C. DES PRODUITS PHYTOPHARMACEUTIQUES DE PLUS EN PLUS CONTESTÉS

Pour une part très importante, l'augmentation des rendements agricoles a été déterminée par l'utilisation de produits phytopharmaceutiques (herbicides, fongicides, insecticides).

Or, l'utilisation de ces produits est, plus ou moins complètement, remise en cause, y compris par des acteurs informés, intervenant dans les différents champs de la connaissance scientifique concernés par le sujet.

Le débat n'est évidemment pas clos sur ces problèmes mais son existence témoigne en soi d'incertitudes sur certains modes de production et il représente comme tel une hypothèque pour la production agricole et ses perspectives.

Celle-ci est difficilement appréciable alors que la production agricole devra augmenter dans des proportions, qui peuvent varier selon les scénarios envisagés, mais qui restent toujours considérables.

À cela, il faut ajouter que les inquiétudes sur les produits phytopharmaceutiques tombent d'autant plus mal que les risques agricoles liés aux différents vecteurs pathogènes paraissent devoir se renforcer sous l'effet des facteurs divers et qui se combinent :

- l'intensification des échanges internationaux qui favorise le transport d'agents pathogènes ;

- le réchauffement climatique qui peut susciter des déséquilibres propices à leur multiplication ou à des invasions d'insectes aujourd'hui cantonnés dans les pays chauds ;

- la disparition des « réserves à virus » que représentent les forêts tropicales qui les libèrent, notamment quand les oiseaux qui y résident s'envolent par nécessité vers d'autres destinations ;

- la réduction de la biodiversité et l'hyper-sélection des espèces cultivées qui conduit à concentrer les risques en diminuant la résilience du système de production agricole...

1. Une utilisation très inégale des produits phytopharmaceutiques

La France tient une place importante dans la consommation et la production de ces produits.

Le chiffre d'affaires des industries installées sur le territoire (16 sites) s'élèverait à environ 2 milliards d'euros, la France étant le premier exportateur devant l'Allemagne.

À la fin de la décennie précédente, le pays était également le quatrième utilisateur de phytosanitaires dans le monde derrière les États-Unis, le Brésil et le Japon. Il est probablement devancé aujourd'hui par l'Inde et la Chine. En consommation par hectare, la France serait au troisième rang européen (5,4 kg/ha/an).

Le chiffre d'affaires mondial de l'industrie phytopharmaceutique à destination agricole s'élevait en 2010 à 38,3 milliards de dollars et était ainsi réparti.

Répartition du chiffre d'affaires par région du monde en 2010

On constate une forte disparité des consommations par région, constat qui s'étend à l'intérieur de l'Europe, première utilisatrice de ces produits :

Les marchés phytosanitaires en Europe en 2009

On observe que les agricultures les plus prolifiques sont aussi celles qui utilisent le plus de phytopharmacie mais la variabilité dans l'utilisation des pesticides n'est que partiellement corrélée avec l'ampleur des productions agricoles.

Les marges existant de ce point de vue peuvent tenir aux différences de spécialisation agricole. Certaines productions sont plus consommatrices que d'autres : l'arboriculture fruitière, la vigne, les cultures maraîchères, mais aussi les céréales et le colza du fait de l'étendue des surfaces concernées.

L'INRA et le Cemagref dans leur rapport « Pesticides, agriculture et environnement » (décembre 2005) relèvent qu'un « nombre restreint de cultures (céréales à paille, maïs, colza et vigne), qui occupent moins de 40 % de la SAU (Surface agricole utile) nationale, utilisent à elles seules près de 80 % des pesticides vendus en France chaque année.

Occupation du territoire et consommation de pesticides
pour quelques cultures
(données 2000, sources SCEES, UIPP)

Cultures

Pourcentage de la SAU française

Pourcentage
de la consommation totale de pesticides

Remarques

Céréales à paille

24 %

40 %

60 % fongicides 35 % herbicides

Maïs

7 %

10 %

75 % herbicides

Colza

4 %

9 %

 

Vigne

3 %

20 %

80 % fongicides

Ensemble

38 %

79 %

 

En 1998, l'arboriculture fruitière (1 % de la SAU) représentait en valeur 4 % du marché national des fongicides, et 21 % du marché des insecticides. »

Mais la variabilité dans l'intensité d'utilisation des phytosanitaires est également attribuable aux pratiques agricoles qui sont elles-mêmes le résultat de facteurs diversifiés, économiques, sociaux, institutionnels, agronomiques...

