Débat avec la salle

M. Luc Laventure, directeur de la collection outre-mer (France Télévisions) :

Pour aller dans le sens d'Olivier Pulvar et répondre à la question posée par Pascal Blanchard quant au comptage ethnique, je pense que les nouvelles technologies nous permettront de nous inscrire en faux contre les qualificatifs « une et indivisible » attribués avec beaucoup de solennité à la République.

Pardon d'être iconoclaste alors que je m'exprime dans l'un des sanctuaires de cette République, mais il est facile de prouver qu'elle n'est ni Une, ni Indivisible. Son côté fragmenté se constate par exemple en Nouvelle-Calédonie, où il existe deux types de citoyenneté. Force est de constater que cette situation atypique ne met pour autant pas en péril la République. D'aucuns mal intentionnés prétendent que l'outre-mer n'intéresse personne, mais les nouvelles technologies prouvent le contraire à travers la multiplication de sites affinitaires et communautaristes qui drainent un bon nombre d'internautes. Ces réseaux peuvent se démultiplier et permettre de contourner cette loi de la République, unitaire et généraliste, qui est purement et simplement inadaptée et erronée.

Mme Marijosé Alie, journaliste à France Télévisions :

Si la question est de savoir comment ces archives peuvent nous être utiles et s'intégrer à notre vision de l'audiovisuel et à la projection de notre monde actuel, je pense qu'il faut effectivement les rendre visibles. Ces images sont essentiellement institutionnelles et folkloriques, surtout celles d'avant 1980, période à laquelle une véritable démarche de production est mise en place. Il faudrait accompagner ces images de tous nos questionnements ; il faudrait créer des émissions de télévision.

Les outre-mer sont en effet dans des espaces de fractures, de ruptures. Nombre de « paix » ont été signées sur le papier de façon institutionnelle, mais en réalité les personnes concernées ne se parlent pas pour autant. Cela signifie que l'histoire des Antilles racontée dans l'univers des descendants de colons n'est pas la même que celle qui y est racontée par les descendants de la colonisation. La télévision s'est fait l'écho de la façon dont chacun racontait son histoire. Se rassembler est important, que ce soit pour la Nouvelle-Calédonie, La Réunion ou pour Mayotte : cela permet de revisiter l'espace dans lequel l'outre-mer a évolué pendant dix, vingt ou trente ans, c'est-à-dire jusqu'aux années 1980 et 1990, lorsqu'elle a commencé à produire ses propres programmes, permettant ainsi d'offrir une véritable image et une véritable réalité de ces espaces.

C'est une action à entamer dès maintenant, tant que la mémoire est encore présente, tant qu'il existe de vieux briscards qui peuvent nous raconter l'histoire. Il faut donner à l'histoire une forme un peu plus ronde, c'est-à-dire qui ne serait pas cantonnée à la forme du prisme unique qu'on retrouve dans les images récupérées ; il faut que chacun puisse dire sa parole pour fabriquer la réalité d'une mémoire qu'il sera alors possible de partager.

Dernier point : le meilleur moyen de partager une mémoire est de s'appuyer sur de petites histoires. Le problème des outre-mer est d'avoir été scandés par les mouvements de la grande Histoire (la Seconde Guerre mondiale, la départementalisation, la décentralisation, etc.). Mais, du point de vue de l'outre-mer, cette grande Histoire n'intéresse visiblement personne, à part l'outre-mer lui-même. En revanche, les questions de société « banales » intéressent le plus grand nombre : lorsqu'on raconte une histoire qui se déroule dans une petite ville, tout le monde se retrouve à travers la façon dont une mère, une famille, un homme, une femme, des enfants arrivent à résoudre un problème quelconque et à le vivre. À ce moment-là, qu'on soit Basque, Corse, Normand, Martiniquais, Guadeloupéen, Calédonien ou New-yorkais, il existe toujours cet espace de sentimentalité, de véracité, d'humain qui touche à l'autre. Et c'est là que débute l'universalité.

