B. QUELS EFFETS DE LA LIBÉRALISATION DU COMMERCE AGRICOLE ?

La portée des arguments théoriques en faveur de la libéralisation du commerce agricole international a trouvé un renfort dans l'utilisation des outils de simulation que représentent les modèles.

Pourtant, les résultats des simulations ainsi réalisées doivent être soumis à la critique, ce qui ne disqualifie nullement leur emploi mais représente une démarche d'analyse naturelle, la modélisation ne pouvant « dire » plus que ce qu'elle peut.

La confrontation de plusieurs simulations, dont l'une réalisée par notre Haute assemblée a conduit à une ré-estimation des résultats de la libéralisation des échanges agricoles par les organisations mondiales en charge de ce dossier, en témoigne éloquemment.

Mais, il faut bien admettre qu'au-delà de différences portant sur les hypothèses et les données des simulations, c'est plus structurellement que les enseignements des modèles doivent être nuancés (voir encadré ci-dessous pour un exemple parmi d'autres).

UN EXEMPLE DES INSUFFISANCES DES MODÈLES DE SIMULATIONS

DE LA LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES AGRICOLES

Les modèles des simulations des politiques commerciales dans le secteur agricole sont généralement des modèles d'équilibre général (d'équilibre partiel parfois) dont les équations se réfèrent à un présupposé de fonctionnement efficient des marchés.

Or, leur fondement théorique semble particulièrement peu réaliste au vu des conditions particulières de l'économie agricole.

Il existe au moins deux problèmes de ce point de vue :

 le fossé pouvant exister entre un modèles abstrait où les mécanismes de marché (l'équilibre de l'offre et de la demande à travers le système de prix) jouent avec efficacité et l'économie agricole comme elle fonctionne faite de rigidités et d'une segmentation des marchés ;

 la négligence des imperfections de marché que représentent les externalités négatives et les problèmes d'information.

Les modèles de simulation de la libéralisation du commerce international agricole reposent sur une conception abstraite où les marchés fonctionnent de façon efficiente ce qui suppose quelques entorses par rapport au fonctionnement concret de l'économie agricole.

La libéralisation du commerce international peut aggraver, en les amplifiant, les effets des défaillances de marché.

Celles-ci sont généralement constituées d'externalités, ou de problèmes d'information (qu'il s'agisse d'informations asymétriques ou d'information imparfaite72(*).

Dans tous les cas, le marché n'intègre pas les phénomènes sous revue alors que, dans le secteur agricole, ils jouent un rôle particulièrement important.

Plus précisément deux préoccupations importantes semblent relever de ces défaillances de marché :

- les questions environnementales ;

- les problèmes de sécurité sanitaire.

Ces problèmes n'étant pas correctement traités dans le cadre des mécanismes de marché appellent des corrections à ces mécanismes.

La libéralisation du commerce international, en ce qu'elle peut être le vecteur de transmission de ces défaillances, peut quant à elle de son côté, être considérée comme devant être organisée.

C'est d'ailleurs souvent pour cette raison que des mesures non tarifaires réglementant le commerce agricole international sont mises en place par les États.

Or, il est permis de considérer qu'à l'avenir les débats relatifs à ces mesures, souvent présentées de façon exclusivement négatives comme constitutives d'instruments dissimulés de protection commerciale, devraient s'intensifier.

Si toutes les mesures non tarifaires ne peuvent être rangées sous la bannière des mesures destinées à remédier aux imperfections de marché il serait peu responsable de négliger que certaines d'entre elles vont dans ce sens.

À ce titre, elles sont justifiables et, d'ailleurs, peuvent être considérées comme favorables dans certaines hypothèses à l'expansion du commerce international. Tel est en particulier le cas pour les mesures visant à surmonter les asymétries d'information.

Mais, au-delà, le constat que le commerce international peut aggraver les imperfections de marché doit être au centre des réflexions sur la libéralisation des échanges internationaux.

Il conduit à nuancer des estimations théoriques des gains de la libéralisation des échanges internationaux, dans des proportions qui demandent à être précisées, mais peuvent être considérables.

Par exemple, si les simulations des avantages de libéralisation intègrent généralement les gains d'efficience qui pourraient être associés au supplément de production réalisé par un certain nombre de pays d'Amérique du Sud, elles ne les corrigent pas des externalités négatives que pourraient engendrer la destruction, plus ou moins complète, de la forêt amazonienne.

Il serait par conséquent souhaitable de traiter tout autrement qu'aujourd'hui ces questions.

En l'état, les mesures non tarifaires sont essentiellement abordées sous l'angle de leurs effets restrictifs sur le commerce international.

Ainsi que le suggère une étude de Frank van Tongeren, John Beghin et Stéphane Marette pour l'OCDE, il serait justifié de faire prévaloir une autre approche basée sur le bilan de ces mesures en terme de bien-être. En effet, de nombreuses mesures non tarifaires peuvent bien restreindre le commerce mais, également, améliorer le bien-être, en présence d'externalités négatives ou de problèmes d'informations.

Dans une telle perspective, deux problèmes importants devraient être résolus :

- celui du choix des meilleurs instruments pour corriger les défaillances de marché (réglementations, taxes, subventions, certifications...) ;

- et celui des modalités d'institutionnalisation de la définition et de l'application des politiques de correction de ces défaillances.

