Mme Estelle Youssouffa, Journaliste à TV5 Monde, Grand reporter

Si les écrits restent, les images télévisuelles parlent à tous. Je crois à la force des images et à leur pouvoir fédérateur : la télévision est un moment partagé, trans-générationnel, qui fait naître des conversations. Les images fortes, les séquences clés, les reportages chocs, les documentaires riches sont souvent pour les plus jeunes une découverte de moments d'actualité ou d'Histoire qui les amène à creuser et chercher davantage d'information. C'est pourquoi la numérisation de ces archives de RFO est une formidable nouvelle, porteuse de possibilités enthousiasmantes. Alors que les ultramarins souffrent d'être trop souvent oubliés de la Métropole, méconnus de leurs compatriotes, je crois que la numérisation de ces archives peut être l'occasion d'inscrire la mémoire de l'outre-mer dans celle de la communauté nationale via la télévision.

La diffusion d'un programme très court composé d'une archive de RFO commentée par un historien en access-prime time ou en première partie de soirée sur un France 2 peut devenir un rendez-vous important. Elle ferait office de découverte pour certains téléspectateurs ou d'évocation de souvenirs pour d'autres : pour tous, elle rappellerait la contribution de l'outre-mer à l'Histoire de la France. Quand la cohésion nationale fait l'objet de débats intenses et que des solutions manquent pour rappeler (enseigner ?) de quoi et comment s'est faite la nation, ces archives de RFO peuvent être un outil efficace et précieux.

Ces archives vont permettre aux ultramarins et aux métropolitains de plonger dans les dernières décennies enregistrées dans les Dom-Tom: ce sont des années mouvementées, parfois douloureuses, et le regard d'aujourd'hui sur cet hier peut être dur. Il faut se souvenir du contexte du tournage de ces images pour mieux les lire : RFO a mis du temps avant de pouvoir avoir des journalistes locaux dans les territoires. RFO a lentement pu se libérer de la tutelle (censure parfois) des pouvoirs politiques. Ces archives donneront donc aussi à voir le regard des journalistes métropolitains sur ces territoires qu'ils découvraient, elles montreront aussi la visée très politique de l'information qui peut parfois friser la propagande.

En observant ce qui est montré, mis en avant, ceux à qui l'on donne la parole, il est nécessaire de penser à ceux que l'on ne voit pas, à l'autre réalité absente de ces images. Garder à l'esprit le point de vue et ne pas prendre pour argent comptant les propos tenus : l'information n'est pas neutre quelle que soit l'ambition d'objectivité des journalistes.

Il est aussi important de souligner que les archives de RFO vont montrer les images des journaux, c'est-à-dire des événements et non pas du quotidien. Parce que le journaliste couvre l'extraordinaire, le fait marquant, il ne se penche pas sur le banal, le normal, ce qui fait la vie de tous les jours de nos concitoyens. Mais dans les territoires d'outre-mer qui ont des modes de vie traditionnels, uniques et particuliers, il est important de documenter le quotidien : c'est le travail des documentaristes. Il est urgent de documenter ce quotidien avant qu'il ne devienne folklore et de laisser les acteurs qui maintiennent ces traditions, les expliquer et en donner le sens.

C'est d'autant plus crucial pour les territoires ultra-marins que la rapidité du développement, l'arrivée massive des personnels, des techniques et des outils métropolitains bouleversent ces microcosmes traditionnels. De la rencontre de ces deux mondes naît un monde nouveau, l'utilité de ces archives est de garder la trace audiovisuelle du monde ancien en train de disparaître. Je souhaite, j'espère que les documentaires qui capturent ce quotidien seront aussi archivés et sauvegardés.

M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :

Merci pour cette intervention qui ouvre des perspectives fécondes. Ce fonds d'archives n'est pas neutre et il n'est pas encore totalement mis en chantier ; mais déjà il nous pose des questions sur son sens et son utilisation future. Quelle est votre réaction Jean-Michel Rodes, vous qui êtes l'un des pilotes de ce projet à l'INA ?

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