B. ASSOCIER LA POPULATION

Les analyses précédentes ont montré que les inondations catastrophiques avaient des causes multiples, autant naturelles qu'anthropiques. Les phénomènes naturels (intensité et concentration des précipitations, géographie des lieux) se cumulent à des facteurs humains qui préexistent et sont susceptibles d'en aggraver les conséquences : il en va de l'urbanisme, de l'entretien des rivières, de certains aménagements, mais aussi des comportements de la population. Souvent ces facteurs d'aggravation n'ont pas été perçus avant la catastrophe, parfois ils ont été oubliés, parfois ils n'ont pas été recensés, parfois ils sont nouveaux et indétectables sans une connaissance vigilante du terrain.

La plupart des rapports déplorent l'absence de culture du risque, leurs préconisations se limitant généralement à la diffusion d'informations à la population sur le risque ou les comportements à éviter. Au mieux, s'agit-il d'exercices réguliers d'évacuation destinés aux élèves et aux habitants des zones très vulnérables. Si ces actions sont certainement utiles, on peut douter de leur capacité de résistance à l'oubli.

Recevoir une plaquette d'information, ce n'est pas la lire, encore moins la mémoriser. Recevoir une formation aux premiers secours en classe de 3 ème , ne met pas en mesure de pratiquer le geste qui sauve dix ans plus tard, si l'on n'a pas eu l'occasion de le mettre en oeuvre. Les spécialistes de la communication, comme M. Thierry Libaert, expliquent que, pour être assimilé, un message doit être répété, doit emprunter plusieurs voies. En outre, information ne signifie pas implication. Si l'on veut vraiment ancrer la connaissance et la pratique du risque dans la population, il convient de l'associer pleinement à l'ensemble des décisions ayant des conséquences sur la sécurité ou, en tout cas de trouver en son sein les relais d'opinion les plus motivés, les écouter et leurs confier des responsabilités permanentes.

1. L'information et la participation des citoyens
a) Transmettre aux citoyens les documents administratifs communicables

La transparence commence par le respect des lois.

Les citoyens ont droit d'accès aux documents administratifs concernant directement la prévention des risques majeurs. Ce droit leur est assuré par le régime de droit commun sur les documents administratifs 184 ( * ) en vigueur depuis 1978 et par les articles L. 124-1 à L. 124-8 du code de l'environnement 185 ( * ) . L'article L. 124-7 du code de l'environnement énonce notamment que « les autorités publiques prennent les mesures permettant au public de connaître ses droits d'accès aux informations relatives à l'environnement qu'elles détiennent, et veillent à ce que le public puisse accéder aux informations recherchées. »

Il est donc totalement anormal que les citoyens ou les associations qui souhaitent obtenir communication de documents ou de rapports en la possession des administrations locales ou de l'État, se voient non seulement opposer des refus, ne reçoivent aucune réponse écrite à leur demande ou doivent faire appel à la CADA pour obtenir gain de cause.

b) Associer la population des communes sinistrées aux retours d'expérience

Il serait pertinent d'associer systématiquement les élus locaux des communes sinistrées aux réunions de retour d'expérience, ce qui n'est pas le cas actuellement, loin de là. Certaines administrations de l'État font même leurs propres Retex sans les partager avec celles avec lesquelles elles sont censées travailler dans l'action ou dans la prévention. Cela permettrait, en tout cas, d'éviter, comme on a pu le voir sur la crise de Dracénie en 2010, les discordances constatées entre dires d'experts officiels et la perception des témoins. Les meilleures leçons restent encore celles qu'on tire de faits incontestables.

Parmi les trop rares expériences qu'on puisse citer, celle évoquée plus haut du retour d'expériences organisé par la société des autoroutes Estérel-Côte d'Azur après le gigantesque bouchon occasionné par les chutes de neige de l'hiver 2008. Lors de son audition M. Patrick Lagadec, qui participait à l'opération, a souligné tout ce qu'elle avait eu de positif, les participants proposant des améliorations originales au dispositif de remédiation d'Escota. Associer la population aux retours d'expériences serait une manière de l'écouter, de mieux comprendre comment s'est déroulée la crise 186 ( * ) , comment elle a été vécue, de l'amener à comprendre les raisons pour lesquelles elle a été exposée aux risques (y compris par sa propre imprudence), à proposer des améliorations. Cette démarche, qui mériterait à coup sûr une expérimentation à grande échelle, serait susceptible de dépasser les situations d'assistance, puis d'oubli, voire de déni, rencontrées trop habituellement.