Sous cet angle, il existe une summa divisio entre agricultures intensives et agricultures moins soumises à la logique d'intensification.

C'est du moins ce que suggère le rapport précité.

« Avant l'avènement des produits phytosanitaires, les systèmes de culture étaient conçus pour assurer le meilleur compromis entre risque phytosanitaire et potentiel de production de la culture. Progressivement, l'acquisition de connaissances sur les besoins d'une culture en éléments minéraux et la maîtrise de la fertilisation, le développement après la seconde guerre mondiale des herbicides qui permettaient de supprimer la concurrence des adventices, et des insecticides qui permettaient de s'affranchir de dégâts d'insectes puis, à partir de 1970, le développement des premiers fongicides de synthèse utilisés en végétation pour protéger les plantes contre les maladies ont profondément modifié les systèmes de culture.

Disposant de moyens d'intervention directe sur les principaux bio-agresseurs de ses cultures, l'agriculteur dissocie alors souvent dans son choix d'itinéraire technique ou de système de culture, les éléments qui contribuent à la recherche du potentiel de production le plus élevé et ceux qui préservent ce potentiel. Cette logique conduit à privilégier les pratiques en fonction d'un objectif de production, même si elles augmentent le risque phytosanitaire, puis à « traiter les symptômes » lorsqu'ils se manifestent.

2. Une utilisation contestée

Les pesticides, à la fois efficaces, d'un coût relativement faible et faciles d'emploi, ont contribué au développement de systèmes de production intensifs, qui bénéficiaient par ailleurs de marchés et de prix agricoles favorables, et de la sous-évaluation des conséquences environnementales de leur usage qu'il convient de gérer maintenant. »

Le propos est pour le moins nuancé mais il suggère d'une part l'existence d'un système d'incitations peu propice à une utilisation parcimonieuse des produits sous revue, du fait notamment de la sous-évaluation des conséquences environnementales, et, d'autre part, la nécessité de pondérer les progrès de production permis par ces produits par la considération de leurs nuisances auxquelles il convient désormais de porter remède.

En bref, la soutenabilité des produits phytopharmaceutiques est mise en cause. La montée des inquiétudes quant aux effets des produits en cause est tendancielle.

Celles-ci ont été décrites dans un récent rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)51(*).

Elles sont d'abord associées au constat d'une exposition plurielle des populations aux substances actives52(*).

Ainsi, selon l'IFEN (Institut français de l'environnement), en 2006, les pesticides sont détectés au moins une fois dans 90 % des points de mesure du réseau de connaissance générale de la qualité des cours d'eau (1097 points) et dans 55 % des points dans le cas des eaux souterraines (1507 points).

Ces mesures traduisent une dispersion très importante des pesticides et une présence généralisée dans les milieux aquatiques.

La présence de certains pesticides dans les sols avec, par exemple, une rémanence forte d'organochlorés interdits depuis plus d'une décennie, est avérée mais reste très peu quantifiée, ce qui est source d'inquiétudes.

Aucune norme ne règlemente les teneurs en pesticides dans l'air et les données relatives aux niveaux de contamination sont beaucoup moins nombreuses que celles dont on dispose au niveau national pour les eaux.

Pourtant, l'Institut de veille sanitaire a considéré comme « non-négligeables » les contaminations aériennes aux abords des exploitations agricoles, en particulier près des vignes et des vergers.

Les pesticides sont également très présents dans l'air intérieur des bâtiments.

Les programmes de surveillance des denrées alimentaires, qui sont lancés au niveau européen et au niveau national se révèlent plutôt rassurants.

Pourtant, si le programme 2007 de la DGCCRF établit que 92,4 % des fruits et légumes analysés respectent la réglementation, la part de la production ne respectant pas les LMR peut être généralement interprétée comme étant la conséquence de mauvaises pratiques agricoles.

À ces constats croisés sur la diversité des modes d'exposition effective53(*) aux pesticides s'ajoute le poids des préoccupations qu'ils font naître pour la santé humaine notamment.

Seuls les effets aigus sont bien répertoriés.

