B. ... MAIS UN MODÈLE À BOUT DE SOUFFLE

Malgré les nombreux atouts des CPER, certaines de leurs modalités suscitent des critiques récurrentes. Bien que non remis en cause dans son principe, cette forme de partenariat semble aujourd'hui à bout de souffle.

La volonté d'une prise en compte de certaines de ces critiques apparaît dans les documents préparatoires à la dernière génération des CPER, couvrant la période 2007-2013. D'après la circulaire du Premier Ministre du 6 mars 2006, les fondements de cette génération devaient être les suivants :

- « des objectifs plus clairs ;

- des contenus plus resserrés ;

- des projets mieux étudiés ;

- un partenariat plus efficace avec les conseils régionaux et les autres catégories de collectivités territoriales ;

- une meilleure garantie du respect des engagements de l'Etat 8 ( * ) . »

Force est de constater que ces bonnes intentions n'ont pas mis fin à toutes les critiques.

1. Une relation qui reste asymétrique

Pour nombre d'acteurs, les CPER constituent un moyen à peine déguisé, pour l'Etat, d'obtenir des cofinancements sur des projets qui relèvent de sa responsabilité. Les élus y participent, dans la mesure où ces projets constituent des éléments d'attractivité de leurs territoires, et où on leur affirme que ces projets ne pourraient voir le jour sans leur financement.

La mobilisation des crédits par les différents acteurs est inégale. D'après la DATAR, sur les 29,5 milliards d'euros prévus sur la période 2007-2013 pour les CPER 9 ( * ) , seulement 12,8 milliards relèvent de l'Etat (soit 43%). 15,5 milliards relèvent des régions (soit 53%), et 1,3 milliard des autres collectivités territoriales ou de leurs groupements (soit 4%).

Si l'on compare les maquettes initiales, l'engagement de l'Etat a été réduit par rapport à la précédente génération de contrats de plan (2000-2006) de 19,5 milliards d'euros à 12,8 milliards d'euros. La DATAR précise que cette réduction est concomitante à un resserrement du champ traité par les CPER sur un nombre limité de thématiques prioritaires et de projets d'investissements structurants, et ajoute que ce ciblage de l'action de l'Etat a permis un accroissement de plus de 25% de l'effort financier sur les champs ainsi resserrés, au regard des montants de la période précédente. Force est toutefois de constater que les régions et les autres collectivités n'ont pas réduit leur engagement dans les mêmes proportions.

Engagements de l'Etat et des régions prévus par les maquettes initiales des CPER (milliards d'euros)

Etat

Régions

1994-1999

11,8

10,8

2000-2006

19,5

18,9

2007-2013

12,8

15,5

Les marges de négociation peuvent en outre parfois apparaître assez faibles au niveau des territoires. Mais c'est encore au niveau de l'exécution budgétaire des CPER que l'asymétrie apparaît de la façon la plus criante. L'Etat ne parvient pas toujours à assurer ses engagements financiers dans les délais, quand il ne renonce pas purement et simplement à l'exécution de certains projets.

Pour respecter les engagements qu'il avait pris dans le cadre des contrats 2000-2006, l'Etat a dû prendre plusieurs dispositifs en 2007, notamment la mobilisation de crédits de paiement supplémentaires du fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) fin 2006 et début 2007, la prolongation d'une année des possibilités d'engagement dans le cadre des contrats de pays ou d'agglomérations du volet territorial, ou la poursuite des engagements dans le volet routier sans limitation de durée.

Après ces mesures de rattrapage, à fin 2009, 16,4 milliards d'euros avaient été délégués sur les 19,5 prévus, soit un taux de délégation de 84%. Mais seuls 14,9 milliards avaient été engagés, soit un taux de 76,2% 10 ( * ) . L'absence de système de remontée fiable des informations concernant les collectivités a rendu impossible l'établissement de données similaires pour les collectivités.