M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :

Claude Esclatine est beaucoup trop modeste pour le rappeler mais plusieurs émissions qui valorisent le patrimoine audiovisuel existent déjà sur ses antennes. Il y a « 20 ans de Guadeloupe », « Paroles de vieux » en Nouvelle-Calédonie, « Archivage » en Martinique qui, il est vrai, sont des émissions uniquement à destination des ultramarins, mais qui s'appuient néanmoins en permanence sur les archives et qui valorisent les récits locaux. Cela n'existe pas en Polynésie française, ni à Mayotte, ni à Wallis-et-Futuna. Cette politique de valorisation est néanmoins intéressante : si certaines stations avaient déjà entamé ce travail, c'est bien que cela intéresse les publics.

M. André Bendjebbar, Historien :

Je suis historien de formation et j'ai un parcours traditionnel jusqu'à une thèse soutenue à Sciences Po sur la bombe atomique. Tout d'abord, c'est toujours une bonne nouvelle d'apprendre qu'il existe plus de 130 000 heures de télévision qui s'apprêtent à être conservées et numérisées. Les historiens ont ainsi des océans de mémoire, d'archives filmées et écrites devant eux. Mais un océan de mémoire se traverse toujours difficilement. Les archives ne disent rien à celui qui les lit s'il ne dispose pas des clefs pour les comprendre. Une archive demande donc une formation, une disposition et même, un accompagnement. Il ne sert à rien d'avoir la mer devant soi si on ne peut la traverser.

En réalisant un film sur Gaston Monnerville, j'ai visionné à peu près soixante-dix heures d'archives audiovisuelles à l'INA, tout d'abord à l'Inathèque de France (au sein de la BNF) puis grâce à la base en ligne INAMédiaPro. J'ai pu acheter en tout huit minutes : le producteur disait ne pas avoir d'argent pour en acheter plus. Autre exemple : en travaillant sur d'autres fonds, j'ai pu acheter des archives aux Archives nationales du Maryland à meilleur compte que nulle part ailleurs. La question qui se pose ne porte donc pas seulement sur la masse des archives disponibles, sur la façon de les interpréter, de les classer et de les faire vivre, car la question se pose aussi sur la manière de permettre aux productions de les acquérir. Pour un projet aussi grandiose que celui-ci, il nous faut donc aussi penser l'étape suivante.

Dernier point : les questions de la mémoire du quotidien. J'avais rencontré Luc Laventure ici même au Sénat et lui avais posé la question de savoir si quelqu'un savait l'histoire de l'ananas, de la dinde, du coton ou de l'or sauvé de Martinique. Quelqu'un sait-il ces mémoires collectives ? Très peu de personnes en France, en métropole, se rendent compte qu'il existe une conjonction de mémoires qui sont fragmentées, mais partagées. Mes premiers livres ont porté sur la Vendée, maintenant je travaille sur la Guyane : il existe des fragmentations de mémoire en toutes circonstances, et c'est ensemble qu'il s'agit de trouver des ponts entre ces mémoires.

M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :

Par exemple pour « Noirs de France » , si l'INA n'avait pas disposé des images de « Pulsations », nous ne les aurions pas vues, et nous n'aurions pas pu les utiliser pour ce documentaire. L'INA avait fait le travail en amont et nous permettait de constater que le corpus existait. Le réalisateur doit aussi savoir convaincre un distributeur ou un diffuseur (en leur « tapant sur la tête » s'il faut) de l'intérêt de certaines archives et de l'intérêt des pépites mises à disposition grâce au fonds de l'INA.

M. Jean-Michel Rodes, Directeur délégué des Collections de l'INA :

La question de savoir se repérer dans cet océan de 130 000 heures d'archives est en réalité plus globale : il va falloir que la corporation historienne fasse, à un moment donné, un effort de changement de méthodologie et d'équipement, car c'est bien cet avenir qui se préfigure aujourd'hui. Par exemple, à l'INA, en dehors de la radio et de la télévision, nous nous chargeons également du Web média qui englobe déjà un milliard de liens URL. Il existe aussi des programmes de recherche auxquels l'INA participe, comme l'Equipex MATRICE, un programme d'Équipement d'excellence réalisé dans le cadre du Grand Emprunt et géré par Denis Peschanski ; et dans ces programmes, les historiens vont devoir changer leurs méthodes, être moins individualistes pour travailler en équipe de façon collaborative. Je ne fais pas de leçon, mais il est vrai que ce ne sont pas les archives qui vont changer, et par conséquent, il faut que ce soit les historiens qui s'y adaptent.

