2. Critiquer l'idéologie élitiste de la méritocratie et affirmer le principe du « tous capables »

Plus qu'un chantier administratif et financier, la refondation de l'école constitue avant tout un combat politique et idéologique à mener contre l'élitisme et le tri social. Il ne s'agit pas de rouvrir la vieille querelle des populares et des optimates mais plutôt de reconnaître que le système français souffre d'un défaut d'équité très bien documenté, mais difficile à soigner en raison de la prégnance d'une idéologie du mérite qui, pour paraphraser un ouvrage de Marie Duru-Bellat, joue contre la justice.

La notion de mérite fait actuellement l'objet d'un engouement excessif dans l'univers scolaire. Si l'école fonctionnait réellement sur la base du mérite, quelle qu'en soit la définition, alors aucune corrélation solide entre réussite scolaire et origine sociale ne pourrait être mise en évidence. C'est pourtant le cas, si bien qu'il faut en conclure que la méritocratie est surtout un instrument rhétorique pour présenter l'élitisme sous un jour plus acceptable dans une société démocratique.

Certaines réformes du précédent gouvernement étaient destinées à réserver des dispositifs comme les internats d'excellence aux « élèves méritants ». Le dévoiement de la logique méritocratique finit par justifier les inégalités scolaires en figeant et en naturalisant les potentiels d'apprentissage de chaque enfant et en faisant de l'échec scolaire la sanction inévitable d'une supposée incapacité personnelle de l'élève.

Votre rapporteure estime qu'il faut déraciner ce préjugé qui nourrit le fatalisme en rappelant que l'efficacité pédagogique, particulièrement à l'égard des enfants de milieux populaires, est un facteur identifié d'amélioration des résultats scolaires des élèves, quel que soit leur mérite individuel. Les enquêtes PISA 2009 ont montré que les pays les plus performants comme la Finlande et la Corée du Sud étaient aussi les plus équitables. Certains pays aux résultats comparables à ceux de la France ne présentent pas du tout, ni les mêmes écarts de performances entre groupes d'élèves, ni la corrélation étroite entre résultats et origine sociale ; c'est le cas du Danemark par exemple.

La mise en avant exclusive d'un principe méritocratique, en niant l'ampleur des inégalités et en refusant toute modération au nom de la justice sociale, ne peut conduire qu'à privilégier la seule fonction de sélection au détriment de la fonction d'éducation qui incombe à l'école et à marginaliser une part importante de la population scolaire. L'existence d'une logique sélective précoce s'inscrit au coeur du principe méritocratique lui-même et l'impératif de classement, qui en découle directement, conduit nécessairement à une orientation par l'échec. Sans récuser l'importance du mérite individuel, dont on ne pourrait entièrement se dispenser, il convient de le rééquilibrer par des principes d'équité et de mixité sociale.

Votre rapporteure estime dès lors essentiel, comme l'a souligné Marie Duru-Bellat (IEP Paris) lors de son audition 39 ( * ) devant la commission de la culture, de dissocier deux temps au cours de la scolarité. La première phase, au moins pendant la scolarité obligatoire, doit être totalement commune à tous les élèves et les amener collectivement au plus haut degré de développement possible. C'est seulement dans un deuxième temps et progressivement, sans la brutalité de l'orientation actuelle par défaut et par l'échec, que peut se mettre en oeuvre un processus plus sélectif et différencié, avant l'entrée sur le marché du travail. Il faut donc résister à la tendance actuelle à faire débuter toujours plus précocement la phase d'évaluation, de classement et de sélection, en rognant peu à peu le temps de l'instruction commune.

Le métier d'enseignant doit être redéfini, dans la concertation avec les organisations représentatives, pour répondre à l'objectif de démocratisation de l'accès au savoir qui doit être replacé au coeur de la mission de l'éducation nationale. Les pratiques didactiques et pédagogiques doivent s'appuyer sur la conviction de la capacité de tous les enfants à apprendre. Le fondement du renouveau de l'école et du travail enseignant réside dans le principe du « tous capables » que le groupement français d'éducation nouvelle (GFEN) 40 ( * ) promeut activement.

Pour lutter contre l'esprit de fatalité et assurer la réussite de tous, votre rapporteure est favorable aux préconisations du GFEN qui recommande de repenser le métier d'enseignant pour :

- développer une autre vision des élèves et de leurs capacités, dénaturalisée, humaniste et ambitieuse, en adéquation avec la recherche en psychologie du développement, en sociologie et en sciences de l'éducation ;

- transformer l'appréhension du savoir transmis en se déprenant des évidences et en mettant en lumière les implicites, grâce à un travail historique et épistémologique sur les disciplines ;

- reconsidérer les modalités d'enseignement en mettant l'accent sur les processus d'apprentissage et en gérant l'appropriation individuelle de savoirs communs sans oublier aucun enfant ;

- sortir de la solitude professionnelle.


* 39 Audition du 24 mars 2010 (Marie Duru-Bellat.).

* 40 Audition du 21 février 2012 (Jacques Bernardin, GFEN).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page