b) ... dont les causes doivent encore être précisées

Ce constat a conduit la Cour des comptes à mettre en doute l'explication fournie par le ministère du budget, également présentée devant la mission, selon laquelle cette réévaluation serait principalement liée à des erreurs de prévisions concernant le coût du plafonnement de la valeur ajoutée . D'après le ministère du budget, ce dégrèvement aurait été majoritairement auto-imputé par les entreprises dès 2009, alors que le Gouvernement avait estimé que les entreprises n'en auto-imputeraient pas plus de la moitié sur leur taxe professionnelle, ce qui aurait réparti les coûts à parts égales sur les années 2009 et 2010.

Comme l'a exposé le directeur du budget, Julien Dubertret, « les entreprises ayant la faculté d'anticiper l'effet à leur bénéfice du plafonnement de la valeur ajoutée, on estimait que ce comportement n'était pas mobilisé à hauteur de plus de 50 % de la totalité des droits que les entreprises pouvaient faire valoir.

On sait depuis quelque temps que la proportion dans laquelle le plafonnement de valeur ajoutée auto-imputé par les entreprises était plutôt de l'ordre de 80 %, la question étant de savoir s'il s'agissait d'un comportement spécifique à 2009 ou d'un comportement pérenne. Tout donne à penser qu'il s'agissait d'un comportement pérenne et que, de façon régulière, en régime de croisière, les entreprises mobilisaient environ 80 % de la créance par anticipation sur l'année suivante. »

Cette réévaluation du coût de la réforme pour 2010 ne signifierait ainsi pas nécessairement que le surcoût temporaire serait moindre que prévu, mais qu'il aurait été réparti sur deux années, 2009 et 2010, ce qui n'avait pas été anticipé.

C'est ce qu'a précisé Julien Dubertret : « Ce n'est donc pas tant le coût temporaire de la bosse qui a été revu à la baisse que sa répartition dans le temps. On s'aperçoit aujourd'hui que, du fait de comportements anciens - peut-être légèrement accentués par la crise de 2009 - et permanents, une partie du coût de 11,7 milliards d'euros a été anticipée. Je ne nie pas que le passage de 11,7 milliards d'euros à 7,8 milliards d'euros traduise une révision à la baisse du coût de cette réforme mais il constitue toutefois a posteriori une anticipation passée en partie inaperçue, liée à un comportement des entreprises consistant à anticiper autant que possible - de manière au fond assez naturelle- les droits qu'elles pouvaient mobiliser au titre du plafonnement de la valeur ajoutée . »

La Cour des comptes avait relevé dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de mai 2011 que « si cette hypothèse était exacte, cette auto-imputation accrue se serait traduite par de moindres recettes du compte d'avances, et donc par une détérioration à due concurrence de son solde, lors des exercices antérieurs. Or, la lecture des soldes du compte de chacun des exercices de 2006 à 2009 ne corrobore pas mécaniquement l'hypothèse de l'administration, le cumul des déficits (-2,1 Md€ sur le programme 833 hors TIPP) étant même très inférieur à l'écart relevé sur 2010 36 ( * ) .

Compte tenu des déficiences majeures qui affectent le système d'information comptable en ce domaine..., la Cour ne peut que prendre note des éléments d'explication fournis et constater leurs limites. Elle estime ne pas avoir l'assurance que ceux-ci fournissent une justification complète et cohérente des évolutions exceptionnelles et non prévues initialement qui ont été enregistrées en 2010 sur le compte d'avances aux collectivités territoriales. »

Elle concluait que « l'ensemble de ces éléments se traduit par une incertitude sur la charge nette supplémentaire ayant pesé en 2010 sur le budget de l'Etat à l'occasion de la première année de mise en oeuvre de la réforme de la taxe professionnelle et par l'impossibilité d'attester la concordance entre les dépenses et les recettes d'ordre enregistrées dans la comptabilité budgétaire de l'État . »

C'est la raison pour laquelle elle avait annoncé sa volonté de procéder à un examen approfondi de l'ensemble du compte d'avances. Ses enseignements sont exposés dans le rapport de mai 2012 sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État.

Ils confirment les doutes relevés par la Cour, puisque « les hypothèses avancées en 2011 par l'administration fiscale pour expliquer le solde 2010 ne sont pas confirmées par les données figurant dans les applications des services fiscaux . Celles-ci font apparaître un taux d'auto-imputation de 64 % qui, pour être effectivement supérieur aux estimations initiales, n'atteint pas les 80 % avancés par les services du ministère chargé du budget.

