B. ...ET DES RÉALITÉS PLUS FORTEMENT CONTRAINTES

Le nécessaire affinement des estimations conduit à un potentiel plus restreint.

1. Le poids des contraintes naturelles

Il convient de tenir compte des contraintes agronomiques, d'ordre climatique, topographique ou pédologique.

L'étude GAEZ (Global Agro-Ecological Zones) de l'International Institute for Applied Systems Analyses (IIASA) et de la FAO distingue cinq catégories de terres :

- les terres très convenables (à l'une au moins des 154 variétés de culture envisagées dans l'étude) ;

- les terres convenables ;

- les terres modérément convenables ;

- les terres peu convenables ;

- les terres non convenables.

La distinction entre ces catégories se fait selon un critère de rendement par rapport au meilleur rendement accessible dans la zone climatique à laquelle appartiennent les terres considérées (tropicale, subtropicale, tempérée, boréale).

Selon cette étude, 78 % des terres émergées présentent des contraintes sévères, seules 3,5 % des terres étant sans contraintes. Le solde, soit 18,5 %, sont des terres subissant des contraintes plus ou moins modérées.

En mobilisant quelques unes des terres jugées « peu convenables », ce sont 27 % des terres émergées, généralement classées dans les trois premières catégories mentionnées ci-dessus, (5 % des terres étant considérées comme peu convenables) qui constituerait le potentiel disponible.

Alors que les trois premières catégories mentionnées ci-dessus regroupent 3 573 millions d'hectares en ajoutant une petite partie des terres « peu convenables » on aboutit à un total de terres disponibles pour la culture qui s'élèverait à quelque 4 152 millions d'hectares.

Les estimations des terres cultivables par l'IIASA et la FAO ne diffèrent pas fondamentalement de celles du SAGE excepté pour l'Amérique du Sud et l'Afrique centrale (où le SAGE est plus restrictif). Mais, au total, les deux organismes convergent vers un niveau de terres cultivables de l'ordre de 4 000 millions d'hectares (4 152 pour GAEZ, 4 022 pour le SAGE).

Ce potentiel est inégalement réparti comme le montre le graphique ci-dessus qui présente la répartition géographique des terres selon le niveau de contraintes. La plupart des terres sans contraintes (ou à contraintes modérées) sont situées en Amérique du Nord et du Sud (plus de 80 millions d'hectares chacune) en Asie du Sud, en Europe de l'Est et Afrique de l'Est (autour de 30 millions d'hectares).

Ces terres présentent toutefois une particularité : nombre d'entre elles sont recouvertes de forêts, et ce dans des proportions parfois élevées.

Les régions les plus forestières sont également celles qui regroupent le plus de terres propices à la culture (l'Amérique du Nord et du Sud, l'Afrique centrale et la Russie).

Cette contrainte implicite est renforcée quand on ne considère que les trois grandes céréales (blé, riz, maïs). Les superficies qui se prêtent à leur culture pluviale s'élèvent à 2 430 millions d'hectares (soit environ les deux tiers des terres mobilisables).

Mais, 20 % de ces terres sont recouvertes de forêts.

Là également, la proportion des terres où la culture pluviale des trois céréales est possible mais couvertes par des forêts est particulièrement élevée en Amérique du Sud, en Amérique du Nord et en Russie.

Dans ce contexte, des considérations évidentes obligent à tenir compte de différents scénarios de mise en culture, selon qu'elles concernent ou non les forêts et les terres considérées comme peu convenables (soit les terres où le rendement se situe entre 20 et 40 % du meilleur rendement de la zone), pour approcher les disponibilités foncières

Cette scénarisation a été effectuée par Mme Laurence Roudart dans l'étude précitée commandée par le ministère de l'agriculture et de la pêche et à laquelle cette partie de notre rapport doit beaucoup.

