire quelques mots. A propos de la prévision du niveau des échanges, ce que moi je n'ai pas osé faire, on a parlé de 40 % de la production mondiale qui pourrait entrer dans le commerce, dans les échanges. Je ne sais pas si on est dans ces dimensions-là. Mais, si c'était le cas, je crois qu'on sera dans un monde où il y aura beaucoup plus de fournisseurs, d'exportateurs et beaucoup plus d'importateurs ; et logiquement, un problème comme la sécheresse en Australie - qui a causé en partie le problème en 2008 - serait un petit peu moins grave car dilué. On pourrait, théoriquement au moins, attendre une volatilité moindre dans une situation où il y a beaucoup plus de la production mondiale qui entre dans le commerce. Pour revenir au riz, c'est un des marchés les plus étroits. Il y a très peu de la production mondiale qui est échangé. C'était dû à cela en partie si on a eu la flambée des prix en 2008. Sinon, je voudrais revenir à un argument avancé par Monsieur Bachelier. Je ne sais pas si je l'ai bien compris mais je pense qu'il a dit que protéger par exemple les producteurs de produits de base en Afrique de l'Ouest est une bonne solution pour leur développement. Mais, je voudrais essayer de contrer cet argument en disant que c'est beaucoup plus complexe que cela, parce que quand on met un droit de douane de 50 ou 90 % sur un produit qui est produit par - je ne sais pas - 20 % de la population, en même temps on impose une taxe sur les autres. Parfois, les agriculteurs sont en même temps producteurs et consommateurs, mais de produits différents. Quand on regarde cela, au niveau de ce qui se passe, pour les ménages agricoles producteurs de différents produits, on voit que très souvent le résultat globalement pour l'économie est très négatif. Alors, il faut quand même faire très attention avec des solutions comme cela parce qu'à la fin, peut-être qu'on impose une pénalité très sévère sur des consommateurs. Souvent, ces consommateurs, ce sont aussi des pauvres et ils sont peut-être plus nombreux que les producteurs.

Bernard BACHELIER

Alors d'abord sur ce dernier point, bien sûr que c'est plus complexe. De toute façon, l'arbitrage est en faveur des consommateurs... Soyez tranquille, tout le monde fait l'arbitrage en faveur des consommateurs : les gouvernements africains, les bailleurs de fond. Tout le monde fait l'arbitrage en faveur des consommateurs, donc vous n'avez aucun risque. Ce que je pense plus sérieusement, c'est qu'effectivement 50 ou 80 % d'un seul coup, c'est inimaginable. Mais, un peu plus finement, sur le fait d'organiser, de coupler - encore une fois - l'accès au financement de la production, de coupler l'organisation des marchés avec les protections pendant les temps qu'il faut et au niveau qu'il faut pour éviter des importations à bas prix qui déstructurent toutes les filières. Je pense que cela, c'est quelque chose qu'on peut regarder finement et je pense qu'il faut sortir d'une position idéologique : pour ou contre le protectionnisme. Parce que je suis plutôt contre, je suis plutôt pour les échanges et le libéralisme. Mais on ne peut pas mettre les gens... dans des situations de compétitivité très différentes dans les mêmes marchés. C'est impossible. Il y a donc des situations, il y a des exemples probants - le Nigéria a protégé le riz, le Kenya a protégé le lait -, mais cela doit être regardé avec le potentiel de réactivité des filières et la façon dont on investit dans le potentiel de réactivité des filières, et notamment cette question de l'organisation du stockage et le financement du stockage. Là aussi, le stock, cela a un coût : cela a un coût en locaux et cela a un coût en capital.

Mais je voudrais dire plus largement - ce n'est pas que je veuille vous départager avec Michel Griffon ou trouver un compromis - qu'il y a dans votre raisonnement - excusez-moi Madame - l'idée que les filières agricoles ne pourraient pas être des moteurs économiques et générer de la valeur ajoutée globalement. C'est-à-dire que moi je pense qu'en effet, il faudra qu'il y ait moins d'agriculteurs et il faudra qu'il y ait des exploitations plus grandes, comme vous. Mais je pense que tout ne peut pas venir des secteurs des services et de l'industrie. Notre pays a très largement diminué son nombre d'agriculteurs - c'est une banalité de le dire - mais a généré un environnement d'appui à l'agriculture considérable - la banque, l'assurance, le conseil... - et des filières agroalimentaires très importantes. Du coup, nous avons un secteur agroalimentaire très riche, très performant. Je pense que les exemples que nous traitons, nous à FARM avec un certain nombre de groupements montrent qu'il y a avec les groupements de quoi augmenter les exploitations. Mais, de ces exploitations peuvent se dégager, dans l'environnement, de l'emploi, du conseil, de l'appui ou de la transformation qui peuvent maintenir dans des filières agroalimentaires une partie de la population et éviter effectivement qu'elle quitte l'ensemble du secteur agricole. Mais cela veut dire qu'on ait bien comme idée que le secteur agricole, y compris vivrier, peut être une source du moteur économique.

Yvon COLLIN

Effectivement, vous n'aviez pas tout dit. Alors, est-ce que Michel Griffon souhaite réagir ?

Michel GRIFFON

Oui, bien sûr. C'est un débat passionnant. Vous me posez la question : quelle est la vision que je peux avoir en 2050 ? Alors, c'est tout sauf un scénario rose. La façon dont je bâtirais un scénario en 2050, si j'essayais de le faire, c'est d'éviter des catastrophes.

D'abord, d'éviter une catastrophe malthusienne, c'est-à-dire que nous nous trouvions en situation d'insuffisance de production - je n'y crois pas vraiment mais enfin ces deux courbes... c'est quand même une situation inédite dans l'histoire du monde que d'avoir cette vague démographique depuis un siècle et demi qui fait une empreinte écologique considérable sur la planète, donc cela n'est pas une question légère.