Outre l'écoute qui libère la parole des sinistrés, ces réunions peuvent permettre d'engranger des informations de tous ordres, de détecter les signaux faibles qui témoignent de vulnérabilités et seront à traiter, de recueillir des suggestions pour réduire le risque ou rendre plus efficace l'organisation des secours et la gestion de la phase de convalescence, de repérer ceux et celles qui sont susceptibles de s'engager comme vigies, lanceurs d'alertes, ou comme volontaires susceptibles d'être acteurs dans la phase de crise.

En bref, associer dès la fin de la phase de post-crise les habitants sur leur territoire de vie serait probablement le moyen de rendre le risque plus présent dans les consciences, de réduire la vulnérabilité et d'augmenter la résilience du territoire et de sa population.

« La crise, au-delà des aspects négatifs, est une occasion de solidarité, d'entraide, de renouveau, de réforme, de réflexion au travers de projets de recherche et de remise en question des pratiques de gestion. L'amélioration de la gestion des crises se fait de manière continue, en introduisant, d'une part, de la flexibilité et de la créativité dans les scénarios de risque et de crise, et, d'autre part, en procédant à une analyse des vulnérabilités latentes des organisations. En outre, les acteurs doivent apprendre à se connaître afin de partager leurs savoirs, leurs référentiels d'actions et développer ainsi un langage commun et, à terme, une culture partagée des crises. La simulation et les retours d'expériences sont des moyens de perfectionnement avantageux à la seule condition que le vécu de l'homme côtoie l'aspect rationnel et analytique des crises. La connaissance à la fois des risques et des crises de leur propre organisation est gage d'amélioration des pratiques de gestion des crises et d'augmentation de la résilience. Afin d'avoir une vision complète des réalités de la crise, les acteurs doivent s'appuyer également sur les comportements émergents au sein des populations et des actions développées par ces dernières pour en limiter les effets. La connaissance du territoire par les populations locales est une source d'information précieuse pour les acteurs 187 ( * ) . »

- Organiser la participation des habitants des zones sinistrées aux retours d'expériences sur les inondations.

c) Diffuser l'information en amont plutôt qu'une fois les projets tout ficelés

Trop souvent aussi, pour les administrations et les élus, concertation est synonyme d'information, exercice de communication destiné à faire valider une décision déjà arrêtée et qu'ils consentiront, tout au plus, à faire évoluer « à la marge » en cas de nécessité.

Les enjeux sont trop importants pour s'en contenter. Sauf à créer des conflits, comme on l'a vu dans le cas de la zone d'activité de La Palud à Fréjus. Les détracteurs du projet municipal ne contestent pas sa légitimité, mais d'en avoir été informés, une fois arrêté, alors qu'il risque de n'être pas sans conséquence pour eux. Tel est le risque d'un traitement sélectif problème par problème : le logement, la fiscalité, la sécurité, l'emploi... Ne se manifestent que ceux qui se sentent immédiatement concernés alors que tous le sont à un titre, à un degré ou à un autre. C'est de la confrontation des avis et des intérêts que peut naître la moins mauvaise décision.

Comme le soulignait M. Philippe Masure, maire d'Albertville lors des Assises nationales des risques naturels : « La société française est en retrait en matière de concertation, mais la notion de risque doit être l'objet d'un vrai débat dans un cadre de démocratie directe. Cet impératif implique la mise en place de processus en matière de participation collective. »

Il s'agit ni plus ni moins d'associer systématiquement la population de façon plus active, plus pédagogique et didactique à la politique de prévention.

Nombre de décisions en matière de prévention (PPRI) ou d'urbanisme (PLU) comportent, dans leur procédure d'élaboration, des phases de consultation sous forme d'enquête publique. Si le formalisme de la procédure garantit la valeur juridique du résultat et introduit opportunément la médiation d'un tiers indépendant, le commissaire enquêteur, le processus gagnerait à être précédé de réunions publiques au cours desquelles l'ensemble des documents soumis à enquête pourraient être présentés et commentés, éventuellement en s'appuyant sur des outils du type de ceux développés par la DREAL Rhône-Alpes que la mission s'est fait présenter 188 ( * ) . Il s'agit d'outils de géo-visualisation 3D permettant une approche sensible des événements calamiteux, des conséquences des dispositions du PPRI, voire des effets des aménagements envisagés. Leur intérêt, en matière de diffusion de l'information comme de travail collaboratif (réunions techniciens, élus, population), est tout à fait remarquable.

