PREMIÈRE PARTIE - LES INFRASTRUCTURES ET L'URBANISME : DES AXES D'INTERVENTION SECTORIELS DE LA POLITIQUE FRANÇAISE D'AIDE AU DÉVELOPPEMENT À RESITUER DANS LEUR CONTEXTE

La politique française d'aide publique au développement obéit à des orientations stratégiques, dans le cadre desquelles s'inscrivent les projets d'infrastructure et d'urbanisme.

Avant l'examen d'un cas particulier - celui de la Tunisie - il est donc apparu opportun d'examiner les différents cadres d'intervention sectoriels utilisés par l'AFD et relevant exclusivement de la politique d'aide au développement dans le domaine des infrastructures et de l'urbanisme :

- les collectivités locales et le développement urbain ;

- l'eau et l'assainissement ;

- les transports .

Certains projets - comme ceux relatifs à l'énergie - s'inscrivent dans des politiques sectorielles plus larges.

Enfin, les projets de PROPARCO, qui n'obéissent pas à un cadre d'intervention sectorielle formellement distinct de celui de l'AFD, seront présentés dans leur ensemble.

Ces cadres d'intervention couvrent la période 2010-2012, et ne permettent donc malheureusement pas de disposer de données financières consolidées plus récentes. Cependant, l'AFD et PROPARCO ont envoyé à vos rapporteurs spéciaux la liste - volumineuse - des projets en cours dans leur champ d'investigation : la liste des quelque 300 projets d'infrastructures ayant donné lieu à des engagements financiers entre octobre 2008 et mars 2012 figure en annexe au présent rapport .

La démarche de l'AFD et de PROPARCO consistant à procéder par cadre d'intervention sectorielle ne permet pas aisément de cumuler les données relatives aux collectivités locales et au développement, à l'eau et à l'assainissement et aux transports, d'autant que les projets « eau et assainissement » ne sont montés en puissance que dans la deuxième moitié des années 2000.

Sous ces réserves méthodologiques, pour les données disponibles les plus récentes (correspondant, selon les secteurs, à 2008 ou à 2009), les engagements annuels cumulés qu'on peut considérer comme relevant des infrastructures et de l'urbanisme dépassent 2 milliards d'euros pour l'AFD seule , répartis en trois parts d'importance quasi-équivalente entre les différents cadres sectoriels, l'eau et l'assainissement étant toutefois un secteur légèrement moins développé que les deux autres (en 2009, les engagements « eau et assainissement » avaient atteint un niveau alors inégalé, supérieur à 600 millions d'euros).

La liste, figurant en annexe au présent rapport, des 300 projets d'infrastructure ayant donné lieu à des engagements entre octobre 2008 et mars 2012, donne un total d'engagements de 10,2 milliards d'euros : cette liste est plus exhaustive que celle des trois cadres d'intervention sectoriels précités (elle inclut notamment les opérations conduites dans le domaine de l'énergie), mais elle ne correspond pas non plus exactement aux années calendaires 2008-2012 - puisqu'elle recense aussi des projets antérieurs à 2008. Elle confirme cependant que le montant actuel des engagements de l'AFD dans le domaine des infrastructures et de l'urbanisme reste supérieur à 2 milliards d'euros par an dans la période la plus récente, depuis 2010.

Pour PROPARCO, la liste des projets d'infrastructure sur la période 2006-2011 figure également en annexe au présent rapport d'information. Le montant des engagements s'élève à 1,6 milliard d'euros, et la répartition annuelle des projets fait apparaître une montée en puissance après 2009.

Au total, on peut estimer que les engagements de l'AFD et de PROPARCO dans le domaine des infrastructures s'élèvent aujourd'hui à près de 3 milliards d'euros par an.