Éviter les catastrophes malthusiennes, éviter aussi de constituer - comme disait Marx - une énorme armée de réserve dans l'agriculture qui soit constituée de gens pauvres ou ultra-pauvres. Ce n'est pas un service à rendre à la société et ce n'est pas la vision qu'on puisse avoir de la société.

Et puis, éviter que nous allions dans un monde qui soit de plus en plus fait de fluctuations économiques, c'est-à-dire que si - comme on peut le craindre - les matières premières agricoles deviennent un motif supplémentaire de spéculation, cela ne va pas être facile d'avoir une économie calme dans tout cela. Faisons en plus l'hypothèse qu'il y a une grande viscosité, une grande inertie dans les variables, les grandes variables.

Cela nous définit un chemin que je qualifierais de chemin étroit : un chemin de viabilité étroit entre maintenant et 2050. Donc, je le répète, ce n'est pas un scénario rose, ce n'est pas un scénario que j'aimerais, c'est un scénario construit à reculons.

Ce scénario à reculons, pour moi, c'est d'abord dégager dans le comportement de tous les ménages des pays industriels des marges de manoeuvre pour pouvoir inventer - parce que c'est malheureusement inévitable - de nouveaux besoins pour fabriquer de nouvelles industries et de nouveaux services pour laisser une place dans le reste du monde à l'atelier du monde qu'est la Chine et de tous ceux qui sont candidats à être ateliers du monde, ateliers industriels et ateliers de services. Il faut donc penser un monde dans lequel il y a un partage des activités, et cela ne peut se faire que si nous inventons de nouveaux produits. Étant bien placé à l'Agence Nationale de la Recherche, parce que c'est un observatoire de la façon dont se prépare l'avenir au plan technologique, je vois beaucoup plus de recherches tournées vers l'amélioration de la productivité sur les produits industriels et les services existants, c'est-à-dire des machines à réduire l'emploi que des machines à créer du bien-être supplémentaire dans la société. Les bien-être supplémentaires dans la société supposent plus de temps de vie, plus de temps de loisirs en particulier parce que les seules ressources relativement illimitées sur la planète, c'est la connaissance et l'intelligence. Le reste, celles qui sont à la base de notre industrie, sont souvent des ressources limitées.

Je ne vois donc pas facilement s'élaborer un scénario dans lequel on essaye de répartir l'emploi planétaire pour qu'il y ait un partage du bien-être. Je vois au contraire une restriction du temps de travail un petit peu partout, et je ne vois pas une nouvelle vague de grande technologie qui créerait une nouvelle vague de besoins de consommation et une nouvelle vague de croissance économique. Si bien que je me dis que de façon prudentielle, il faut accueillir ces trois milliards - sans doute - d'agriculteurs sur la planète et il faut qu'ils puissent vivre correctement, le plus décemment possible. C'est-à-dire qu'ils aient une technologie pas chère et efficace et je pense que la technologie écologiquement intensive, c'est une technologie qui est hautement... high-tech, qui fait appel à beaucoup d'intelligence, qui fait appel à beaucoup d'organisation et qui peut être une solution de dignité pour beaucoup d'agriculteurs dans le monde. Et il faut qu'ils puissent dépasser absolument le stade de la production pour la seule autoconsommation et qu'ils prennent le marché des consommateurs urbains de la proximité, avec cela, il faut que les politiques - et il y a peu de temps pour le faire - soient des politiques qui permettent de reconnecter dans la plupart des pays en développement une capacité d'excédent des producteurs agricoles avec une capacité de consommation de la part des villes. Je répète, ce n'est pas un scénario rose, c'est vraiment la recherche d'un chemin étroit, de cohérence, pour limiter les drames sociaux. Mais peut-être après tout n'est-ce qu'une vision tragique du futur. Si quelqu'un autour de la table est capable de proposer un scénario rose, je me convertis à la minute.

Yvon COLLIN

Merci. Est-ce que Mesdames Céline Laisney et Sandrine Paillard pourraient nous dire à combien se situe le niveau des échanges internationaux dans leurs scénarios.

Céline LAISNEY

Oui, d'ailleurs moi aussi je voulais poser une question à ce sujet. J'ajoute qu'en tout cas dans l'exercice de la FAO, le commerce des produits agricoles augmente aussi considérablement. Les importations nettes de céréales seraient multipliées par trois et représenteraient 14 % de la consommation de céréales des pays en développement contre 9 % aujourd'hui, donc c'est en ligne, un peu avec ce que vous disiez. Effectivement, ces augmentations d'échanges, on les retrouve aussi dans le scénario de l'IFPRI puisque quand il n'y a pas d'échange, c'est le scénario noir précisément. C'est évoqué également dans le Foresight britannique. Moi, la question que je me pose parce que je pense que si on faisait un exercice de prospective en essayant de prendre en compte vraiment toutes les variables, y compris effectivement des variables pas spécifiquement du secteur agricole mais plus largement, je pense qu'on aurait forcément un scénario quand même où ces échanges connaissent des difficultés que cela soit à cause des questions énergétiques, parce que même si le transport de marchandises agricoles se fait - je crois - essentiellement par bateaux et donc la part de l'énergie ne représente pas forcément une grande part du coût, l'augmentation du prix de l'énergie aura quand même des conséquences sur les échanges. Et puis, on devrait aussi intégrer des ruptures que seraient aussi peut-être des maladies infectieuses ou des phénomènes comme on l'a vu récemment avec le volcan islandais où tout d'un coup, les échanges sont interrompus pour une raison ou pour une autre. Comme le signalait Monsieur Griffon, l'augmentation des échanges représente quand même une très forte vulnérabilité pour l'avenir. Je pense donc qu'il faudrait intégrer cela dans un scénario.

J'ai la parole, j'en profite pour poser aussi une question à Monsieur Bachelier. Puisque vous êtes un observateur de ce qui se passe en Afrique, je voudrais savoir comment vous considérez depuis la crise de 2008 les efforts qui sont faits dans certains pays pour relancer la production. Je crois qu'il y a des choses qui sont faites au Sénégal, au Mali... Est-ce que ça va dans le bon sens ? Est-ce que c'est fait de manière efficace ? Est-ce qu'il y a des espoirs de voir la dépendance aux importations diminuer dans un avenir plus ou moins proche ?