Il apparaît que la budgétisation des recettes de taxe professionnelle du compte d'avances reposait ainsi sur une modélisation inexacte, à défaut de données fiscales et comptables précises et détaillées. Ce modèle sous-estimait l'étalement sur plusieurs exercices des opérations budgétaires et comptables liées à la taxe éligible au titre d'une année donnée, et plus particulièrement de l'effet dans le temps des dégrèvements et recouvrements.

En conséquence, la Cour constate que les éléments permettant d'expliquer de manière satisfaisante le niveau élevé du solde du compte d'avance aux collectivités territoriales en 2010 font encore défaut 37 ( * ) . »

La mission souligne son attachement à ce que ce manque de transparence du compte d'avances soit résorbé au plus tôt. Elle déplore que la recommandation formulée à ce sujet par la Cour n'ait pas été suivie, malgré le fait que « la direction générale des finances publiques a indiqué réfléchir à un réaménagement des procédures de suivi ».

Extrait du « suivi des recommandations formulées par la Cour des comptes au titre de l'exercice 2010 »

« Adapter le système d'information relatif aux recettes de l'Etat afin d'opérer le rattachement des opérations réelles et d'ordre à l'année d'imposition, pour en assurer la traçabilité.

Dans sa réponse au RRGB 2010, le ministre chargé du budget reconnaissait l'enjeu de cette recommandation mais n'y apportait qu'une réponse nuancée, en s'appuyant notamment sur le fait que les systèmes informatiques ne permettent pas de distinguer au sein du programme 201 - Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux les différentes catégories de dépenses, ou au sein du programme 833 - Avances sur le montant des impositions revenant aux régions, départements, communes, établissements et divers organismes, les recettes « réelles» et les recettes « pour ordre ». Afin de mieux mesurer l'impact de la réforme de la taxe professionnelle sur le programme 201, la direction générale des finances publiques a indiqué réfléchir à un réaménagement des procédures de suivi.

En l'état, la recommandation n'a donc pas été suivie même si elle pourrait à terme déboucher sur des démarches d'amélioration des applications de suivi des recettes. »

Source : Cour des comptes, Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat (exercice 2011), Mai 2012, pp. 259-260.

Proposition n° 10 :

Mettre en oeuvre la recommandation de la Cour des comptes relative à la traçabilité des opérations réelles et d'ordre, afin de renforcer la transparence du compte d'avances aux collectivités territoriales

La mission relève par ailleurs une nouvelle fois la différence soulignée par la Cour des comptes entre ses méthodes de calcul du coût de la réforme et celles retenues par le ministère du budget. Ces dernières n'ont pas été présentées dans le détail devant la mission.

La méthode de calcul du coût de la réforme de la Cour des comptes
pour l'année 2010

D'après la Cour des comptes, « le coût de la réforme en 2010 est égal à la différence entre les encaissements de taxe professionnelle qui auraient dû être constatés en 2010 si elle avait été maintenue, d'une part, et les recouvrements effectivement réalisés au titre des nouveaux impôts et des reliquats de TP, d'autre part.

Le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire en 2010 a montré que les défaillances du dispositif d'enregistrement de ces taxes et impôts dans les comptes de l'Etat, notamment le compte d'avances aux collectivités territoriales 16 , ne permettent pas de valider les montants déclarés par l'administration.

Sous cette importante réserve, le coût de la réforme en 2010, pour l'ensemble des administrations publiques, peut être reconstitué de la manière suivante 17 .

Le montant brut de la taxe professionnelle payée par les entreprises et enregistrée sur le compte d'avances en 2009 s'était élevé à 31,6 Md€ 18 . L'Etat avait cependant pris à sa charge des dégrèvements et remboursements accordés aux entreprises pour 13,5 Md€.

Le produit net de la TP recouvré sur les entreprises a donc été de 18,1 Md€ 19 . Il faut y ajouter des recettes perçues directement par l'Etat et non reversées aux collectivités territoriales 20 , ce qui conduit à un total de 24,3 Md€.

Le produit net qu'aurait procuré la TP en 2010 si elle avait été maintenue peut être estimé, conventionnellement, en multipliant ce montant par le taux de croissance du PIB en valeur (2,3 %) 21 , ce qui conduit à une estimation de 24,9 Md€.

