B. PÉRIODE MODERNE ET CONTEMPORAINE : RATIONALISME ET VOLONTARISME D'ÉTAT

1. Connaître les crues pour les mieux maîtriser

Avec la Renaissance, la redécouverte d'autres Grecs qu'Aristote, Platon, Démocrite et, surtout Archimède 33 ( * ) , inaugure ce qui sera la « mutation décisive » (Alexandre Koyré), la grande transformation des cadres de l'intelligence, que représentera la physique et la cosmologie de Galilée.

L'un des aspects essentiels de cette révolution mentale c'est la rupture avec l'univers hiérarchisé d'Aristote pour lequel le nombre (le langage mathématique), qui permet de comprendre le cosmos au-dessus de la lune, ne s'applique pas exactement au monde « sublunaire », celui de la génération et de la corruption, au monde changeant et périssable des vivants. Se réappropriant l'intuition d'Archimède pour lequel les mathématiques sont un langage universel permettant de connaître l'ensemble du monde physique réunifié, Galilée et ses successeurs inaugurent une ère nouvelle, celle de la pensée rationnelle et de l'action.

Il s'agit désormais de mieux connaître le phénomène des crues, pour les prévenir et s'en protéger et, en 1637, Descartes peut écrire  : « Au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » (Discours de la méthode VI ème Partie)

Le progrès des sciences et de la Raison transforme progressivement les mentalités. Comme l'expliquent Mme Valérie November, M. Pascal Viot et Mme Marion Penelas 34 ( * ) : « en son temps, le grand tremblement de terre de Lisbonne en 1755 a marqué le passage d'une interprétation divine ou surnaturelle des catastrophes à une explication rationnelle des phénomènes en jeu. Cet événement est considéré comme la source des politiques de prévention des risques, constitués comme objet de connaissance, ouvrant la voie à une ère orientée vers l'horizon du risque zéro où les progrès techniques et scientifiques guideraient l'humanité vers un mieux. »

Ainsi, dans la région cévenole, les inondations commencent à être répertoriées plus systématiquement à compter du XVII ème siècle . Ce qui ne signifie pas que tous les esprits évoluent à la même vitesse. Longtemps, le phénomène des crues demeure largement inexpliqué et sa régularité source de questionnement, notamment dans les régions les plus reculées. Ainsi, Viguier, en 1823, observe-t-il : « Je ne dois pas oublier de dire qu'on s'attendait, en l'année 1822, à un débordement extraordinaire. On ne cherchait pas les causes des événements dans les probabilités physiques, il fallait du merveilleux ; on croyait l'avoir trouvé dans le nombre 27. L'observation populaire, qui ne tient pas compte de tout, s'était aperçue que la période de 27 ans avait amené de fortes inondations. On voulait que l'année 1822, qui terminait cette période, fut marquée par les événements de 1741, 1768 et 1795. » 35 ( * )

Progressivement donc, l'homme moderne, soucieux de se prémunir des caprices de la nature, à défaut de pouvoir absolument les maîtriser, apprend à innover, cherche des solutions, construit des barrages, des levées, des canaux, afin de se protéger et de protéger ses activités agricoles et industrielles .

La mise en place de systèmes de digues toujours plus perfectionnés y contribue également, même si quelques douloureux et très meurtriers épisodes au cours des siècles viennent rappeler que la protection peut toujours être insuffisante. Si ceci est accepté, cela conduit aussi à la recherche d'une plus grande efficacité, à une plus grande maîtrise des phénomènes et de leurs conséquences.


* 33 « On pourrait résumer le travail scientifique du XVI ème siècle dans la réception et la compréhension d'Archimède. » (Alexandre Koyré, Etudes galiléennes).

* 34 Valérie November, Pascal Viot et Marion Pénélas « Questionner la relation risques-territoire » in Habiter les territoires à risques - Presses polytechniques et universitaires romandes - 2011.

* 35 Cité dans Recherches historiques sur le Gardon d'Anduze - Jean-Louis Ponce - Septembre 2008.

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