Sur la période 2007-2013, la DATAR fournit un taux d'engagement des crédits de l'Etat de 59% au mois d'août 2012 11 ( * ) . Le plan de relance initié à la fin de l'année 2008 a permis à l'Etat de mandater un certain nombre de crédits au cours de l'année 2009. En Alsace, 40% des crédits engagés et mandatés par l'Etat en ont été issus. Mais il s'agit d'une mesure dont les effets sont limités dans le temps.

Les difficultés d'exécution rencontrées par l'Etat ont été illustrées à plusieurs reprises lors des rencontres de votre rapporteur avec les services de l'Etat en région. Elles risquent de vider de son sens l'outil contractuel et mettent à mal la qualité des relations partenariales entre l'Etat et les collectivités. En délégation 12 ( * ) , nos collègues Jean-Luc Fichet et Stéphane Mazars ont particulièrement insisté sur les obligations qu'implique la notion de contrat pour les parties prenantes.

Lorsque l'Etat prend du retard au niveau de l'exécution budgétaire, les collectivités doivent faire preuve de souplesse budgétaire et avancer les crédits correspondants pour que les projets puissent tout de même se réaliser. Elles pallient ainsi les défaillances de l'Etat, à coup de décisions budgétaires modificatives, réputées plus faciles à mettre en oeuvre que le déblocage de crédits ministériels. Leur trésorerie, comme leur gestion budgétaire, s'en trouvent affectées.

Ce cas de figure s'est par exemple présenté en Alsace, pour l'exécution du volet enseignement supérieur - recherche du CPER. L'Etat ayant programmé en 2011 une dotation bien en-deçà de ses engagements initiaux, les collectivités ont décidé d'affecter en 2012 l'intégralité des crédits du volet sur une seule opération déjà engagée, afin qu'elle puisse se terminer, tandis que les autres ont dû être gelées.

Les retards pris dans l'engagement des crédits peuvent également engendrer des retards dans l'exécution des travaux, avec des conséquences parfois dommageables, notamment sur le coût final des opérations.

2. La tentation du « fourre-tout »

L'étendue des thématiques traitées par les CPER a pu alimenter la sensation d'un instrument « fourre-tout », intégrant des projets d'intérêt et d'envergure variables, dont la faisabilité n'est pas toujours assurée. La critique du saupoudrage des crédits est fréquente, alors que l'absence d'une vision stratégique claire, définie au niveau national, est souvent dénoncée.

Afin d'éviter cet écueil, le champ de la contractualisation a été réduit pour la période 2007-2013, par rapport aux périodes précédentes. L'annonce de « contenus plus resserrés » répondait à cette préoccupation, tandis qu'un effort particulier sur la sélectivité des projets avait été annoncé.

Cette critique reste pour autant d'actualité. Le rapport réalisé par M. Philippe Bellec, Inspecteur de l'administration du développement durable et M. Éric Sesboüe, Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, sur l'avenir des CPER 13 ( * ) déplore « un cadrage stratégique insuffisant », qui « génère une relative illisibilité des objectifs poursuivis et favorise une dispersion des actions . » Les CPER 2007-2013 ont été établis sur la base du cadre de référence stratégique national (CRSN) relatif aux fonds européens, et de contributions régionales demandées aux préfets de région. Or, d'après les auteurs du rapport, le cadrage stratégique, « principalement élaboré à l'échelle régionale, [...] contient généralement l'ensemble des préoccupations locales, sans réelle hiérarchisation des priorités et sans capacité d'arbitrage. De ce fait, les contrats sont devenus essentiellement des conventions de cofinancement. » Au niveau national, le cadrage stratégique apparaît comme résultant essentiellement de « l'agrégation plus ou moins artificielle de stratégies définies à l'échelle des 26 territoires régionaux ».

Quant à l'accent général mis sur la compétitivité et l'attractivité des territoires, à la suite de la transformation en janvier 2006 de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) en délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT), il a suscité de nombreuses déceptions, voire des crispations, au sein des partenaires concernés. La vision de l'aménagement du territoire qu'il sous-tend a montré ses limites, d'ailleurs actées par le retour à l'acronyme de la DATAR dès décembre 2009, désignant désormais la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale.