La scénarisation des terres cultivables

Trois hypothèses contrastées sont posées impliquant une plus ou moins forte mobilisation des terres :

 dans l'hypothèse 1, sont considérées comme pouvant être mis en culture les terres « très convenables » à « modérément convenables » sauf celles qui sont recouvertes de forêts et celles qui sont nécessaires aux infrastructures urbaines « et autres ».

 dans l'hypothèse 2, les « terres peu convenables » sont mobilisables excepté celles sous forêts ;

 dans la troisième hypothèse, toutes les terres cultivables sous forêts sont mises en culture (ce qui correspond à un tiers des forêts du monde).

Les calculs présentés montrent que l'extension possible des terres va d'un coefficient de 1,7 (dans la première hypothèse jugée très conservatrice) à 2,5 dans la troisième hypothèse en passant par un doublement (dans l'hypothèse 2 où les terres sans forêts restent inexploitées).

Synthèse des résultats de la projection

 

En niveau (*)

En %

Hypothèse 1

+ 1 000

+ 70 %

Hypothèse 2

+ 1 450

+ 100 %

Hypothèse 3

+ 2 350

+ 150 %

(*) en millions d'hectares

Source : G. Fisher 2009 « World Food and Agriculture to 2030/50 »
Centre d'études et de prospective - MAAP Analyse n° 18 mai 2010. Mme Laurence Roudart

Si, globalement, la disponibilité des terres cultivables resterait suffisante, on se rapproche dans certains scénarios d'une situation où des tensions pourraient apparaître si l'on devait miser sur la mobilisation des terres pour combler les besoins alimentaires futurs.

2. De fortes tensions locales

Localement, des tensions très fortes interviendraient.

Ces contraintes locales ainsi que quelques observations sur les estimations des terres disponibles obligent à se demander si les constats selon lesquels, la disponibilité des surfaces de cultures pluviales ne serait contraignante, ni du point de vue quantitatif de la production nécessaire à l'alimentation d'un monde de 9 milliards d'habitants, ni de celui, plus qualitatif, du choix du modèle agricole est réellement incontestable.

Le poids des contraintes locales doit être pleinement pris en compte. La scénarisation proposée dans l'étude de Mme Laurence Roudart permet d'affiner les potentiels régionaux et montre que ceux-ci sont très inégaux.

Superficies cultivées en 2005 et superficies cultivées dans trois scénarios de mobilisation des terres

Source : Laurence Roudart

Dans l'hypothèse de mobilisation du potentiel la plus restrictive, l'Amérique du Sud concentrerait 46 % des 1 000 hectares de terres mobilisables, l'Afrique de l'Est et l'Afrique centrale 20 % chacune et l'Afrique de l'Ouest 9 %.

Dans les autres régions, les terres mobilisables seraient, ou peu importantes, ou même négatives, puisqu'on admet qu'en Asie les surfaces cultivées excédent, dès aujourd'hui, les terres relevant des meilleures catégories.

La confrontation entre l'évolution des besoins locaux et l'augmentation de la production dans différents scénarios d'extension des terres cultivées - selon les limites choisies pour assurer certains objectifs environnementaux - aboutit au constat que la mobilisation des terres n'offre pas systématiquement de solution locale au défi alimentaire.

La situation se présente comme suit selon M. Michel Griffon.

Pour l'Asie on peut théoriquement augmenter la surface de 33 % mais avec les rendements actuels cette extension serait insuffisante et ne deviendrait efficace que moyennant une forte élévation des rendements.

A fortiori, dans un scénario de préservation de l'environnement, avec moins de nouvelles surfaces engagées, la contrainte sur les rendements augmenterait dans des proportions qui ne sont pas réalistes.

La Chine bute sur une contrainte particulière. Elle doit doubler sa production alors que les ressources en terres nouvelles sont très limitées et que l'urbanisation concurrence les terres exploitées.