À cet égard, d'ores et déjà, l'échelon strictement national n'a plus le monopole. Mais, la prédominance de l'OMC dans le paysage institutionnel, même tempérée par l'implication des Nations Unies avec la CNUCED, ne constitue pas une solution entièrement satisfaisante.

Il manque aujourd'hui une institution internationale en charge de coordonner la conception et l'application des politiques nécessaires pour corriger les défaillances des mécanismes de marché dans le secteur agricole.

1. Les enseignements des modèles

Le modèle d'équilibre alimentaire reposant sur les échanges internationaux peut se recommander d'une diversité d'arguments.

Le « consensus de Washington » a étroitement inspiré - et continue de le faire - la conception des politiques de développement, notamment agricole.

Sur le plan des relations commerciales internationales, ce modèle est celui du libre-échange.

Il est censé permettre d'optimiser la production agricole mondiale en instaurant un contexte de libre fonctionnement des marchés où, à la fois, la production est maximale et obtenue aux meilleurs coûts, permettant par là-même de satisfaire au mieux la demande en quantités et dans les meilleures conditions de prix.

Par ailleurs, en éliminant les distorsions apportées au marché agricole par l'intervention publique, la libéralisation du commerce international agricole favoriserait le bon emploi des ressources disponibles dans chaque pays et, à travers lui, le processus global du développement.

Ce modèle, qui est un modèle de division internationale du travail, peut être considéré comme conforme à la théorie des avantages comparatifs qui veut que chaque pays spécialise ses productions dans les secteurs où il dispose des avantages comparatifs les plus élevés.

Il inspire étroitement les projets de libéralisation du commerce agricole international que plusieurs exercices de simulation conduisent à préconiser.

Cependant des facteurs souvent négligés dans ces travaux obligent à douter de leur valeur normative.

À ce propos, on doit relever que les simulations portant sur la libéralisation du commerce agricole international donnent des résultats beaucoup plus contrastés quand on les diversifie que ceux généralement mis en avant par les partisans de la libéralisation.

La protection tarifaire du secteur agricole, qui est structurellement plus forte que celle des autres secteurs, est assez disparate.

a) Rappels sur le contexte

Note technique sur les droits de douane

Chaque État notifie à l'OMC un « droit consolidé » par produit qu'il s'engage à ne pas dépasser. C'est sur ces droits que porte la négociation à l'OMC.

Le « droit de douane appliqué » est le droit qui frappe effectivement le produit importé. Il peut être très différent du « droit consolidé » tout en devant rester inférieur.

Pour les pays en développement la marge entre ces deux droits peut être en pratique assez élevée. Pour les pays développés, elle est généralement faible. Pour les produits agricoles elle représente environ 2,5 % pour l'Union européenne.

Les « droits appliqués NPF (Nation la plus favorisée) » sont les droits appliqués par un pays à tous ses partenaires commerciaux, membres de l'OMC.

Le système des préférences généralisées (SPG) constitue une dérogation à la clause de la NPF en proposant des dérogations non réciproques aux pays les moins avancés, pour certains produits.

Il résulte, en pratique, de ce système une multiplicité de droits appliqués.

La protection douanière de l'Union européenne
et de quelques grands pays agricoles (en 2006-2007)

 

Moyenne droits consolidés

Moyenne des droits NPF appliqués

Moyenne pondérée par la Commission

Union européenne

15,1

15

11,8

États-Unis

5

5,5

5,5

Chine

15,8

15,8

16

Canada*

14,5

17,9

10,8

Brésil*

35,5

10,3

12,2

Argentine*

32,6

10,2

10

Inde

114,2

34,4

41,9

Australie*

3,3

1,3

2,8

Nouvelle-Zélande*

5,7

1,7

2,5

Afrique du Sud*

40,8

9,2

9,3

Chili*

26

6

6

Colombie*

91,9

16,6

18,7

Russie

nd

14,6

24,2

Suisse

54,3

43,6

17,3

Source : « Profils tarifaires dans le monde » OMC

NB : Les pays suivis d'un astérisque sont membres du « groupe de Cairns ».

Elle est généralement élevée dans les pays en développement, faible aux États-Unis et dans certains des pays du « groupe de Cairns » (l'Australie, l'Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande et, à un moindre degré, le Brésil ou le Chili) et intermédiaire dans l'Union européenne.

On doit cependant souligner que la protection de l'Union européenne est inférieure à la protection moyenne et que pour les pays les moins avancés, elle est globalement inférieure aux protections mises en place par les autres pays.

En outre, à dires d'experts, l'Union européenne opposerait moins de barrières environnementales, notamment dans l'agriculture, que les États-Unis ou le Japon par exemple où les produits affectés par les mesures de cette sorte seraient trois fois plus nombreux. L'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui sont en pointe dans la défense d'une libéralisation agricole par la baisse des tarifs de douane, recourraient systématiquement aux mesures environnementales puisque les trois quarts de la valeur des importations agricoles en seraient affectés.

La chose en soi n'est pas répréhensible puisque comme veut le montrer ce rapport, les mesures non tarifaires d'encadrement du commerce international sont justifiables et devraient même devenir un levier à part entière de la construction d'un système alimentaire mondial mieux équilibré. Il n'en reste pas moins que les écarts de pratiques doivent à ce stade être relevés pour progresser dans l'appréciation des degrés d'ouverture des différents marchés mais aussi comme le témoignage d'un problème, encore à résoudre, d'harmonisation des concepts de régulation des marchés.