Bernard BACHELIER

Ma réponse est oui. D'abord je constate qu'en 2008, au moment de la crise, au printemps 2008, l'ensemble de la communauté internationale - qui s'est réunie d'ailleurs à Rome - a dit : « il faut dégager 22 milliards » mais n'a rien fait. Je me souviens de discussions avec des bailleurs de fond, y compris français, « on n'a pas le temps de faire ». En avril-mai, on n'a pas le temps de faire. Nous, nous avons faits deux ou trois projets quand même avec des groupements. Les gouvernements africains ont été les seuls à réagir rapidement. Moi je leur tire mon chapeau sur le fait qu'ils ont réagi, notamment, en tout cas ceux que je connais bien, c'est le Mali et le Burkina
- c'est plus de la communication au Sénégal on va dire quand même - mais ont réagi vigoureusement au Mali en subventionnant les engrais - c'est tout simple - et en subventionnant les engrais-riz. Alors, on les a critiqués de subventionner les engrais parce que ce n'est pas écologiquement correct et on les a critiqués de financer du riz, parce que le riz, c'est une céréale importée. Sauf que c'est cela dont ils avaient besoin puisque c'est cela que veulent les consommateurs urbains. Évidemment cela n'a pas été parfait, les engrais sont arrivés trop tard dans un certain nombre de cas ; dans une filière où il y a de la subvention d'État, il y a des pertes. Il n'y a pas que dans l'aliment qu'il y a du gaspillage, donc tout cela n'est pas parfait. Mais dans le contexte tel qu'il était, c'était une très bonne réaction et cela a donné des résultats. Ils ont été aidés par une bonne pluviométrie mais cela a donné des résultats et cela a donné de nouveau des résultats en 2009, avec un élargissement de l'accès aux engrais, élargi au maïs et au sorgho. Je pense donc que cela, pour moi c'est un vrai sujet de discussion entre les bailleurs de fond internationaux et les gouvernements. Je rappelle qu'il y a un grand exemple qu'on cite souvent, maintenant un peu plus en France quand même, avant on ne le citait pas, qui est le Malawi qui avait réagi avant sur cette question de la subvention des engrais et qui, après une crise, une famine terrible - je crois que c'est en 2004 ou quelque chose comme cela - est devenu exportateur, ou excédentaire en tout cas.

Yvon COLLIN

Très bien, alors on va pouvoir peut-être passer au débat. J'ai quelques petites questions.

La première, parce qu'il me semble que c'est une grande question, celle des usages alternatifs en agriculture. Elle a été évoquée à plusieurs reprises, en particulier celles des biocarburants. Alors, comment voyez-vous la révolution de ces conflits d'usages ?

Deuxième question, est-ce que le développement agricole du Tiers-Monde peut être gagnant pour nos agriculteurs ? Question évoquée également.

Enfin, qu'est-ce qui est responsable du plafonnement des rendements ? Des ajustements structurels, des défauts d'investissement ou des facteurs qui seraient plus agronomiques ? Et puis, je vais bien sûr donner la parole à la salle.

Axel KRAUSE

Merci, merci beaucoup. Je suis Axel Krause, je suis un journaliste américain qui suit les questions d'agriculture depuis un certain temps. Ma question est très simple. Pour nous les journalistes, le monde est complexe ; nous savons comme disent les négociateurs concernant la paix au Moyen-Orient, ce ne sont pas les études, ni les analyses, les pronostics ni toutes les études qui comptent mais une dynamique pour trouver une solution. Actuellement - et nous avons vu à Copenhague une très grande mobilisation mondiale par les ONG, les gouvernements, etc. pour les questions d'environnement-climat - nous vivons actuellement une grande mobilisation autour de la crise financière : le G20, des réunions sans arrêt, sans parler des manifestations et des prières dans le monde. Alors, ma question est : pourquoi, comment cela se fait qu'avec les organisations qui existent, les Nations-Unies et particulièrement un grand représentant des Nations-Unies pour la sécurité alimentaire, Docteur David Nabarro, on n'a pas cette dynamique pour résoudre le problème que vous venez d'exposer en grand détail. Que faut-il faire - vous avez utilisé le mot inertie - par rapport à d'autres secteurs : nucléaire, environnement et finance ? Pourquoi n'y a-t-il pas une mobilisation semblable, peut-être au sein du G20, je ne sais pas où, mais on est frappé par l'absence d'une véritable dynamique politique, internationale sur ce problème. Ma question est : est-ce que les organisations internationales qui sont chargées de traiter des problèmes que vous venez d'évoquer et de discuter, est-ce que ces organisations font leur travail ? Sinon, comment faut-il les mobiliser pour qu'elles le fassent ?

Yvon COLLIN

Quelqu'un va répondre. Peut-être que vous pouvez vous concertez pour savoir qui va répondre. Une autre question, comme cela on va grouper un peu.

Jean-Christophe DEBAR

Oui, Jean-Christophe Debar, Pluriagri. J'ai suivi avec attention le débat entre Madame Cahill, Monsieur Michel Griffon et Monsieur Bernard Bachelier. Il y a certains points qui me gênent un peu et qui me donnent presque l'envie - j'allais dire presque l'envie - de voler au secours de l'OCDE qui n'a pas besoin de moi du tout pour cela. Néanmoins, je veux réagir en particulier aux scénarios assez sombres. Je me demande s'il n'y a pas dans la manière dont on accumule tous ces arguments dans un sens non rosi, est-ce qu'il n'y a pas un peu de contradiction avec le fait que dans beaucoup d'arguments, par ailleurs, on insiste sur - pour aller très vite - ce qui me semblerait être sur des difficultés prochaines d'ajustement de l'offre et de la demande, qui devraient plutôt contribuer à tendre les prix. Or, on insiste dans les scénarios sombres sur un scénario de prix bas : augmentation de la pauvreté rurale qui serait due à un scénario de prix bas. Voilà, je ne comprends pas bien. Il me semble qu'il n'y a pas... il me semble que parfois, tout n'est pas cohérent dans la manière où on ordonne tout cela.