Les besoins des pays du sous-continent indien ne rencontrent pas d'offres plus flexibles. L'Inde, le Pakistan et le Bangladesh occupent complètement leur espace productif agricole. Il ne reste donc pratiquement plus d'espace à conquérir, sauf la jachère dans les régions sèches. Pourtant, l'Inde devrait multiplier sa production en 2050 par plus de 3, le Pakistan par presque 4, et le Bangladesh par plus de 6.

En Asie du Sud-Est il existe des marges inégales. En tout cas, les besoins de la Thaïlande, de la Malaisie et de l'Indonésie qui seraient être multipliés par 2 à 4, sont trop élevés pour être satisfaits par l'extension des terres.

En Amérique du Sud et centrale la production doit être doublée et les possibilités offertes par le foncier semblent élevées.

L'Amérique du Sud dispose des surfaces nécessaires pour doubler la production agricole afin d'assurer la subsistance de sa population en 2050. Sans changer les rendements, il faudrait augmenter les surfaces cultivées de 200 %, soit environ 400 millions d'hectares, ce qui est possible ; sur les 860 millions d'hectares disponibles en 2000, il en resterait encore 460  disponibles en 2050. Ce qui reste de l'Amazonie forestière en 2000, soit près de 600 millions d'hectares, serait alors réduit de moitié ou des deux tiers. Mais un accroissement des rendements réduirait cette pression sur la forêt. C'est donc de cet accroissement des rendements que dépendra en grande partie le sort de l'Amazonie. Les pays qui auront le plus besoin d'accroître leurs surfaces dans la région amazonienne sont le Pérou et la Bolivie.

L'Argentine connaît aussi une extension de ses terres arables (5 millions d'hectares supplémentaires en 30 ans pour arriver à environ à 35 millions d'hectares en 2002), mais à un rythme plus réduit que le Brésil qui a accru ses terres arables de 40 millions d'hectares en 30 ans pour en avoir aujourd'hui 60 millions. Mais ces deux pays disposent d'abondantes surfaces en pâturages dont 140 millions d'hectares pour l'Argentine et 200 millions pour le Brésil. Une partie peut être reconvertie en terre arable.

Au total, l'Amérique du Sud peut donc augmenter fortement ses surfaces et ses rendements pour faire face à l'accroissement de ses propres besoins alimentaires, sans trop dégrader son patrimoine forestier qui est aussi celui de l'humanité.

Pour l'Amérique centrale, la situation est moins favorable. Elle dispose de possibilités de colonisation dans les plaines côtières atlantiques qui ont un climat tropical humide. La pression foncière élevée à l'Ouest fait que le mouvement de colonisation des zones tropicales de l'Est est rapide. Cette colonisation se fait sur une base d'élevage et d'agriculture extensive, c'est-à-dire utilisant beaucoup d'espace et produisant peu. Rapidement, l'espace aura été saturé au détriment de la forêt déjà très fortement dégradée. Cette saturation devrait se traduire rapidement par la nécessité d'accroître les rendements car les besoins alimentaires seront multipliés par 4 à 6 dans les quatre pays suivants : Guatemala, Salvador, Honduras et Nicaragua.

Le développement de l'irrigation deviendra donc de plus en plus nécessaire.

En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la région est caractérisée par un climat méditerranéen ou aride. La production agricole dépend des zones irriguées (maraîchage, petite agriculture, fourrages et productions animales intensives) et des grandes zones de plaine à faible pluviométrie où sont cultivées les céréales (blé, orge, fourrages secs). Le climat limite l'extension potentielle des surfaces cultivées : les zones les moins mal arrosées connaissent des rendements qui restent faibles, et les zones à pluviométrie aléatoire connaissent des rendements encore plus faibles. Il y a donc saturation complète de l'espace agricole et une impossibilité d'accroître les surfaces cultivées en agriculture pluviale.

En Afrique subsaharienne où il faudrait quintupler la production, l'espace est potentiellement productif et la réponse dépend des régions.

