2. Un appel à la réhabilitation de l'agriculture comme levier du développement

La contribution de l'agriculture au développement général est un problème débattu de longue date.

Sans remonter à Pisistrate (VI e siècle avant J.C.), à Sully ni même à Richelieu, on peut rappeler la discussion qui opposa les mercantilistes aux physiocrates et s'amplifia tout au long du XVIII e siècle.

Dans ses versions plus modernes, cette querelle est axée autour de la question de l'accumulation du revenu. Elle est directement liée à la problématique de la productivité .

Dans l'analyse historique marxiste, l'agriculture est vue comme le socle de rentes qui sont « recyclées » dans d'autres activités économiques dont elles nourrissent le développement.

La perspective de gains de productivités supérieures et immédiatement accessibles dans des secteurs plus industriels et, grâce à des stratégies de développement fondées notamment sur l'attractivité du capital étranger a renouvelé la question.

On a imaginé pouvoir sauter les étapes initiales du développement et que l'agriculture loin d'être un moteur du développement pourrait être considérée comme l'un de ses freins. En fixant les facteurs de production dans des activités réputées faiblement productives mais aussi par les tendances à la constitution de rentes coûteuses pour le reste de l'économie à quoi obligerait le développement agricole, le secteur primaire représenterait une charge, en plus qu'un coût d'opportunité, pour le reste de l'économie.

Le rapport 2008 de la Banque mondiale sur le développement dans le monde qui est présenté comme une entreprise de réhabilitation de l'agriculture comme levier de développement présente un contre-argumentaire à cette vision qui a longtemps été présentée comme celle de cette institution 83 ( * ) .

La forte croissance des secteurs non agricoles des pays en mutation s'impose comme un constat qui paraît confirmer les analyses classiques relatives à la dynamique différenciée des secteurs économiques.

Pourtant, la situation des pays appartenant aux autres catégories distinguées par le rapport (les pays à vocation agricole et les pays urbanisés) tranche avec ces constats : la croissance de la productivité du travail dans l'agriculture y aurait été plus élevée dans les années 1993 à 2005 que dans les secteurs non-agricoles.

Le rapport souligne par ailleurs que la croissance de la productivité totale des facteurs a été plus forte dans l'agriculture que dans l'industrie, de l'ordre de 0,5 à 1,5 point de pourcentage, dans une cinquantaine de pays à revenus faibles ou intermédiaires.

Quant aux explications des « sous-performances » du secteur agricole, quand elles doivent être constatées, elles sont attribuées à des politiques macro-économiques défectueuses et à des institutions défaillantes.

Du côté des facteurs macroéconomiques, les interventions destinées à plafonner les prix agricoles sont particulièrement en cause de même que les politiques de change inadaptées, les prélèvements fiscaux sur l'agriculture et l'encadrement des échanges internationaux .

Le rapport mentionne en particulier une étude séminale de Krueger, Schiff et Valdés (1991) qui, partant du constat que les interventions publiques menées dans 18 pays ont eu pour effet d'induire une baisse de 30 % du prix relatif du secteur, estiment qu'une réduction de 10 points de pourcentage de la taxation de l'agriculture pourrait augmenter la production annuelle du secteur de 0,43 point de pourcentage.

De même, plusieurs travaux sont évoqués comme ayant démontré les effets positifs d'une hausse des prix sur la production, ainsi, qu'à l'inverse, les incidences défavorables pour les prix des restrictions au commerce international des produits agricoles supposés avoir déprimé les prix des produits échangés sur les marchés internationaux de 5 %.

Enfin, la réduction de l'aide publique au développement agricole est pointée comme un élément déterminant des retards du développement dans un contexte où, par ailleurs, les interventions publiques internes aux pays ne favorisent pas particulièrement le monde rural et sont plutôt orientées au bénéfice des urbains.

Sur ce plan, le poids relatif des dépenses publiques à destination de l'agriculture a baissé dans les trois catégories de pays identifiés par la Banque mondiale.

Le tableau ci-dessus montre qu'il existe un autre paradoxe puisque la part des dépenses publiques consacrées à l'agriculture est plus faible dans les « pays à vocation agricole » que dans les pays en mutation et, même dans les pays urbanisés quand on l'estime à partir de la contribution des dépenses publiques au PIB agricole.

Quant à l'aide publique au développement (APD) dirigée vers l'agriculture, elle a considérablement baissé par rapport au pic atteint à la fin des années 70 et se trouvait en 2005 à un niveau inférieur à celui pourtant assez bas du milieu des années 70.

La chute de l'APD a touché sa part relative dans le total de l'APD (de 18 % en 1979 à 3,5 % en 2004) et son niveau absolu (de 8 à 3,4 milliards de dollars constants).

Elle a concerné à la fois l'aide multilatérale et l'aide bilatérale (qui n'a été que légèrement moins affectée).

Enfin, alors qu'elle a été durablement plate en Amérique latine, ce sont l'Asie et, avec une moindre ampleur, l'Afrique qui ont été les plus touchées par la réduction de l'aide.

La Banque mondiale estime que cette évolution s'est produite sous l'effet de plusieurs facteurs :

la baisse des prix agricoles aurait affecté la rentabilité de l'agriculture ;

la concurrence d'autres bénéficiaires ;

l'obligation de répondre à plusieurs crises dans d'autres secteurs ;

l'opposition des agriculteurs des pays donateurs à une aide pouvant favoriser leurs concurrents ;

celle des groupes de pression environnementaux défavorables à l'agriculture.


* 83 Critique qu'elle semble assumer, pour partie du moins.

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