CONTRIBUTION

Sophie PRIMAS, Présidente

Mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement

Je tiens en premier lieu à remercier l'ensemble de mes Collègues membres de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement et tout particulièrement le Rapporteur, Mme Nicole Bonnefoy, Sénateur de la Charente, avec qui nous avons travaillé dans un esprit toujours cordial et républicain. Des remerciements chaleureux s'adressent aux membres de la mission qui nous ont reçus dans leurs départements : Mme Nicole Bonnefoy, en Charente, M. Joël Labbé, dans le Morbihan, M. Henri Tandonnet, dans le Lot-et-Garonne et Mme Elisabeth Lamure, dans le Rhône.

Je remercie tout naturellement toutes celles et tous ceux qui ont accepté d'être auditionnés et nous ont fait part de leurs savoirs, leurs convictions, leurs recherches, leurs expériences. Mes pensées vont aussi à M. Paul François, exploitant agricole en Charente, dont l'histoire personnelle et l'engagement sont intimement liés à la création de cette mission.

Enfin, que le Secrétariat général du Sénat, qui nous a appuyés tout au long de ces six derniers mois, soit assuré de ma gratitude pour sa disponibilité et la grande qualité de son travail.

***

L'esprit de notre mission s'est traduit par une volonté commune d'investigation dans un souci constant d'objectivité, qui dépasse naturellement les différences partisanes. Le vote du rapport, à l'unanimité, illustre d'ailleurs bien cette philosophie commune. Dans ce contexte, l'objectif de cette contribution consiste principalement à mettre en perspective les travaux menés par la mission et à présenter certaines de ses propositions qui me semblent être les plus significatives.

I Mise en perspective des travaux de la mission

1- Un champ très vaste d'investigations et d'analyses.

Compte tenu de l'importance du champ d'investigation que recouvre l'intitulé de la mission commune d'information, nous avons souhaité concentrer notre étude sur les effets des produits phytosanitaires sur la santé des utilisateurs. L'examen des conséquences de ces produits sur l'environnement et la santé des consommateurs pourrait faire, par ailleurs, l'objet d'une prochaine mission commune d'information. Aussi, au terme de sept mois de travaux, nous avons effectué quatre-vingt-quinze auditions, à la fois au Sénat et sur le territoire français, incluant cinq déplacements. L'ensemble de ces échanges représente un dialogue de cent deux heures avec deux cent cinq personnes de tous horizons : les exploitants agricoles, les associations de victimes, de riverains, les fabricants de pesticides, les membres de la communauté scientifique, les pouvoirs publics, les journalistes, les services de l'État, les fédérations et syndicats agricoles... et bien entendu les deux Ministres en charge de ce dossier : Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé et M. Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

2- Écophyto 2018 : le révélateur et l'élan.

Dans cette grande diversité des analyses, des opinions, des procédés, un dénominateur commun s'est dégagé de l'ensemble des interventions : la place centrale du dispositif Écophyto 2018, visant à diminuer le recours aux produits phytosanitaires, tout en continuant à assurer un niveau de production élevé tant en quantité qu'en qualité. Force est de constater que, malgré les alertes lancées par des membres de la communauté scientifique et des associations depuis de nombreuses années, une véritable prise de conscience s'est produite en France grâce au Grenelle de l'environnement et sa retranscription dans le plan Écophyto 2018. La mobilisation qui a suivi la mise en place de ce dispositif en 2008 concerne l'ensemble des acteurs :


• Les exploitants agricoles , qui malgré des réticences souvent compréhensibles, et l'ancrage d'un modèle de production agricole dans la profession depuis des dizaines d'années, ont réellement pris conscience des dangers liés à l'utilisation des produits phytosanitaires. La parole s'est libérée, notamment sur l'existence de maladies chroniques, et ils affirment désormais une réelle volonté à la fois de mieux se former, se protéger et s'acheminer vers une moindre utilisation de produits chimiques.


• Les fabricants de produits phytosanitaires , qui ont intégré dans leur démarche le risque de stigmatisation à court et moyen termes de leurs produits et ajustent, pour pérenniser leur activité, la nature de leur production. Une action a été généralement menée sur les baisses de volume, sur les modes de protection, sur le recyclage des déchets... Parallèlement, nombre d'entreprises du secteur choisissent d'orienter leurs recherches sur les techniques de bio-contrôle et les changements de molécules actives.


• Les agences , qui ont bénéficié d'un raffermissement de leur pouvoir de contrôle. Ce phénomène a notamment engendré des mutations dans la gouvernance et dans les méthodes, incluant notamment plus d'exigence en termes de transparence.


• Le secteur de la distribution de produits phytosanitaires , qui, dans une remise en question de certaines pratiques, a massivement investi dans la formation et le conseil.


• La recherche agronomique, scientifique, sur le matériel, publique et privée , qui se mobilise pour développer des alternatives aux pesticides par la sélection variétale, l'agronomie ou les produits de substitution.


• Le « grand public » sensibilisé à cette question, notamment par le biais d'associations de jardiniers et de riverains et les collectivités territoriales elles-mêmes.


