2. Des retours d'expériences aux effets limités.

Besoin d'oublier pour vivre et biais méthodologiques font qu'il est peu tiré partie de la richesse des retours d'expériences d'après-crise.

La lecture en continu des retours d'expériences, des rapports d'inspection, des missions d'information, qui suivent les catastrophes, réserve une surprise de taille : le caractère répétitif des diagnostics et des préconisations. N'étaient les différences de lieux ou d'époque, on a l'impression de lire le même rapport. À croire que ces exercices n'ont d'autre fonction que de clore un épisode douloureux, que leur lecture n'absorbe que quelques acteurs, avant d'être archivés et au mieux cités dans le prochain rapport, repris dans une note en bas de page d'un universitaire ou d'un journaliste d'investigation...

Quant aux recommandations, on peine à les reconnaître au terme des processus législatifs ou réglementaires, quand la catastrophe est assez médiatique pour les susciter. L'absence de moyens financiers, d'autres urgences aidant, le temps les recouvre, jusqu'à la prochaine émotion collective.

Quelques exemples parmi d'autres :

5 avril 1989, le Conseil général des ponts et chaussées établit un rapport concernant les enseignements à tirer de la catastrophe de Nîmes (Gard) : manière de réduire l'exposition aux inondations par orage ou ruissellement de certaines agglomérations en fonction de leur configuration propre.

On peut lire p. 50 « la catastrophe de Nîmes est assurément la résultante d'un concours de circonstances aérologiques, hydrologiques, hydrauliques et géographiques. (...) Si le concours de circonstances paraît exceptionnel, il peut se reproduire en tout ou en partie dans d'autres villes et il convient donc d'examiner si certaines d'entre elles ne sont pas particulièrement menacées. » Le rapport effectue alors une cartographie des zones météo sensibles sujettes à des précipitations intenses (plus de 100 mm en une heure), concentrées sur une surface de quelques dizaines de kilomètres carrés. Il conclut : « on sait que cela concerne essentiellement les départements littoraux. » Il cite le Var, puis effectue un examen rapide des villes susceptibles d'être menacées au nombre desquelles dans le Vaucluse, Vaison-la-Romaine (p. 54), qui subira une inondation tragique en 1992, et dans le Var, Toulon, « Bandol, Sanary, Hyères, Saint-Tropez, Sainte-Maxime, Saint-Raphaël, Cavalaire (avec un caractère assez aigu) et peut-être Draguignan » (p. 56). Les auteurs formulent ainsi leurs recommandations : « dans la mesure où les enseignements de la catastrophe de Nîmes conduiraient à des décisions gouvernementales applicables à l'ensemble du territoire, il serait opportun de focaliser l'attention des pouvoirs publics locaux sur les régions les plus menacées. Dans ces régions, des recommandations pourraient être adressées très rapidement à certaines villes pour tenir compte des suggestions proposées au présent rapport (mise en oeuvre d'une gestion adaptée des services publics, organisation de l'alerte, précautions pour l'urbanisation). (...) Nous proposons donc que MM. les Préfets des 9 ou éventuellement des 15 départements concernés (...), soient invités à faire procéder par les services locaux à un relevé des villes dont la situation géographique répond aux conditions ci-dessus (...) » .

Une partie des observations faites plus haut sur les inondations de la Dracénie en juin 2010 avaient déjà été faites à l'occasion de sinistres dans divers départements de l'arc méditerranéen.

Ainsi pouvait-on lire dans le retour d'expériences des crues de septembre 2002 dans les départements du Gard, de l'Hérault, du Vaucluse, des Bouches-du-Rhône, de l'Ardèche et de la Drôme, sous le timbre des plusieurs corps d'inspection, le 27 avril 2003 : « Le florilège des aggravations de la vulnérabilité constitué lors des retours d'expériences des précédentes inondations s'est considérablement enrichi avec cette mission en qualité et en quantité : (...), il faut citer (p. 30) au titre des établissements sensibles situés en zone inondable : les brigades de gendarmerie (à Sommières avec 2 m d'eau, Goudargues, etc. Il en existe au moins 6) et aussi des locaux de police dont les sous-sols de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Gard ; les casernes de sapeurs-pompiers. Il en existe au moins 2, celle d'Aramon et de Sommières » . Ces facteurs d'aggravation de la vulnérabilité que constitue la localisation des centres de secours en zones inondables comme « paramètre aggravant de l'intervention » et la « rupture ou la saturation des réseaux de communication filaires ou hertziens, pour une durée variable, impactant la diffusion d'information entre acteurs et leur coordination (tempêtes 1999, AZF 2001, inondations 2002...) » sont pourtant bien connus des spécialistes de la gestion de crise 145 ( * ) .