Cela dit, les problèmes de pauvreté rurale - sans même aller dans un sens d'un scénario rosi ou pas rosi - enfin, on sait bien qu'ils existent aujourd'hui et que les problèmes qui ont été énoncés, ce n'est même pas la peine de se projeter. Aujourd'hui, on sait à quoi on a à faire.

Alors, Monsieur Bernard Bachelier l'a dit - me semble-t-il et je vais faire une connexion à nouveau avec le petit débat avec Madame Carmel Cahill - si effectivement on s'accorde à reconnaître qu'en Afrique en particulier, il y a d'énormes nécessités d'augmenter la productivité agricole - productivité et production agricoles - je pense qu'il faut être honnête : on ne peut pas à la fois - me semble-t-il - proclamer qu'il faut augmenter la productivité agricole et raisonner en disant « il faudra que tout le monde reste agriculteur dans les 50 ans ». Enfin, accueillir un milliard en plus, ou alors à moins de supposer que de nouvelles technologies seraient plus créatrices d'emplois au niveau des exploitations. Je veux bien en admettre le principe mais enfin cela reste à démontrer, il me semble. Donc, je crois qu'attention, s'il y a augmentation de la productivité, je vois mal honnêtement comment on échapperait à un scénario de réduction du nombre d'agriculteurs et je dirais - quitte à être un peu provocant - dans certains cas en tout cas tant mieux si c'est au prix effectivement de l'amorce d'un développement agricole.

Enfin, dernier point, je crois que sur la sempiternelle question, effectivement : « libre-échange, protection ou pas ? » alors immédiatement c'est vrai quand on introduit la notion de protection ciblée, l'argument, c'est de dire oui mais les consommateurs y perdent. Je crois que c'est de manière mécanique tout à fait juste mais je pense que ce raisonnement oublie la dimension du temps. C'est-à-dire que des protections ou un soutien à l'agriculture de manière générale, à l'instant immédiat, effectivement, il y a un choix politique : on choisit plutôt le producteur que le consommateur. Mais, voyons cela dans la durée : on sait bien quand on prend l'exemple européen qu'il y a eu des effets positifs en termes d'augmentation de la productivité qui finissent finalement par bénéficier aux consommateurs. Après tout, d'ailleurs, c'est la vraie justification des politiques agricoles. Elle est là. Si elle est bien faite attention, si c'est bien fait. Il y a eu des excès, on le sait bien, mais voilà, une politique agricole au fond c'est fait pour bénéficier aux consommateurs en réalité.

Yvon COLLIN

J'ai cru comprendre que la question de Monsieur Debar s'adressait à Monsieur Michel Griffon, alors avant qu'il ne réponde, une dernière question et puis vous répondrez.

Catherine GUY-QUINT

Catherine Guy-Quint, je suis là comme conseillère spéciale de MOMAGRI mais je suis restée pendant dix ans députée européenne au budget de l'Union européenne. Je crois que cela oriente beaucoup ma vision. Je dois vous dire que pour ma part, je ne partage pas l'analyse que la politique agricole doit amener uniquement au bénéfice des consommateurs. Je crois d'ailleurs, et je crois qu'on devrait le développer beaucoup plus, que la politique agricole a un rôle beaucoup plus important qui a été nié depuis une dizaine d'années, un rôle d'équilibre des territoires au sens le plus global du terme et que nous sommes actuellement en pleine dérive, en tous les cas dans la décision européenne parce qu'on a trop limité l'analyse, de l'économie agricole à l'analyse des effets sur le prix en oubliant tout le collatéral.

Je crois que ce type de réunion d'aujourd'hui permet de voir où en est la recherche, où en sont les problématiques, d'échanger. Je connais les travaux conjoints entre le Parlement européen et plusieurs de vos organisations. Mais, je crois aussi que nous sommes dans une crise de la décision publique, très grave dans notre société, et qu'il faudrait que cela cesse parce qu'il y a une grande urgence. Voyez-vous, ce que je voulais apporter avant tout comme témoignage, c'est qu'actuellement il y a dans les travaux européens avec le nouveau pouvoir du Parlement de codécision en matière d'agriculture, une remise à plat de toutes ces données qui va complètement modifier le paysage de l'agriculture européenne, donc les paysages européens. Il va y avoir des conséquences qu'on ne soupçonne même pas sur toutes les règlementations, entre autres les règlementations de commerce international. Je pense qu'il faut renforcer ces coordinations entre toutes les différentes organisations qui se sont exprimées ici et la décision politique nationale et surtout européenne en matière d'agriculture et de développement.

Je voudrais dire à Monsieur Bachelier qu'en effet, il y a dans la pratique de la Commission européenne un peu de schizophrénie entre chaque direction générale mais que c'est du rôle des citoyens que d'aller bousculer cette schizophrénie. Chaque fois que nous l'avons tenté - et c'est l'avantage des budgétaires - nous arrivons à faire travailler des secteurs qui très souvent renâclent entre eux. C'est totalement aberrant que la DG agri refuse de travailler avec la DG commerce extérieur ou la DG environnement. Ce sont des choses sur lesquelles nous devons être des citoyens très actifs. Il faudrait, lorsqu'on n'est pas satisfait de ce qui se pratique, aller secouer les parlementaires qui eux ont un véritable pouvoir en la matière. Permettez-moi de mettre les pieds dans le plat, mais moi j'ai fait cela pendant dix ans - être secouée par les citoyens - et cela fait du bien. Alors, voilà. Monsieur Krause ainsi que vous tous, je souhaiterais que vous suiviez les travaux qui se passent actuellement au Parlement européen à la Commission de l'agriculture. Deux rapports très importants sont en train de s'élaborer : celui qui a été fait par Stéphane Le Foll sur « Agriculture et développement durable » est en train de faire voir que la vision européenne par rapport à la politique agricole est en train d'être totalement modifiée ; le rapport le plus important est celui de George Lyon, qui va être voté le 2 juin à la Commission de l'agriculture et début juillet au Parlement en plénière sur « Quel avenir pour la politique agricole européenne ? ».