Pour réagir à ce que disait Françoise Vergès, je crois à la complémentarité des sources, je ne crois pas à une source unique. Par exemple, il y a certainement des éléments à trouver au sein des archives écrites de RFO. Il n'y a pas que les archives de l'État, les archives officielles, les archives de la radiotélévision ; par exemple, au début des années 1970, toute une série de luttes s'est organisée contre le BUMIDOM et elles ont été filmées par la coopérative Scopcolor de Roger Louis. Lors d'un colloque organisé à Bobigny en 2011, intitulé « De la traite négrière à la créolisation du monde : attention, Histoire en cours ! », d'autres sources ont été évoquées. Des sources différentes de celles de l'ORTF, de FR3 ou de RFO existent donc.

Je veux aussi revenir de façon un peu provocatrice sur l'un des premiers débats : de manière générale (et malgré le paroxysme de la situation en outre-mer), il faut bien constater qu'en France, les régions n'ont pas d'« Histoire », car les régions « ennuient » tout le monde, que ce soit les régions d'outre-mer ou les régions de métropole. Je ne crois pas que l'opposition hexagone/outre-mer soit pertinente, il s'agit plutôt d'une opposition Paris/outre-mer ou d'une opposition État français/outre-mer et régions françaises. Mais d'une façon générale, les régions françaises n'ont pas d'« Histoire ».

Mme Françoise Vergès, Politologue, Présidente du Comité Pour la Mémoire et l'Histoire de l'Esclavage (CPMHE) :

Il n'y a pas seulement les régions qui n'ont pas d'histoire, mais également beaucoup de minorités, comme les femmes, par exemple. J'insiste sur la question de la dimension coloniale, une dimension qui induit certaines particularités. Il est vrai qu'il existe des vides entiers sur de nombreux groupes, et cela résulte de la façon dont s'est construite l'histoire officielle. Sur la question de l'accès brut aux sources, pourquoi en effet ne pas ouvrir les archives à tous (après tout, les gens peuvent être capables de les exploiter) ? Je ne crois pas que doive s'imposer le seul discours de l'historien ; une seule personne ne peut dire exactement les choses, il existe toujours la possibilité d'ajouter des éléments, d'autres personnes peuvent rétorquer qu'il existe des oublis et des manques. Lorsqu'on s'intéresse à l'océan Indien, à un fait réunionnais par exemple, en oubliant les effets produits à Madagascar ou à l'Île Maurice, on rate quelque chose du contexte. Enfin, nous savons que la lectrice ou le lecteur fait sa propre interprétation : l'historien n'est pas là pour tout contrôler.

M. Raymond Cipolin, Inspecteur général honoraire de RFO :

Je me présente, car il faut toujours savoir qui parle et d'où il parle. Je fais donc partie de ce que Marijosé Alie a nommé les « vieux briscards », je suis même le plus vieux des briscards de cette salle. En effet, j'ai longtemps travaillé pour RFO, auparavant pour FR3 et même lorsqu'il y avait une seule chaîne en noir et blanc à la télévision française (et où nous étions deux des outre-mer, Max-Henri Boulois qui était aux sports, et moi, qui étais au service économique). Cela étant dit, je cesse de parler de moi pour formuler quelques remarques décousues sur cette rencontre, mais je ne traiterai pas du rôle des archives et de l'historien, car l'essentiel a déjà été dit.

L'archive n'est ni un OVNI, ni une pépite. Cela peut parfois être une pépite trouvée grâce à ce qu'on appelle les recherchistes qui exhument les archives, mais ce n'est pas un OVNI, car cet objet est identifié. Il est identifié à une époque, à un moment, et il contribue donc à être fixateur de mémoire et à adopter une profondeur de champ (un terme technique de l'audiovisuel) vis-à-vis de l'histoire et de son déroulé.