Quoi qu'il en soit, ainsi que le relevait justement un rapport de la délégation à la planification du Sénat sur les principaux enseignements des simulations de la libéralisation des échanges commerciaux73(*), les calculs des droits de douane effectivement appliqués permettent de comprendre globalement les intérêts défendus par chaque partie dans les négociations commerciales.

« Au total, les calculs des droits de douane effectivement appliqués, tels qu'ils sont réalisés par le CEPII, permettent de comprendre globalement les intérêts défendus par chaque partie dans les négociations en cours :

- l'Union européenne a des intérêts défensifs sur l'agriculture, mais des intérêts offensifs sur les produits manufacturés ;

- les pays émergents ont des intérêts offensifs sur l'agriculture, et bien sûr vers l'Europe, mais des intérêts défensifs sur les produits manufacturés ;

- les intérêts américains paraissent plus dilués : moins défensifs que l'Europe sur les produits agricoles, mais plus défensifs sur les produits manufacturés, ce qui les rapproche sur ce point des pays émergents ;

- les PMA n'ont pas réellement d'intérêts communs avec les pays émergents, la solidarité entre les deux groupes qui se manifeste depuis le début de ce cycle obéissant à d'autres logiques. »

Le même rapport montrait que la protection tarifaire de l'Europe était en fait largement atténuée dans les faits par les nombreuses préférences commerciales qu'elle a accordées. Il concluait que le portrait d'une « Europe forteresse » dans le domaine agricole relevait davantage de la caricature que d'une représentation fidèle de la réalité.

L'observation des flux d'échanges confirme au moins partiellement, ce constat.

- l'Europe est le premier importateur mondial de produits agricoles ;

- l'Europe représente un marché pour les pays en développement plus important que les marchés américain et japonais cumulés ;

- quasiment 70 % des importations européennes proviennent des pays en développement, dont 16,4 % des pays les plus pauvres ; aux États-Unis la part des pays en développement n'atteint pas 45 % (3 % pour les plus pauvres) ; au Japon elle est de 32 % (2 % pour les plus pauvres). »

b) Des résultats contrastés quand on diversifie les techniques de simulation

Les simulations des effets de la libéralisation du commerce agricole international varient avec le temps et selon les propositions concernées.

Les résultats mentionnés comptent moins que les enchaînements à l'oeuvre et ne doivent être considérés que comme des ordres de grandeur.

Au tournant des années 2000, le montant des soutiens agricoles dans le monde était estimé à 248 milliards de dollars par l'OCDE.

En Europe, les transferts directs aux agriculteurs s'élevaient à quelque 40 milliards d'euros ; l'équivalent aux États-Unis était de l'ordre de 39 milliards de dollars (32,5 milliards d'euros). Ces sommes étaient susceptibles évidemment de modifier les conditions de concurrence et de handicaper les pays en développement sur le marché mondial réduisant leurs éventuels avantages.

(1) De la vision irénique de la Banque mondiale...

La Banque mondiale et, à des degrés divers, la plupart des travaux menés sur le sujet concluent généralement à un impact substantiel de la libéralisation agricole sur le « bien-être » mondial, et en particulier celui des pays en développement.

En 2004, la Banque mondiale évaluait à 369 milliards de dollars (au prix de 1997) l'impact positif de cette libéralisation dont plus des deux tiers (240 milliards de dollars) pour les pays en développement.

En outre, la libéralisation aurait un effet très favorable sur la pauvreté en raison de la baisse des prix des produits de première nécessité liée à la réduction des droits de douane et de la meilleure rémunération du travail agricole liée à l'augmentation de la production locale.

Les effets de la libéralisation du commerce agricole :
principaux résultats de différentes simulations

Les résultats des différentes simulations effectuées par les organisations internationales et par des universitaires suggèrent que plus la libéralisation des échanges est importante, plus les gains sont élevés au niveau mondial. Ce résultat traduit essentiellement une amélioration de l'efficacité de l'allocation des ressources. La baisse des droits de douane est l'aspect qui engendre les gains les plus élevés dans la plupart des cas, bien au-delà de la baisse des subventions à la production, et plus encore que l'élimination des subventions aux exportations.

Les scénarios peuvent certes différer, mais les simulations réalisées avec des modèles d'équilibre partiel suggèrent que des gains mondiaux de richesse réelle situés entre 8 et 18 milliards de dollars résulteraient d'un accord modeste comme le sera probablement celui du cycle de Doha - Poonyth et Sharma (2003) ; Laird et alii (2004) ; Hoekman et alii (2002) -. Les modèles en équilibre général donnent des gains quelque peu supérieurs, compris selon les scénarios entre 15 et 80 milliards de dollars - Diao et alii (2001) ; Beghin et alii (2002) ; Achterbosh et alii (2004) -. Des scénarios plus ambitieux de libéralisation, comme la suppression totale des aides et droits de douane, donnent des gains plus élevés, généralement entre 80 et 130 milliards de dollars - Tokarick (2003) ; Francois et Alii (2003) ; Cline (2004) -. La Banque mondiale (2004) trouve des gains très élevés, par rapport aux autres études dans une optique dynamique (369 milliards de dollars pour une libéralisation très ambitieuse du commerce agricole) et, autre point de singularité, essentiellement au bénéfice des PED.