Tous les concepts qui ont été aujourd'hui soulevés ont été soulevés dans les travaux préparatoires à ce rapport, et je crois que c'est faire une économie de travail pour l'ensemble des décideurs parlementaires des 27 États que de travailler ensemble en la matière. Mais, sur toutes les approches qui ont eu lieu aujourd'hui, mon travail au budget européen m'a donné comme idée que ce qui était le plus difficile, c'est que, quelles que soient les avancées réelles faites dans chaque secteur économique au niveau européen, si on ne maîtrise pas les marchés, tout retombe et tout tombe à plat. C'est pour cela que je travaille actuellement dans le think tank Momagri, c'est que si on ne maintient pas... enfin, si on ne trouve pas une nouvelle approche de régulation des prix agricoles au niveau mondial, quels que soient les progrès réels dans les pratiques dans le monde entier pour relancer de l'agriculture vivrière, pour faire que l'ensemble des économies agricoles de chaque État soit plus à même de satisfaire aux besoins alimentaires de l'État ou à l'exportation, si on laisse les spéculations financières se développer sur les matières premières agricoles, tout cela tombe à l'eau. Je pense que - c'est mon opinion après dix ans, vraiment, de travail au coeur du budget européen - je pense que c'est un aspect de l'approche du défi alimentaire de 2050 qui a été trop souvent négligé. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Yvon COLLIN

Excellente question. Alors je pense que désormais vous avez pas mal de questions, un champ très large. Mesdames, Messieurs, vous avez la parole.

Carmel CAHILL

La tentation, c'est d'essayer de répondre à toutes ces questions, mais vous ne voulez pas que je fasse cela. Sur les biocarburants, le bilan au niveau des émissions de gaz à effets de serre, c'est très douteux pour la première génération de biocarburants. Le bilan économique est clair : ce n'est pas rentable ; on ne peut pas le faire sans subvention. Il y a un autre aspect, c'est qu'en subventionnant les biocarburants et en les mélangeant avec les énergies fossiles, on risque d'augmenter la demande et de parfaitement négliger la réduction de la demande qui est peut-être la clé de la résolution des problèmes auxquels on doit faire face. L'analyse est peut-être différente pour les biocarburants de deuxième génération : c'est encore en jeu, on ne sait pas mais, même ces biocarburants de deuxième génération, si cela arrive et que c'est rentable et que le bilan environnemental est bon, cela va quand même avoir un effet sur l'utilisation des terres et cela va entrer indirectement en concurrence avec la production de la nourriture.

Après, sur la question du dynamisme de la production, ce que je voulais répondre à ces questions-là : on a vu des chiffres qui montraient que depuis - je ne sais pas - 20, 30 ou 40 ans, la production agricole a augmenté de 150 % dans une situation où les projections, c'était qu'il y avait besoin de 90 % ou de quelque chose comme cela. On a vu récemment une réponse quand même très vive aux flambées des prix en 2008. Ce dynamisme, pour résoudre les problèmes auxquels on doit faire face, doit venir du secteur, des acteurs du secteur : des agriculteurs, de la distribution, de la transformation. Moi, j'estime que ce dynamisme est là puisque le secteur a déjà fait preuve d'énormément de capacités à réagir et à produire plus, à produire mieux, à produire d'une manière plus variée, à répondre à toutes les demandes de la société. Alors, oui, il faudrait aussi que les gouvernements et que les organisations internationales répondent et ne soient pas - peut-être - aussi lents dans leur réflexion qu'ils le sont. Les vraies réponses sont là, chez les acteurs économiques qui maîtrisent les ressources.

Ce que je dois ajouter à cela aussi, c'est que si nous sommes même un petit peu corrects dans nos chiffres, la demande augmente de manière très significative. Cela, qu'est-ce que c'est si ce n'est pas une opportunité pour les producteurs ? Nos projections indiquent que, toutes choses étant égales par ailleurs, toutes les hypothèses indiquent que les prix vont peut-être même augmenter, commencer à augmenter en termes réels après une période de diminution qui a duré des décennies. Alors là, le secteur va répondre et le dynamisme va venir. Je dois m'arrêter mais j'avais plein d'autres choses...

Je voudrais ajouter une chose. On parle beaucoup de changement climatique. L'estimation de nombre de personnes qui pourraient être mises dans une situation d'insécurité alimentaire à cause du changement climatique, le chiffre le plus élevé que j'ai vu, c'est dans les 300 millions de personnes. Là, on parle d'une augmentation de population de 3 milliards. Alors je crois que c'est aussi très important de relativiser les choses et d'avoir une idée des dimensions des défis et quels sont les éléments les plus importants.

Yvon COLLIN

Je remercie Madame Cahill de sa réponse et je voudrais au passage en profiter pour la remercier de s'être exprimée dans un français parfait, d'avoir fait cet effort.

Bernard BACHELIER

Alors sur le dernier point, parce que moi je souhaite vraiment réagir sur la mobilisation de l'opinion publique,... en quoi nos agriculteurs peuvent être bénéficiaires du développement du Sud et puis un mot sur la politique agricole européenne. Très rapidement.