Je voudrais également parler de ma longue expérience de responsable directorial en Polynésie française : lorsque nous parlons d'archives audiovisuelles de ces régions, nous devons faire très attention à séquencer les éléments, depuis les années 1960, après 1981 et l'explosion littérale de l'audiovisuel aussi bien public que privé, mais aussi de la radio. À partir de là, les « vieux briscards » comme moi sont peut-être à jeter aux enfers, à clouer au pilori en disant qu'ils ont été des « nègres maîtres » par exemple. Mais n'oublions pas qu'à l'époque, la télévision devait être « la voix de la France » comme l'avait dit le président Pompidou. Il nous fallait alors faire un autre métier, ou rester et alors réaliser des actes héroïques. Comment nous en sortions-nous ? Pour ma part, je cultivais ce qu'on appelle le mauvais caractère, de façon à ce qu'on me laisse tranquille. Pour ne pas être embêté, il fallait avoir un mauvais caractère sans pour autant être un héros. Ou bien, il fallait être machiavélique et savoir ruser.

Pour en venir à la Polynésie, je veux rendre hommage à ce qu'a dit le sénateur : en effet, elle est un cas très spécial et qui a été très en avance. En effet, la Polynésie est tout à fait bilingue : nous avions deux journaux télévisés et des journaux parlés comme « Allo les îles » en langue tahitienne (qui est une langue véritable, pas un patois). Cette expérience polynésienne, loin d'être à la marge, peut être un exemple. Les Tahitiens sont très attachés à leur histoire et cette langue tahitienne leur sert de support. C'est le récit qui est important et les archives audiovisuelles servent à la constitution de ce récit.

J'ai représenté RFO au plan média en tant que directeur des archives et de la documentation. Nous étions chargés de distribuer des bourses destinées à la production audiovisuelle à base d'archives, dans le but de créer ou de favoriser une prise de conscience de mémoire européenne. Un conseil d'administration en Guyane a montré que les archives d'outre-mer étaient un matériau qui pouvait nourrir cette conscience européenne. Il faut être positif et non pas spéculatif. On peut imaginer créer un organisme sur le modèle de MAP TV (Mémoire, Archives, Production), qui collecterait les finances sous forme d'une fondation ou avec les régions, et qui développerait la production télévisuelle à base d'archives audiovisuelles. Dans ce cadre, il serait alors possible de créer une coopération avec l'environnement géographique. Notre mémoire ne s'arrête pas aux frontières de la France, elle ne s'arrête pas aux frontières de Martinique ou de Guadeloupe ; elle se situe dans un bassin, dans un environnement qui doit être pris en considération.

Mme Estelle Youssouffa, Journaliste à TV5 Monde, Grand reporter :

La question du coût de ces archives est fondamentale, car elle va se poser très vite, et notamment dans les journaux télévisés : en effet, si, dans une production documentaire, on a le temps de négocier ses archives, cela n'est pas vrai pour un journal télévisé. Dans les rédactions, on dit aux journalistes de ne pas utiliser d'archives, car cela coûte trop cher. Ce n'est donc pas une amnésie éditoriale, c'est un manque de moyens. Je crois que l'INA est en train de renégocier ses tarifs qui sont actuellement réellement rédhibitoires. Mais les diffuseurs d'outre-mer sont peu dotés de moyens financiers. Si cette mémoire audiovisuelle était financièrement confisquée, cela irait à l'encontre des objectifs affichés.

En écoutant les débats, on s'aperçoit d'une chose frappante et spécifique à l'outre-mer : les archives visibles sont très récentes. Mais l'histoire récente de l'outre-mer n'est pas une histoire facile. En regardant ces archives, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un passé récent, très vivant, mais d'un passé qui n'est pas apaisé. C'est pourquoi ces archives sont particulières. De la même façon, les images récentes de métropole qui concernent l'immigration ont été peu vues et elles soulèvent beaucoup d'émotion aujourd'hui lorsqu'elles sont diffusées, car elles renvoient à un passé extrêmement récent où les témoins sont vivants et dont le sujet est encore politiquement chargé. Et c'est pourquoi ces archives sont si puissantes, c'est pourquoi nous investissons autant d'affects sur ces archives, c'est pourquoi nous sommes tous en train de projeter ce qu'elles veulent dire, sur ce qu'elles doivent dire, sur ce qu'elles ne disent pas et sur ceux qui n'y apparaissent pas.

