(4) Les réticences des professionnels à « dénoncer » leurs clients

Selon le président du Conseil d'Orientation de la Lutte contre le Blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB), du côté des banquiers et des assureurs - qui représentent près de 90 % des déclarations de soupçon auprès de Tracfin - « la coopération au dispositif de signalement est aujourd'hui entrée dans les moeurs et les opérations sont contrôlées d'assez près par l'ACP ».

La commission n'a pas eu le temps d'apprécier cette déclaration qui se recommande essentiellement du nombre, il est vrai en expansion, des signalements effectués. Mais, en soi cette donnée n'a pas de signification absolue, comme le montrent les observations formulées dans le cadre de son examen des systèmes de conformité des banques situées en France dans leur activité de gestion privée par l'ACP qui a pu critiquer des banques, pourtant fournisseuses de nombreuses déclarations 454 ( * ) .

Elle observe que, malgré un renforcement du cadre juridique d'exercice de la profession, qui a notamment vu le jour du Haut conseil du commissariat aux comptes, les commissaires aux comptes qui n'ont pas de démarche active dans le domaine de la fraude fiscale, ont un devoir de vigilance qui s'applique aux questions fiscales, mais, même encadré par une norme d'exercice professionnelle (une NEP),a été décrit comme obéissant à une obligation de moyen, débouchant sur des découvertes quelque peu aléatoires. Au demeurant, peu de révélations sont faites- 0,4% des mandats y donnent lieu-, et la pratique semble encore moins courante pour les faits de blanchiment puisque, selon les indications fournies à votre commission, seules 46 déclarations auraient été adressées en 2010 (une partie des révélations de faits délictueux pourrait inclure des soupçons de blanchiment). Il faut toutefois observer que, sur ce point, la France se singularise par la mention expresse d'une obligation de dévoilement que nos partenaires ne prévoient généralement pas, point qui devrait faire l'objet d'une harmonisation internationale, sauf à renforcer le sentiment d'une lutte contre l'évasion fiscale à géométrie variable . Enfin, un problème récurrent de conflit d'intérêts existe du fait de la nature de la relation commerciale entre les commissaires et les entreprises contrôlées par eux.

En revanche, les professions du droit restent très habituées à respecter scrupuleusement le secret professionnel. La difficulté est d'autant plus grande que les vérifications d'effectivité de la lutte contre le blanchiment, sont généralement assurées par les organisations régionales de contrôle de ces professions composées de pairs de la même région. « Nous nous posons donc la question suivante : comment parvenir à substituer à ce système un contrôle exercé au niveau national ou par une autre région? ».

Les notaires ont transmis plus de 1 000 déclarations de soupçon l'an dernier. Toutefois, des divergences subsistent dans le domaine du signalement de la fraude fiscale, les notaires estimant qu'ils doivent principalement signaler les opérations de blanchiment lorsqu'un mouvement de capitaux est clairement identifié. « Or il peut y avoir fraude sans mouvements de capitaux ! »

La principale difficulté réside cependant dans les relations avec les avocats qui n'ont transmis de déclarations de soupçon produites qu'au nombre de deux en 2009, zéro en 2010 et une en 2011. M. Philippe Jurgensen a attribué ce résultat à « un blocage psychologique: la profession, qui est habituée à défendre tout le monde (...) considère que l'on veut la pousser à la délation, ce qui lui est insupportable. ». Faisant observer que si on ne dénonce jamais le blanchiment, on peut soi-même être accusé d'avoir été complice d'une opération de blanchiment, il a regretté que les déclarations de soupçon ne soient pas transmises directement par les avocats mais par l'intermédiaire de leur bâtonnier. Il a également déploré que le barreau de Paris, qui représente la moitié de la profession, ne siège pas au COLB avant de mentionner des signes de progrès comme la publication de guides professionnels ou des stages de formation sur la lutte contre le blanchiment.

A l'occasion de l'audition des avocats fiscalistes réalisée par votre commission, ce sentiment a pu être partagé en direct par elle.


* 454 Au demeurant, l'ACP relève que le « nombre de déclarations de soupçon de fraude fiscale réalisées par les établissements faisant partie de la population d'étude était faible ».

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