Extrait de l'audition de Mme Florence Jacquinod,
chargée de recherche à l'Université de Saint-Étienne
et M. Julien Langumier,
chercheur en sciences sociales et chargé de mission à la DREAL, le 12 juin 2012

Florence Jacquinod : Ce film a été utilisé en réunion de concertation avec les élus, puis en réunion publique. Il représente l'aléa de référence, avec deux couleurs. Apparaissent en bleu clair les zones où la hauteur d'eau est inférieure à un mètre et en bleu foncé celles où la hauteur d'eau est supérieure à un mètre.

Sur cette maquette, nous avons représenté les bâtiments et la végétation. Nous avons sélectionné les grandes haies du paysage, afin de permettre à chacun de se repérer. L'image aérienne permet de visualiser les routes et l'occupation du sol. Cette représentation, qui montre tout le territoire communal, est aussi précise que la carte d'aléas.

Nous constatons qu'une fois qu'elles ont trouvé des points de repères, les personnes assimilent mieux l'information, ce qui facilite la discussion et les explications. Une fois l'information assimilée et discutée, il est possible de s'arrêter sur des zones à enjeux et d'approfondir la réflexion en envisageant plusieurs alternatives.

Ces outils présentent l'intérêt d'être relativement flexibles et faciles à utiliser. L'intérêt de ces représentations est également qu'il soit possible d'y faire figurer des données spécifiques. Elles constituent également un véritable outil de réflexion sur le devenir d'un territoire.

Pierre-Yves Collombat : Pouvez-vous introduire des modifications ?

Florence Jacquinod : Nous pouvons introduire des modifications dans les maquettes, mais pas dans les films une fois qu'ils ont été réalisés.

Pierre-Yves Collombat : Il serait intéressant de pouvoir visualiser plusieurs évolutions possibles, en fonction d'hypothèses d'aménagement différentes.

Julien Langumier : Ces maquettes sont en effet malléables. Des modifications sont possibles, notamment dans le cadre de nouveaux projets d'aménagements hydrauliques, lorsque sont connues les nouvelles enveloppes inondables ou pour représenter différentes crues. Nous pouvons substituer une enveloppe par une autre et amener l'auditoire à réfléchir sur les changements et à les apprécier au regard des enjeux. Représenter le bâti en 3D est aussi une manière d'apprécier de façon sans doute plus intuitive la limite entre une zone urbanisée et une zone non urbanisée. Avec ces maquettes, il est également possible de faire de la pédagogie sur le fonctionnement d'un fleuve, d'un champ d'expansion de crue, l'aménagement d'un déversoir ou encore le confortement d'une digue.

- Organiser dans la phase en amont de la présentation de règles de prévention ou d'aménagements, un dialogue avec les habitants sur le risque inondation.

d) Élargir les formes de la communication sur le risque

Le bilan réalisé par la DGPR et les observations recueillies par la mission lors de ses déplacements montrent à l'évidence que la communication sur les risques, sujet complexe, reste peu efficace. Générale, elle intéresse peu, locale, elle se heurte mécaniquement au renouvellement de la population sur le territoire. Or, cette communication doit être permanente et régulière et emprunter des canaux diversifiés.

