B. DES POPULATIONS VICTIMES DE NOMBREUSES DISCRIMINATIONS DANS TOUTE L'EUROPE

1. Un haut niveau de discriminations dans tous les domaines de la vie socio-économique

L'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) a publié, en mai 2012, un rapport 9 ( * ) présentant les résultats de deux enquêtes conduites respectivement par elle et par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) concernant la situation des Roms en Europe.

L'enquête de la FRA a été réalisée auprès de onze États membres de l'Union européenne : la Bulgarie, l'Espagne, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Italie, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie.

L'enquête régionale du PNUD, de la Banque mondiale et de la Commission européenne couvrait également cinq de ces pays (la Bulgarie, la Hongrie, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie), ainsi que six pays tiers situés dans les Balkans occidentaux et la République de Moldavie.

Dans les onze États membres de l'Union européenne, 22 203 Roms et non-Roms ont été interrogés dans le cadre des deux enquêtes et des informations sur 84 284 membres de ménages ont été collectées. Les entretiens ont eu lieu en face à face chez les répondants roms et non-roms. En France, les Roms interrogés correspondent à des personnes s'identifiant comme des Gens du voyage, vivant dans des caravanes sur des sites d'accueil. Les non-Roms interrogés représentent la population générale vivant dans la même zone ou à proximité immédiate des Roms interrogés.

Les résultats présentent un tableau sombre de la situation des Roms interrogés. La comparaison avec les non-Roms qui vivent à proximité immédiate met en exergue des différences significatives en termes de situation socio-économique. Néanmoins la situation des répondants non-roms est souvent aussi préoccupante.

Les indicateurs présentés montrent que, dans les onze États membres de l'Union couverts par l'enquête, la situation socio-économique des Roms dans les quatre domaines clés que sont l'emploi, l'éducation, le logement et la santé, n'est pas satisfaisante et est, en moyenne, pire que la situation des non-Roms vivant à proximité immédiate. Ils montrent également que les Roms continuent à faire l'objet de discriminations et ne sont pas suffisamment conscients des droits qui leur sont garantis par la législation de l'Union européenne, par exemple la directive 2000/43/CE relative à l'égalité raciale.


Résultats de l'enquête sur la situation des Roms dans onze Etats membres

Les principales conclusions de l'enquête sont les suivantes :

En matière d'éducation :

- en moyenne, parmi les répondants, seul un enfant rom sur deux fréquente une école maternelle ou un établissement préscolaire ;

- durant la période de scolarité obligatoire, à l'exception de la Bulgarie, de la Grèce et de la Roumanie, neuf enfants roms sur dix âgés de 7 à 15 ans seraient scolarisés ;

- la scolarisation chute sensiblement après la période de scolarité obligatoire : seuls 15 % des jeunes adultes roms interrogés ont achevé un enseignement secondaire, supérieur général ou professionnel.

En matière d'emploi :

- en moyenne, moins d'un Rom sur trois est salarié ;

- un répondant rom sur trois déclare être au chômage.

En matière de santé :

- un répondant rom sur trois, âgé de 35 à 54 ans, fait état de problèmes de santé limitant son activité quotidienne ;

- environ 20 % des répondants roms ne sont pas couverts par une assurance médicale ou ne savent pas s'ils sont couverts.

En matière de logement :

- dans les ménages interrogés, plus de deux personnes vivent dans une seule pièce ;

- environ 45 % des Roms vivent dans une habitation ne disposant pas au moins d'un des éléments de confort de base suivants : cuisine intérieure, réfrigérateur, toilettes intérieures, douche intérieure ou baignoire, électricité.

En matière de pauvreté :

- en moyenne, près de 90 % des Roms interrogés vivent dans un ménage ayant un revenu se situant en dessous du seuil national de pauvreté ;

- en moyenne, près de 40 % des Roms vivent dans un ménage dont l'un des membres, au moins une fois au cours du dernier mois, s'est couché en ayant faim, par manque de moyens pour l'achat de nourriture.

En matière de discrimination et de sensibilisation aux droits :

- près de la moitié des Roms interrogés ont déclaré avoir fait l'objet de discrimination au cours des 12 derniers mois en raison de leur origine ethnique ;

- près de 40 % des Roms interrogés connaissent les lois interdisant la discrimination à l'égard de personnes issues de minorités ethniques lorsqu'ils se présentent à un emploi.