Instructif aussi le rapport de la Cour des comptes publié en 2009 : « L'État face à la gestion des risques naturels : feux de forêt et inondation », on y relève les mêmes constats sur : « les textes destinés à la prévention des risques devraient être appliqués avec plus de détermination notamment pour l'élaboration de plans d'exposition aux risques, et de plans d'occupation des sols convenables » (sud de la France 2002), « le trop lent établissement des PPRN », sur l'articulation entre PPRN et documents d'urbanisme, sur les défaillances du contrôle en matière d'autorisation de construire dans les zones à risques. Ce même rapport préconise de « remédier au caractère incomplet et tardif de l'exploitation des retours d'expériences à la suite d'événements exceptionnels et de s'assurer de l'application des mesures préconisées dans les « rapports de retours d'expériences ». »

Comment faire qu'il en aille autrement ? S'en remettre à la seule volonté à éclipses des administrations est illusoire. Les rapports ne circulent que par la voie hiérarchique et pas d'un département à l'autre, les connaissances sont insuffisamment partagées. La mise en place d'un organe de suivi se heurtera, lui aussi, à l'argument du manque de moyens et à la tyrannie de l'urgence, ce qu'il déplorera rituellement dans son rapport annuel...

Constatons donc qu'en matière de prévention de l'inondation, l'action publique n'est active que provoquée par l'événement. On l'a constaté avec le Var : des améliorations importantes ont été apportées au dispositif après juin 2010, sans compter les actions des particuliers et des entreprises pour réduire leur vulnérabilité. Améliorations qui, en matière d'urbanisme et d'assurance, peuvent être ressenties comme une nouvelle pénalisation par les sinistrés qui, déjà atteints par l'inondation, se trouvent sanctionnés par l'application d'une franchise majorée, par la privation d'un droit à construire, par la perte de valeur de leur bien situé dans la zone rouge du PPRI.

Il apparaît donc nécessaire de revoir les procédures de retours d'expériences afin d'en élargir le champ et les acteurs . De là dépend une réelle appropriation de leurs sens.

En effet comme l'écrit Mme Carole Dautun, chargée d'études à l'INHES, « les échecs et les dysfonctionnements intervenus lors d'une crise sont analysés sous l'angle de la rationalité, du côté technique et analytique. Les experts cherchent à répondre à la manière dont s'est déroulée la situation, quelles ont été les conséquences et les répercussions économiques et sociales dans la société, pourquoi les conséquences ont été si importantes, sans rechercher les facteurs organisationnels et le pourquoi du déroulement. Les retours d'expériences ne prennent pas en compte la totalité de la réalité de la crise car ils délaissent le vécu humain et les représentations que se sont forgées les acteurs. La crise est avant tout humaine et les retours d'expériences ne retiennent bien souvent que l'aspect technique. La pratique du retour d'expériences peut être améliorée en intégrant une vision dialectique des conséquences, c'est-à-dire en incluant à la fois une analyse rationnelle et une analyse humaine. Pour ce faire, une description précise de la dynamique de crise reposant sur l'identification des incidents des signaux avertisseurs et des facteurs aggravants doit être menée. La connaissance tacite des décideurs et des hommes de terrain, ainsi que les représentations individuelles et collectives de la crise en fonction de leurs référentiels et de leurs systèmes de représentation symbolique sont à intégrer. 146 ( * ) »

On pourrait faire le même constat à propos des études analysant les faiblesses des grands systèmes hydrauliques. Ainsi, le rapport réalisé par l'Établissement public territorial de bassin Territoire Rhône, rendu public en 2002, montre que si les crues du Rhône ont peu évolué depuis plusieurs siècles bien que les nombreux aménagements le long du fleuve - hydroélectricité, digues, etc - aient réduit les espaces inondables, on pouvait prévoir le lieu des prochaines catastrophes. Ce qui se vérifia.

Si la prévention de l'inondation en France rencontre tant de difficultés à trouver une expression concrète sur le terrain peut-être cela ne renvoie-t-il pas seulement à une somme de manquements aux prescriptions réglementaires mais à la conception même de cette politique On pourra déplorer tant qu'on voudra tout ce qu'on voudra, tant qu'on n'aura pas localisé d'où viennent les blocages de notre politique de prévention des inondations, on n'avancera pas d'un pas.

Il est donc nécessaire d'interroger, non seulement l'écart à la règle, mais la règle elle-même, la conception même de la protection contre l'inondation dans notre pays, problématique dont l'évidence tient plus à sa familiarité qu'à sa cohérence, comme on le verra.


* 145 Mme Carole Dautun « Une analyse des retours d'expériencesdes crises de sécurité civile contemporaines » in Cahiers de la sécurité n°10 octobre-décembre 2009 - INHES.

* 146 Carole Dautun « Du terrain du risque au terrain de la crise. Fondamentaux à l'usage des organisations » in Cahiers de la sécurité n°10 octobre-décembre 2009 - INHES .

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