III. UN SYSTÈME AUTOBLOQUANT

Si, compte tenu des différences de situations et d'enjeux, il n'est pas pensable de transposer tel quel en France le système hollandais de protection contre l'inondation, ce qui pourrait l'être serait de tenter de définir une politique de prévention aussi cohérente, ce qui est loin d'être le cas. Résultat des incohérences du système : il est autobloquant. On va voir pourquoi.

A. UN RISQUE RÉCURRENT TRAITÉ COMME EXCEPTIONNEL, UN RISQUE GÉNÉRAL TENU POUR PARTICULIER ET ALÉATOIRE

19 000 communes sur 36 500 sont exposées au risque d'inondation à des degrés divers. Le risque inondation, premier risque naturel en France, touche, en métropole, 16 802 600 habitants, soit 27 % de la population 148 ( * ) , un territoire de 85 000 km² (15 % du territoire métropolitain), 9 millions d'emplois soit 40 % des emplois totaux. Ce risque est particulièrement fort dans certains départements comme dans le sud de la France où cette proportion est de 40 % dans le Var et l'Aude, voire de 49 % dans le Gard. 5 % des communes ont plus de la moitié de leur superficie en zone inondable, 18 % plus du quart.

Le cabinet d'étude Ubyrisk Consultants a publié le 28 avril 2011 un bilan des catastrophes naturelles recensées en France métropolitaine et dans les départements d'Outre-mer : 670 catastrophes naturelles ont été recensées de janvier 2001 à fin décembre 2010. Par types d'aléas, les inondations constituent plus de 20 % des catastrophes naturelles recensées (soit 136 événements).

La moitié sud de la France est la plus touchée : environ 22 % de l'ensemble des arrêtés de catastrophes naturelles (sur un total de 141 416) y ont été pris entre 2001 et 2010.

L'inondation constitue le premier risque naturel en France, avec 54 672 événements répertoriés sur 24 269 communes depuis 20 ans 149 ( * ) .

Selon les informations communiquées par la Caisse centrale de réassurance (CCR), le montant annuel moyen sur la période 1990-2010 des indemnisations des dommages causés par les inondations au titre du régime « catnat » s'élève à 530 millions d'euros. Mais avec des engagements très variables selon les années.

Exercice de survenance

Coûts inondation pour le marché
sur la période 1990-2010 (en M€)
actualisés en euros 2012

1990

491

1991

88

1992

610

1993

1 056

1994

445

1995

724

1996

269

1997

196

1998

95

1999

843

2000

413

2001

467

2002

1 008

2003

1 182

2004

37

2005

191

2006

158

2007

173

2008

390

2009

194

2010

1 400

Concernant le ratio entre dommages assurés et dommages économiques, il est difficile de le quantifier. Certaines études ont été menées sur ce sujet lors de missions de retour d'expériences après la survenance d'événements de grande ampleur. De ce fait les conclusions de ces études ne sont pas forcément généralisables à des événements moins importants. À titre d'exemple, le rapport Huet suite aux inondations du Gard en 2002, mentionne des coûts économiques de 1 200 millions d'euros, contre des coûts assurés de 650 millions d'euros. Sur cette base, on peut estimer à 950 millions à 1 milliard d'euros ce montant annuel moyen des dommages.

Autre estimation, celle de la « Mission risques naturels » (MRN) pour qui le montant moyen annuel des dommages économiques dus aux inondations (dommages assurés et non assurés, pour l'ensemble des phénomènes d'inondation) serait de l'ordre de 1 à 1,4 milliard d'euros par an.

Quels que soient les biais statistiques, il s'agit donc d'un phénomène général et massif que l'Observatoire national prochainement mis en place devrait permettre de mieux évaluer. Mais on sait déjà que le coût des inondations est très mportant.

Le paradoxe, c'est que ce qui est finalement banal soit perçu comme exceptionnel. Probablement parce que, hormis quelques territoires particulièrement vulnérables et régulièrement sinistrés, ce risque demeure pour tout un chacun une exception à l'échelle d'une vie : on le mesure d'ailleurs selon des échelles de fréquences décennales, tricennales, centennales... qui traduisent aussi son ampleur. Le fait que l'indemnisation relève d'un régime assurantiel particulier, dit de « catastrophes naturelles », contribue à accréditer le caractère exceptionnel de l'inondation. Enfin la couverture par les médias des inondations les plus importantes, montrant le déploiement de moyens de secours de grande ampleur, l'importance des dégâts, la détresse des sinistrés..., occulte les phénomènes de moindre ampleur mais plus courants.

Ceci induit un traitement de communication politique qui favorise plus le spectaculaire et la montée en épingle des mesures d'exception que la continuité, il est vrai un peu moins photogénique. La principale forme de continuité étant celle des plans qui se succèdent... Sauf pour les territoires pour lesquels les risques avérés sont tels qu'ils ne peuvent se contenter d'attendre la prochaine catastrophe pour agir.


* 148 Ces chiffres résultent des résultats de l'évaluation préliminaire des risques d'inondation (EPRI) qui a été menée sur l'ensemble du territoire. Cette évaluation a consisté à déterminer une enveloppe approchée des inondations potentielles sur l'ensemble du territoire, dans laquelle la présence d'indicateurs d'enjeux a été calculée (population, emplois...). Cette enveloppe a été conçue en recherchant l'emprise des inondations extrêmes. Elle se veut donc maximaliste.

* 149 Parmi les événements particulièrement dommageables peuvent être citées les crues de 1999, qui ont tout particulièrement affecté l'Aude mais aussi le Tarn, les Pyrénées-Atlantiques et l'Hérault, et qui ont provoqué 533 millions d'euros de dommages indemnisés. Les crues généralisées de septembre 2002 dans le Gard, ont provoqué des dommages estimés à environ 1,2 milliard d'euros, dont 810 millions indemnisés par les assureurs. Les dommages de la crue du Rhône de 2003 à l'aval de Lyon sont estimés à plus d'un milliard d'euros. L'année 2010 a été particulièrement coûteuse : les dommages causés par les inondations liées à la tempête Xynthia sont évalués à plus d'un milliard d'euros, et les inondations survenues dans le Var les 15 et 16 juin 2010 ont coûté aux assureurs quelques 615 millions d'euros.

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