En revanche, les effets retardés de l'accumulation sont mal connus. Or toute la réglementation repose sur le principe de Paracelse : « Rien n'est poison, tout est poison : seule la dose fait le poison », paradigme qui tend à être remis en cause sur des bases scientifiques. À cet égard des effets retardés non linéaires sont de plus en plus envisagés sans que des validations épidémiologiques qui supposent notamment un temps long, soient toujours possibles.

Les préoccupations pour la santé tournent plus particulièrement autour des effets des phytosanitaires comme perturbateurs endocriniens54(*) qui ont été étudiées dans un remarquable rapport de l'OPECST, comme facteur de troubles neurologiques (les agriculteurs exposés aux pesticides auraient un risque presque deux fois plus élevé de développer la maladie de Parkinson que ceux qui n'en utilisent pas) et dans l'étiologie du cancer.

Parmi les substances actives, les insecticides organochlorés (dont font partie le DDT et le lindane désormais sous des régimes d'interdiction plus ou moins complets) sont particulièrement en cause.

Ces préoccupations ont également eu pour effet de bouleverser les autorisations d'emploi des produits phytosanitaires et l'adoption d'un dispositif ambitieux de restriction des utilisations.

Il faudrait ajouter une considération supplémentaire dépassant la seule question du couple « rendement-nuisance » pour indiquer que la contribution des produits phytopharmaceutiques à « l'agriculture de rendement » permet aussi de concentrer la production agricole et, ainsi, d'éviter de mobiliser des surfaces supplémentaires dont l'intérêt environnemental peut être élevé.

L'arbitrage implicite que ceci suggère est celui entre un haut degré de préservation des surfaces terrestres qui suppose l'utilisation des produits chimiques pour élever les rendements et l'extensification de la production agricole qui nécessiterait le maintien d'une consommation réduite d'intrants.

Dans l'ensemble des prospectives, cet arbitrage est particulièrement présent, ce qui semble traduire l'existence d'un conflit d'objectifs, ou du moins de conceptions, sur la meilleure manière de concilier le nécessaire développement de la production agricole et la préservation de l'environnement.

Il apparaît assez difficile de trancher ce débat, sur un plan purement environnemental, d'autant qu'une troisième voie - celle de la promotion d'une « révolution doublement verte » - est assez systématiquement avancée pour le transcender.

3. Une tendance à la rationalisation ?
a) La législation européenne

La tendance, du moins en Europe, est peu équivoque : la réglementation des phytopharmaceutiques y connaît un durcissement progressif.

Ces produits font l'objet d'une réglementation européenne qui fixe des règles de commercialisation, et d'utilisation ainsi que des limites maximales des résidus dans les denrées alimentaires.

La directive 91/414/CEE du Conseil du 15 juillet 1991 est longtemps restée le texte de référence jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 1107/2009 à partir du 14 juin 2011.

Elle instaure une procédure d'autorisation de mise sur le marché après évaluation préalable des risques de chaque substance active.

L'autorisation, accordée par l'État membre sur le territoire duquel le produit est mis sur le marché pour la première fois, valable 10 ans et renouvelable, peut être retirée si les conditions requises ne sont plus remplies, et modifiée si l'évolution des connaissances scientifiques ou techniques le justifie.

Pour assurer la libre circulation des produits, un mécanisme de reconnaissance mutuelle a été prévu comportant néanmoins une clause de sauvegarde, permettant à un État membre de limiter ou d'interdire de manière provisoire la circulation d'un produit sur son territoire s'il présente certains risques pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement.

La directive harmonise également les règles concernant l'étiquetage et l'emballage des produits phytopharmaceutiques et les informations devant y figurer, notamment les instructions d'emploi et la dose à appliquer pour chaque usage autorisé ainsi que les indications concernant la phytotoxicité éventuelle du produit.

Le règlement (CE) n° 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques modifie sensiblement les règles de mise sur le marché applicables par l'ensemble des États membres.

La principale novation est la substitution des critères d'exclusion fondés sur le danger aux critères de risque.

Désormais, pour être approuvée, et sauf exceptions particulières, une substance active ne doit pas être classée cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction. Elle ne doit pas non plus être considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens.

Enfin, la substance active ne doit pas être identifiée comme un polluant organique persistant (POP), ni comme étant de type persistant, bioaccumulable et toxique (PBT), ni comme étant très persistant et très bioaccumulable (vPvB).

