2. Des décisions récentes marquées au sceau du pragmatisme
La revue des décisions récentes montre bien que l'approche menée est désormais plus pragmatique. S'appuyant sur un bilan qui a pu dans certains cas se montrer positif, certaines externalisations ont été décidées, tandis que d'autres ont été abandonnées.
a) Une externalisation qui a pu se montrer utile dans plusieurs cas
Il faut oser le dire : les externalisations ont pu s'avérer utiles dans certains cas pour moderniser une fonction ou en diminuer le coût.
Trois exemples sont fréquemment cités :
- le renouvellement de la flotte et simulateurs pour la formation des pilotes d'hélicoptères à Dax (réduction des emplois en régie de 87%, réduction du coût annuel de 19%) ;
- la maintenance des avions de la base-école de Cognac (réduction des emplois en régie de 58%, réduction du coût annuel de 21%). D'après les chiffres communiqués en audition à vos rapporteurs, le coût de l'heure de vol serait ainsi passé de 2 728€ à 2 019 € ;
- les véhicules de la gamme commerciale (20.120 véhicules, réduction des emplois en régie de 800 ETP, soit 71%, réduction du coût annuel de 19 M€ soit 22% 42 ( * ) ) ;
Sur ce dernier exemple, certains mettent en avant, sur le terrain, le fait que le ministère s'apprêterait à prendre une option différente pour mettre en cause la décision initiale (prise avant RGPP) d'externaliser les véhicules « blancs ».
Vos rapporteurs, qui ont eu communication de l'analyse économique détaillée du projet, jugent que cet argument n'est pas recevable : l'externalisation a clairement permis de rationaliser la fonction (ne serait-ce que de compter les véhicules et d'en connaître l'utilisation !), de rajeunir le parc et de faire des économies. Si aujourd'hui le ministère peut envisager un autre mode d'organisation (l'exercice de son option d'achat, d'ailleurs prévue au contrat initial) c'est justement parce qu'il a plus de visibilité, sans doute grâce à l'étape « externalisation », sur son parc.
Certes, comme l'a fait observer la Cour des comptes dans sa communication sur « Le coût et les bénéfices attendus de l'externalisation au sein du ministère de la défense 43 ( * ) » certaines de ces économies -ayant trait notamment au rajeunissement du parc- auraient pu être réalisées dans le cadre d'une rationalisation de la régie ; toutefois la Cour a estimé que le bilan de l'externalisation restait positif par rapport à une régie rationalisée.
Bilan de l'externalisation de la gamme de véhicules commerciaux : - situation initiale : 21 269 véhicules, 80 000 km au compteur en moyenne, cout annuel 76 M€ ; - avec l'externalisation : 19 511 véhicules neufs (-8.27%), 19,1M€ d'économies (-22,5%), augmentation de la disponibilité des véhicules, réduction de 20% des rejets de Co2. |
Source : SGA, direction des Affaires financières
b) Un maintien en régie préférable dans d'autres cas
Dans les mois passés, le ministère de la défense a été amené à abandonner l'idée d'externaliser certaines fonctions.
Concernant le projet d'externalisation de la fonction Transport de surface interarmées (TSIA), les résultats de l'évaluation économique et sociale préalable ont montré que le recours à l'externalisation ne présentait pas d'avantage économique comparativement au scénario de rationalisation de la régie.
De même, à la suite des résultats de l'évaluation économique et sociale, le ministre de la défense a décidé, en décembre 2011, d'écarter l'externalisation et de retenir la régie rationalisée pour le projet d'étude relative à l'externalisation de la bureautique (ERABLE) .
Sur le plan économique, les gains globaux étaient estimés à 24% pour la régie rationalisée et à 23% pour l'externalisation. Les réductions de postes s'élevaient à 461 pour la régie rationalisée mais à une fourchette comprise entre 935 et 1113, suivant les scénarios, pour l'externalisation.
Pour ce projet d'externalisation, le maintien en régie rationnalisée a été préféré, au regard des critères d'évaluation du ministère, et notamment de celui de la « sensibilité ressources humaines ».
Il faut dire que le scénario de rationalisation comporte de nombreux changements d'organisation, avec un recours accru à la sous-traitance pour la livraison et l'installation des postes et surtout une « optimisation » du soutien à l'usager avec une forte augmentation de la proportion d'incidents résolus à distance (70%), à partir de centres nationaux.
c) Une expérience scrutée à la loupe : la fourniture « multi services » en base de défense
Le marché "multiservices "de la base de défense de Creil a été notifié le 26 août 2011, pour un montant annuel d'environ 7 millions d'euros. Les principales fonctions couvertes sont : la restauration, le nettoyage des locaux les espaces verts, la fonction transports, la conciergerie, la déchetterie...
Ce projet expérimental vise à déterminer si le regroupement de différentes prestations offertes par la base de défense sous la responsabilité d'un prestataire unique permet de dégager des économies significatives.
Un retour d'expérience intégrant un premier bilan économique est prévu à l'issue des douze premiers mois d'exécution. Même s'ils manquent encore de recul pour en juger définitivement, dans la mesure où l'appréciation est portée sur des prestations qui ont débuté en octobre 2011, vos rapporteurs ont néanmoins cherché à savoir si cette expérimentation produisait les effets attendus.
Pour ce faire ils ont interrogé le service central du commissariat des armées et les personnes en charge de l'externalisation au ministère de la défense, qui ont dressé quelques pistes.
(1) La difficulté à établir un premier bilan économique44 ( * )
Pour ce marché qui a souffert de certains aléas avant sa mise en place, les gains espérés sont de 16 % par rapport à la régie optimisée .
