(2) Le ciblage des risques et des contribuables

La question du ciblage des contrôles fiscaux a été présentée de façon très concrète par les représentants du syndicat SNUI-SUD Trésor Solidaires. Ils ont, en effet, exprimé leurs réserves à l'égard des orientations de la DGFIP sur le contrôle fiscal en estimant que ce dernier n'est ni suffisamment orienté vers certaines catégories de contribuables, ni vers la fraude fiscale internationale. En revanche, depuis de nombreuses années, la principale source de redressement fiscal en France porte sur la TVA déduite par anticipation, relativement facile à sanctionner mais qui se traduit par un simple décalage de trésorerie. Cette remarque rejoint le diagnostic effectué par la Cour des comptes dans son rapport public pour 2012 qui constate que la priorité donnée aux résultats budgétaires et à la répression de la fraude conduit à orienter le contrôle vers les erreurs et les fraudes les plus faciles à détecter et à sanctionner .

Jugée sur des indicateurs de performance budgétaire « à courte vue » l'administration n'est-elle pas tentée de sous-dimensionner le contrôle de l'évasion fiscale internationale particulièrement difficile à combattre ? Telle est l'interrogation que soulève très directement ce constat .

S'agissant des comparaisons internationales, et comme le souligne l'OCDE, depuis vingt à trente ans, une tendance nette se dégage dans l'évolution de l'organisation des administrations fiscales. Sur la longue période, elles sont passées d'une organisation par « type d'impôt » à une organisation plus fonctionnelle. Plus récemment, la tendance a été d'organiser les activités par « segment de contribuables ».

Les trois modèles d'organisation des administrations fiscales

1) Le premier modèle adopté par les administrations fiscales était principalement fondé sur le critère de la nature de l'impôt avec des unités dans une large mesure, autonomes et indépendantes les unes par rapport aux autres. Bien que ce modèle ait rempli son office, il présentait un certain nombre d'inconvénients :

- étant donné la duplication des fonctions qui lui était inhérente, il était inefficient et extrêmement coûteux ; (...)

- il était source de complications, à la fois pour les autorités fiscales et pour les contribuables, les activités liées à la discipline fiscale devant être gérées et coordonnées entre les différents impôts ;

- la séparation augmentait le risque de traiter les contribuables de manière inégale et incohérente ;

- cette organisation empêchait toute souplesse dans l'utilisation du personnel, dont les compétences étaient essentiellement cantonnées à un impôt en particulier ;

- enfin, cette approche de l'organisation des activités fiscales entraînait une fragmentation inutile du système fiscal, compliquant ainsi la planification et la coordination.

2) Face à ces dysfonctionnements, de nombreuses autorités fiscales ont décidé de se restructurer, et ont considéré qu'un modèle reposant largement sur des « critères fonctionnels » contribuerait à améliorer sensiblement les performances opérationnelles globales. Selon ce modèle, le personnel est réparti principalement en unités fonctionnelles (par exemple enregistrement, comptabilité, traitement de l'information, contrôle, recouvrement, recours, etc....) et traite généralement tous les types d'impôt. Cette approche de l'organisation des activités fiscales permet une plus grande normalisation des processus opérationnels entre les différents impôts et, par conséquent, simplifie l'informatisation et les formalités demandées aux contribuables, et, plus globalement, permet d'améliorer l'efficience opérationnelle.

Comparativement à l'organisation par « type d'impôt », le modèle fonctionnel a paru présenter de nombreux avantages et son adoption a conduit à de nombreuses initiatives visant à améliorer l'administration de l'impôt (par exemple mise en place de guichets uniques pour les demandes de renseignements, unification de l'enregistrement des contribuables, méthodes communes de paiement et de comptabilisation, gestion plus efficace des fonctions de contrôle fiscal et de recouvrement de dettes).

3) Toutefois, certaines administrations fiscales ont estimé que ce modèle n'était pas totalement adapté à la mise en oeuvre d'activités visant à améliorer la discipline fiscale de différents segments de contribuables , ces segments présentant des différences en termes de caractéristiques, de comportement et d'attitude vis-à-vis de la discipline fiscale.

Plus récemment, une nouvelle voie a été suivie par un petit nombre de pays développés (les États-Unis par exemple) ; elle consiste à organiser l'essentiel des fonctions de service et d'application du droit fiscal en fonction de différents segments de contribuables (les grandes entreprises, les PME, les particuliers, etc.). Cette organisation est sous-tendue par l'idée que chaque catégorie de contribuables a des caractéristiques et des comportements différents vis-à-vis de la discipline fiscale, et, par conséquent, présente des risques différents pour les services fiscaux .

Source :  l'administration fiscale dans les pays de l'OCDE et dans certains pays hors OCDE: série  « Informations comparatives » - OCDE - Janvier 2009

Selon l'OCDE, les « gros contribuables » constituent une catégorie de contribuables très différente des autres et présentent certains risques importants d'évasion fiscale :

- un petit nombre de gros contribuables occupent, à eux seuls, une place très importante dans le recouvrement, le paiement et la retenue à la source des impôts ;

- la complexité de leurs activités et de leurs dossiers résulte de la multiplicité de leurs entités ou de leurs activités, de la réalisation d'un volume de transactions élevé, de l'internationalisation de leurs activités, impliquant souvent des opérations transfrontalières avec des parties liées et de leur fréquent recours à des mécanismes de financement et d'optimisation fiscale complexes.

Du point de vue des autorités fiscales, des risques d'indiscipline fiscale importants résultent également des contribuables qui remplissent un rôle d'intermédiaire opérant la retenue à la source de l'impôt sur le revenu de leurs salariés, sur certains règlements transfrontaliers, tels que dividendes, royalties et intérêts ou qui sont chargés du paiement des cotisations sociales et de la TVA.

Compte tenu de ces considérations, bon nombre d'autorités fiscales ont créé des unités pour les gros contribuables, auxquelles est affecté un personnel hautement qualifié et spécialisé, pour traiter la totalité ou la plupart des aspects des dossiers fiscaux de cette catégorie de contribuables.

Un certain nombre d'efforts de réflexion et de réorganisation ont été consentis dans ce sens, pour mieux cibler les contrôles des contribuables à fort enjeu ( cf. infra C. 1. la partie consacrée à l'analyse de la performance des directions nationales). La DNEF a ainsi modifié le portefeuille de tâches allouées à ses brigades dont certaines activités antérieures « étaient calées sur des risques de fraude qui n'étaient pas très bien ciblés. ».

En ce qui concerne les entreprises, il pourrait être intéressant de recourir systématiquement à une évaluation du risque de non-conformité fiscale dès lors que la transparence des entités serait plus aboutie, à l'instar des pratiques britanniques.

En ce qui concerne la programmation des contrôles, le directeur de la DNEF a apporté les précisions suivantes : « je reçois des orientations en matière de qualité ou d'enjeux. On me demande de diriger mon travail vers des enjeux importants, de ne pas galvauder la procédure, de ne pas causer de tracasseries administratives pour des enjeux mineurs. On me demande également de diriger les BNI sur certains secteurs, comme la fraude internationale, entre autres. Mais, ensuite, les actions relèvent de notre pleine responsabilité. ».

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