M. François Biyele, chercheur :

Je suis chercheur au Laboratoire communication, information et média de Paris III à La Sorbonne. Évidemment, il faut montrer l'outre-mer à la télévision, mais il faut aller plus loin : il faut penser à la transmission, à l'enseignement de cette histoire qu'il faut intégrer au récit national.

M. Brice-Martial Mackanamo, Juriste :

Je suis consultant juridique, spécialiste du droit des étrangers. Je veux faire une parenthèse sur la colonisation. Le titre de cette rencontre est « Outre-mer, une mémoire audiovisuelle à partager », mais il faut comprendre qu'avant d'y parvenir, l'outre-mer a été marqué par l'esclavage puis par la colonisation, lorsque des individus ont été déportés dans des colonies, colonies qui sont ensuite devenues les départements. Alors, on ne peut partager d'une manière correcte cette mémoire si on occulte l'Afrique francophone qui a participé à la libération de la mère Patrie au prix de son sang. Aujourd'hui, en métropole, lorsqu'on parle de peuple noir, cela évoque tout de suite l'immigration, on parle tout de suite de ceux qui viennent prendre le pain du peuple français. Or, si on montre d'une manière correcte l'histoire de l'Empire et de l'Union française, si on l'enseigne, je pense que la société française pourrait par exemple être en accord avec les politiques qui évoquent un référendum visant à savoir si les Français veulent bien donner le droit de vote aux étrangers.

M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :

L'INA travaille actuellement avec plusieurs pays d'Afrique, le Sénégal et le Mali par exemple, à la sauvegarde des fonds audiovisuels afin de rassembler une mémoire commune, y compris la mémoire coloniale et postcoloniale, pour que demain des histoires croisées puissent s'écrire.

Mme Isabelle Gratien :

Monsieur André Bendjebbar évoquait Gaston Monnerville en disant qu'il avait failli être président de la République. J'ai remarqué que, dans les livres d'histoire, il existait une mémoire sélective et de plus en plus déformée. Prenons un exemple : je suis Guyanaise de par mon père, Martiniquaise de par ma mère. Et dans les livres d'histoire, je n'apprenais que « nos ancêtres les Gaulois ». Je ne me suis pas reconnue à travers cette identité. Puis je suis venue en métropole rencontrer mon père qui y vivait ; celui-ci n'a alors pas cessé de me parler de Félix Éboué dont je n'avais jamais entendu parler, que je ne connaissais pas. L'histoire provient aussi des personnes âgées, la mémoire de nos ancêtres est très importante. Et c'est à travers mon père que j'ai appris l'histoire, que j'ai appris que je venais de la Côte-d'Ivoire, que j'ai appris que mon ancêtre s'appelait Félix Éboué, que ma grand-mère s'appelait Cornélie Éboué. Au fur et à mesure qu'il me racontait des anecdotes, j'ai commencé à m'intéresser à mes origines vraies, c'est-à-dire à l'Afrique, j'ai commencé à chercher qui avait été cet homme, Félix Éboué, qui avait fait tant de choses. J'ai fait des recherches auprès des personnes qu'il avait rencontrées, et j'ai fait la connaissance d'une dame qui est toujours en vie, qui a 94 ans et qui m'a parlé de Félix Éboué et de sa famille. La vérité, l'histoire proviennent aussi de la mémoire de nos ancêtres.

M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :

Merci à tous pour vos contributions et réflexions, je vais brièvement conclure cette journée. Je tiens tout d'abord à remercier toute l'équipe de l'INA et notamment Agnès Baraton, Marie-Laure Daridan et Denis Maréchal. Sans eux, cette rencontre n'aurait pas existé, et je voulais les en remercier tout spécialement.

