ANNEXE N° 2 - PANORAMA DE QUELQUES GRANDS EXERCICES DE PROSPECTIVE SUR L'AGRO-ALIMENTAIRE
I. LA PROSPECTIVE DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'ALIMENTATION ET L'AGRICULTURE (FOOD AND AGRICULTURE ORGANISATION - FAO)
L'augmentation de la production agricole devra atteindre 70 % à l'horizon 2050 pour répondre aux besoins nés du développement démographique et économique.
Cette estimation est une moyenne qui ne doit pas occulter la dispersion des besoins avec notamment les exigences de production bien supérieures prévisibles pour les pays en développement.
La prospective de la FAO explore une manière de relever ce défi et précise les conditions à réunir pour y parvenir.
L'augmentation de la production agricole modélisée par la FAO suppose, un peu, de mobiliser les terres cultivables non cultivées (notamment en Amérique latine et dans l'Afrique subsaharienne 86 ( * ) ) et, beaucoup, une augmentation des rendements et de l'irrigation.
Ce scénario se veut tendanciel et reproduit les conditions passées du développement agricole, raison pour laquelle ces deux conditions sont jugées réalistes par la FAO 87 ( * ) .
Mais celle-ci avertit que des déséquilibres régionaux entre offre et demande devraient s'aggraver et que l'amélioration des rendements exigera des mesures actives.
Sur ce point, la FAO estime notamment urgent d'investir, évaluant les besoins d'investissement à 83 milliards de dollars par an .
La FAO mise sur un effort d'investissement combinant initiatives publiques et privées.
S'agissant de la partie publique, elle estime nécessaire un accroissement de l'aide publique au développement dont la part consacrée à l'agriculture a beaucoup diminué depuis les années 80 (passant de 12 à environ 5 % du total).
La prospective de la FAO ne tient compte ni de l'aléa climatique, ni d'un éventuel développement des biocarburants.
Les hypothèses ayant le plus d'influence sur le modèle de la FAO sont celles relatives à la croissance de la population mondiale (1,1 % l'an jusqu'en 2030, au lieu de 1,7 % en tendance récente), à la croissance de la demande de produits agricoles (de 1,6 % par an jusqu'en 2015, puis de 1,4 % par an jusqu'en 2030) ainsi que celle portant sur la réduction de la sous-alimentation.
SYNTHÈSE DES PRINCIPALES CONCLUSIONS DE LA
PROSPECTIVE FAO
La population mondiale passe d'environ 6 milliards de personnes à 8,3 milliards en 2030. La croissance démographique est de 1,1 % par an jusqu'à 2030, contre 1,7 % par an au cours des 30 dernières années. La sous-alimentation régresse mais n'est pas éliminée. En conséquence, la croissance de la demande mondiale de produits agricoles devrait ralentir, passant d'une moyenne de 2,2 % par an durant les 30 dernières années à 1,5% par an jusqu'à 2030. Dans les pays en développement, le ralentissement sera plus sensible, de 3,7 % pour les 30 dernières années à une moyenne de 2 % jusqu'à 2030. Le taux de sous-alimentation devrait passer de 17 % dans les PED aujourd'hui à 11 % en 2015 et 6 % en 2030. La population mondiale est de mieux en mieux nourrie d'ici 2030, avec des disponibilités moyennes de 3050 kilocalories par personne par jour (kcal/personne/jour), par rapport aux 2 360 kcal au milieu des années 60, et aux 2800 kcal actuellement. Ce changement traduit avant tout une consommation croissante dans de nombreux pays en développement, où elle avoisinera en moyenne les 3 000 kcal en 2030. Le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation dans les pays en développement devrait diminuer et passer de 815 millions (dernière estimation de la FAO publiée en 2005) à 440 millions en 2030. L'objectif du Sommet mondial de l'alimentation de 1996, de réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées par rapport à son niveau de 1990-92 (824 millions, d'après la dernière révision de l'estimation), ne serait pas atteint en 2030. En Afrique subsaharienne, le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique ne baisserait que de 194 à 183 millions. Les modes de consommation s'uniformisent dans le monde entier, au profit d'aliments plus coûteux et de meilleure qualité, comme les produits carnés et laitiers. La consommation de viande dans les pays en développement, par exemple, est passée de seulement 10 kg par personne et par an en 1964-66 à 26 kg en 1997-99, et devrait s'établir à 37 kg par personne et par an en 2030. La FAO prévoit des augmentations de la consommation de viande et de produits laitiers moins spectaculaires que par le passé. Les céréales demeurent de loin la principale source de nourriture. Un milliard de tonnes de céréales supplémentaires seront nécessaires en 2030. Les pays en développement deviendront toujours plus tributaires des importations de céréales, de viande et de lait, car leur production ne parviendra pas à répondre à la demande . En 2030, ils pourraient produire seulement 86 % de leurs propres besoins céréaliers , avec des importations nettes qui passeraient de 103 millions de tonnes actuelles à 265 millions de tonnes en 2030 . Les exportateurs de céréales traditionnels, comme les États-Unis, l'Union européenne (UE), le Canada, l'Australie et l'Argentine, et les pays en transition en tant qu'exportateurs émergents, devront produire les excédents nécessaires pour combler ce déficit. L'utilisation de céréales pour l'alimentation animale augmentera mais sans aggraver les problèmes de la faim et de la sous-alimentation. 