Le règlement prévoit de répertorier séparément les substances qui répondent à certains critères jugés préoccupants, et de limiter la durée de leur approbation.

Il planifie, par ailleurs, la réalisation d'évaluations comparatives pour les produits phytopharmaceutiques contenant de telles substances afin que les États membres puissent éventuellement les remplacer par des spécialités présentant des risques sensiblement moins élevés pour la santé animale ou l'environnement, ou par des méthodes non chimiques de prévention ou de lutte.

Une liste regroupant les substances déjà inscrites à l'annexe I de la directive 91/414/CEE et considérées comme des substances dont on envisage la substitution sera établie au plus tard le 14 décembre 2013 par la Commission.

On relève que le règlement n'a pas d'effet rétroactif si bien que les autorisations en cours restent valables mais jusqu'à leur terme seulement.

De même, il vaut d'être noté qu'a été choisie une approche zonale. Le règlement définit trois zones d'autorisation des produits phytopharmaceutiques : Nord, Centre et Sud Europe, la France faisant partie de cette dernière. La demande d'évaluation d'un produit est réalisée par un État membre rapporteur pour l'ensemble, l'autorisation de mise sur le marché restant nationale.

Cette approche zonale de l'évaluation d'un produit est destinée à permettre d'harmoniser les procédures et d'éviter ainsi les distorsions de concurrence.

 Le règlement (CE) n° 396/2005 du Parlement européen et du Conseil du 23 février 2005 fixe les limites maximales applicables aux résidus de pesticides (LMR). Ces dispositions confient à l'Agence européenne de sécurité alimentaire l'évaluation de la sécurité des produits, sur la base des propriétés des pesticides, des limites maximales et des différents régimes alimentaires des consommateurs européens.

 Enfin, la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaure un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, notamment en encourageant le recours à la lutte intégrée contre les ennemis des cultures et à des méthodes ou techniques de substitution, telles que les moyens non chimiques alternatifs aux pesticides.

Les législations nationales viennent compléter le socle communautaire.

b) La législation française

Pour la France :

 l'arrêté du 14 avril 1998, souvent modifié, établit en droit national la liste des substances actives dont l'incorporation est autorisée dans les produits phytopharmaceutiques ;

 le code rural fixe les règles relatives à la protection des végétaux, à la mise sur le marché, à la distribution et à l'application des produits phytosanitaires, aux matériels destinés à leur application, ainsi qu'aux compétences de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments ;

 l'article L. 1323-1 du code de la santé publique, confie à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments la charge de l'évaluation des produits phytopharmaceutiques, des adjuvants, des matières fertilisantes et des supports de culture pour l'application des dispositions du code rural.

L'État s'appuie en matière de conseil et de contrôle du bon usage des pesticides sur les SRPV (Services régionaux de protection des végétaux) et sur la DGCCRF (Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes).

Le durcissement de la réglementation n'est pas général, ni dans le monde, ni en Europe, ce qui pose d'importants problèmes de cohérence de l'action publique et, avant tout, d'application du principe de précaution qui fonde en France le processus.

Malgré tout, d'ores et déjà, un très grand nombre de substances ont été retirées du marché.

Dans les années 90, un millier de substances étaient disponibles. Depuis, les deux tiers d'entre elles ont été abandonnées tandis qu'un certain nombre de substances nouvelles faisaient leur apparition. À la suite du « Grenelle de l'environnement », une nouvelle cinquantaine de produits ont été éliminés si bien qu'au total, ne restent sur le marché que 40 % des produits accessibles en 1990.

Ces évolutions, qui peuvent résulter de décisions des industriels ou des autorités publiques, ne manquent pas d'interroger sur les systèmes d'autorisation de mise sur le marché, même si, dans la mesure où elles se trouveraient justifiées du point de vue sanitaire, cette interrogation ne doit pas en interrompre, ou en freiner, le flux55(*).

Mais, on peut observer que, moyennant peut-être une plus grande sélectivité des produits, ces retraits n'ont pas trouvé de traduction dans une baisse, à due proportion, des utilisations.

Par ailleurs, une inquiétude supplémentaire existe aujourd'hui avec le développement des trafics de substances aux origines et aux compositions douteuses, impliquant semble-t-il de plus en plus fréquemment des produits périmés ou contrefaits.