Pour l'Afrique de l'Ouest, le sud et le nord du Nigéria sont très denses, et les surfaces disponibles se raréfient. Seules les zones de savanes entre le Sahel et les zones forestières ont des potentialités intéressantes.

Cette région devrait multiplier sa production entre 6 et 12 selon les pays entre 2000 et 2050. Sur un total d'environ 200 millions d'hectares disponibles dans la région pour l'agriculture, 50 millions sont cultivés en 2000 (soit de l'ordre de un quart). Multiplier la production entre 6 et 12 signifierait occuper la totalité de l'espace disponible et multiplier les rendements par 1,5 à 3 en moyenne, ce qui reviendrait à faire peser l'essentiel de l'effort sur les zones de savane et de forêt en multipliant les rendements par 2 à 5. Si l'on veut préserver la forêt dans l'état où elle est actuellement, il faut alors renoncer à mettre en culture entre 10 à 20 millions d'hectares et accroître les rendements en proportion, soit entre 5 à 10 % supplémentaires. Techniquement, ces contraintes apparaissent hors de portée.

L'Afrique centrale est beaucoup moins peuplée, mais assez préservée si bien qu'un accroissement de la consommation de 8 à 12 en 50 ans est prévisible. L'agriculture utilise en 2000 environ 20 millions d'hectares de terres arables sur environ 550 millions d'hectares potentiels, soit près de 5 % seulement des surfaces. Il faudrait donc en 2050, sans changement de rendement, occuper de 120 à 240 millions d'hectares, soit 20 à 50 % de l'espace, l'essentiel de l'espace disponible se situant dans la grande forêt du bassin du Congo. La contrainte de préservation de la biodiversité paraît empêcher ce scénario.

L'Afrique orientale comprend des populations relativement pauvres mais les besoins alimentaires à l'horizon 2050 devraient y être multipliés de 8 à 14, ce qui est le plus haut niveau d'accroissement de l'Afrique subsaharienne. L'agriculture utilise environ 50 millions d'hectares de terre arable, soit de l'ordre du tiers du potentiel cultivable. Les rendements sont en général relativement élevés bien qu'utilisant des techniques traditionnelles. Pour subvenir aux besoins, il faudrait donc d'abord utiliser la totalité de l'espace arable et plus que tripler les rendements. Cette hypothèse est peu vraisemblable en agriculture pluviale. En agriculture irriguée, il faudrait des investissements importants. Le plus vraisemblable est donc la pérennité de crises alimentaires et la migration vers l'Afrique centrale.

Quant à l'Afrique australe, ses besoins devraient être multipliés par 2 à 5. La surface agricole utilisée est de l'ordre de 5 millions d'hectares, soit environ 10 % du potentiel en agriculture pluviale. En 2050, il faudrait donc de 10 à 25 millions d'hectares supplémentaires avec les mêmes rendements qu'aujourd'hui. C'est sans doute possible mais au prix d'une redistribution foncière importante entre les grandes exploitations et les petites.

Au total, on observe que les situations africaines sont très contrastées. En simplifiant, l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique de l'Est ont des efforts très importants à consentir en termes de rendements sans commune mesure avec ce que ces régions ont fait jusqu'alors. Il faudra donc qu'il y ait une rupture dans l'évolution technique.

Source : M. Michel Griffon « Nourrir la planète »

3. Des doutes sur les méthodes

Certains problèmes de méthode peuvent exagérer l'image du disponible.

La méthode employée pour apprécier le potentiel en surfaces agricoles distingue celles-ci selon leurs capacités productives.

Les corrections ainsi apportées contribuent à un plus grand réalisme des estimations de potentiel. Pour autant, elles n'offrent pas toutes les garanties souhaitables.