La description des trois cadres d'intervention sectoriels mentionnés plus haut (les collectivités territoriales et le développement urbain, l'eau et l'assainissement et les transports) soulève des questions récurrentes, de caractère transversal, au coeur des missions de contrôle budgétaire du Parlement, notamment sur le choix des projets, le partage des risques et le montage global des financements. Ces enjeux de sélection et de suivi des projets - ainsi que leur financement - ont ainsi été examinés plus spécifiquement, à partir d'un processus itératif de questions-réponses avec l'AFD et PROPARCO, dont les équipes ont été rencontrées par vos rapporteurs spéciaux dans la conduite de leur mission de contrôle budgétaire.

I. LES DIFFÉRENTS CADRES D'INTERVENTION SECTORIELS

Parmi les cadres d'intervention sectoriels, le développement urbain mérite un examen préalable dans la mesure où il coordonne un ensemble divers d'interventions sur le secteur urbain.

A. LES COLLECTIVITÉS LOCALES ET LE DÉVELOPPEMENT URBAIN

1. Des engagements croissants pour répondre à des besoins toujours plus élevés

Dans le domaine du développement urbain, l'AFD et PROPARCO veillent à prendre en compte l'urbanisation rapide des pays en développement en apportant un soutien aux collectivités territoriales, de manière à valoriser la fonction de maîtrise d'ouvrage effective des collectivités. Parallèlement, le ministère français des affaires étrangères accompagne les politiques de décentralisation, afin de doter l'échelon territorial pertinent des moyens de conduire une politique d'aménagement urbain.

La moitié des aires urbaines qui existeront en 2030 n'étant pas encore construites (cf. carte ci-après, présentant l'évolution du monde urbain d'ici 2030) , les interventions de la France visent à anticiper les évolutions à venir le plus en amont possible, en privilégiant une approche transversale pour construire une vision stratégique d'ensemble des futures unités urbaines à l'échelle de leurs territoires. Suivant les pays, à défaut d'une vision stratégique globale, l'AFD encourage des projets précis.

Cette approche globale prend en compte l'opportunité économique que constituent les nouvelles agglomérations, tout en prévenant les risques d'exclusion sociale et de dégradation de l'environnement.

L'AFD appuie ainsi les politiques locales en matière de logement, de mobilité, de développement économique, d'équipements et services publics. Elle intervient également pour l'accès des populations à un logement décent, aux services de base et aux équipements publics, tout en favorisant la mixité sociale, des politiques de mobilité adéquates assurant l'accessibilité du territoire urbain et la mixité fonctionnelle des espaces (réduction des déplacements, modes de transports doux, transports en commun), ainsi que la promotion des activités économiques et de l'emploi local. Par ailleurs, l'AFD soutient les politiques de préservation de la richesse du patrimoine culturel et urbain des villes tout en impulsant un développement local fondé sur la valorisation équilibrée de cette richesse. L'objectif est enfin de limiter l'empreinte écologique des villes par une réduction de l'étalement urbain et de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Les perspectives d'évolution urbaine dans le monde d'ici 2030

Source : réponse au questionnaire

L'encadré ci-après détaille les objectifs stratégiques de la politique sectorielle de l'AFD dans le soutien aux collectivités territoriales et les opérations de développement urbain.

Les objectifs stratégiques des interventions de l'AFD en matière d'urbanisme
et de développement urbain

Identifiant la collectivité locale comme acteur clé des politiques de développement durable, la stratégie de l'AFD en matière d'appui au développement urbain cible trois objectifs majeurs :

1. Le renforcement des capacités des collectivités locales partenaires, garantes de l'efficacité et de la durabilité des investissements réalisés. Les interventions de l'AFD s'inscrivent dans un processus de renforcement de la qualité des interventions des collectivités. Elles visent l'élaboration de politiques locales cohérentes et soutenables dans le cadre de partenariats à moyen et long termes. Lorsque la collectivité locale existe à l'état embryonnaire, il s'agit de l'appuyer par des actions visant à renforcer sa capacité de maîtrise d'ouvrage.