Ce phénomène est classique dans les processus de prohibition. Mais il appelle une vigilance sans faille, et les moyens de cette vigilance, d'autant que la libéralisation des échanges et l'ouverture de fait des frontières favorisent ces trafics.

Cet enjeu n'est nullement négligeable si l'on souhaite que les engagements pris pour réduire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques soient atteints sans par ailleurs créer de risques sanitaires nouveaux à travers des empoisonnements qui, pour être (plus) sporadiques, n'en seraient pas moins dramatiquement aigus.

4. Le plan « Ecophyto-2018 » : la question de la faisabilité d'une politique de réduction des phytopharmaceutiques

Engagé à la suite du Grenelle de l'environnement, le plan « Ecophyto-2018 » vise à réduire de 50 % l'usage des pesticides dans un délai de dix ans.

La réduction lente mais continue du nombre de doses unités (NODU) de pesticides (passées de 67 millions en 2009 à 60 en 2011, avec une prévision à 57 en 2012) est présentée comme offrant l'indicateur d'une progression du plan qui suppose des engagements de crédits croissants : 11,3 millions d'euros en 2009, 25,8 millions d'euros en 2010 et 36,5 millions d'euros en 2011, financés à partir d'un prélèvement sur la redevance pour pollution diffuses et très résiduellement par des crédits budgétaires.

Une précision décisive doit être apportée : l'objectif de réduction du plan est conditionné à sa possibilité de réalisation.

Cette condition paraît utile puisqu'une étude réalisée en amont par l'INRA avait conclu que, si une réduction des usages des pesticides comprises entre 20 et 30 %, dans le cadre d'une stratégie dite « de protection intégrée des cultures », permettrait, malgré la baisse des rendements (de 6 à 8 % pour les grandes cultures fruitières notamment), de maintenir à peu près le revenu agricole, d'autres scénarios plus ambitieux, de « production bio » altérerait franchement, et les rendements, et les revenus agricoles sans pour autant que leur bilan environnemental apparaisse clairement.

Il est intéressant de donner quelques indications sur les différentes stratégies productives envisagées dans cette étude dans la mesure où elles couvrent à peu près toute la gamme des possibles du plus « productiviste » à l'agriculture la plus « biologique ».

Cinq stratégies sont analysées : l'agriculture intensive, l'agriculture raisonnée, la protection intégrée des cultures, des conduites agricoles impliquant des modifications des systèmes de production, une agriculture biologique.

Ces cinq scénarios correspondent à des niveaux de pression sur l'environnement attribuable aux produits phytopharmaceutiques très différenciés. Ils sont récapitulés dans le tableau ci-dessous où le niveau NA correspond à la situation actuelle en moyenne, les cinq niveaux suivants correspondant aux cinq scénarios envisagés.

On observe que le scénario intensif (N0) est plus consommateur en produits phytosanitaires et que le scénario d'agriculture raisonnée (N1) est à peu près celui suivi par l'agriculteur français moyen.

Évolution de la pression des phytopharmaceutiques selon les niveaux de rupture

Le scénario N2 implique une baisse de l'utilisation des pesticides d'environ un tiers, le scénario N2c de 50 % et le scénario N3 de près de 80 % en moyenne.

À ces abattements dans l'utilisation des pesticides correspondraient des évolutions des rendements différenciées mais qui atteignent des niveaux significatifs de rupture autour d'une baisse de l'utilisation des pesticides au-delà de 30 %.

L'identité des résultats des scénarios N2a et N2c ne doit pas faire illusion. Elle vient de ce que le scénario N2c suppose l'introduction de rotation longues qui, égalisant les rendements des cultures pris individuellement, n'en ont pas moins des effets sur la production globale. En effet, les cultures introduites dans ce système de production ont des rendements plus faibles que les cultures dominantes dans le système actuel.

Les données ci-après traduisent ces effets.

Alors que la baisse de la production au niveau N2a (où l'utilisation des pesticides est réduite) atteint environ 6 %, elle dépasse 12 % pour une baisse de moitié avec des résultats beaucoup plus amples pour certaines cultures (blé dur, colza, pomme de terre...).

