III. LES VOIES DU REDRESSEMENT

A. REDONNER SENS À L'ÉCOLE

1. Refonder les missions du service public d'éducation
a) Recentrer l'école sur l'objectif de démocratisation

Pour soigner le métier d'enseignant, il faut avant tout soigner l'école. L'erreur centrale des transformations récentes imposées à l'éducation nationale est d'avoir brouillé le sens de l'école pour les élèves, les parents et les enseignants. Via la multiplication des expérimentations et des dispositifs, les divergences acceptées des politiques académiques, l'accroissement de la pression évaluative sur les enfants et sur les personnels, l'idée même d'une éducation nationale garantie à tous s'est affaiblie. Votre rapporteure considère dès lors que la première pierre de la refondation de l'école doit être de redonner un cap clair au service public de l'éducation. Un mot suffit pour définir le projet proprement politique que votre rapporteure souhaiterait voir assigner à l'école : l'émancipation .

Pour tenir ce cap, les missions de l'éducation nationale doivent être clarifiées et ramenées à un petit nombre d'objectifs complémentaires :

- contribuer au développement intellectuel de tous les enfants, ce qui inclut la transmission des savoirs ;

- participer à la formation de citoyens prêts à s'inscrire pleinement dans la vie de la République ;

- démocratiser l'accès au savoir et lutter contre les inégalités sociales et territoriales.

Ces objectifs ne sont pas particulièrement nouveaux, puisqu'on pourrait en trouver des formulations approchantes mutatis mutandis dans la République et les Lois de Platon et y retrouver l'idéal de progrès exprimé si puissamment à ces périodes charnières de notre histoire nationale que sont la Révolution française, les débuts de la III e République et la Libération. Mais il est devenu nécessaire aujourd'hui pour le pouvoir politique de les réaffirmer fortement, alors qu'ils ont été abandonnés, soit par découragement et fatalisme, soit au nom d'une idéologie élitiste qui légitime la reproduction des inégalités.

b) Lutter contre les biais sociaux et sexués

Les choix scolaires d'options, d'établissement et de filière sont fortement marqués par l'origine sociale des familles et se répercutent sur le devenir des enfants. L'environnement scolaire a une influence déterminante sur les chances de réussite des enfants et constitue un facteur d'accentuation des inégalités sociales, notamment via les effets de pairs et la modulation des attentes des enseignants en fonction de leur perception du groupe classe.

L'orientation à l'issue du collège connaît toujours de grandes disparités selon le milieu d'origine de l'enfant. La logique de tri social reste malheureusement prépondérante.

En 2010, à l'issue de la 3 e , 60 % des élèves se sont orientés vers une seconde générale et technologique et 26 % d'entre eux ont intégré la voie professionnelle, tandis que 5 % de la cohorte redoublaient et 10 % quittaient le système scolaire. Le taux de sorties est resté inchangé depuis dix ans. La politique de lutte contre le décrochage menée depuis des années ne produit aucun effet tangible et durable. A la rentrée 2010, 18 % des élèves de 3 e ont rejoint une seconde professionnelle et 5 % des CAP. En dix ans, les flux vers le CAP ont ainsi doublé.

Les enfants d'ouvriers, de chômeurs n'ayant jamais travaillé ou de personnes sans activité sont massivement surreprésentés dans le second cycle professionnel. D'une part, la moitié des élèves en voie professionnelle sont issus d'une famille d'ouvriers ou de personnes sans activité, alors qu'ils ne représentent qu'un tiers de l'effectif global du 2 nd degré, d'autre part, ces élèves vont quasiment deux fois plus souvent en CAP qu'en bac professionnel.

ÉLÈVES DU 2 ND DEGRÉ SELON LA CATÉGORIE SOCIALE
DE LA PERSONNE RESPONSABLE DE L'ÉLÈVE EN 2010-2011 (EN %)

Agricul-teurs

Artisans, commerçants

Prof.lib., cadres

Prof. interméd.

Enseignants

Employés

Ouvriers

Sans activité

Second cycle GT

2,1

10,8

25,4

15,3

4,7

15,8

18,8

4,7

CAP

1,1

7,1

4,2

8,1

0,6

16,9

38,6

19,8

BEP

2,0

8,6

5,9

12,2

0,9

20,5

37,2

10,0

Bac pro

1,5

9,4

7,2

11,4

1,0

18,8

35,5

11,3

Ensemble

2,0

10,4

18,2

13,2

3,3

16,8

26,3

7,7

Source : RERS 2011 - Ministère de l'éducation nationale

Le système éducatif et les représentations sociales conjuguent leurs effets pour condamner les enfants de milieu populaire à une insertion professionnelle très rapide, synonyme souvent de perspectives d'emploi, de salaire et de carrière restreintes. Il est temps de rompre avec un utilitarisme à courte vue qui transforme l'orientation en un pur mécanisme de sélection des meilleurs et d'affectation des plus faibles en fonction des variations de la demande de main-d'oeuvre des employeurs. Il faut remettre à plat la conception française de l'orientation pour remédier à ces effets de sélection sociale. Accroître l'équité du système scolaire ne peut plus être un objectif périphérique, mais doit devenir une priorité de toute future réforme, quel que soit le maillon éducatif concerné.