Les effets sur les prix mondiaux agricoles varient également significativement, selon les modèles et les scénarios. Mais pour un accord envisageable au terme du cycle de Doha, ils se situent entre un accroissement de 4 % (Fapri, 2002) à 18 % (Diao et alii, 2001) pour le blé, de l'ordre de 0 à 10 % pour les oléagineux, 2 à 10 % pour le riz, et 2 à 5 % pour la viande bovine.

Dans la plupart des cas, l'UE, et dans une moindre mesure les États-Unis, apparaissent comme les grands gagnants d'un accord, essentiellement grâce à la baisse des prix moindres payés par les consommateurs pour leur alimentation. Les pays du groupe de Cairns (qui comprennent des PED comme le Brésil ou l'Argentine) seraient également gagnants du fait de l'ouverture des marchés et de meilleurs termes de l'échange.

Le débat reste vif en ce qui concerne les gains pour les autres PED. Si certaines études voient dans un accord agricole une source importante de gains pour ces pays (Banque Mondiale, 2004 ; Hertel et alii, 2003), d'autres, comme la Cnuced, trouvent des pertes significatives pour un grand nombre de pays, en particulier les pays insulaires et l'Afrique subsaharienne.

Revue française d'économie, n°1/Vol XX, de Jean-Christophe Bureau, Estelle Gozlan et Sébastien Jean : « La libéralisation des marchés agricoles, une chance pour les pays en développement ? ».

Dans le rapport précité de la délégation à la planification où figuraient des simulations originales du CEPII la démonstration était apportée que les évaluations en question étaient trop optimistes.

Quatre explications en étaient avancées.

 La protection commerciale n'y est pas mesurée avec précision : la Banque mondiale, comme la plupart des autres travaux, estiment les conséquences de l'abaissement des protections douanières en appliquant les formules de réduction tarifaire aux droits appliqués ; or, les pays négocient à l'OMC sur les droits consolidés, qui peuvent être très supérieurs aux droits appliqués et dont l'effet concret sur la baisse des droits effectivement appliqués peut être nul.

 Ces simulations n'intègrent pas les régimes préférentiels de manière exhaustive et ne peuvent pas rendre compte de l'érosion de cet avantage de manière satisfaisante.

 Les différents groupes de pays en développement ne sont pas distingués, alors que ce groupe n'a évidemment aucune homogénéité (le Brésil et un pays d'Afrique subsaharienne ont peu de caractéristiques communes en matière d'insertion dans le commerce agricole mondial) : il faudrait distinguer entre exportateurs nets et importateurs nets, PMA bénéficiant d'un accès à droit nul sur les marchés du Nord, PMA spécialisés sur un produit très protégé.

 Enfin, les effets complexes des outils de soutien interne dans les pays du Nord ne sont pas pris en compte74(*).

(2) ... à l'approche plus réaliste de la délégation du Sénat à la planification75(*)

À partir des simulations du CEPII, on pouvait distinguer deux types d'effets de la libéralisation des marchés agricoles :

la baisse des tarifs douaniers entraînait une augmentation des exportations agricoles mondiales, cependant très différenciée selon les pays ou les zones géographiques ;

- la baisse des soutiens internes à l'agriculture avait un impact sur les prix mondiaux agricoles, avec des effets différenciés sur le revenu réel des différentes zones ou pays.

Sur le premier point, la baisse des droits de douane étant plus forte sur les droits élevés, c'est la zone la plus protectionniste parmi les pays riches, l'Association européenne de libre échange (AELE), qui ouvraient le plus ses frontières. Au contraire, les États-Unis, où la protection agricole est relativement basse, mais aussi l'Afrique subsaharienne, du fait qu'elle est exonérée d'engagements de baisse des droits de douane, ne connaissaient qu'une faible réduction de leur droit de douane moyen.

L'accès des différentes zones exportatrices aux marchés agricoles étrangers était amélioré mais dans des proportions contrastées :

- cette amélioration était particulièrement forte pour les pays développés du groupe de Cairns et, dans une moindre mesure, l'Union européenne et les États-Unis ;

- au contraire, elle était faible pour les zones qui, avant la libéralisation, bénéficiaient largement d'accès préférentiels : l'AELE (sur le marché de l'UE) et l'Afrique subsaharienne.

Le commerce mondial agricole en volume augmentait de 6,1 % en moyenne à la suite de ce choc de libéralisation

La même simulation effectuée non pas, comme ici, sur les droits consolidés mais sur les droits appliqués, aurait donné une progression plus forte du commerce agricole de l'ordre de 15 %.

Globalement, dans un scénario de réduction des soutiens de l'ordre de la moitié, le volume d'exportations agricoles des pays riches progressait de 4,2 %, celui des pays en développement de 9,4 %.

Mais les bénéfices de la libéralisation et ses coûts étant inégalement répartis.

Parmi les grands exportateurs agricoles, qui sont aussi ceux dont l'accès aux marchés étrangers s'est le plus amélioré, ce sont les pays du groupe de Cairns (développés et en développement) qui bénéficiait le plus de la libéralisation.