2. Un manque de représentation au niveau européen et national

Le mouvement politique rom est d'affirmation relativement récente. Il faut attendre les années 1960 pour voir se créer des organisations roms, lancer des campagnes de mobilisation mondiale.

Selon Emmanuelle Pons, dans son ouvrage intitulé Les tsiganes en Roumanie, des citoyens à part entière ? , « La dynamique politique s'affirme un peu partout mais le processus n'avance que très lentement. La majorité des Roms demeurent passifs politiquement et restent en dehors des élections, persuadés qu'ils ne peuvent influer sur les décisions politiques. Le faible taux de participation à la vie politique est également dû au manque d'éducation de la population tsigane et à son importante marginalisation (...).

« La fragmentation de la population rom ne facilite pas non plus l'émergence d'une conscience politique rom indépendante et organisée. Les Roms ne forment pas un groupe homogène et se trouvent souvent opposés les uns aux autres. Certains sont nomades, la plupart sédentaires. (...) Il ya en a qui s'identifient comme « Tsiganes », d'autres qui cachent leur origine. Certains perpétuent la tradition, d'autres ont été assimilés. Il y a ceux qui vivent regroupés et les autres qui sont au contraire mélangés avec les non-Tsiganes (surtout dans les grandes villes industrielles) .

« La solidarité rom n'est pas toujours de mise. (...) En règle générale les Roms parvenus à une certain réussite matérielle ne font pas preuve d'un grand dévouement pour le reste du groupe. Au contraire, ils restent avant tout intéressés par l'appât du gain, cherchent parfois à accroître leur pouvoir en se lançant dans la politique, et se laissant volontiers manipulés par les partis des non-Tsiganes lorsque cela peut servir leurs intérêts. Compte-tenu de leur manque d'expérience en politique et surtout des raisons peu avouables à leur engagement, ils ne sont pas toujours le plus efficaces et les mieux placés pour défendre la cause de leur communauté. Comme le souligne Marcel Courthiade 10 ( * ) dans son article :

« Certes l'envie, la déviance, la malveillance et d'autres sentiments destructeurs sont largement partagés par les non-Tsiganes, notamment dans l'actuel désastre des pays de l'Est, mais ce qui est une plaie pour une population majoritairement structurée devient une calamité pour un peuple dispersé et persécuté. »

Le premier Congrès international des Roms qui s'est tenu à Londres en 1971 a revendiqué le droit des Roms à être reconnu comme un peuple à part entière. Il adopte :

- le terme « Rom » comme terme générique pour désigner son peuple,

- un drapeau :

« Bleu, comme le ciel et la mer,
Vert, comme les forêts et les prairies
Rouge comme le sang versé
Lors des persécutions que nous avons subies au cours des siècles. »

Vania de Gila-Kachanowski, Huguette Tanguy

- un hymne : « Gelem, Gelem » sur une musique traditionnelle rom et des paroles composées par Jarko Jovanovic, poète rom d'originaire de l'ex-Yougoslavie et dont la majeure partie de sa famille a été exterminée à Auschwitz ;

- et une Journée internationale des Roms, le 8 avril. Les Roms commémorent également le Samudaripen le 2 août, en mémoire du génocide perpétré par les nazis, date à laquelle 3000 d'entre eux ont été assassinés à Auschwitz-Birkenau en 1945.

En 1978, le Congrès mondial rom réuni à Genève crée l'Union romani internationale.

En 1979, celle-ci obtient un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies.

En 1994, Juan de Dios Ramirez-Heredia devient le premier membre rom au Parlement européen après avoir été le premier et, à ce jour, le seul membre rom de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe entre 1983 et 1985.

En 2000, est revendiquée, lors du 5e Congrès mondial rom, à Prague, l'idée d'une nation rom, une nation « sans territoire compact et sans prétention à un tel territoire ».

En 2003 est créé le Réseau international des femmes roms (IRWN), en partenariat avec l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et l'EUMC (Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes). Ce réseau qui, au départ, axait son action sur l'accès des femmes roms aux soins s'est depuis étendu à d'autres domaines tels que l'accès à l'emploi, à la lutte contre les préjugés et les discriminations. L'IRWN est aussi un moteur de changement pour faire évoluer la communauté rom sur des sujets longtemps tabous tels que les mariages précoces, l'éducation des filles et l'homosexualité.