En premier lieu, quelques difficultés de cohérence peuvent résulter de ce qu'une terre jugée « peu convenable » ici serait, située ailleurs, considérée comme « convenable ». Autrement dit, la méthode relativiste qui est utilisée - la comparaison du potentiel de chaque surface avec le meilleur rendement atteignable dans la région concernée - pose un problème d'agrégation des différents résultats obtenus. L'estimation est sensible à des erreurs.

En second lieu, les marges de rendement délimitant chaque catégorie peuvent être jugées assez larges (20 points de rendement) ce qui laisse subsister une certaine indétermination sur le potentiel concret des terres appartenant aux différentes catégories identifiées. En outre, des problèmes de seuil ne sont pas à exclure en cas d'erreur très marginale, le niveau de cette incertitude ne pouvant être précisé puisque la distribution précise des terres sur l'ensemble du spectre n'est pas connue.

Sur un plan technique toujours, on doit relever que le critère d'identification des terres potentiellement cultivables - l'adéquation de la terre à la culture de l'une des 154 espèces envisagées - peut apparaître excessivement favorable. En effet, il peut conduire à considérer comme propre à n'importe quelle culture des terres qui ne sont utilisables en réalité que pour quelques unes, voire l'une seulement, d'entre elles. Cette difficulté est d'autant plus sérieuse que la question de l'adaptation de ces cultures à la demande internationale et, a fortiori, locale, n'est pas réellement élucidée.

4. Le poids des facteurs socio-économiques

Les estimations concernant les terres mobilisables négligent des considérations socio-économiques fondamentales.

De fait, les études de cas conduites sur le terrain aboutissent systématiquement à minorer les estimations réalisées à partir d'un point de vue plus lointain.

Cette discordance suggère que les différentes estimations auxquelles on se réfère le plus souvent dans les organisations qui conçoivent les voies de la résolution du défi alimentaire - à savoir des évaluations globales - exagèrent les disponibilités foncières.

L'écart entre les observations globales et les observations locales ne provient pas seulement de ce que les premières, fondées sur des observations satellitaires ou des déclarations des administrations centrales des États concernés sont, de ce fait, techniquement imparfaites ou biaisées pour des raisons opportunistes. Il résulte également de ce que les problèmes pratiques liés, soit au statut juridique des terres, soit à leur éloignement des structures de consommation aggravé par l'absence d'infrastructures de transport, sont généralement plus ou moins négligés quand on observe le problème de la disponibilité des terres de trop haut.

In fine, les questions les plus sensibles pourraient être ailleurs. Les concurrences pour occuper les surfaces à potentiel alimentaire paraissent plus redoutables encore que la question habituellement posée du potentiel théorique de terres.

5. Quels équilibres « hommes-terres » ?

Il convient de s'interroger sur la dynamique du couple « hommes-terres »

Sur ce point, on doit, en premier lieu, observer que la croissance démographique pourrait excéder à l'avenir celle des terres cultivées, tout particulièrement dans certaines régions.

Ce constat ne vaut pas considéré au niveau le plus global. Dans l'hypothèse démographique la plus élevée, la population s'accroîtrait de l'ordre de 85 % (50 % dans le scénario moyen à 9 milliards d'individus) alors que dans la projection des terres pouvant être cultivées la plus restrictive l'augmentation de la superficie serait de 70 %.

On relève bien une tension si la population devait suivre sa tendance actuelle mais elle serait « gérée » dans un scénario de progression des terres cultivables moyen (avec alors un doublement possible des terres cultivées).

En revanche, localement des tensions plus fortes devraient intervenir même dans un scénario recourant à l'extension des terres.

Ceci conduit à considérer un aspect généralement négligé des perspectives associées à celles portant sur la croissance démographique et à ses effets sur les équilibres agricoles. On se concentre surtout sur l'impact de l'augmentation de la population sur la demande alimentaire en omettant trop souvent que le choc démographique à venir représentera également un défi relatif au sort des populations rurales qui vivent majoritairement de l'agriculture.

