3. Des stratégies différenciées

Un « agro-scepticisme » se serait répandu devant les échecs de projets de développement agricole et la persistance d'un cadre général économique mais aussi institutionnel peu propice.

Les suggestions de la Banque mondiale pour favoriser le développement agricole dessinent des stratégies différenciées en fonction des trois situations décrites.

Pour les pays à vocation agricole , l'importance relative du secteur agricole confère au développement de l'agriculture une importance critique.

L'agriculture de ces pays est principalement vivrière et tournée vers le marché domestique même s'il existe aussi une agriculture non-vivrière qui concerne des matières premières généralement brutes et est essentiellement une agriculture d'exportation.

L'agriculture vivrière n'entre pas dans le courant des échanges internationaux du fait de la nature de ses produits et des problèmes d'infrastructures qu'elle rencontre.

Quant à l'agriculture qui entre dans le circuit des échanges internationaux, elle est souvent confrontée à des handicaps de compétitivité.

Pour ces pays, l'agriculture est un moteur de croissance irremplaçable du fait même de sa part dans l'activité économique globale mais aussi, selon le Rapport de la Banque, parce que ces pays sont astreints à produire leur propre nourriture et peuvent espérer conserver un certain temps leurs avantages comparatifs.

En effet, si le rapport rappelle que les échanges internationaux peuvent offrir une contribution efficace à la résolution des problèmes d'insécurité alimentaire, les limites d'accès de certains pays aux importations sont évoquées comme susceptibles de frapper d'ineffectivité le recours aux échanges internationaux pour combler des déficits alimentaires. Or, ceux-ci ont une forte probabilité de se produire dans l'état actuel du développement agricole de nombreux pays ce que démontre assez le niveau élevé de la variance de la production agricole.

Par exemple, au Soudan, tous les six ans une contraction de la production agricole de 25 % se produit.

Les obstacles que rencontrent ces pays dans leur accès au commerce international viennent des insuffisances de leurs ressources financières conjuguées à des infrastructures (de transport, de stockage...) qui les handicapent.

En moyenne, les pays à vocation agricole sont des importateurs nets de cultures vivrières, pour environ 14 % de leur consommation moyenne avec des pics (40 % en Guinée-Bissau, Haïti et pour le Yémen). Ces pays sont particulièrement exposés à la volatilité des prix agricoles dont le coefficient de variation s'élève à quelque 20 %.

En résumé, ils subissent une situation particulièrement préoccupante puisque, pour eux, à l'inverse du constat que l'on peut faire au niveau mondial, la production agricole est bien inférieure au niveau de leurs besoins, sans qu'ils puissent toujours espérer combler ce déficit par le recours aux importations.

De ces prémices, la Banque conclut à la nécessité de se donner pour objectif d'accroître la production agricole locale.

À cet effet, la variable névralgique réside, selon elle, dans la productivité avec l'objectif que celle-ci s'améliore au niveau le plus local des petites exploitations.

Cette recommandation s'inscrit dans le cadre de l'analyse des avantages comparatifs des pays concernés qui concernent à la fois l'agriculture et les autres secteurs économiques.

Globalement, ceux-ci ne disposeraient pas d'avantages comparatifs particuliers. Le rapport estime que les « pays à vocation agricole ont largement raté le développement des industries de main d'oeuvre qui ont fait décoller les pays d'Asie dans les années 80 ». Comme les nouveaux entrants subissent la concurrence des pays qui ont su précocement améliorer leur productivité en recourant à des économies d'échelle - qui est l'une des dimensions expliquant la productivité -, les pays à vocation agricole auraient intérêt à exploiter les avantages comparatifs qui leur restent à savoir leurs dotations en ressources naturelles et une population active nombreuse et peu coûteuse.

Cette recommandation plaide pour que l'agriculture occupe une place prioritaire dans leurs stratégies de développement et pour la mobilisation des moyens appropriés.

Pour les pays en mutation , la vision globale du développement qui sous-tend les analyses de la Banque mondiale est que le développement des secteurs non agricoles est le vecteur principal ce qui milite pour des solutions passant par des mobilités intersectorielles. Toutefois, une « nouvelle agriculture » et l'emploi rural non agricole peuvent jouer un rôle dans la réduction de la pauvreté rurale.

La « nouvelle agriculture » consiste en une agriculture plus productive et se diversifiant vers des productions à haute valeur ajoutée. Cette évolution est décrite comme correspondant à une tendance qui voit la part des aliments transformés dans le total de la valeur ajoutée agricole s'accroître avec le revenu.

Son essor suppose une « industrialisation » des process et son impact sur la pauvreté rurale dépend de l'intégration à ces process des petits exploitants qui peut passer par leur conversion au salariat .

En effet, le rapport de la Banque mondiale souligne les difficultés de la coexistence entre les petits exploitants et les chaînes de production verticalement intégrés.

Par ailleurs, le développement d'activités non agricoles dans les zones rurales , avec le déversement qu'il suppose d'emplois agricoles vers ces activités, est considéré comme un levier utile à la réduction de la pauvreté rurale.

Si ces productions peuvent être liées à l'agriculture, comme, par exemple, le commerce alimentaire ou le transport des productions agricoles, elles peuvent aussi en être indépendantes.