La Mutualité sociale agricole (MSA) qui, à la lumière des cas de maladies professionnelles et des alertes émises par les scientifiques, s'investit dans la prévention, la formation et entame une évolution progressive du tableau des maladies professionnelles.


Les collectivités territoriales qui, de plus en plus nombreuses, tendent à renoncer à l'emploi de produits phytosanitaires.

Seuls les secteurs de l'industrie et de la distribution agro-alimentaire n'ont semble-t-il pas été suffisamment associés à cette démarche. Or, ils représentent un des acteurs essentiels de la problématique, dans la mesure où ils déterminent les cahiers des charges des récoltes et nouent ainsi un rapport de dépendance avec un grand nombre d'exploitants agricoles.

Au regard de ces évolutions et du chemin parcouru depuis trois ans, le plan Écophyto 2018 représente un succès qualitatif incontestable, qui a placé notre pays dans la dynamique vertueuse de la réduction de l'utilisation de produits phytosanitaires. Malgré cet élan national, force est de constater que les résultats de ce plan ne sont pas encore satisfaisants et que, au sein de l'ensemble des acteurs sus cités, de nombreux efforts restent à accomplir. Toutefois, pour être juste et permettre la pérennité des actions entreprises, il est fondamental de noter que :


Les mécanismes mis en place ne sont opérationnels que depuis peu de temps . Certains sont encore en cours de déploiement.


Les cycles de changement de modèle de production agricole ne peuvent être que très longs . Trois années semble un délai incroyablement court à l'aune des évolutions survenues durant les cinquante dernières années.


Une indéniable mutation s'opère parmi l'ensemble des acteurs concernés .

Des améliorations, des ajustements, l'instauration de contrôles plus importants et plus exigeants, une place plus large à l'harmonisation européenne, la redéfinition des objectifs et, souhaitons-le, les recommandations du présent rapport, contribueront à amender et bonifier ce plan.

II - Les propositions prioritaires à mes yeux

Un certain nombre de recommandations issues de nos travaux ont attiré plus particulièrement mon attention. Celles-ci figurent dans le rapport sous forme de recommandations et ne font en aucun cas l'objet de divergence. Il semble toutefois important de les conceptualiser dans cette contribution, afin de mettre en lumière leur caractère essentiel et prioritaire dans la prévention et la protection face aux risques liés à l'exposition aux produits phytosanitaires.


• La nécessité de mettre en place des outils de surveillance, de veille et d'épidémiologie concertés, uniques et efficaces sur l'ensemble du territoire

Cette recommandation représente, à mon sens, une urgence absolue . Aujourd'hui, aucune instance n'est en capacité de disposer de données structurées sur des sujets aussi cruciaux que le recensement des maladies, les incidents liés à l'utilisation des produits phytosanitaires, les alertes et les expositions des utilisateurs. Aucun registre n'est aisément consultable et utilisable par la recherche ou par les agences d'évaluation notamment en suivi, post-autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette désorganisation totale de l'information nuit à la qualité de la décision et de la preuve. Elle nourrit « la fabrique du doute » , rend les expérimentations scientifiques onéreuses, longues, diffuses et alimente les controverses. Dès lors, il est impératif d'organiser une surveillance épidémiologique de la population exposée, la mise en place d'un registre national des cancers et la constitution d'un recueil des données d'exposition et d'incidents .


• L'importance de la recherche

La Recherche constitue naturellement un élément central du rapport. Deux axes majeurs doivent s'inscrire au coeur de ses travaux :

- Les effets sanitaires des nouvelles molécules et produits mis sur le marché :

ü la prise en compte de la notion de perturbateur endocrinien dans les dossiers de demande d'AMM.

ü la progression de la recherche sur les faibles doses, les effets cocktails et les combinaisons adjuvants/matières actives.

- Le développement de méthodes complémentaires et alternatives :

ü la recherche variétale et génétique ;

ü le bio-contrôle ;

ü les méthodes alternatives techniques notamment agronomiques et leurs effets pérennes sur les rendements ;

ü mais aussi des réponses, fussent-elles chimiques, aux soucis des productions dites « orphelines », qui ne bénéficient pas d'investissements compte tenu de leurs faibles volumes et sont menacées de disparition de notre patrimoine et de notre économie agricole.


• La nécessité d'une harmonisation européenne renforcée pour l'autorisation de produits

Le règlement 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE a introduit un fonctionnement des AMM pour les produits, en fonction des zones géographiques.

Ce zonage, effectué sur les bases d'un regroupement d'Etats compte tenu de leurs pratiques culturales et de leur climat, pose toutefois un certain nombre d'interrogations. Par exemple, malgré les points de convergence culturales et climatologiques des régions françaises de l'est avec les Länder allemands de l'ouest, la France est située dans la « zone sud » et l'Allemagne dans la « zone centre ». Dans ce contexte, les fabricants de produits phytosanitaires sont amenés à présenter dans chacune des zones une demande d'AMM pour un même produit, en ne modifiant souvent que la présentation commerciale. Il pourrait être intéressant de repenser certains points du zonage mis en place et de renforcer l'harmonisation européenne sur le sujet, notamment à travers une mutualisation renforcée des moyens.