La base d'évaluation des gains est la suivante : - coût complet des prestations opérées par la base de défense sur le périmètre = 10,0 M€/an, soit 30.0 M€ sur 3 ans ; - coût estimé pour le prestataire (déduction des repas hors service facturés au forfait) = 8,0 M€ sur la 1ère année + 14.7 M€ sur les 2 années suivantes, auquel il faut rajouter le coût de la cellule pilotage du contrat, estimée à 0.63 M€ sur 3 ans, pour un total général de 23.3 M€. Il en résulte un gain apparent d'environ 22 % ; - en enlevant les gains qui auraient été obtenus en régie rationnalisée (l'effectif du mess est passé de 95 à 55 personnels entre l'évaluation initiale et la mise en oeuvre du contrat), le coût de la régie optimisée se situerait dans ce cas à environ 27,8 M€ sur 3 ans, à comparer aux 23.3 M€ de l'externalisation, soit un gain d'environ 16 %. |
Cette estimation reste bien sûr à consolider au regard des premières factures, des éventuels changements de périmètres ou encore du mode de régie qui pourrait être défini comme optimal.
Il est très difficile d'établir une évaluation économique fiable et significative, pour l'instant dans la mesure où le marché a débuté par une longue phase de transition . Les prestations ont en effet été prises en charge au fur et à mesure de l'extinction des marchés en cours. De plus, les premières factures ne seraient pas encore totalement établies , preuve de la difficulté à quantifier précisément les prestations en particulier les prestations hors forfait.
Sur les 157 personnels (110 militaires et 47 civils) en charge de l'exécution de ces fonctions en régie, 23 seulement ont opté pour la MALD (15% des effectifs), dont 3 ont in fine rejoint l'institution militaire. A noter que 4 « maldés » en fin de contrat dans les armées ont intégré la société. Il reste ainsi 16 militaires sous statut MALD.
(2) Une mise en place et un fonctionnement assez lourds
Le contrat, qui a pour diverses raisons mis du temps à être mis en place, est suivi par une cellule de pilotage de quatre personnes. Il s'avère pour l'instant relativement lourd à gérer :
- des clauses du contrat nécessitent des « efforts d'interprétation ». Par exemple, la maintenance des équipements du mess est assurée par le prestataire et facturée au coup par coup à la base de défense, dès lors que le coût unitaire de l'opération dépasse 100 € HT. De fait, tous les devis proposés par le prestataire sont supérieurs à 100 € HT. Au-delà des difficultés liées au paramétrage des devis (la main d'oeuvre est-elle comprise dans le prix, s'agit-il d'un prix unitaire ou est-il applicable à un ensemble de pièces de même famille ?), la procédure s'avère lourde car nécessitant sans cesse des allers et retours entre le prestataire et la base pour l'examen de devis, retardant de fait les réparations des matériels. C'est pourquoi il a été demandé au prestataire, en accord avec la plate forme achat finances, de reprendre l'intégralité de la prestation de maintenance des équipements, sans cette clause des 100 €, quitte à revoir sa proposition de prix ;
- la facturation est plus complexe qu'imaginée au départ (un seul prestataire pouvant donner lieu à une seule facture trimestrielle). En fait, le prestataire est composé de 2 groupements ayant chacun son organisation et sa propre chaîne de fonctionnement, qui émet chacun une facture. A cela s'ajoute l'ensemble des sous-traitants, qui doivent être payés mensuellement à partir du moment où le montant dû est supérieur à 600 €. En outre, les factures hors forfait doivent prendre en compte les imputations différentes liées à la diversité des demandeurs, nécessitant donc encore autant de factures différentes ;
- la segmentation des systèmes d'information qui résulte de l'utilisation d'une application « propriétaire » du titulaire du marché, qui vient s'ajouter à Sillage .
(3) Un maintien de qualité du service rendu mais des rigidités nouvelles
Les prestations sont jugées globalement satisfaisantes. Cependant, la base de défense constate une perte de souplesse par rapport au mode de fonctionnement en régie. A titre d'exemple, la restauration et la livraison hors créneaux des plateaux repas dans les unités opérationnelles a posé un problème. Un manque de réactivité lié notamment aux contraintes horaires a obligé la base de défense à trouver des solutions locales au profit des unités opérationnelles.
(4) Un impact plus fort en temps de « pénurie » budgétaire
Les dépenses de ce marché étant imputées sur le budget de la base de défense de Creil, la consommation des crédits de paiement alloués à la base de défense peut servir indistinctement à la couverture des factures du marché externalisé et à celles de la base dans sa globalité. Or, dans un contexte d'insuffisance de ressources (cf. ci-dessous) la contractualisation des besoins par ce marché pourrait alors impacter directement la gestion budgétaire courante de la base de défense.
De fait, la « sanctuarisation » des dépenses externalisées « rigidifient » encore un peu plus le budget des bases de défense.
(5) Un effet d'éviction des PME ?
Le risque d'éviction des PME est réel, compte tenu du large spectre de prestations incluses dans le contrat « multiservices », même si certaines peuvent se retrouver en sous-traitants de groupements candidats.
Au total, on peut se demander si l'économie réalisée (une centaine de postes et 16% d'économies sur une dépense annuelle de l'ordre de 7 millions d'euros) justifie vraiment les lourdeurs (mise en route de l'expérimentation, pilotage des relations contractuelles...) qui sont apparues.
Tirer un bilan économique complet serait prématuré ; vos rapporteurs doutent toutefois que cette expérimentation conduise à une véritable généralisation de ce type d'expériences.
* 42 Source : SGA
* 43 Communication à la commission des Finances de l'Assemblée nationale
* 44 Source : entretien avec le service central du commissariat