660 millions de tonnes de céréales servent à nourrir le bétail chaque année, ce qui représente un peu plus d'un tiers de l'utilisation céréalière totale dans le monde. Selon la FAO, si ces céréales n'étaient pas utilisées pour les animaux, elles ne seraient probablement pas produites, et ne seraient donc pas disponibles pour la consommation humaine. Moins de nouvelles terres agricoles vont être mises en exploitation que dans le passé. Pour les PED les besoins supplémentaires sont de 120 millions d'hectares pour les cultures, soit une augmentation de 12,5 %. Mais au total, le supplément de terres nécessaire ne devrait pas dépasser 10 % des terres aujourd'hui cultivées. La croissance future de la production vivrière dépendra principalement d'une amélioration de la productivité . Dans les pays en développement, près de 70 % de l'accroissement de la production seront dus à l'augmentation des rendements, environ 20 % à l'accroissement des terres arables et quelque 10 % aux cultures multiples et au raccourcissement des périodes de jachère. L'irrigation est cruciale pour les approvisionnements alimentaires du globe. Les pays en développement devraient étendre leurs superficies irriguées qui passeraient de 202 millions d'hectares aujourd'hui à 242 millions d'hectares en 2030. Au niveau mondial, la planète dispose de suffisamment d'eau, mais certaines régions subiront de graves pénuries . Les pays en développement devraient connaître une augmentation de 14 % des prélèvements d'eau pour l'irrigation d'ici 2030. Un pays en développement sur cinq souffrira du manque d'eau (l'agriculture compte pour environ 70 % de toute l'eau douce prélevée pour l'utilisation humaine). Principaux résultats de la FAO (2030)
Source : Adeprina - Panorama des analyses prospectives sur l'évolution de la sécurité alimentaire mondiale à l'horizon 2030 |
Selon les observateurs, la prospective de la FAO ressort comme assez peu normée. Toutefois, elle repose sur l'utilisation simultanée d'outils de modélisation et d'avis d'experts. C'est un atout parce que les modèles assurent la cohérence d'ensemble des avis d'experts. Mais c'est un inconvénient parce que les opinions des experts sont variables dans le temps et pas nécessairement compatibles d'un spécialiste à l'autre. La cohérence d'ensemble de la projection repose sur des choix. Cette situation est assez naturelle dans ce type d'exercices et ne peut être critiquée mais certains observateurs estiment que les choix de modélisation de la FAO ne sont pas toujours complètement explicités.
Votre rapporteur a le sentiment que la FAO a été sensible à la nécessité de présenter une prospective « de plus grande pente » en retenant des hypothèses ne s'écartant que peu des tendances.
Ce choix d'une voie médiane est parfaitement légitime et présente l'avantage d'apprécier les défis à venir « en régime de croisière » c'est-à-dire sans catastrophe mais aussi sans rupture facilitante dans le progrès.
Toutefois, cette « prudence » doit être relevée soit que la croissance de la demande puisse apparaître comme sous-estimée (à cet égard, la résorption de la sous-alimentation surtout après son aggravation ces dernières années pourrait faire l'objet d'un engagement plus volontariste), soit que des changements du contexte agricole soient abordés un peu secondairement : le problème énergétique, les changements climatiques, la question de la vulnérabilité technologique du système, l'organisation des marchés (et notamment les jeux d'acteurs), soit enfin que la cohérence avec les questions économiques et sociales du développement soit en partie négligées.
En toute hypothèse, il est délicat de penser le défi alimentaire dans des termes tendanciels à l'heure où la question de la soutenabilité du développement est posée.
Dans ces conditions, la vision du développement agricole nécessaire à la solution du problème alimentaire qui fonde les préconisations de la FAO est, en partie, discutable.
D'un côté, pour certains pays, le choix implicite de la FAO peut être analysé comme consistant à mettre l'accent sur une agriculture plus productive qu'aujourd'hui. Dans l'arbitrage « terre-rendements » classique dans les exercices de prospective agro-alimentaire, la FAO privilégie le second terme.
Or cette option peut être discutée au vu de ses implications environnementales, mais également et, peut-être, surtout démographiques.
Le choix de la FAO la conduit à insister particulièrement sur les besoins d'investissements, ce qui n'est pas le point le moins consensuel de son message mais en n'en tirant peut-être pas toutes les conséquences en termes d'effort à entreprendre. Mais il l'amène à moins discuter les autres conditions du développement agricole, ce qui est plus discutable.
D'un autre côté, à l'inverse, pour d'autres pays, le modèle de développement agricole sous-jacent est très faiblement productiviste du moins quand la productivité est appréciée par rapport à la population agricole.
Or, ce « scénario » n'est pas nécessairement compatible avec les conditions d'une effectuation du droit individuel à l'alimentation en raison de ses effets restrictifs sur les revenus.
* 86 Les marges mobilisables sont très concentrées puisque treize pays seulement abritent les deux tiers du potentiel.
* 87 Cette appréciation n'est évidemment pas sans poser de problèmes.