Outre ces difficultés de cadrage stratégique, il doit être relevé qu'aujourd'hui encore, les CPER ne concernent pas toujours des équipements structurants. L'association des régions de France (ARF) a ainsi déploré la présence en leur sein d'interventions qui relèvent davantage d'une logique de guichet que de la réalisation de projets stratégiques. L'exemple des aides à l'agriculture a été cité. Outre la dispersion des sujets traités, la dispersion des parties prenantes, au niveau des ministères ou des établissements publics, a également été évoquée.

La multiplicité des types de projets financés peut également parfois alimenter la critique d'un manque de transparence dans la répartition des crédits de l'Etat entre les projets et les territoires.

Enfin, l'inscription en CPER de projets anciens, élaborés bien avant la négociation même des contrats a conduit certains acteurs à qualifier cet instrument de « voiture-balai » ou d'outil de « recyclage » de projets, plus que d'outil de coproduction des politiques publiques. Les faibles possibilités d'adaptation des projets, une fois inscrits en CPER, sont également déplorées, alors que la durée des contrats est longue.

Dans ce cadre, la lisibilité et la plus-value des CPER sont parfois contestées dans la pratique. Les acteurs craignent que la logique de guichet prenne le pas sur une implication effective des parties prenantes dans la réalisation de projets identifiés en commun.

3. Le dépouillement des CPER par la multiplication des appels à projets

Trop de partenariats tuent le partenariat. La lisibilité des CPER a été considérablement amoindrie par la multiplication de politiques menées en dehors des CPER, qui en vident le contenu en le concurrençant.

L'aménagement du territoire a été marqué, ces dernières années, par la multiplication de procédures d'appels à projets : plan Campus, pôles de compétitivité, pôles d'excellence rurale (PER), programme d'investissements d'avenir (PIA)...

Ces appels à projets répondent à une logique sensiblement différente des CPER. Ils s'opèrent en général de façon verticale, de l'autorité chargée de leur mise en oeuvre vers les collectivités, à l'encontre du principe de la décentralisation. Ils constituent, de fait, « un gouvernement à distance » des territoires, comme l'a souligné l'AdCF. En outre, ils ne répondent pas nécessairement à une logique interministérielle. Destinés à mettre en oeuvre des priorités fixées en dehors du calendrier des CPER, ils s'inscrivent dans un horizon de plus court terme. Enfin, ils mettent en concurrence les territoires.

Il est bien évidemment naturel que par une procédure d'appel à projets, un ministère veuille développer une politique propre, ou qu'un accent particulier soit mis de temps à autre sur une politique spécifique. Quant à la sélection de projets après une mise en concurrence, elle n'est pas nécessairement condamnable en soi. Toutefois, la multiplication de ces procédures a des effets pervers.

Tout d'abord, elle risque de mettre à l'écart les territoires qui n'ont pas les moyens suffisants, en matière d'ingénierie notamment, de développer des projets à chaque fois qu'un nouvel appel à projets est lancé. En ce sens, le risque existe que ces politiques ne profitent à chaque fois qu'aux territoires qui ont déjà développé un certain nombre d'outils.

Ensuite, les modalités de sélection des projets répondent à une logique descendante, qu'il convient de ne pas multiplier à l'envi . La sélection intervient souvent au niveau national, dans des délais très courts, ce qui ne permet pas de réelle prise en compte des spécificités des territoires. L'avis du préfet peut être sollicité, mais il est en général assez formel. La négociation avec les collectivités n'a pas la même ampleur que dans le cadre des CPER. Dans la mesure où elle porte sur des périmètres limités et s'effectue en général de façon bilatérale (entre l'autorité responsable de l'appel à projets et le porteur de projet), les compromis et la recherche de cohérence entre les interventions sont moins aisés qu'à l'occasion d'une négociation globale où l'ensemble des acteurs sont réunis, et projettent leurs interventions respectives sur une longue période. Le foisonnement des procédures d'appels à projets a en outre pour conséquence de multiplier les conventionnements entre les ministères et les collectivités et partant, le temps et l'énergie passés à l'occasion de leur négociation.