À cet égard, deux scénarios très contrastés peuvent être imaginés :

- l'un, plutôt tendanciel, de fort exode rural, qui verrait la population des campagnes se déverser dans les villes ;

- l'autre où, au contraire, la population supplémentaire, hors migrations, devrait provenir essentiellement du monde rural, se fixerait dans cet environnement.

Le choix du scénario souhaitable est particulièrement épineux puisqu'il suppose de trancher entre des stratégies qui accordent à l'agriculture des rôles tout à fait opposés dans la problématique générale du développement.

Fondamentalement, il s'agit de savoir si l'agriculture peu être le socle du développement, et, en particulier, de la lutte contre la pauvreté ou si, au contraire, le développement doit reposer sur la croissance d'autres secteurs économiques dont dépend à son tour l'essor de la production agricole.

Ce point, particulièrement discuté, est envisagé dans d'autres parties du présent rapport. Mais, à ce stade, quelques observations peuvent être mentionnées :

- les différentes enceintes internationales où se dessinent les politiques d'aide au développement semblent avoir convergé dans les années 2000 vers une position où le développement agricole est considéré comme un vecteur à part entière du développement et, sur ce point, on souligne, en particulier, la conversion de la Banque mondiale à cette approche ;

- en l'état, il existe dans le secteur primaire un très grand nombre d'agriculteurs qui sont pauvres et, parmi les pauvres, les agriculteurs sont majoritaires ;

- dans le contexte d'un essor de la production agricole, si la proportion des pauvres a eu tendance à baisser, le nombre absolu de pauvres n'a pas reculé, la production par actif agricole ayant évolué de façon très différenciée ainsi que le revenu par agriculteur ;

- dans le monde, l'intégration des agriculteurs aux circuits économiques qui leur permettent de vivre de leur activité est marquée par une très grande diversité ; sur ce point, certaines agriculteurs, les plus pauvres, subissent une série d'obstacles structurels ;

- dans le futur, la perspective d'un déversement réussi, c'est-à-dire garantissant à ceux qu'il concernerait, de sortir de la pauvreté qui est aujourd'hui le premier facteur d'insécurité alimentaire, est hautement incertaine ;

- de même, le niveau de ce déversement ne peut être qu'hypothétique si bien qu'on doit raisonnablement imaginer que la population agricole progressera ;

- dans ces conditions, il faudra que la production par actif agricole augmente afin de dégager les revenus indispensables pour que les agriculteurs sortent de la pauvreté ;

- l'élucidation des conditions de ces progrès constitue une clef pour la résolution du problème alimentaire mondial et, sur ce point, les avis divergent ;

- toutefois, l'augmentation de la surface moyenne par actif agricole paraît dans tous les cas un préalable, qu'elle se réalise dans des exploitations familiales ou dans des unités de production plus « intégrées » ;

- le revenu agricole en dépend, que son essor passe par une extensification de la production ou par une intensification ;

- sur ce dernier point, il semble nécessaire de disposer d'une surface suffisante pour réaliser les investissements qu'une telle stratégie suppose, même si la mutualisation des moyens de production peut offrir quelques marges ;

- ainsi, à l'avenir, la surface agricole qu'il faudra mobiliser devra excéder l'augmentation de la population active dans le secteur, les deux variables - la population active et les terres disponibles - étant logiquement appelées à s'influencer mutuellement.

Il existe ainsi un rapport de proportionnalité entre l'évolution de la population agricole et celle des terres à mettre en valeur si l'on veut résoudre le problème de la pauvreté qui est le facteur principal de l'insécurité alimentaire et du défaut, observé en pratique, de mise en oeuvre du droit à l'alimentation.

Il s'agit d'une condition nécessaire, mais pas suffisante, dont les prolongements concrets dépendent crucialement des perspectives d'évolution de la population active agricole, perspectives qui sont dépendantes d'un grand nombre de variables parmi lesquelles figure l'accessibilité des terres agricoles.