En revanche, les exportations de l'Union européenne et surtout celles des États-Unis progressaient relativement peu car elles subissaient l'effet des réductions du soutien interne et des subventions à l'exportation.

Du côté de l'Association européenne du libre-échange (AELE) comme des pays d'Afrique subsaharienne, la faible progression des exportations s'expliquait par l'érosion de leurs marges préférentielles.

Ainsi, au Nord comme au Sud, l'augmentation des exportations est très différenciée selon les zones.

La prise en compte de la diversité des situations initiales dans les conditions d'accès aux marchés conduit donc à fortement nuancer les projections les plus optimistes.

L'idée selon laquelle les pays qui disposent initialement d'un avantage comparatif dans les productions agricoles vont être les principaux gagnants de la libéralisation est à reconsidérer : pour certains, cet avantage était en partie lié à une marge préférentielle nécessairement érodée dans les scénarios de libéralisation agricole.

L'érosion des préférences n'est pas le seul phénomène que certains pays en développement peuvent craindre.

La réduction des soutiens internes est susceptible d'exercer des effets sur les prix mondiaux de produits agricoles

Elle implique notamment pour les pays du Nord une diminution de l'incitation à produire, donc une diminution globale de l'offre de produits agricoles, et risque de provoquer ainsi une hausse des prix agricoles mondiaux.

Les résultats des simulations du CEPII suggéraient un impact sur les prix mondiaux avec une hausse de 2,8 % en moyenne.

La hausse des prix agricoles était variable suivant les produits et avantageait ou désavantageait les pays selon les produits sur lesquels ils sont exportateurs ou importateurs nets.

Dans un tel scénario, quatre zones en développement sur six subissaient une détérioration de leurs termes de l'échange. Il fallait anticiper que, pour les pays importateurs nets de produits agricoles, la valeur de leurs importations progresserait plus vite que celle de leurs exportations avec un appauvrissement subséquent de ces pays.

Au total, l'évolution des revenus réels consécutive à la libéralisation agricole se révélait pour le moins contrastée.

L'évolution du revenu réel combine l'impact de la modification des termes de l'échange (voir ci-dessus) et celui de la réallocation sectorielle des ressources induite par la réduction des distorsions créées par les tarifs ou les subventions (effet-volume).

L'impact global apparaît faiblement positif au niveau mondial. Compte tenu, dans ces zones, de l'importance relative des distorsions éliminées par la libéralisation, l'impact est également positif pour toutes les régions développées ainsi que pour l'Asie du Sud. En revanche, les autres zones en développement sont perdantes.

Le tableau ci-dessus montre que l'impact global - au niveau mondial - de la libéralisation en termes de revenu réel pourrait être limité, inférieur à celui simulé jusqu'à présent (+ 0,08 % pour l'ensemble du Monde) avec toutefois un impact non négligeable sur la production agricole au niveau mondial.

Une hausse du revenu réel en Europe ?

On peut voir dans le tableau ci-dessus que l'impact en termes de revenu réel d'une libéralisation agricole serait globalement positif pour l'Union européenne. Ceci correspond à un résultat que l'on retrouve dans la quasi-totalité des simulations de cette nature. Les enchaînements « positifs » pour l'Union européenne décrits par ces exercices sont les suivants :

- la diminution des soutiens internes permet une réallocation des facteurs sur les productions plus rentables (ce qui est conforme au cadre théorique des avantages comparatifs) ;

- à l'inverse des pays pauvres, l'Union européenne, comme les autres pays riches, bénéficie d'une appréciation des termes de l'échange (elle est exportatrice nette des produits agricoles dont les prix montent) ;

- si les prix de production agricole montent, les prix agricoles sur le marché intérieur baissent en raison de la baisse des tarifs douaniers : le pouvoir d'achat des consommateurs augmente.

Par ailleurs, il est connu que l'impact d'une libéralisation agricole serait très différencié et inégal selon les produits et les pays :

- les produits soumis à une forte concurrence (lait, viande bovine, riz...) seraient affectés par une libéralisation agricole ;

- les zones ou pays (du Nord de l'Europe par exemple) spécialisés sur des productions très compétitives à l'exportation gagneraient à une libéralisation ;

- d'autres travaux montrent qu'une libéralisation agricole entraînerait une baisse de la valeur ajoutée agricole dans l'Union européenne et une concentration de la production.

Cependant, cet impact négatif pour les producteurs serait compensé par l'impact positif de la baisse des prix pour les consommateurs.

On sait toute la fragilité des enchaînements ainsi décrits (v. infra). En particulier, la prise en compte des structures de marché conduit à douter que la baisse des prix agricoles se traduise de façon perceptible pour le consommateur par une inflexion des prix de consommation.

2. « Considérations hors-modèles »

Globalement, la liberté du commerce est justifiée par l'élimination des distorsions qu'entraînent les entraves au libre fonctionnement des marchés. Le pivot de la théorie réside dans le concept d'allocation des ressources rares en fonction des avantages comparatifs des pays. Or le concept d'avantages comparatifs n'a pas la portée nominative qu'on lui prête trop souvent. En outre, il faut élargir le point de vue en tenant compte d'un principe de réalité qui oblige à considérer le fonctionnement d'autres marchés que celui concerné par les prospectives de libéralisation de secteur agricole et en tenant compte des défaillances systémiques du marché, particulièrement évidentes en agriculture.

a) Les avantages comparatifs ne sont pas figés et ne doivent pas être considérés comme tels

Une partie des avantages comparatifs peut être attribuée à des dotations naturelles qui sont a priori d'une importance stratégique particulière s'agissant d'une production qui dépend encore étroitement de telles dotations factorielles.