Enfin, la lisibilité des différentes actions menées est amoindrie. La multiplication des politiques sectorielles en parallèle des CPER pourrait avoir pour conséquence, à terme, de les vider de leur sens, comme l'a exposé notre collègue André Reichardt, Premier Vice-président du conseil régional d'Alsace. Elle porte atteinte à la clarté et à la cohérence des relations partenariales entre l'Etat et les collectivités. Outre cette perte de transversalité, les crédits que mobilisent ces politiques sectorielles fragilisent l'exécution des CPER, en différant par exemple la mise à disposition des crédits prévus dans ce cadre par l'Etat comme par les régions ou les autres collectivités concernées.

Par ces appels à projets, l'Etat sollicite un engagement financier supplémentaire des collectivités, dans des domaines où elles n'avaient pas nécessairement prévu d'intervenir ou de dépasser l'engagement fixé dans le cadre de la négociation des CPER. L'Etat n'assure en effet qu'une partie du financement des projets retenus 14 ( * ) , laissant aux collectivités et aux acteurs concernés le soin de compléter leur financement. La multiplication des appels à projets entraîne donc des tensions au niveau de la programmation budgétaire des collectivités.

L'exemple des infrastructures routières illustre bien la perturbation des relations partenariales entre l'Etat et les collectivités créée par la multiplication des politiques sectorielles conduites hors du cadre des CPER. Le volet routier a été extrait de la génération 2007-2013 des CPER, en conformité avec les objectifs qui leur ont été assignés en matière de développement durable, mais pour réapparaître dans d'autres instruments contractuels. Or, comme l'a souligné l'Assemblée des départements de France, ces derniers « reprennent la logique des CPER, mais avec une clef de financement moins favorable aux collectivités locales ». Les collectivités ont notamment été sollicitées dans le cadre des programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) mis en place pour traduire les orientations du schéma national des infrastructures de transport (SNIT).

La « balkanisation » de la contractualisation évoquée lors de l'audition de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) porte ainsi atteinte à la lisibilité et à la cohérence des actions menées.

Malgré ces critiques récurrentes, l'éventualité d'une non-reconduction de la contractualisation à caractère transversal, parfois évoquée, est écartée par la majorité des acteurs. La conviction de votre rapporteur est que cet instrument doit être pérennisé, mais réformé, de façon à éviter ces écueils et à en préserver les potentialités. Les auteurs du rapport du conseil général de l'environnement et du développement durable ne concluent pas autrement sur ce point. Plusieurs cahiers d'acteurs remis dans le cadre des Etats généraux de la démocratie territoriale traduisent un positionnement similaire.

La nouvelle étape de la décentralisation devrait être l'occasion d'une clarification de la répartition des compétences entre les différents acteurs. Dans les domaines où l'Etat et les collectivités continueront à intervenir de façon complémentaire, la contractualisation couvrant plusieurs champs de l'action publique constitue une forme pertinente de partenariat entre ces acteurs. Elle doit être privilégiée à la multiplication des politiques sectorielles, menées par à-coups dans des domaines d'intervention limités, dont les effets pervers sont dénoncés par nombre de collectivités.


* 8 Circulaire n°5137/SG du Premier ministre du 6 mars 2006 aux préfets de région sur la préparation des contrats de projets Etat-régions.

* 9 CPER à dimension interrégionale inclus.

* 10 Source : DATAR.

* 11 Là encore, et malgré les efforts déployés pour renforcer le suivi des contrats, il n'existe pas de données fiables similaires s'agissant des crédits des régions ou des autres collectivités. Ce point sera abordé plus précisément plus loin.

* 12 Le compte rendu du débat figure en annexe 2 du présent rapport.

* 13 « Quel avenir pour les CPER après 2013 ? », rapport du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable (CGEDD) réalisé par MM. Philippe BELLEC et Éric SESBOÜE.

* 14 Par exemple, la circulaire relative à la mise en oeuvre de la labellisation des pôles d'excellence rurale et à la préparation de la seconde session de l'appel à projets s'y rapportant du 8 août 2006 indique un taux plafond d'aide de l'Etat de 33% en zones rurales et 50% en zones de revitalisation rurale.

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