IV. LA CRUELLE IRONIE DE LA FAIM : LES PAYSANS SONT LES PREMIERS TOUCHÉS

A. SURTOUT DES PAYSANS

La sous-alimentation touche des personnes pauvres et ces personnes sont majoritairement des paysans.

Les personnes sous-alimentées sont pour 50 % d'entre elles des paysans pauvres, 22 % des paysans sans terre et 8 % des ruraux suivant des modes de vie traditionnels.

À ces ruraux - 80 % des « sous-alimentés » - s'ajoutent 20 % d'urbains pauvres.

Une partie considérable des personnes confrontées à la faim sont des femmes ou des enfants ce qui pose un problème de santé particulièrement aigu du fait de la transmission héréditaire d'un état de fragilité physique qui se répercute sur la vie - souvent précocement interrompue - des personnes concernées.

B. DANS LES PAYS EN RETARD DE DÉVELOPPEMENT

1. L'impact de la croissance globale

Il existe une corrélation entre la prévalence de la sous-alimentation et la croissance économique globale mais celle-ci ne garantit pas pour autant son recul.

Il existe une étroite corrélation entre la dynamique du PIB par habitant et la proportion de la population exposée à la faim.

Cette corrélation est d'autant plus forte que la croissance est installée sur une période longue.

On peut en déduire qu'il faut du temps pour que la croissance permette de « mordre » sur la sous-alimentation. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les effets de la croissance économique sur la situation alimentaire des pays n'apparaît décisive que pour certains d'entre eux lorsqu'elle est vérifiée sur une période courte (ici une décennie).

Le graphique ci-dessus montre ainsi pour les années 1990 que s'il existe une étroite corrélation entre un recul du PIB et l'aggravation de la situation alimentaire, l'existence d'une croissance relativement soutenue du PIB par tête ne garantit pas que des progrès substantiels soient réalisés sur le front de la faim. Inversement, des pays à croissance relativement modérée peuvent réaliser des performances plus rapides sur ce point.

2. Le poids particulier de la croissance du secteur agricole

La composition sectorielle de la croissance économique renforce la corrélation entre croissance et réduction de la sous-alimentation quand elle assure une progression de la valeur ajoutée agricole.

Il existe un paradoxe qui veut que les pays où le secteur agricole pèse le plus lourd dans le total de l'activité économique et absorbe une part prédominante de la population sont les plus exposés à la sous-alimentation. Celle-ci recule d'autant plus que la valeur ajoutée agricole est dynamique. Le graphique ci-après confirme globalement ce résultat intuitif.

3. Les effets de l'investissement agricole

Cette corrélation se retrouve au niveau des investissements agricoles. Les données de la FAO accréditent l'existence d'un lien étroit entre l'évolution du capital agricole par tête et la prévalence de la faim.

Taux de croissance moyen annuel en ACS* par travailleur dans l'agriculture, dans les pays en développement

* Stock de capital agricole Source : FAOSTAT

Les pays dans lesquels la prévalence de la faim est la plus élevée sont ceux où le capital/tête a été le moins bien orienté.

Le capital agricole a pu y augmenter de façon soutenue (moins toutefois que dans les pays où la prévalence de la faim est relativement basse) mais cette croissance a été inférieure à celle de la population employée dans l'agriculture. Dans ces conditions, le capital par tête diminue malgré la croissance de l'investissement.

4. Le rôle de la productivité

Les gains de productivité agricole entre 1975 et 2007 ont été variables.

Estimation des changements TFP* et ses composantes
selon la région 1975 à 2007

* Productivité globale des facteurs Source : FAOSTAT

Avec une moyenne mondiale de 1,7 % l'an, c'est en Chine qu'ils ont été les plus élevés (+ 2,1 %). Celle-ci a été suivie par l'Amérique du Nord (+ 2 %) quand l'Europe connaissait une progression inférieure à la moyenne mondiale (+ 1,4 %).

Les progrès réalisés dans les pays en développement en dehors de la Chine ont été relativement modestes, en particulier en Afrique subsaharienne.

Ces résultats montrent que l'augmentation du capital agricole n'aboutit pas toujours à une augmentation de la productivité totale des facteurs.

Inversement, celle-ci peut être relativement forte alors même que le capital mis en oeuvre dans le secteur décline ou ne progresse que modérément.

Taux annuels d'augmentation du stock de capital agricole et croissance de TFP
par région de 1975 à 2001

Source : FAOSTAT

La qualité du capital engagé et le contexte dans lequel s'exerce l'activité agricole différencient les effets de l'augmentation du capital sur la production agricole.

Le développement agricole réclame certes du capital mais aussi un ensemble de facteurs plus qualitatifs sans lesquels l'investissement ne produit pas tous ses effets.