III. UN « ARSENAL LÉGISLATIF » FRANÇAIS DÉSARMORCÉ
En complément des élans donnés aux plans international et européen à la lutte contre l'évasion fiscale, la France a entrepris pour sa part des efforts juridiques dont les fruits restent incertains tant sont nombreux les obstacles persistants à une action efficace : manque de moyens, insuffisance des recouvrements et de la répression, inaboutissement de la politique conventionnelle et, plus généralement, incitation systémique à l'évasion fiscale.
On relèvera que plane sur la France comme sur d'autres l'insuffisante coordination internationale de la politique de lutte contre l'évasion fiscale et, sans doute, une culture peu propice à une action pleinement déterminée.
A. DES EFFORTS INDÉNIABLES EN TERMES JURIDIQUES
Sans revenir sur le rôle qu'a joué la France dans la mobilisation internationale croissante contre l'évasion fiscale et sur les conventions fiscales qu'elle a récemment conclues avec de nombreux États, il est indéniable que, ces dernières années, la France s'est dotée, en interne, d'instruments variés de prévention ou de répression de la fraude et de l'évasion fiscale.
1. La traduction juridique interne des engagements internationaux : des mesures de rétorsion frappant les États et territoires non coopératifs
En premier lieu, la France a traduit dans son ordre juridique interne les engagements pris dans les enceintes multilatérales . Dans le cadre des lois de finances rectificatives pour 2009 et 2010, la France a non seulement défini la notion d'État et territoire non coopératif (ETNC) 421 ( * ) mais aussi durci les dispositions fiscales applicables, d'une part, aux résidents français qui réalisent des transactions avec des ETNC et, d'autre part, aux résidents de ces pays qui bénéficient de flux financiers provenant de France.
a) Le renforcement des dispositifs de lutte contre la fraude et l'évasion vers les « paradis fiscaux »
(1) Le dispositif anti-évasion des entreprises de l'article 209 B du CGI
Le dispositif anti-abus prévu pour les entreprises à l'article 209 B du CGI est durci. Cet article tend à dissuader les sociétés françaises de localiser leurs bénéfices dans des États à fiscalité privilégiée. Ainsi, il permet d'imposer les entreprises établies en France 422 ( * ) sur les bénéfices réalisés par leurs filiales et succursales lorsque ceux-ci sont soumis à un régime fiscal privilégié 423 ( * ) à l'étranger.
Une clause de sauvegarde conduit toutefois à exonérer de cette imposition les entreprises implantées dans l'Union européenne ainsi que celles qui, bien qu'établies hors de l'Union, tirent leurs bénéfices d'activités industrielles et commerciales. Dans ce dernier cas, ces revenus bénéficiaient jusqu'en 2009 d'une présomption de non applicabilité du dispositif anti-abus , sous réserve du non franchissement de certains seuils 424 ( * ) .
Cependant, depuis le 1 er janvier 2010 425 ( * ) , le dispositif dissuasif d'implantation à l'étranger est renforcé à l'égard des entreprises dont les revenus sont réalisés par l'intermédiaire d'une filiale située dans un des ETNC.
En effet, la loi opère un renversement de la preuve conditionnant le bénéfice de la clause de sauvegarde. Les entreprises désirant échapper à l'imposition doivent démontrer, d'une part, qu'elles exercent une activité industrielle et commerciale, et, d'autre part, qu'elles n'ont pas franchi les seuils prescrits.
Toutefois, une entreprise peut invoquer le bénéfice de la clause de sauvegarde générale si elle justifie, non seulement de la nature de son activité et du non dépassement des seuils de revenus financiers et intra groupe, mais également de l'absence d'abus. En d'autres termes, elle doit prouver que les opérations ou l'entité qu'elle contrôle n'ont pas pour principal objet ou effet de permettre la localisation de ses bénéfices dans un territoire à un régime fiscal privilégié.
* 421 Liste comprenant les Etats ou territoires non membres de la Communauté européenne figurant sur la liste grise de l'OCDE et n'ayant pas conclu avec la France de convention permettant l'échange de renseignements conforme au standard de l'OCDE.
* 422 Le dispositif est applicable aux entreprises passibles de l'impôt sur les sociétés qui exploitent une entreprise hors de France ou détiennent de manière directe ou indirecte une filiale à plus de 50 %.
* 423 Au sens de l'article 238 A du CGI qui définit un régime fiscal privilégié comme étant un dispositif qui soumet les personnes à une imposition des bénéfices ou des revenus d'au moins 50 % inférieure à ce qu'elle aurait été en France.
* 424 La présomption de non applicabilité du dispositif anti-abus en vertu de la clause de sauvegarde ne s'applique pas si l'un des deux seuils est franchi :
- un seuil de « revenus passifs » si les bénéfices de l'entité étrangère proviennent pour plus de 20 % de la gestion de titres ou actifs analogues pour son propre compte ou pour celui d'entreprises appartenant à un groupe avec lequel la personne morale établie en France entretient des relations de contrôle ou de dépendance ;
- un seuil de « prestations intra-groupe » si ces bénéfices proviennent pour plus de la moitié, des opérations ci-dessus et de la fourniture de prestations de services internes, y compris financiers, à un groupe d'entreprises avec lequel la personne morale établie en France entretient des relations de contrôle ou de dépendance.
La présomption était toutefois restaurée si l'entreprise, établie en France, démontrait l'absence d'abus, c'est-à dire que les opérations de l'entité étrangère avaient un objet principal autre que celui de la localisation des bénéfices dans un Etat à fiscalité privilégiée.
* 425 Cf. article 22 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 codifié au III bis de l'article 209 B du CGI.