La géographie actuelle de la production agricole témoigne que celles-ci jouent un grand rôle et les prospectives ne manquent pas d'intégrer ce déterminant dans les scénarios pour le futur.

Cette dimension naturelle conduit souvent à assimiler avantages comparatifs en agriculture, dotations naturelles et intangibilité des avantages de chaque Nation.

Cette assimilation est une erreur et est source d'autres erreurs.

Les dotations factorielles ne se limitent pas, loin de là, aux ressources naturelles. L'ensemble des variables - de tous ordres - influençant les performances agricoles doivent être considérées comme contribuant à la formation des avantages comparatifs. La localisation des productions agro-alimentaires montre la sensibilité à cette large gamme d'avantages comparatifs. Les performances productives des agricultures qui varient du tout au tout dans le monde sous l'effet des révolutions qu'a connues ce secteur.

Comme le rappelle Marcel Mazoyer si « au début du XXe siècle, toutes les agricultures du monde s'inscrivaient dans un écart de productivité du travail de l'ordre de un à dix, une tonne par travailleur et par an pour la culture manuelle... ; dix tonnes par travailleur pour la culture à tradition mécanisée... au cours de la seconde moitié du XXe siècle... la superficie maximum cultivable pour un travailleurs (a) doublé tous les dix ans (et) dépasse aujourd'hui deux cents hectares par travailleur... ainsi, la productivité du travail dépasse souvent les mille tonnes par travailleur et par an, et peut même atteindre les deux mille tonnes... Ainsi, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, l'écart de productivité du travail entre les agricultures les moins performantes du monde et les plus performantes a été multiplié par plus de 100 : de 1 contre 10 qu'il était au début du siècle ; cet écart dépasse aujourd'hui 1 contre 1 000 ! ».

La très grande hétérogénéité des productivités agricoles, peut bien provenir en partie des conditions naturelles, elle résulte aussi des investissements réalisés dans le secteur, qui s'accompagnent de l'existence de capacités productives, physiques ou économiques, fortement disparates auxquelles l'approche économique des avantages comparatifs tend à conférer une portée naturelle normative qu'elle ne devrait pas avoir.

Passer ainsi de la description à la normativité représente un glissement abusif d'autant que le système alimentaire mondial ainsi décrit n'est pas soutenable.

Les avantages comparatifs ne sont pas intangibles. Dans l'agriculture, le poids des facteurs naturels est sans doute très élevé mais, outre que des régions disposant de ressources naturelles favorables n'ont pas effectué leur plein décollage agricole, d'autres, moins favorisées par la nature, pourraient améliorer leur production malgré ce handicap, s'il n'est point rédhibitoire.

Atteindre cet objectif est d'ailleurs indispensable si l'on veut remporter le défi alimentaire, c'est-à-dire produire des quantités suffisantes pour nourrir le monde et créer les conditions d'un accès réel à cette nourriture.

C'est la raison pour laquelle il faut considérer avec prudence la proposition de « forcer » le processus de division agronomique du monde en libéralisant le commerce agricole.

Outre que la revendication d'autonomie est une réaction usuelle aux dangers des interdépendances offertes par la mondialisation (la mondialisation si elle crée de nouvelles opportunités augmente également les risques), cette option est peu acceptable au nom même des impératifs du développement agricole puisqu'elle risque de se traduire en fait par la marginalisation d'une catégorie, la plus vaste, de paysans insusceptibles de résister au choc de la libéralisation (comme producteurs mais aussi comme consommateurs).

Alors que même la Banque mondiale paraît considérer que l'exploitation de leurs avantages agricoles par les pays les plus en retard de développement est une voie incontournable pour ceux-ci, une libéralisation agricole massive entraînerait pour ces pays comme l'ont montré les travaux du Sénat précités une perte de bien-être et un obstacle supplémentaire sur la voie de leur développement.

b) Ne pas négliger les risques d'une spécialisation tournée vars la demande étrangère

La libéralisation du commerce agricole international est parfois présentée comme une opportunité permettant à des pays subissant des barrières à l'entrée des marchés des plus développés d'y accéder.

La logique est de déployer une production agricole tournée vers l'exportation pourvoyeuse de revenus.

Cette stratégie ne doit pas être récusée d'emblée. Mais il faut en apprécier les limites.

En premier lieu, il ne faut pas négliger que la spécialisation des pays en développement sur des productions agricoles destinées à l'exportation est vulnérable à des conditions que ces pays ne maîtrisent pas :

 la demande adressée par l'extérieur ;

 les conditions du marché des changes ;

 des éléments déterminants de la compétitivité de leur système productif.

En ce qui concerne la demande adressée, qui doit être décomposée pour tenir compte des productions du pays exportateur, elle est la résultante des dynamiques de la demande mondiale corrigées par la part du pays dans les exportations mondiales76(*).

