C. DEPUIS LE MILIEU DES ANNÉES 2000 UNE NETTE DÉGRADATION DE LA SITUATION S'EST PRODUITE

À partir du milieu des années 2000, l'augmentation du nombre absolu des personnes sous-alimentées s'accélère à un point tel que la proportion des personnes souffrant de la faim dans les populations des pays en développement s'accroît à nouveau. Entre 2000 et 2008, les personnes sous-alimentées augmentent de 65 millions (850 à 915 millions).

La crise globale détériore encore les perspectives associées à cette inflexion de tendance, déjà à l'oeuvre avant elle, laissant présager le dépassement du seuil d'un milliard d'être humains en situation de péril nutritif.

L'écart entre les objectifs des Nations et les réalisations est gigantesque : il atteint 600 millions d'hommes pour lesquels les promesses de leur épargner la faim n'auront pas été tenues.

Dans le passé, la baisse de la sous-alimentation a été tributaire des performances de la zone Asie-Pacifique.

Le graphique de droite ci-dessus montre que si la réduction de la sous-alimentation, entre 1980 et 2000, s'est appuyée sur la seule réduction du nombre des asiatiques touchés par elle24(*), c'est malgré tout cette région qui concentre le plus grand nombre de personnes sous-alimentées dans le monde (environ 80 % en 1980) On y observe également que la situation de l'Afrique subsaharienne ressort comme particulièrement préoccupante avec une élévation du nombre absolu de personnes touchées par la faim.

Le graphique de gauche confirme cette préoccupation particulière puisque l'Afrique subsaharienne est la région du monde où la prévalence de la faim - bien qu'en légère diminution - est la plus haute (entre 34 et 36 % de la population de la zone). Pour les autres régions, la baisse de la prévalence de la faim est plus prononcée, hormis toutefois pour l'Afrique du Nord-Proche-Orient où elle s'aggrave de 3 points de pourcentage. Sous l'angle de la prévalence de la faim c'est dans la zone « Asie-Pacifique » que les plus grands progrès ont été accomplis puisqu'elle a été divisée par deux.

Le graphique ci-dessous décompose ces tendances par pays en récapitulant les variations, en pourcentage, de la population sous-alimentée. Surtout, il permet d'identifier les pays, les plus soumis à la faim à l'aube du XXIe siècle.

La FAO distingue cinq catégories de pays selon la proportion de leurs populations souffrant de sous-alimentation.

La catégorie qui regroupe le plus grand nombre de pays est celle où le pourcentage de la population concernée s'étage entre 20 et 34 % suivie par celle juste précédente dans la hiérarchie (entre 10 et 19 % de la population). Ces deux catégories recouvrent également la majorité de la population des pays en développement du fait notamment de la présence en leur sein de deux poids lourds de la démographie mondiale, l'Inde dans la première d'entre elles, la Chine dans la seconde.

Pour l'essentiel, hormis ces deux pays-continent, les catégories en question regroupent des pays d'Afrique subsaharienne auxquels s'ajoutent des pays d'Amérique latine ou du sud (Bolivie, Nicaragua, Honduras, Panama, Guatemala, Pérou, Colombie) de l'Asie du Sud-Est (Thaïlande, Cambodge, Vietnam) et les pays jouxtant le sous-continent indien (Pakistan, Bangladesh).

Les pays les plus affectés par la sous-alimentation (avec une proportion supérieure à 35 %) sont, quant à eux, quasiment tous des pays d'Afrique subsaharienne.

Les pays où le pourcentage des personnes sous-alimentées dépasse 2,5 % sans excéder 9 % appartiennent surtout à la zone Afrique du Nord-Moyen-Orient (Égypte, Maroc, Algérie...) mais comptent également de grands pays d'Amérique latine (Mexique) ou du sud (Brésil), d'Asie (Indonésie) et un grand pays africain (le Nigéria).

Alors que la décennie 90 fut une année de progrès sur le front de la faim avec une réduction de la proportion de l'humanité affectée par la sous-alimentation, le graphique montre que rares sont les pays qui ont fait reculer celle-ci à hauteur des objectifs du Millenium (une baisse de 0,5 soit de 50 % de la population touchée).

Seuls sept pays auraient atteint cet objectif : Cuba, le Chili, l'Équateur, le Koweït, le Guyana, le Ghana et le Pérou. Tous ces pays appartenaient aux zones déjà les moins touchées par la faim (les trois premiers à la première catégorie, les deux suivant à la deuxième, les deux derniers à la troisième). Dans ces zones du reste, la plupart des pays ont fait des progrès dont, pour un assez grand nombre, des progrès substantiels. Mais quelques pays ont vu leur situation se dégrader (Liban, Turquie, Jordanie, Swaziland, Venezuela), souvent à la suite d'événements politiques.