Les phases post-crise sont souvent privilégiées, ce qui conduit trop fréquemment à une communication culpabilisante ou de déni de responsabilité, la population étant à la recherche des causes, des conséquences et des « responsables ». Il convient donc d'exploiter les périodes où la population est en mesure d'écouter des messages où la rationalité prédomine. Il s'agit aussi de choisir les relais d'opinion crédible. Force est de constater qu'en France, comme dans la plupart des pays occidentaux d'ailleurs, la confiance dans les pouvoirs publics et dans les entreprises a considérablement diminué. M. Thierry Libaert, parle de « pic de défiance ». « Il convient donc de s'interroger sur les vecteurs capables de donner des messages avec une dose de crédibilité que n'ont plus les interlocuteurs naturels. Selon de nombreuses études, la confiance perdue par les organismes publics et privés s'est transférée vers le monde des ONG. La population croira plus facilement une association de protection de l'environnement ou une association de consommateurs que les pouvoirs publics, les entreprises ou même les experts, qui n'inspirent plus autant confiance que par le passé 189 ( * ) . Parmi les institutions, ce sont les pompiers qui inspirent la plus grande confiance en raison de leur compétence et de leur objectivité, dès lors qu'ils sont indépendants financièrement. Outre la prise en compte de la temporalité et le choix de l'interlocuteur le plus crédible, il faut pratiquer la communication comportementale, qui vise à amener un changement, à engager les personnes à agir. Tout dépend de la manière dont est communiquée l'information. Il apparaît par exemple que le discours alarmiste ne fonctionne pas. En outre, pour diffuser une information, il ne faut pas se contenter d'envoyer un message. Plusieurs outils doivent pouvoir être employés concomitamment. Envoyer des plaquettes, coller des affiches ou diffuser des spots radio apparaît peu efficace : 14 % des personnes modifient leur comportement. Le porte-à-porte pour dialoguer est un peu plus efficace incitant un changement de comportement chez 18 % des personnes. La conjonction des modes de communication est beaucoup plus efficace, touchant aux alentours de 40 % de la population. Une fois une plaquette distribuée pour exposer un problème, il s'agit d'échanger pour approfondir la question. Les personnes ont alors le sentiment de participer, de pouvoir donner leur avis. Se pose alors la question de la personnalisation, nombre de personnes ne se sentant jamais réellement concernées. Le message le plus simple possible doit permettre aux personnes de visualiser les conséquences de l'événement. Ainsi, dans le cas des inondations, est-il préférable d'évoquer la montée des eaux que le débit du fleuve. »

D'où l'intérêt, comme support de communication, des images filmées ou des reconstitutions en 3D.

M. Julien Langumier a décrit ainsi pour la mission une communication en rupture avec les campagnes de communication classiques : dans le cadre du plan Rhône, « nous avons fait appel à des supports culturels et artistiques tels que des photographies ou des films. Nous avons mis sur pied une programmation culturelle sur le Rhône qui visait, en étant très adaptée, à sensibiliser les populations. Nous avons ainsi pu investir l'espace public pour parler de la crue en dehors de la catastrophe. En outre, le recours à de tels supports nous a permis de sortir du registre très technique, voire technocratique, des documents réglementaires. Nous avons alors observé une réelle appétence des populations riveraines à l'égard de la connaissance. Nous avons été marqués par le succès de cette démarche. Les journalistes, en relayant spontanément le message de prévention, ont permis de démultiplier son rayonnement et sa portée. »

À l'évidence, un effort de renouvellement de la communication de prévention s'impose, celle-ci appelant de faire une plus large place au débat public et à l'implication de la population. La prise de conscience dans des conditions peu contestables, parce que débattues objectivement, est la meilleure pédagogie du risque et la base de toute décision démocratique sur le niveau d'acceptation comme sur les efforts de prévention ou de protection à consentir. Elle est aussi à la base des décisions individuelles de maintien dans une zone à risque à condition d'en assumer la responsabilité au lieu de renvoyer à la collectivité la charge de son inconséquence.

- Développer la réalisation et l'utilisation de modèles 3D pour visualiser le risque inondation.

- Renouveler la communication sur le risque en développant la participation de la population.


* 184 Ce régime de droit commun est fixé par la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public.

* 185 En cas de contrariété entre les deux normes, les dispositions du code de l'environnement dérogent au droit commun (CADA, 14 janvier 2010, Maire de Falicon, n° 20100301).

* 186 Cela aurait, par exemple, permis de comprendre comment la crue s'est déclenchée dans la Nartuby en juin 2010. Les Retex ne font étrangement aucune référence à la constitution d'embâcles, l'un d'entre eux la nie même, alors que le témoignage de M. Milesi, maire-adjoint de Châteaudouble, recueilli par la mission le démontre à l'évidence.

* 187 Mme Carole Dautun « Une analyse des retours d'expériencesdes crises de sécurité civile contemporaines » in Cahiers de la sécurité n°10 octobre-décembre 2009 - INHES.

* 188 Audition de Mme Florence Jacquinod, chargée de recherche à l'Université de Saint-Étienne, et de M. Julien Langumier, chercheur en sciences sociales et chargé de mission à la DREAL.

* 189 Ce qui ne va pas sans poser de problème non plus. Ne pas être un «expert » ne suffit à garantir ni la qualité de l'information délivrée, ni la bonne foi du prédicateur.

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