(3) La pertinence du « domaine fiscal réservé » à l'administration et du filtrage des plaintes pénales

Les plaintes pénales sont présentées comme un outil essentiel de la lutte contre la fraude fiscale. Le délit de fraude fiscale intentionnelle, prévu à l'article 1741 du code général des impôts 453 ( * ) , est puni de peines pouvant atteindre sept ans d'emprisonnement et d'amendes pouvant atteindre un million d'euros. La justice ne pouvant pas se saisir elle-même de fraude fiscale, la Commission des infractions fiscales (CIF) est, comme on l'a déjà mentionné, un passage obligé pour une plainte pénale.

La problématique de la réduction des cloisonnements a conduit la commission d'enquête à analyser de façon précise le rôle de cet organisme de filtrage des plaintes.

La Commission des infractions fiscales a été créée par la loi du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière, à la même époque et dans le même esprit que la Charte du contribuable vérifié. M. Jean-François de Vulpillières, conseiller d'État honoraire, président de la Commission des infractions fiscales, a rappelé l'idée qui a motivé sa création : « éviter l'acharnement fiscal sur certains contribuables » en tenant compte de la forte pression à laquelle sont parfois soumis les fonctionnaires de l'administration fiscale pour maximiser les sanctions.

La singularité de la procédure est que la commission ne donne pas un avis mais une autorisation à l'administration : à défaut, le ministre ne peut pas saisir la justice d'une plainte fiscale. Cette commission est constituée de conseillers d'État et de conseillers maîtres à la Cour des comptes et les fonctions qui y sont occupées sont quasi bénévoles. Ce n'est pas une juridiction soumise au principe du procès équitable prévu par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales mais une commission administrative .

La CIF traite mille affaires par an , qui concernent majoritairement l'économie souterraine et donne une autorisation de poursuite dans 90 % des cas. Pour expliquer les raisons qui la conduisent à refuser la transmission au juge de 10 % des dossiers présentés par l'administration, M. Jean-François de Vulpillières a d'abord souligné que l'administration supporte la charge de la preuve du caractère intentionnel de la fraude fiscale. La commission vérifie donc que le contribuable a été clairement averti qu'il était en infraction : elle se montre particulièrement sévère pour les membres de certaines professions par nature bien informées de leurs obligations fiscales. Il a enfin signalé que la CIF pouvait prendre en considération certaines excuses de façon plus large que la jurisprudence de la Cour de cassation.

Selon son Président, la CIF anticipe une nette augmentation du volume des affaires d'évasion fiscale qui lui seront soumises en raison de la montée en puissance de l'application de la réforme du dispositif de signalement intervenue en 2009 qui vise désormais les faits potentiellement constitutifs de fraude fiscale.

Le contribuable est en principe avisé que son dossier est soumis à la Commission des infractions fiscales et dispose de trente jours pour faire valoir ses observations, mais il n'est pas entendu. Cependant, dans les cas mettant en cause des opérations conduites dans des pays à fiscalité privilégiée et comportant un risque de dépérissement des preuves, l'organisation de la CIF a été réformée, conformément à l'article 228 du livre des procédures fiscales. Pour pouvoir statuer en urgence, la commission examine alors l'affaire sans que le contribuable soit avisé de la saisine, ni informé de son avis.

La commission d'enquête a été interpelée par le rôle de la CIF. Mais, son attachement au respect des garanties accordées au contribuable ainsi que l'examen des pratiques de la commission ne la conduisent pas à juger négativement le rôle de « filtrage » de la CIF. Celui-ci incidemment apporte de la transparence sur les pratiques de poursuite du ministre du budget. D'ailleurs, il ne fait pas obstacle, compte tenu de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, à ce que la fraude fiscale puisse être appréhendée au niveau judiciaire à travers le blanchiment dont elle a fait l'objet, voie concurrente qui n'est pas sans poser quelques problèmes de cohérence.

Peut-être devrait-on également stabiliser le dispositif du côté de la portée des décisions de la commission (le ministre est-il lié en cas d'avis favorable ?) même si, en pratique, les avis de la CIF sont suivis par le ministre quand ils sont favorables. Resterait à envisager une possibilité de passer outre un avis défavorable dans le respect des intentions poursuivies par la procédure sous revue.


* 453 Code général des Impôts- Art. 1741.- Sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification, quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manoeuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 500 000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans . Lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen soit d'achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne se rapportant pas à des opérations réelles, ou qu'ils ont eu pour objet d'obtenir de l'Etat des remboursements injustifiés, leur auteur est passible d'une amende de 750 000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans . Lorsque les faits mentionnés à la première phrase ont été réalisés ou facilités au moyen soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un Etat ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France, depuis au moins cinq ans au moment des faits, une convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale française, soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis dans l'un de ces Etats ou territoires, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 1 000 000 d'euros d'amende .

Toutefois, cette disposition n'est applicable, en cas de dissimulation, que si celle-ci excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros.

Toute personne condamnée en application des dispositions du présent article peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal.

La juridiction peut, en outre, ordonner l'affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du code pénal.

Les poursuites sont engagées dans les conditions prévues aux articles L. 229 à L. 231 du livre des procédures fiscales.

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