Il faut relever que l'ensemble de ces résultats est confirmé par des études, britanniques ou allemandes, qui ont chiffré la baisse des rendements pour le blé résultant de l'adoption de certains projets d'interdiction des pesticides, débattus au Parlement européen, à 50 %.

Ces différents scénarios de production exerceraient des impacts sur les revenus agricoles eux-mêmes différenciés.

En considérant les prix comme exogènes, c'est-à-dire sans qu'une réaction haussière pourtant probable, n'intervienne, les revenus agricoles par hectare peuvent reculer jusqu'à un tiers tandis que pour la « ferme France » le recul pourrait faire passer le produit agricole de 20,2 à 13,6 milliards d'euros.

Note : la colonne N3_2 correspond au modèle d'agriculture biologique avec des prix plus élevés que ceux où s'écoulent les produits « non-bio ».

L'évolution des marges serait à peu près parallèle, sous réserve que la structure des prix agricoles modifie assez sensiblement les écarts de performances de l'agriculture intensive et de l'agriculture raisonnée.

Quand les prix sont tendus l'agriculture intensive voit ses marges s'améliorer, le surplus de recettes faisant plus que compenser les charges d'exploitation plus lourdes qu'elle supporte.

Ces développements montrent qu'en l'état des techniques, il existe un arbitrage entre l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, les rendements et la production agricoles et apportent quelques précisions sur les termes quantitatifs de cet arbitrage.

Dans tous les cas, l'agriculture intensive aboutit à des gains de rendement et de production. Mais, des systèmes alternatifs sont compatibles avec une optimisation du couple « risques-production ». Ces résultats valent pour la France. Mais, on ne peut manquer de s'interroger sur les effets que produirait l'adoption de systèmes de production différenciés du point de vue de l'équilibre entre les rendements et l'économie de produits phytopharmaceutiques dans le monde.

Les agricultures des pays en développement si elles ne sont pas nécessairement des agricultures biologiques utilisent en moyenne beaucoup moins ces produits que les agricultures du monde développé ou des pays émergents qui ont réalisé leur décollage agricole au moyen des pratiques de la « Révolution verte ». Et, il paraît évident qu'une utilisation plus répandue des produits phytopharmaceutiques serait, à technologie inchangée, favorable au développement agricole des pays en retard de développement.

On peut même affirmer que, sans elle, la production agricole ne pourra suivre les besoins alimentaires du monde et tout particulièrement des pays considérés.

Toutes choses égales par ailleurs, l'agriculture biologique ne semble pas permettre de nourrir le monde et son adoption dans les pays où elle représente un choix pourrait compliquer la solution du problème alimentaire, du moins sur un plan strictement quantitatif.

* *

*

Ce diagnostic demande certainement à être affiné. Il faudrait que ces questions soient systématiquement abordées dans la gouvernance du développement agricole à laquelle appelle le présent rapport. Sur ce point, celui-ci doit associer la préoccupation de mieux considérer les effets sanitaires et environnementaux des produits phytopharmaceutiques (et des autres produits pharmaceutiques utilisés dans l'agriculture avec la considération de leurs effets économiques de tous ordres).

Il semble également acquis que le développement agricole ne peut emprunter les voies du passé et que sa conception et sa conduite doivent et peuvent être renouvelés : des marges d'optimisation existent.

La France dispose d'atouts pour qu'elles soient efficacement explorées. Elle devrait porter ce sujet au plan international.


* 51 « Pesticides et santé » Rapport n° 2463 Assemblée nationale et n° 421 Sénat, 29 avril 2010 de MM. Claude Gatignol, Député et Jean-Claude Étienne, Sénateur.

* 52 Il faut distinguer les substances actives, qui sont les molécules produisant l'effet recherché et les préparations commerciales qui recouvrent les produits phytopharmaceutiques fabriqués à partir de ces substances qui comprennent les premières.

* 53 Constats qui ne vont pas jusqu'à permettre d'apprécier précisément l'exposition concrète des humains qui n'est que peu mesurée.

* 54 Voir à ce propos, l'excellent rapport de notre collègue Gilbert Barbier : « Les perturbateurs endocriniens. Le temps de la précaution » OPECST Sénat n° 765 du 12 juillet 2011.

* 55 Les retraits de substances actives sont des décisions difficiles en ce sens que la vertu dont ils témoignent peuvent renforcer le soupçon d'un vice originel.