2. L'amélioration des conditions de vie et de la productivité urbaines, dans une logique de meilleure prise en compte des populations les plus démunies. Il s'agit de faciliter l'accès de tous au logement, aux services essentiels, à la mobilité et à l'emploi, tout en favorisant la mixité sociale et fonctionnelle du territoire urbain.

3. La promotion d'un aménagement territorial qui préserve l'environnement et les biens publics mondiaux en milieu urbain. Le but est de lutter contre les externalités négatives de la concentration urbaine : dégradation de l'environnement local et atteintes aux biens publics mondiaux (climat, biodiversité, patrimoine urbain et culturel, santé).

Source : AFD

Au regard des enjeux financiers, le soutien au développement urbain représente une part croissante des engagements de l'AFD : alors que ses engagements dans le domaine urbain avaient stagné et même décru à la fin des années 1990 et au début des années 2000, ceux-ci ont fortement augmenté depuis 2002 .

La part des projets sur des territoires urbains ayant vocation à développer et à aménager ces territoires est ainsi passée de 21 % pour la période 1997-2002 à 24 % pour la période 2003-2008. Au cours des quatre dernières années pour lesquelles des données consolidées sont disponibles (2006-2009), les engagements dans le domaine de l'urbanisme ont dépassé en moyenne 500 millions d'euros par an . Sur dix ans (2000-2009), les engagements dans le domaine urbain ont atteint 3,51 milliards d'euros .

Le graphique ci-après détaille l'évolution des engagements de l'AFD dans le secteur urbain.

Evolution des engagements de l'AFD dans le domaine urbain

(en million d'euros)

Source : AFD

La catégorie  « autres » regroupe principalement trois pays d'Amérique latine : le Brésil (59 % du total), la Colombie (35 %) et Haïti (5 %).

On observe la part légèrement minoritaire de l'Afrique subsaharienne (45 % du total) , qui devrait pourtant concentrer la majorité des crédits d'aide publique au développement suivant les orientations stratégiques de la politique française en matière d'APD : cette situation traduit le fait que les projets structurants ont plus de chances d'aboutir dans les pays ayant déjà atteint un certain degré d'industrialisation. De fait, en Afrique subsaharienne, le premier bénéficiaire a été l'Afrique du Sud (31 % des interventions de l'AFD dans le sous-continent, soit 14 % de l'ensemble de ses interventions). Cette observation a conduit vos rapporteurs spéciaux à examiner de manière plus approfondie les critères de sélection des dossiers et, plus globalement, les procédures suivies ( cf. infra ).

Au sein des pays méditerranéens, la Tunisie a été le premier bénéficiaire de l'APD dans le domaine urbain : le montant total des engagements en faveur de ce pays a atteint 0,34 milliard d'euros sur la période 2000-2009 (soit 9,5 % des engagements totaux de l'AFD ), la plaçant au deuxième rang mondial (après l'Afrique du Sud). Cette concentration de projets en Tunisie a été un des motifs du choix de ce pays pour une visite de votre rapporteure spéciale Fabienne Keller.

2. Une évolution des modalités d'intervention, au plus près des collectivités territoriales

Dans la réponse au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux, l'AFD a souligné une évolution des modalités de financement des projets urbains . Depuis 2003, on observe ainsi une proportion croissante de prêts non-souverains (c'est-à-dire octroyés sans la garantie des Etats), du fait d'interventions plus nombreuses de l'AFD auprès d'institutions financières spécialisées dans le financement local ou directement auprès de collectivités. Ainsi, depuis 2005, les engagements directs en faveur de collectivités progressent : la part des concours octroyés directement à des collectivités dans le total des engagements en faveur du développement urbain a augmenté de 5 % en 2005 à 13 % en 2006 et 15,4 % en 2009 , comme le montre le tableau ci-après détaillant la répartition des bénéficiaires des interventions de l'AFD.