Merci à tous d'avoir respecté le timing et les deux thématiques de nos tables-rondes. Merci à ceux qui dans le public nous ont écoutés ou sont intervenus, merci à Monsieur le Président du Sénat pour son accueil. Merci à la Délégation d'avoir apporté son concours et à vous tous pour avoir accepté d'intervenir. Je laisse le dernier mot à Jean-Michel Rodes, directeur délégué aux collections de l'INA.

M. Jean-Michel Rodes, Directeur délégué des Collections de l'INA :

Ce n'est pas une conclusion, mais quelques éléments de réponses quant aux questions qui ont été soulevées ici ou là. Tout d'abord, un accord a été signé en juin 2012 avec France Télévisions sur la mise à disposition des archives. Cette mise à disposition est forfaitaire : les archives deviennent donc « gratuites » pour les journalistes qui travaillent dans les rédactions de France Télévisions ; de plus, elles sont transférées en urgence sur notre site professionnel InaMédiaPro.

En parallèle de ce qui est réalisé sur les fonds RFO, nous travaillons aussi sur l'Afrique francophone : nous sommes en train de numériser l'intégralité des fonds de RFI qui n'avait plus versé ses archives à l'INA depuis 1986. 50 000 supports, soit 25 000 heures sont ainsi en train d'être numérisés. Il existe également une mission à Madagascar, notamment pour aider à la mise à disposition d'un télécinéma. Par ailleurs, nous avons passé un mandat avec une réalisatrice ayant beaucoup travaillé sur le Rwanda en filmant les procès des tribunaux qui s'étaient tenus après le génocide. De même, il y a cinq ans, nous avions organisé un grand colloque à Cotonou avec l'ensemble des dirigeants des archives radiophoniques et audiovisuelles de l'Afrique francophone. Des projets sont donc lancés sur l'Afrique francophone.

Concluons sur une ouverture et regardons plus loin, et là, je me tourne vers Claude Esclatine : il nous faut donc finaliser la numérisation des archives, ce qui coûte cher, surtout quand les documents sont anciens. Il nous faut finaliser la captation de l'intégralité des chaînes de RFO (aujourd'hui Outre-mer 1 ère ), c'est-à-dire France Ô et les neuf chaînes afférentes. Il nous faut finaliser le transfert des documentations, parce que pour faire de l'histoire aujourd'hui, il faut des archives très documentées, sinon il est impossible de s'y retrouver. Nous sommes proches du but, mais il nous faut finaliser les différentes étapes.

La phase de conservation et de numérisation marque le début d'un cycle. Une question se pose ensuite : comment faire vivre ces archives ? Comment susciter leur usage dans des productions audiovisuelles ? Comment favoriser leur diffusion sur l'ensemble des chaînes ultramarines et sur les chaînes nationales ? Je dirais la même chose pour les archives régionales de France 3, dont le cas est très symétrique.

Puis il faut que les historiens, les sociologues, les personnes qui étudient la sémiologie ou la narratologie, puissent travailler sur ces archives, puissent les labourer, puissent les faire vivre aussi. Par exemple, le prix de l'Inathèque de France permet de faire émerger des choses magnifiques, mais la recherche est chronophage. Cela peut prendre des dizaines d'années avant que les travaux se capitalisent, avant que s'accumulent les études pour donner du sens à ces éléments.

Il faudra aussi que ces archives soient mises à la disposition du grand public, sûrement sous des formes éditoriales. En effet, une pure base de données brute ne fonctionne pas, le grand public ne s'y intéresse pas, il préfère des sites comme YouTube ou Dailymotion, et certaines générations plus spécifiquement. Il faudra donc éditorialiser les archives, passer des partenariats avec les grands médias (ce que nous faisons), de manière à ce que ces archives puissent vivre aussi de cette façon.

Jean Varra le disait : la numérisation va s'étendre sur six ou sept années. Au fur et à mesure, ces archives seront disponibles, tout d'abord pour l'exploitation professionnelle, faite sans doute en premier lieu par les chaînes ultramarines, puis par les autres chaînes et par les productions privées. Puis ces archives seront mises à disposition des chercheurs et du grand public. C'est l'avenir qui nous attend.

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