Moi je pense qu'il y a un milliard de personnes qui sont mal-nourries qui souffrent de la faim ; effectivement, on les a rapidement oubliées et on était beaucoup plus sensibilisés à un risque de changement climatique dont on ne sait pas quelle est son ampleur ni le moment où il va intervenir. Donc, vraiment, je pense qu'il y a une erreur historique de notre opinion publique. Je rejoins de ce point de vue-là très largement Claude Allègre sur la question : il n'y avait aucun président ou chef d'État du G8 ou des pays industrialisés au Sommet sur la sécurité alimentaire de la FAO en novembre et ils étaient je ne sais pas combien à Copenhague pour n'aboutir à rien. C'est donc scandaleux. Là-dessus, je pense qu'il y a une raison majeure, c'est que l'opinion publique est faite par les pays développés, et que ces pays développés sont des pays rassasiés, sur-nourris. Du coup, effectivement, ils ont développé cette peur du changement climatique, donc une pensée dominante. On impose donc notre pensée dominante - excusez-moi Madame de l'OCDE - on impose notre pensée dominante au monde. Je pense que les pauvres qui souffrent de la faim sont eux dans des pays pauvres, qu'ils n'ont pas accès à la communication et qu'on ne les écoute pas. Je crois que... là-dessus, les responsables politiques sont évidemment en écho avec l'opinion publique puisque c'est elle qui les élit et que, par conséquent, ils ont fait ce qu'ils pensaient faire pour gagner les élections. Voilà. Je suis assez catastrophé. Il faut comprendre que ces populations qui souffrent de la faim et ces agriculteurs - une grande partie de ces populations qui souffrent de la faim sont des agriculteurs - ne peuvent pas s'en sortir si nous ne les aidons pas d'une manière ou d'une autre : avec des crédits publics, avec des politiques agricoles, avec des crédits privés.

Je fais un raccourci - que vous m'excuserez Madame de faire - avec la PAC parce que je crains beaucoup que la priorité que nous donnons à préparer 2013 nous amène, Européens, à nous refermer sur notre priorité européenne, de préférence communautaire, de réduction de la volatilité... etc. et que se réalise - ce sont les signes que je ressens, c'est ce que j'ai vu au Salon de l'agriculture où nos invités africains ont été très peu visités par les professionnels agricoles et les politiques, parce que les politiques sont préoccupés de préserver les intérêts des agriculteurs européens - le risque d'un bunker européen, indifférent aux problèmes du monde. Je rappelle que si nous régulons les prix en Europe, cela augmentera la volatilité dans le reste du système et il est illusoire de penser que c'est un ensemble de régions juxtaposées qui va permettre de réguler les prix mondiaux. Donc, il y a un problème de régulation des prix mondiaux. Ce sont les conséquences de la volatilité pour les agriculteurs qu'il faut envisager. Mais l'Europe ne peut pas avoir une place légitime sur le monde si ses propositions n'ont pas des effets bénéfiques sur les autres régions du monde.

Dernier point - c'est un peu lié - je pense en effet que l'intérêt des agriculteurs français n'est pas seulement l'exportation de quelques produits - d'ailleurs, de moins en moins - mais c'est surtout l'investissement à l'étranger dans des filières. C'est ce que deux de nos grandes filières qui ont une vision internationale font : la filière oléagineuse - Sofiprotéol - la filière du sucre - Tereos - qui investissent à l'étranger. Ce n'est pas pour rapporter des produits en France, ce n'est pas pour la satisfaction de nos besoins, c'est pour développer et valoriser notre ingénierie comme la grande distribution ou l'hôtellerie l'ont fait dans d'autres régions du monde, et avec des résultats gagnants-gagnants, c'est-à-dire de l'investissement privé qui arrive dans les filières agricoles du Sud et de l'approvisionnement des marchés agricoles du Sud et puis, même, la valorisation d'un savoir-faire.

Yvon COLLIN

Merci Monsieur Bernard Bachelier. Simplement, pour appuyer votre propos, à la tribune du Sénat dans le cas de la loi de modernisation de l'agriculture, le Ministre a effectivement tenu un propos particulièrement élogieux sur les vertus de la préférence communautaire. Cela paraît confirmer une orientation qui se dessine. Peut-être Monsieur Michel Griffon, puisqu'il avait une question qui lui était adressée.

Michel GRIFFON

D'abord, je vais répondre à celle que vous avez posée sur les plafonnements de rendements. Très rapidement. D'abord, à technologies constantes, il y a une courbe générale qui est une courbe en S, c'est-à-dire qu'au bout d'un certain temps, inéluctablement, il y a un plafonnement. Ce qu'on a observé dans beaucoup de régions du monde, c'est que ce plafonnement n'était pas dans une courbe en S mais une courbe en S très affirmé, c'est-à-dire qu'il y a eu une rupture. Cette rupture correspond à l'avènement des politiques d'ajustements structurels, c'est-à-dire que par exemple, en Inde, aux Philippines - on le voit aussi dans d'autres régions du monde - à partir du moment où on a très rapidement supprimé les subventions aux semences, les subventions aux engrais, aux produits phytosanitaires, les subventions et bonifications du crédit pour le petit équipement agricole, on a changé complètement l'environnement économique. Bien sûr, les agriculteurs ont eu beaucoup moins intérêt à chercher des rendements maximum.

Pour répondre à la question de Jean-Christophe Debar - qui est vraiment une question difficile - le raisonnement commence par dire qu'il y a une courbe démographique et que cette courbe démographique détermine la base de la courbe de l'évolution des besoins et de la demande modulo l'évolution du revenu. Cela fait une courbe qui est quand même relativement prévisible. La courbe de la production et de l'offre est elle généralement beaucoup plus erratique. Il y a dans les grandes tendances de ces courbes de production et de l'offre, des variables qui ont une forte constante de temps. Par exemple, une génération de technologies comme le fut la révolution verte. Cela a fait remonter la courbe : cela lui donne une accélération d'une certaine façon. Et puis, il y a les effets climatiques : alors, il peut y avoir les effets climatiques sur dix ans, quinze ans, il peut y avoir des effets climatiques sur une saison et pas sur une autre. Je fais l'hypothèse que, dans la phase d'accélération démographique que nous avons connue et que nous connaissons encore, enfin nous sommes à peu près à l'inflexion, et considérant par ailleurs qu'il y a des risques tous les ans que les plans de production alimentaire, soient contredits par les besoins en biocarburants, par de l'urbanisation sur les meilleures terres - ce qui joue beaucoup en Asie - ou par le besoin de limiter la déforestation pour préserver la biodiversité, que tout cela sur longue tendance crée une petite tension. Alors je ne sais pas comment précisément elle va s'exprimer mais cela crée une tension vers la rareté de la terre.