Répartition par catégories de bénéficiaires
des interventions de l'AFD dans le domaine urbain

(en millions d'euros)

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Collectivités

162,7

94,4

96,9

258,9

115,5

218,5

437,1

354,9

528,7

112,2

Etat

8,0

26,7

0,0

0,0

53,5

119,0

0,0

51,1

0,0

389,7

Entreprises publiques

0,0

0,0

0,0

0,0

50,0

0,0

0,0

0,0

13,5

225,4

Institutions financières

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

80,0

80,0

10,0

28,1

0,0

Entreprises privées

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,1

ONG

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,4

Total

170,7

121,1

96,9

258,9

219,0

417,5

517,1

416,0

570,3

727,8

Source : AFD

Ce soutien accru aux collectivités territoriales s'opère dans le cadre d'une répartition des compétences entre l'AFD et le ministère des affaires étrangères : ce dernier intervient sur les questions de gouvernance (appui à la décentralisation, renforcement des capacités institutionnelles, appui à la gouvernance urbaine) tandis que la première exerce la compétence en matière de développement urbain (infrastructures, appui à la maîtrise d'ouvrage). Ce modus operandi est conforme aux orientations stratégiques de la coopération française en matière de gouvernance urbaine, édictées en 2009.

3. Une palette diversifiée d'instruments financiers pour favoriser l'accompagnement des collectivités vers l'autonomie

En matière d'outils financiers, l'AFD cherche à structurer le marché du financement des collectivités locales en utilisant les différents produits à sa disposition, de la subvention au prêt direct à la collectivité en passant par le rehaussement de crédit.

Les prêts directs aux municipalités sont privilégiés dans les contextes où ce mode d'intervention est possible . Pour ce faire, il convient alors de disposer d'outils solides d'évaluation financière des collectivités étrangères.

Plus globalement, l'AFD cherche à favoriser l'accompagnement des collectivités vers l'autonomie financière en appuyant les acteurs institutionnels et financiers pertinents, tels que les fonds de développement municipaux ou les institutions financières spécialisées, en vue de favoriser à terme l'accès des collectivités au marché bancaire, voire obligataire.

L'AFD entend ainsi promouvoir des montages financiers innovants , notamment par le recours à des outils facilitant un financement local des collectivités en les mettant en relation directe avec les organismes financiers de leur pays, soit en renforçant la confiance des investisseurs potentiels (garantie, rehaussement de crédit), soit en apportant aux banques les ressources longues et la visibilité nécessaires au financement de ces contreparties.

Parmi les outils ainsi mis en oeuvre, le contrat de redressement apparaît comme un outil de pilotage et de responsabilisation des communes. La signature de ce type de contrat marque la volonté politique d'assainir la situation financière des collectivités signataires. Les contrats rappellent les engagements des deux parties, ceux de la municipalité portant principalement sur la mobilisation des ressources, la rationalisation des dépenses, l'épargne, la résorption de la dette, et ceux de l'Etat sur l'appui à la mobilisation des ressources, à l'organisation des services et à la mise en oeuvre du plan de redressement.

L'AFD a aussi encouragé les partenariats public-privé , en vue d'associer un intérêt collectif, le plus souvent le développement de services essentiels, avec un mode de gestion privé. Diverses formes de partenariat sont alors possibles, s'articulant entre la privatisation totale et la délégation conditionnelle de la gestion d'infrastructures d'intérêt collectif. Ces partenariats visent dans tous les cas à apporter une meilleure efficacité dans la gestion du service et du personnel ; ils imposent un niveau relativement satisfaisant de rentabilité, ce qui suppose également un environnement économique et financier favorable.

Intervenant ainsi en partenariat avec d'autres bailleurs locaux et internationaux, l'AFD dispose d'une compétence reconnue qui lui permet de se positionner en chef de file , comme cela a pu être observé en Tunisie ( cf . infra ).

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