Enfin, votre rapporteure tient également à ce que les inégalités de genre soient combattues, afin de briser les représentations mentales et sociales qui enferment jeunes gens et jeunes filles dans des stéréotypes archaïques. Les statistiques témoignent, en effet, d'une fréquence d'échec scolaire nettement plus élevée parmi les garçons que les filles et, corrélativement, d'une surreprésentation des femmes parmi les bacheliers généraux et dans les effectifs de l'enseignement supérieur.

RÉPARTITION DES JEUNES INTERROMPANT LEURS ÉTUDES
SELON LEUR DIPLÔME LE PLUS ÉLEVÉ

Sortie de formation initiale
(2007,2008, 2009)

Ensemble

Hommes

Femmes

en %

en %

en %

DEA, DESS, Master, Doctorats

10

8

12

Ecoles supérieures

6

6

5

Licence, maîtrise

11

8

13

DEUG, BTS, DUT et équivalents

12

12

13

Paramédical et social

3

1

5

Total diplômés des études supérieures

42

35

48

Baccalauréat général

8

6

10

Baccalauréat technologique, professionnel et assimilé

16

18

15

Total bacheliers et diplômes équivalents

24

24

25

CAP, BEP ou équivalent

17

18

15

Total diplômés des seconds cycles du secondaire

41

42

40

Brevet seul

8

10

6

Aucun diplôme

9

13

6

Total Brevet et aucun diplôme

17

23

12

Total sortants de formation initiale

100

100

100

Source : Insee, enquêtes Emploi, calculs : MEN-DEPP

PROPORTION DE BACHELIERS DANS UNE GÉNÉRATION EN 2010 EN %

Garçons

Filles

Ensemble

Bac général

29,4

40,4

34,8

Bac technologique

15,3

17,5

16,4

Bac professionnel

16,0

12,6

14,3

Ensemble

60,6

70,5

65,5

Source : MEN-DEPP ; champ : France métropolitaine+DOM

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
ET PART DES FEMMES

Années universitaires

Effectifs dans les établissements
d'enseignement supérieur
(universités, écoles, IUFM).

Part des femmes (en %)

1999-2000

2 136 615

54,8

2000-2001

2 161 105

54,6

2001-2002

2 164 685

55,4

2002-2003

2 208 548

55,6

2003-2004

2 254 864

55,6

2004-2005

2 268 423

55,6

2005-2006

2 275 044

55,7

2006-2007

2 254 386

55,9

2007-2008

2 228 188

55,9

2008-2009

2 231 745

55,9

2009-2010

2 316 103

55,7

2010-2011

2 318 700

55,5

Source : MESR-DEPP

Au sein de la voie professionnelle, les clivages sexués sont aussi particulièrement marqués. Ainsi, les filles se concentrent dans les spécialités de la coiffure, de l'esthétique, du secrétariat, des carrières sanitaires et sociales, tandis que les garçons accaparent la mécanique, le bâtiment, la logistique ou l'électricité. Ces orientations obligées en fonction de l'image masculine ou féminine de certains métiers ne sont pas une fatalité, comme le montrent certains exemples inattendus. Ainsi, comme l'a indiqué Vincent Troger (Université de Nantes) à votre rapporteure, la spécialité professionnelle « peinture et revêtement » a connu en quelques années une féminisation drastique, parce qu'elle est désormais considérée comme une voie possible d'accès à la profession de décorateur d'intérieur.

Pour lutter contre les biais sociaux et sexués de réussite scolaire, il est essentiel de reconsolider le collège unique, en supprimant notamment les dispositifs de préapprentissage, dans la mesure où la précocité de l'orientation tend à alimenter l'autocensure et la reproduction des inégalités.

En outre, il convient de travailler en amont dès la maternelle et l'élémentaire, segments très négligés du système éducatif, pour régler à la racine les difficultés d'apprentissage que rencontrent disproportionnellement les enfants de milieux populaires. Ceci ne peut se faire dans de bonne conditions qu'en renforçant la part des moyens accordés au 1 er degré.

Mais le rééquilibrage des ressources n'aura pas d'effet si la pression évaluative qui a commencé à envahir la maternelle et l'élémentaire n'est pas allégée. Il faut retrouver le temps de la formation, peu à peu grignoté par l'obsession de la certification et de la vérification. La mise en place concrète du socle commun et du livret de compétences, conjuguée avec les évaluations nationales en CE1 et en CM2, n'a fait qu'accroître l'inquiétude des parents, des élèves et des enseignants, sans fournir un support utile aux pratiques pédagogiques. Leur révision drastique s'impose.

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