• La mise en place de moyens importants pour combattre les importations parallèles et les fraudes

Véritables fléaux dans certaines régions, pouvant être liées aux activités du grand banditisme, les fraudes et importations parallèles de produits phytosanitaires organisent ou occasionnent la diffusion de substances actives non autorisées sur notre territoire.

Celle-ci peut :

- mettre gravement en péril la santé des utilisateurs ;

- avoir des effets dramatiques sur l'environnement et l'alimentation.

Les équipes de police, de douane et de justice extrêmement expérimentées ont besoin de davantage d'harmonisation et de coopération européenne, de soutien logistique et de possibilités de contrôle.


L'importance de la formation, dans tous les domaines

Comme indiqué précédemment, toute volonté de développer les méthodes complémentaires ou alternatives à l'emploi de produits phytosanitaires doit être soutenue massivement par la recherche.

Lors de nos différentes auditions, nous avons constaté, à grand regret, un déficit grandissant d'experts : agronomes, entomologistes, toxicologues... Ces professions font désormais défaut sur le territoire français.

Or, la disparition progressive de ces compétences, au service de la recherche et des comités d'experts des agences d'évaluation, pourrait nuire à terme à la crédibilité des alternatives et mettre en difficulté notre capacité nationale à conserver la souveraineté de nos décisions. La promotion et la formation de scientifiques doit être encouragée et recommandée dès le second degré. Par ailleurs, la formation et l'information sur les risques liés à l'exposition aux pesticides au sein même des écoles d'agriculture à tous les degrés de formation doivent être renforcées. Cela doit permettre un ancrage durable des meilleures pratiques, tant pour les conditions d'utilisation de ces produits que pour l'existence et la conduite de méthodes alternatives, à niveau de production au moins équivalent.

Enfin, il convient de trouver des solutions à l'avenir du financement du dispositif « Certificat individuel produits phytopharmaceutiques », dit Certiphyto . Les modes de financement actuels semblent insuffisants pour la formation de tous les acteurs d'ici 2014. Il sera également nécessaire de concevoir un financement pérenne de la formation continue.


• Faire évoluer les conditions d'utilisation des pesticides lorsque leur emploi est nécessaire

Afin de renforcer la sécurité des utilisateurs, la poursuite de cet objectif, primordial, peut se focaliser autour de quatre exigences :

- Favoriser la recherche sur le matériel agricole , en lien avec l'Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture (IRSTEA) qui conduit des travaux très opérationnels, notamment sur des problématiques aiguës, telles que le traitement des bananeraies aux Antilles.

- Prescrire une plus grande harmonisation des contenants auprès des industriels, en concertation avec les professionnels du secteur agricole : bouchons, opercules, goulots..., qui méritent d'être sécurisés.

- Contrôler et sanctionner fermement la non- homologation des matériels de pulvérisation, cabines de tracteurs, filtres...

- Retravailler en profondeur la logique et la qualité des équipements de protection individuelle (EPI) en termes d'efficacité et au regard des produits employés, de distribution, de responsabilité, d'ergonomie et d'utilisation.


• Réduire l'utilisation des pesticides à la stricte nécessité de la production.

Le recours aux produits phytosanitaires constitue, pour un certain nombre d'activités, une nécessité. Les exploitants agricoles répondent à un besoin de production et de qualité, tandis que les groupes tels que la Société Nationale des Chemins de Fer français (SNCF) ou Aéroports De Paris (ADP) ont des contraintes de sécurité de leurs installations. Dans une grande majorité des autres cas, l'utilisation de pesticides ne répond pas à une nécessité de production ou de sécurité mais à une logique d'amélioration du cadre de vie ou d'ornement - jardins des particuliers, espaces publics, environnement des espaces verts, entreprises... Il semble donc possible de préconiser :

- un objectif "Zéro Phyto" pour les collectivités territoriales dans un délai de cinq ans ;

- l'arrêt complet, à terme, de la commercialisation aux particuliers de produits non agréés « Agriculture Biologique » (AB) et la promotion renforcée des méthodes alternatives .

A ce jour, malgré les efforts de formation et de commercialisation de la distribution spécialisée et de la distribution alimentaire, force est de constater que :

- le conseil est trop souvent absent et que les produits vendus se mêlent, banalisés, dans le charriot des consommateurs, aux produits alimentaires ;

- les solutions alternatives ne sont que peu ou pas présentées aux mêmes endroits de vente que les solutions chimiques ;

- les promotions et mises en avant concernent fréquemment des produits interdits par ailleurs dans le secteur agricole.

Par conséquent, dans l'attente de restrictions, il serait souhaitable d'interdire toute promotion commerciale, toute distribution en dehors d'un espace clairement identifié avec la présence permanente d'un conseiller, sur le modèle des espaces parapharmacies et de n'autoriser que les produits pré-formulés, moins propices aux surdosages.

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