Les prospectives disponibles tablent sur une croissance de la demande agricole plus ou moins forte (selon notamment la dynamique des agro-carburants) mais qui serait globalement soutenue.

Il existe toutefois d'importantes incertitudes sur la dynamique de la demande internationale de produits agricoles. En effet, la demande s'exprimant sur le marché international pourrait varier sensiblement en fonction des stratégies mises en oeuvre selon que les pays poursuivraient ou non des objectifs d'auto-suffisance alimentaire.

Par ailleurs, même si de tels objectifs n'étaient pas posés pays par pays, ils pourraient l'être au niveau régional, selon certaines recommandations, ce qui affecterait les perspectives de développement des échanges mondiaux. De telles stratégies pourraient entraîner des phénomènes de « détournement de trafic » au terme desquels les échanges internationaux, pour se développer, se structureraient régionalement. Dans ces conditions, c'est la demande dans la zone de la localisation du pays producteur qu'il faudrait anticiper et de laquelle dépendraient les exportations du pays.

Cette perspective modifierait les termes du problème.

L'insertion dans l'échange international des pays en développement se fait sous l'épée de Damoclès du taux de change. Il est exceptionnel que la monnaie des agriculteurs des pays en développement soit utilisée dans les marchés internationaux que ce soit pour libeller les transactions ou pour en opérer le règlement. La compétitivité des exportateurs qui se trouvent dans cette situation de dépendance varie selon les évolutions monétaires concernant les monnaies utilisées dans les échanges internationaux.

En réalité, cette vulnérabilité monétaire dépasse la question de la compétitivité-prix sur les marchés mondiaux qu'influencent les variations du change.

La dépendance des productions agricoles des pays qui subissent une situation de domination monétaire s'exerce sur les marchés internationaux mais aussi en amont (au stade de la production) et elle mobilise non seulement la composante des conditions monétaires liée au change mais aussi le canal des taux d'intérêt dans la mesure où les effets des politiques monétaires des pays dominants se diffusent également aux pays en développement par ce canal.

Une note du Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture (MOMAGRI) propose une quantification des effets entre 2004 et 2009 des évolutions de la parité entre l'euro et le dollar et des écarts de taux d'intérêt directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Federal Reserve Board (FED) des États-Unis sur la compétitivité relative des agricultures des deux côtés de l'Atlantique.

Elle vise à illustrer l'amplification des impacts des conditions monétaires (taux de change et taux d'intérêt) sur la compétitivité agricole dans un contexte « d'économie agricole d'endettement », de libéralisation progressive des échanges agricoles et de financiarisation des marchés agricoles.

Les résultats présentés par MOMAGRI chiffrent à 20,7 milliards de dollars l'avantage compétitif tiré en 2008 par l'agriculture des États-Unis (14,5 milliards en 2009) des conditions monétaires plus favorables dont elle a bénéficié. La partie principale de cet avantage compétitif est attribuée à la sous-évaluation du dollar (17,8 milliards de dollars en 2008, 14,1 en 2009).

Résumé de l'étude MOMAGRI1

La sous-évaluation du dollar par rapport à l'euro se traduirait par deux principaux effets.

Elle contraint les importations agricoles européennes et elle stimule les exportations agricoles américaines.

« Si l'offre des exportateurs est inélastique en volume, les producteurs américains réalisent un gain égal à leurs moindres coûts de production exprimés en dollar. Cela se traduit par une marge sur les ventes à l'exportation augmentée d'autant ».

Cet enchaînement ne paraît pas entièrement crédible. La détérioration des termes de l'échange résultant de la dépréciation du dollar risque plutôt d'augmenter les coûts de production agricole aux États-Unis à travers la hausse des prix des consommations intermédiaires ou des investissements importés ou consommés localement par effet de substitution. C'est alors plutôt à une réduction des marges que l'on doit s'attendre sauf si les producteurs sont en mesure de répercuter l'augmentation de leurs coûts dans leurs prix de vente ce qui est douteux compte tenu de leur pouvoir de négociation.

En revanche, le second enchaînement, exposé ci-dessous, est plus crédible :

« Si l'offre des exportateurs est sensible aux prix, ils pourront augmenter leurs ventes en baissant leurs prix ce qui leur permet de réaliser un gain plus important ».

Dans ce second cas, l'érosion du dollar entraîne un avantage compétitif qui accroît les exportations agricoles des États-Unis en volume. Si l'effet-volume l'emporte sur l'effet-prix (ce qui suppose que la production soit flexible) la croissance de la production efface la perte relative de pouvoir d'achat des revenus.

L'essentiel est bien que la production agricole aux États-Unis reçoit un stimulant susceptible de l'accroître et de permettre au pays de réaliser des gains de parts de marché, ses concurrents subissent inversement des pertes.

Elle (la sous-évaluation du dollar par rapport à l'euro) ampute le pouvoir d'achat des consommateurs américains pour acheter des produits agricoles européens importés ce qui confère un avantage de prix relatifs aux biens produits localement.

Le calcul de la sous-évaluation du dollar est réalisé dans l'étude à partir de l'écart entre le taux de change effectif euro-dollar et celui qui serait conforme à la parité des pouvoirs d'achat (PPA)2. Il est présenté ci-après avec les variations des exportations et des importations agricoles des États-Unis.