En 2004 est créé le Forum européen des Roms et des Gens du voyage (Ferv). Il a pour objectif de faire entendre la voix des Roms, de permettre aux communautés de faire valoir leurs espoirs et leurs préoccupations au niveau européen, de participer aux décisions les concernant. Le Ferv, dont le siège est à Strasbourg, est une instance autonome indépendante des gouvernements. Il réunit des représentants des fédérations nationales et d'organisations internationales roms afin de défendre les droits des Roms.

Il n'en demeure pas moins qu'en 2012, la représentation politique des Roms, tant au sein du Parlement européen, que des parlements nationaux et des autres formes de représentation au sein des pays membres de l'Union européenne, reste excessivement limitée.

En Roumanie, un député représente la minorité nationale rom, comme 16 autres minorités qui sont représentées au parlement. Son influence reste, malgré tout, confidentielle.

En Hongrie, il existe un Conseil National des Roms, décliné au niveau départemental et local. Composé de membres élus, sa majorité évolue en suivant celle du parti politique dominant. Son activité est vivement contestée par les ONG locales.

Par ailleurs, deux Roms hongroises, Lívia Járóka (Fidez, PPE) et Viktória Mohácsi (ADLE), ont été élues, en 2004, au Parlement européen.

En 2008, Viktória Mohácsi a obtenu, à Rome, le « Premio Minerva » pour son activité de défense des droits de l'homme des Roms. Elle a été particulièrement active contre les attaques que connait la communauté rom en Hongrie entre janvier 2008 et juin 2010, période pendant laquelle 68 attaques ont été recensées, qui ont provoqué la mort de 12 personnes et de nombreux blessés. En 2009, Viktória Mohácsi a demandé une protection policière en raison des graves menaces qu'elle avait reçues. Elle n'a pas été réélue au Parlement européen lors des dernières élections européennes. Selon le journal Nepszabadsag, elle aurait demandé l'asile politique au Canada en février 2012.

De son côté, Lívia Járóka, dont le mandat de député européen a été renouvelé en 2009, a indiqué, dans une interview publiée dans le magazine européen d'actualité cafebabel.com le 20 avril 2009, que « La situation des Roms dans les pays de l'Est n'a cessé d'empirer depuis la chute du bloc communiste. En Europe occidentale, le cas de l'Italie est seulement la partie visible de l'iceberg. Ce qui m'attriste particulièrement est le sentiment anti-Rom grandissant en ces temps de crise économique. Je ne vois pas non plus de partis politiques disposés à lutter contre les stéréotypes ou en faveur du vote des Roms. Certes, beaucoup de promesses sont faites mais je ne vois l'argent arriver de nulle part. Bruxelles se dit enchantée par les magnifiques programmes d'intégration présentés par chacun des États membres, mais elle ne cherche jamais à vérifier leur mise en application. ». Elle regrettait alors la force des préjugés, qui faisaient obstacle au rapprochement des Roms et des non-Roms et dénonçait l'absence d'espaces de travail communs, précisant à ce titre que « pendant le régime communiste, chaque citoyen rom se rendait tous les matins à son travail avec les gadjos (non-Roms). Il existait aussi beaucoup de mariages mixtes (moi-même en suis issue), alors qu'aujourd'hui, on n'en compte quasiment plus car les Roms n'ont pas de travail. 90 % des Tsiganes hongrois sont au chômage ou travaillent dans le marché noir » . Elle dénonçait la responsabilité des médias dans la méconnaissance actuelle des Roms, qui « préfèrent jeter de l'huile sur le feu » et regrettait l'absence « de chiffres officiels sur les gitans » qui empêchent de disposer de données et, par conséquent, d'analyses fiables. Afin de rapprocher les non-Roms des Roms, la priorité des politiques actuelles devait viser la déségrégation, en particulier dans l'éducation et dans l'emploi.


* 9 Le rapport complet de la FRA peut être consulté à l'adresse suivante : http://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/2099-FRA-2012-Roma-at-a-glance_EN.pdf

* 10 Marcel Courthiade, « Vous êtes le centre du monde » in Études tsiganes n°1993

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