J'en conclue qu'il y a trois scénarios possibles , trois scénarios subtils : un premier scénario où on aurait quand même une courbe d'offre supérieure tendanciellement à la courbe des besoins et de la demande, ce qui continuerait à faire baisser les prix. Les prix bas pour les producteurs agricoles, c'est une aubaine pour les consommateurs urbains mais cela ne résout pas le problème de la pauvreté. D'autres hypothèses, c'est que la tension se fait dans l'autre sens, c'est-à-dire qu'il y a des difficultés sur les ressources. La Chine continue à accroître sa consommation et, à ce moment-là, on a une tension sur les prix : les prix ont tendance à augmenter avec des variations, mais ils ont une tendance lente à augmenter, ce qui est favorable aux agriculteurs mais est défavorable aux urbains. Et puis, il y a un troisième scénario - puisque ce sont des scénarios - où on ne peut rien dire parce qu'on a des fluctuations telles, accentuées par la spéculation sur les cours des matières premières, qu'on ne sait vraiment pas si on est dans une tendance à la légère hausse ou une tendance à la légère baisse.

Dans tous les cas de figure, dans ces trois scénarios, le problème, c'est qu'il faut de la cohérence. Ne pas agir simplement dans le secteur agricole mais sur l'ensemble de la société. Lorsqu'on dit : « il peut y avoir un scénario où l'on baisse le nombre des agriculteurs, et pourquoi pas et ce n'est pas mal en soi », je suis d'accord. Mais s'il n'y a pas les moyens de récupérer tous ceux qui sortent de l'agriculture dans le reste de la société, c'est un scénario catastrophique. Ce que j'essaye de faire, c'est de bâtir des scénarios évitant les catastrophes. C'est pour cela que j'emploie la métaphore d'un chemin étroit. Voilà. J'essaye d'être cohérent mais j'avoue humblement que j'ai du mal.

Yvon COLLIN

Madame Sandrine Paillard.

Sandrine PAILLARD

Juste un petit point sur les rendements. Une des causes aussi de la stagnation des rendements, et en tout cas, cela sera sans doute une cause à l'avenir même si c'est plus incertain aujourd'hui parce que c'est variable : c'est le changement climatique. De ce point de vue-là, je trouve que ce n'est pas utile à votre argumentation, Monsieur Bachelier, sur le caractère scandaleux de notre position vis-à-vis de la pauvreté d'opposer le défi climatique au défi alimentaire. Je pense que c'est même dangereux de l'opposer.

Yvon COLLIN

Alors, il y a trois petites questions.

Pierre BOUTET

Pierre Boutet, je suis membre du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux au Ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. J'interviens ici à titre personnel parce que je ne suis pas un spécialiste de ces questions. Bien sûr, Monsieur le Président, il ne m'appartient pas de tirer le mot de la fin mais je ne peux pas m'empêcher de réagir sur trois points à l'issue de ces débats.

Le premier, c'est sur la limite de tous les modèles qui sont prospectifs, aussi élaborés soient-ils, et les interventions, les débats internes entre les intervenants l'ont montré, le modèle est d'une telle complexité qu'il y aurait une grande prétention ou arrogance à prétendre dégager des solutions. On peut identifier des questionnements. Je pense que c'est le principal intérêt, je pense de ces exercices prospectifs, c'est de permettre de pointer - je dirais - les variables ou les points ou les incertitudes majeurs sur lesquels il faudra impérativement agir de la façon la plus probable. Cela, c'est la première leçon que je tire de ces échanges.

La deuxième, elle est très bien ressortie d'un certain nombre d'interventions, aussi bien des intervenants que de Madame qui s'est présentée comme ancienne député européen ou que Monsieur qui est journaliste américain, c'est le fait qu'il y a une très grande interdépendance entre différentes crises ou différentes problématiques auxquelles on est confronté : que cela soit la crise alimentaire, la crise écologique ou la crise économique. Il y aurait aussi, je pense, une certaine...un chemin d'erreur à vouloir isoler et analyser strictement chacune isolément et les nécessités de favoriser les dialogues et les échanges entre les porteurs de ces problématiques me paraissent devoir être renforcées à l'évidence.

La troisième - ce qui m'a d'ailleurs laissé un petit peu perplexe au début, je dois avouer que j'étais au début un petit peu non pas perdu parce que ces questions ne me sont pas totalement étrangères - c'est le terme du « nous ». Je dois avouer que je ne savais pas trop le nous, ce qu'il recouvrait selon les moments et les interventions : si c'était un nous français, un nous européen ou un nous mondial. Je crois qu'on a raisonné un petit peu dans une fiction politique comme s'il existait une gouvernance mondiale de ces problèmes. Mais, précisément, je crois que tout démontre qu'effectivement, si l'on veut faire face à l'ensemble de ces défis, il faudra - me semble-t-il - renforcer les conditions de la gouvernance mondiale, que ce soit pour régler la crise alimentaire agricole, que ce soit pour régler la crise écologique ou que cela soit pour régler - et cela a été fort bien dit à propos des marchés - la crise économique. Voilà pour ces trois leçons. Je pense qu'il faut aborder ces questions avec beaucoup d'humilité, de la position - disons - depuis laquelle on s'exprime au niveau français.

Yvon COLLIN

Merci de cette présynthèse. Monsieur Drissi, représentant la FAO. Une question ou une intervention, tout simplement.