La sous-évaluation du dollar par rapport à l'euro, de 6,5 % en 2004 passe à 16,7 % en 2008. Les exportations agricoles des États-Unis croissent de 87,8 % contre 49,3 % pour les importations. Ce différentiel qui peut s'expliquer par un écart de croissance entre la demande domestique et la demande adressée aurait également été sensible à la dégradation des termes de l'échange des États-Unis. C'est sur cette base que MOMAGRI chiffre les effets de la différence entre le taux de change effectif entre l'euro et le dollar et le taux de change en PPA en retenant un scénario dit « médian » parmi les trois scénarios envisagés :

- Scénario 1 (estimation basse) : La sous-évaluation du dollar se traduit par une augmentation proportionnelle des exportations, et la hausse de prix sur les biens importés se traduit par des transferts à 50 % sur la production nationale ;

- Scénario 2 (estimation haute) : La sous-évaluation du dollar se traduit par des transferts proportionnels des importations vers l'achat de la production nationale, et plus que proportionnels pour les exportateurs qui parviennent à accroître leurs parts de marché de 50 % ;

- Scénario 3 (estimation médiane) : La sous-évaluation du dollar se traduit par une augmentation proportionnelle des exportations et par des transferts proportionnels des importations vers l'achat de la production nationale.

Les estimations de l'avantage commercial retiré par l'agriculture des États-Unis dans les trois scénarios s'étagent entre 11,2 milliards de dollars pour le premier scénario et 18,4 milliards pour le troisième en passant par 14,4 milliards de dollars pour le scénario médian.

Faute de connaître l'ensemble des hypothèses posées dans la modélisation et compte tenu des réserves que peut susciter la méthode d'estimation de la sous-évaluation du dollar, surtout quand on l'applique à un secteur (aussi) particulier (que l'agriculture), l'exercice a le mérite d'illustrer par un ordre de grandeur les effets d'une dépréciation du dollar sur le commerce agricole extérieur des États-Unis et, par conséquent, sur les recettes d'exportation de leurs concurrents.

C'est également ainsi qu'il faut considérer les conclusions de l'étude sur les effets des politiques monétaires comparées aux États-Unis et en Europe.

MOMAGRI estime qu'à l'exception de 2006 le caractère plus accommodant de la politique monétaire aux États-Unis a offert aux agriculteurs locaux un avantage comparatif.

La méthode suivie consiste à appliquer l'écart de taux directeurs entre celui de la FED et celui de la BCE à l'endettement des exploitants agricoles des États-Unis auprès des banques.

Les résultats, exprimés en termes de « soutiens additionnels » sont figurés dans la partie droite du graphique ci-dessous.

Selon MOMAGRI la politique monétaire avantageuse pratiquée par les États-Unis par rapport à l'UE s'est traduite par un avantage compétitif estimé à 106 millions de dollars au titre de l'année 2009 pour l'agriculture américaine, après 2,9 milliards de dollars en 2008.

1 Assorti de quelques observations.

2 La parité des pouvoirs d'achat mesure les rapports des prix domestiques de deux espaces économiques et monétaires différents pour déterminer quel serait le taux de change d'équilibre entre leurs deux monnaies, celui-ci étant conçu comme la parité permettant d'égaliser les prix des deux pays.

Outre que les pays en développement qui choisissent des stratégies d'exportation ne maîtrisent pas ipso facto des éléments déterminants de la compétitivité de leur système productif et ainsi de l'efficacité de cette stratégie, il faut mesurer que les revenus ainsi générés peuvent ne pas contribuer à résoudre le problème alimentaire.

Le commerce international peut même aggraver ce problème par plusieurs de ses effets :

 en substituant des cultures d'exportation à des cultures vivrières accessibles à la demande domestique solvable ;

 en renforçant les inégalités entre les producteurs présents sur le marché intérieur de sorte que les petits exploitants perdent de leur capacité à écouler leur production ;

 en concentrant des revenus agricoles dont l'augmentation peut se révéler sans bénéfice pour le développement agricole local.

Ces effets non-désirables peuvent être régulés mais il faut pour cela mettre en oeuvre des politiques d'accompagnement de la libéralisation qui vont à rebours des tendances profondes auxquelles celle-ci correspond (politique de redistribution du revenu, constitution des stocks de sécurité...).


* 72 Il y a information asymétrique quand un acteur du marché en sait plus que les autres et information imparfaite quand toutes les conséquences de la transaction commerciale ne peuvent être connues. Exemplairement, l'origine d'un produit agricole peut être citée comme problème d'asymétrie tandis que les effets de certaines modalités de production (les OGM par exemple) peuvent être vus comme relevant de problèmes d'information incomplète.

* 73 Rapport n° 120 du 7 décembre 2005 de MM. Jean-Pierre Plancade et Daniel Soulage « Libéraliser les échanges commerciaux : quels effets sur la croissance et le développement ? »

* 74 Cet aspect particulièrement important est développé un peu plus loin dans le présent chapitre.

* 75 La délégation à la planification a été la matrice de l'actuelle délégation sénatoriale à la prospective.

* 76 Le calcul de la demande adressée est rendu complexe par la nécessité qu'il y aurait, théoriquement, à l'ajuster en fonction des évolutions de la part des exportations du pays dans le total année par année.