Pour les pays relevant des deux catégories les plus touchées par la faim, il y eut également pour nombre d'entre eux des progrès mais insuffisants pour atteindre l'objectif du Millénaire. En revanche, la situation s'est significativement dégradée pour un petit nombre de ces pays. La détérioration a été particulièrement importante pour quelques pays déjà particulièrement exposés à la sous-alimentation : la République démocratique du Congo et la République démocratique de Corée. Mais, au total, dix-neuf pays ont subi une aggravation de leur situation. Si la plupart sont situés en Afrique, toutes les zones hors OCDE sont concernées.

L'état de la sécurité alimentaire s'est encore dégradée dans les années 2000, y compris avant les crises (celle des prix alimentaires et la crise globale en cours) comme le montre le graphique ci-après.

Le nombre des personnes souffrant de la faim a augmenté dans toutes les régions entre 1995 et 2000, excepté dans la zone Amérique latine et Caraïbes.

Après la crise des prix alimentaires, dont l'inflation a réduit l'accessibilité de l'alimentation, cette tendance s'est accentuée touchant également cette dernière zone.

La crise a été jusqu'à provoquer une inversion de la tendance à la décrue de la prévalence de la faim dans le monde, le nombre de personnes sous-alimentées augmentant davantage que la population mondiale.

Nombre de personnes sous-alimentées dans le monde

Au total, le nombre de personnes souffrant de la faim atteint des sommets même si l'estimation ci-dessous a pu être parfois légèrement révisée à la baisse.

Nombre de personnes souffrant de la faim en 2009, par région (millions)

L'exposition des pays aux tensions sur les prix alimentaires s'est révélée variable.

Globalement, les tensions sur les prix agricoles ont contribué à aggraver l'état de l'insécurité alimentaire dans le monde, mais les pays ont été inégalement touchés.

La sous-alimentation a progressé en Afrique mais elle serait restée stable en Asie.

La sous-alimentation dans le monde après les crises

Le graphique ci-dessous précise ces évolutions par pays.

Comparaison de la capacité de rebond des pays confrontés à la crise des prix alimentaires

Quatre catégories de pays peuvent être théoriquement distinguées.

Deux d'entre elles - celles où les prix ont baissé mais où la sous-alimentation a connu des évolutions de sens opposés - sont presque vides comme il est normal compte tenu de la nature de l'épisode décrit. Cependant, on remarque la situation singulière de la Chine où, malgré les tensions sur les prix agricoles, les prix alimentaires ont baissé, la sous-alimentation poursuivant son recul.

Dans les autres pays, les prix ont augmenté, mais plus ou moins, avec une concentration autour d'un pourcentage de l'ordre de 20 à 30 %. Dans certains pays, la hausse des prix a été particulièrement forte (l'Afghanistan - malgré la situation particulière du pays où l'on aurait pu s'attendre à ce que l'intervention internationale soit accompagnée d'une attention particulière portée à l'évolution des prix alimentaires -, la Thaïlande et le Malawi pour lesquels l'inflation des prix alimentaires a dépassé 60 %).

Mais face à ces hausses, la sous-alimentation a évolué de façon contrastée. Dans les pays du cadran supérieur gauche, elle a reculé (Brésil, Vietnam et Thaïlande, malgré la très forte hausse des prix alimentaires survenue dans ce dernier pays). Dans les pays situés dans le cadran supérieur droit, la sous-nutrition a progressé, dans des proportions parfois très élevées (Ouganda, Kenya, Sénégal).

L'analyse des facteurs de cette diversité d'enchaînements présentée par la FAO propose comme variables explicatives : la position commerciale nette des pays mais aussi la nature des institutions en place.

« Les pays les plus exposés aux variations de prix sur les marchés internationaux ont été généralement les pays pauvres et importateurs de produits alimentaires : ils étaient dépourvus de réserves suffisantes, leurs moyens budgétaires ne leur permettaient pas d'acheter des denrées alimentaires au prix fort et ils n'avaient pas non plus l'option de limiter leurs exportations ».

Les pays dans lesquels l'augmentation des prix est restée modérée et s'est accompagnée d'un repli de la sous-alimentation ont recouru simultanément à des restrictions commerciales, à des mécanismes de protection sociale et à l'utilisation de réserves.

Les pays où la hausse des prix a été importante mais où la sous-alimentation a, malgré cela, diminué, moins nombreux, sont ceux qui, exportateurs nets de produits alimentaires, ont vu s'améliorer le revenu des paysans pauvres.

Ces pays sont caractérisés par l'importance relative de leur population agricole mais aussi par une distribution des terres qui permet aux paysans de profiter de la hausse des cours mondiaux en leur permettant de disposer de surplus à écouler.


* 24 Pendant les années 90, la Chine a, elle seule, contribué aux deux tiers de la réduction de la faim dans le monde.