Mehdi DRISSI

Merci Monsieur le Sénateur. Je suis donc représentant de la FAO en France. Tout simplement, pour répondre à Monsieur, en tout cas pour la FAO, dire que la FAO est souvent montrée du doigt. La FAO, comme les élus ou l'OCDE, fait son travail. La FAO est une agence technique, l'agence qui est chef-de-file dans la lutte contre la faim. Nous avons un budget d'un milliard de dollars par an, ce qui fait un dollar par personne souffrant de la faim selon nos derniers chiffres. Ce n'est pas avec ce budget, vous le comprendrez, qu'on résout la faim dans le monde. Par contre, nous jouons, je crois, notre rôle de mobilisateur. Nous sommes également un lieu de savoir et d'information, une tribune neutre où tous les jours se réunissent des délégations et des commissions du monde entier. Je crois que nous tentons d'insuffler une dynamique. Il y a eu un troisième sommet mondial en novembre dernier après ceux de 1996 et de 2002. Une soixantaine de chefs d'État et de gouvernement sont venus mais il n'y en avait aucun du G8. Et puis, il y a eu une déclaration finale sur laquelle il n'y a aucun engagement quantifié ni de date. Nous essayons de mobiliser les pouvoirs politiques. Le 11 mai, la semaine dernière, notre Directeur général, Monsieur Diouf a lancé une vaste campagne contre la faim à Rome. Elle a été reprise dans plusieurs capitales et grandes villes du monde dont Paris, où nous avons organisé un rassemblement sur le parvis des Droits de l'homme largement médiatisé. Monsieur Diouf veut porter cette pétition. Le principe même de la campagne, c'est une pétition contre la faim. Le symbole est un sifflet contre la faim silencieuse. Nous espérons avoir un million de signatures. C'est un geste... c'est symbolique. Je vous parle de cela, mais il y a d'autres actions que nous menons, parce que sur la flambée des prix, nous avons quand même mis 400 millions sur un budget d'un milliard plus un milliard en extrabudgétaire dans 76 pays en fournissant des intrants. Il va porter cette pétition du 20 au 22 septembre à New-York devant les grands décideurs de ce monde. Je vous rappelle aussi que sur les 22 milliards à L'Aquila, il ne reste plus que 400 millions, puisque le 25 avril, il y a eu une réunion de suivi de L'Aquila à New-York et on ne parle plus que de 400 millions, donc 22 milliards deviennent 400 millions. Il y a un problème évident de volonté politique. Nous, nous faisons ce que nous pouvons. Je vous invite à aller sur le site www.1billionhungry.org avec le chiffre 1. Signez cette pétition, c'est peut-être un petit geste, ce n'est peut-être pas grand chose. Si on n'essaye pas de se mobiliser et qu'on ne fait pas des actions de ce style-là, les choses n'avanceront pas. Je crois que les trois agences romaines comme on les appelle : le PAM, la FAO et le FIDA font leur travail mais nous ne sommes pas les seuls. Il faut 44 milliards de dollars par an pour éradiquer la faim dans le monde. Ce n'est pas grand-chose par rapport aux 365 milliards dans les pays de l'OCDE consacrés aux agriculteurs. C'est encore moins par rapport aux 3 000 milliards, officiellement dépensés chaque année pour l'armement. Merci.

Yvon COLLIN

Véronique Villain a la parole pour la dernière question.

Véronique VILLAIN

C'est à peine une question, c'est - disons - une réflexion. Il me semble que dans les facteurs de dynamique dont on a parlé, je pense qu'il y en a un qui est fondamental dans le milieu rural et dont il faut avoir pleine conscience : c'est la régularité du revenu des agriculteurs. Je pense qu'on ne peut pas imaginer un revenu régulier pour les agriculteurs sans politique publique. Là-dessus, c'est quelque chose qu'on vous ré-exprime en tant que politiques de la Nation. Je pense que le rôle des politiques aujourd'hui, il est d'organiser et de maîtriser la production, cela a été dit tout à l'heure. Il est aussi de répartir l'accès au foncier, de répartir les conflits d'usage dont vous parliez - l'eau, toutes ces choses-là... - tout cela fait partie du besoin du politique. Sans politique aujourd'hui, les agriculteurs ne peuvent pas avoir un revenu régulier et sans revenu régulier, les agriculteurs s'en vont. Je voudrais terminer en disant de nouveau que l'agriculture, il faut arrêter d'en avoir une image sinistre. Quand même, quand on nous dit que les agriculteurs, il faut les mettre dans les villes car là, cela va aller beaucoup mieux. Excusez-moi, non ! Les agriculteurs : qu'est-ce qu'ils demandent ? D'avoir un revenu décent, non pas d'avoir un revenu extravagant. Ils deviendraient fous et un peu imprudents, donc un revenu décent pour rester sur leur territoire, pour faire vivre le territoire, pour nourrir les gens de façon durable parce que cela ne nous intéresse pas de produire...d'utiliser des produits phytosanitaires qui vont d'un autre côté abîmer et le sol et la santé des consommateurs. Toutes ces choses-là, c'est le travail de l'agriculture. L'agriculture, c'est le plus beau métier du monde si on en a un revenu et si on peut faire les choses correctement. Donc, je pense qu'il faut sortir de l'idée qu'il faut continuer à vider les campagnes. Moi, l'idée de Monsieur Griffon de remettre 3 milliards d'individus dans les campagnes demain ne me fait pas peur si on a une politique qui permet d'accompagner ce travail-là et de rendre la vie à la campagne possible.

Yvon COLLIN

Merci beaucoup. Alors, des réponses très synthétiques...

Carmel CAHILL

S'il vous plait, il ne faut pas tout mélanger. Quand je dis cela, je parle des pays en développement où 50, 60 ou 70 % de la population sont dans l'agriculture avec des exploitations de taille infiniment petites. Ils ne peuvent pas survivre de l'agriculture, et les garder dans l'agriculture, c'est les garder dans la pauvreté. Je ne parle pas de l'agriculture dans les pays de l'OCDE.

Bernard BACHELIER

La première façon de prévenir le changement climatique pour les pays tropicaux, c'est d'investir dans les questions liées à la sécheresse : irrigation, recherche agronomique de plantes tolérantes à la sécheresse. La question de la sécheresse est une question d'aujourd'hui, elle sera une question peut-être encore pire demain. Tout ce qui dissuade d'investir dans cette question... de se préparer à la question de la sécheresse dès aujourd'hui est la question fondamentale. Voilà.

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