L'observation essentielle est que, pour la Banque mondiale, l'agriculture ne suffira pas à éradiquer la pauvreté rurale dans ces pays mais qu'elle peut y contribuer puissamment.

Le diagnostic s'appuie sur les succès remportés par la Chine où la réduction de la pauvreté en lien avec la croissance de la valeur ajoutée agricole aurait été quatre fois supérieure à ce que la croissance de l'industrie et des services aurait permis de réaliser. Une condition de cette performance est suggérée : une distribution plutôt égale des terres.

Enfin, pour les pays urbanisés , l'agriculture est considérée comme une activité commerciale comme les autres . Par ailleurs, d'un point de vue économique, les progrès de productivité agricole sont relativement élevés alors même que le niveau initial de la productivité est supérieur à ce qu'il est dans les autres pays.

Le développement agricole dépend du maintien des gains de productivité. Mais son impact sur la pauvreté peut varier en fonction de ses retombées sur l'emploi et les revenus des petits exploitants.

À cet égard, le rapport rappelle d'abord que l'accroissement de l'efficacité agricole n'a généralement pas d'effet sur les prix , qui sont fixés sur les marchés où opèrent les producteurs. Le surplus de productivité est ainsi principalement capté par les propriétaires des exploitations . Sa diffusion aux agriculteurs locaux dépend de leur degré de participation au développement agricole qui peut prendre la forme du salariat ou de l'inclusion dans des systèmes intégrés de production.

Deux cas « polaires » sont envisagés : celui du Chili où les gains de productivité n'ont pas empêché une augmentation de l'emploi agricole constitué assez largement par des pauvres ruraux et des femmes ; celui du Brésil où les gains de productivité ont été réalisés grâce à une combinaison productive axée autour d'un équilibre plus capitalistique et plus exigeant en main d'oeuvre qualifiée, qui a exclu de fait de nombreux agriculteurs pauvres du développement agricole.

La Banque relève que l'essor agricole du Brésil a succédé, dans les années 90, à une libéralisation du commerce international et à l'instauration de prix plus incitatifs qui ont favorisé l'adoption de productions tournées vers l'exportation et se prêtent à l'industrialisation des procédés.

Au total, la Banque mondiale envisage quatre grandes voies de sortie de la pauvreté agricole :

- l'augmentation de la productivité notamment dans la petite agriculture ;

- la valorisation au sein d'exploitations agricoles connectées aux marchés ;

- la diversification dans des secteurs d'activités non-agricoles ;

- l'émigration vers les villes .

L'accent est mis sur le rôle de la productivité dans les développements agricoles.

Entre 1980 et 2004, la production agricole a progressé de 2 % l'an en moyenne contre une croissance de la population de 1,6 %.

Les pays en développement, pris globalement, ont connu une croissance agricole particulièrement forte (2,6 % par an) de sorte que leur part de la production agricole a augmenté de 56 à 65 %.

C'est en Asie que les deux tiers de cette croissance sont intervenus.

Et c'est plus par la productivité que par l'extension des terres que ces performances ont été réalisées.

Les rendements céréaliers ont progressé de 2,8 % par an en Asie de l'Est contre 1,8 % dans les pays industrialisés sous l'effet de la diffusion de la « Révolution verte ».

Seule l'Afrique subsaharienne a connu une stagnation des rendements céréaliers.

Ces progrès sont attribués à l'amélioration des process agricoles et à des changements institutionnels.

Selon la FAO, l'amélioration des procédés dans le domaine de l'irrigation, de la sélection des céréales et des engrais a joué un rôle majeur.

De fait, une corrélation assez forte semble exister entre les progrès des rendements et la modernisation des procédés, excepté pour l'irrigation pour des raisons évidentes de différences dans les régimes pluviaux.

Le secteur de la viande a été l'un des plus dynamiques avec un doublement au cours des 15 dernières années. Il représente désormais le tiers de la production totale.

La croissance de la production a, au total, été entraînée par celle de la productivité totale des facteurs qui a atteint selon les régions entre 1 et 2 % par an. Elle explique la moitié de l'augmentation de la production en Chine et en Inde et de 30 à 40 % en Indonésie ou en Thaïlande. Elle a permis de limiter le recours à de nouvelles terres qui, localement, pouvaient, au demeurant, être déjà saturées.

Selon la Banque mondiale, ces gains de productivité sont attribuables aux investissements, particulièrement en recherche-développement, favorisés par l'instauration d'institutions adaptées.

Les investissements ont été un élément déterminant pour ces progrès.

La sélection d'espèces nouvelles a parfois été décisive comme ce fut le cas du riz hybride qui aurait contribué à la moitié de l'amélioration des rendements du riz en Chine entre 1975 et 1990.

La mise à niveau des infrastructures, en particulier des transports, a également été un facteur important (25 % de la croissance de la production agricole indienne dans les années 70). L'amélioration de la formation mais aussi de la santé a augmenté la productivité.

La Banque mondiale souligne enfin le rôle des réformes des institutions, reconnaissant néanmoins que les évaluations réalisées en ce domaine sont rares.

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