En 2010, les nouveaux impôts ont rapporté 17,2 Md€ (10,3 Md€ pour la cotisation sur la valeur ajoutée, 4,9 Md€ pour la cotisation foncière et 1,2 Md€ pour l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux, auxquels s'ajoute 0,8 Md€ au titre des reliquats sur les cotisations minimales et de péréquation de la TP).

Des recettes de TP ont continué à être enregistrées en 2010 sur le compte d'avances (11,4 Md€), au titre des exercices antérieurs ou parce que des rôles complémentaires ont été émis. Elles ont été légèrement inférieures aux remboursements et dégrèvements pris en charge par l'Etat (11,6 Md€), notamment au titre du plafonnement de la TP en fonction de la valeur ajoutée, et le solde net s'est élevé à - 0,2 Md€ 22 .

Le produit net total des nouveaux impôts et de la taxe professionnelle a ainsi été de 17,0 Md€ en 2010, alors que la TP aurait rapporté 24,9 Md€. Ces estimations sont fragiles car elles reposent sur les montants enregistrés dans les comptes de l'Etat au titre des recouvrements de TP et des remboursements et dégrèvements qui sont parfois peu cohérents et souvent invérifiables, comme l'a montré le rapport sur les résultats et la gestion budgétaires de 2010. Sous cette réserve, le coût de la réforme peut être estimé à 7,9 Md€ en 2010 pour l'ensemble des administrations publiques. »

« 17 La méthode suivie diffère de celle retenue par le ministère chargé du budget.

18 Hors taxes associées à la taxe professionnelle et reversées à des organismes tels que les chambres de commerce et d'industrie. Les collectivités territoriales ont, de leur côté, reçu 30,2 Md€ (DOM-TOM compris) selon le rapport de l'observatoire des finances locales. Il est normal que les deux montants diffèrent car l'Etat a versé aux collectivités locales en 2009 la TP due en principe par les entreprises, mais il ne l'a pas pour autant recouvrée, du moins dès 2009. En revanche, il a collecté de la TP due au titre des années antérieures.

19 Les recettes du compte d'avances comprennent des recettes d'ordre qui sont en principe strictement égales à des dépenses d'ordre elles-mêmes incluses dans les remboursements et dégrèvements. Ce calcul repose sur le respect de cette égalité qui n'est cependant pas vérifiable en pratique (cf. rapport sur les résultats et la gestion budgétaires de 2010).

20 Cotisation minimale de taxe professionnelle (2,8 Md€), cotisation nationale de péréquation (1,0 Md€) et frais d'assiette prélevés par l'Etat (2,4 Md€).

21 Conformément à l'hypothèse générale d'une élasticité unitaire des recettes fiscales au PIB et à défaut d'une estimation fiable de l'élasticité spécifique de la TP.

22 En supposant à nouveau que les recettes et dépenses d'ordre s'équilibrent. »

Source : Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, Juin 2011, pp. 24 et 25.

Si le chiffrage du coût de la réforme pour 2010 obtenu par la Cour des comptes (7,9 milliards d'euros) reste proche de celui du ministère du budget (7,8 milliards d'euros), il a été fourni sous d'importantes réserves. Dès lors, la mission exprime son attachement :

- à ce qu'il soit procédé à un éclaircissement des écritures comptables relatives au compte d'avances aux collectivités territoriales ;

- à ce que le coût de la réforme fasse l'objet d'un traitement clair et transparent de la part du ministère du budget, et d'une validation par la Cour des comptes.

Proposition n° 11 :

Exiger du Gouvernement une évaluation claire et validée par la Cour des comptes du coût de la réforme et de ses conséquences

La prise en compte du solde d'avances concerne également les autres exercices considérés (à partir de l'année 2011), mais pour des montants moins spectaculaires. Le solde du compte d'avances a en effet été estimé à un montant de l'ordre de -130 millions d'euros pour 2011, et 450 millions pour 2012, d'après les informations fournies à votre rapporteur par le ministère du budget. Les incertitudes qui entourent ce compte d'avances n'en méritent pas moins d'être levées pour les années postérieures à 2010.


* 36 Ibid., p. 27.

* 37 Cour des comptes, Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat (exercice 2011), Mai 2012, pp. 29-30.

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