25. Fabien Bazin, Maire de Lormes, contributeur de la réflexion sur le « bouclier rural »

Mardi 18 décembre 2012

La logique des scénarios France 2040, tels qu'exposés, en particulier, par la DATAR, est plutôt celle d'une extrapolation tendancielle. En réalité, aucune des scénarisations proposées ne me paraît déboucher sur un avenir franchement souhaitable, et je n'en conçois même pas un mixt réellement séduisant.

Pour aborder une réflexion sur l'avenir de l'espace rural, il convient sans doute de bien distinguer rural profond et rural périurbain. L'exode urbain qui a succédé à l'exode rural, est tantôt choisi - il alimente alors plutôt le rural profond #172;, tantôt subi, il alimente alors, généralement, l'espace périurbain.

La question est celle, posée par Edgar Morin de « ré-humaniser les villes et vitaliser les campagnes ». Il existe un budget de la ville qui représente environ huit milliards d'euros en fonctionnement, alors qu'aucune somme n'est fléchée au niveau central pour alimenter un quelconque budget des campagnes qui, au demeurant, n'existe pas.

Une des questions les plus classiques dans les zones rurales est celle des services publics. La RGPP a été abandonnée mais nous avons dorénavant la modernisation de l'action publique (MAP). Nous avions proposé, dans le cadre de la proposition de loi sur le bouclier rural, de fixer des temps d'accès minimum à différents services. Par exemple, 45 mn pour une maternité, 30 mn pour des services d'urgence, 15 mn pour une école primaire ou les services postaux (qui se caractérisent, ces derniers temps, par une propension excessive à mettre en avant diverses innovations tenant davantage du gadget que de l'amélioration réelle du service rendu).

L'accès au très haut débit est bien entendu vital pour le développement de toutes les campagnes. Je m'inscris en faux avec les propos d'un certain PDG d'Orange, selon lequel « les mémés du cantal n'ont pas besoin du THD ». Les agriculteurs ont souvent été les premiers à utiliser les ressources d'Internet... depuis nous avons inventé, en campagne, de nouveaux usages de l'Internet et nous expérimentons le télétravail .... Il importe que la révision du modèle actuel pour l'Internet débouche sur un schéma de développement qui dépende, pour une part moins importante, de l'initiative privée. L'enjeu de la fibre, en termes d'investissement, représente tout de même 25 à 30 milliards d'euros. Quels en sont les usages ? Les perspectives paraissent parfois lointaines, comme avec la domotique, ou sont entourées d'un certain flou conceptuel, ce qui est le cas du télétravail, ou sont encore, dans bien des cas, peu comprises, comme c'est le cas avec le « cloud computing ». Il existe, assurément, un vrai problème de « jargon » et de compréhension de la part des élus et des représentants de l'Etat et surtout de nos concitoyens.

Par ailleurs, on doit interroger la liberté d'installation des médecins tout en encourageant leur salariat et en protégeant les hôpitaux de proximité. Il semblerait que les agences régionales de santé, avec les contrats de réseaux de santé, ne soient pas en adéquation avec les besoins locaux, et pas davantage avec les capacités locales.

J'observe aussi que les artisans et les commerçants sont confrontés à de graves difficultés. Les soutenir devient urgent et, compte tenu du caractère très limité des aides existantes, il faudrait instaurer des aides de l'Etat directes au profit des commerçants et artisans exerçant en réalité une mission de service public, lorsqu'ils se trouvent seuls, ou presque seuls, à animer un village.

Je veux évoquer aussi les normes de sécurité, dont la sévérité est un véritable remède contre l'initiative locale, aussi bien publique que privée.

J'en arrive à l'économie. Laurent Davezies a montré l'importance de l'économie résidentielle et présentielle dans les campagnes, où son développement est tout aussi nécessaire que celui de la base productive.

Il existe aux Etats-Unis une « loi sur le réinvestissement du crédit », dont notre législation s'inspirerait utilement. L'idée est de ne pas se satisfaire qu'une épargne locale souvent abondante se trouve très majoritairement réinvestie ailleurs par les banques. Cette épargne devrait être, autant que possible, réinvestie sur place.... Le dispositif américain aurait ainsi « réorienté » quelque 1.300 milliards de dollars en 30 ans vers les territoires. Par ailleurs, ce dispositif prévoit que les banques subventionnent directement les associations d'intérêt général sur le territoire. C'est un nouveau modèle pour une nouvelle vie que voulons contribuer à inventer.

Concernant la politique du logement, la carte des zones tendues est évolutive. Il me semble qu'il conviendrait de créer des « villages du futur » se greffant sur des villages anciens, des villages connectés, témoignant que le bien vivre ensemble s'invente aussi a la campagne et de dynamiser l'action des offices de HLM, dont les politiques d'investissement sont souvent très frileuses.

En matière d'éducation, l'idée serait de créer des ZEP rurales, dans lesquelles on trouverait 25 élèves par classe au maximum. J'ajoute qu'il faut privilégier l'accueil des enfants à partir de deux ans qui, à la campagne , fréquentent autant l'école que leurs aînés .

[ Gérard Bailly - Je partage certaines de vos analyses. Il reste que le problème des transports est sensible pour les enfants du primaire, c'est pourquoi je suis sceptique sur l'enjeu de la scolarisation à partir de deux ans.

Concernant l'accès aux services, le problème est aussi celui de la définition des campagnes et ce qui nous intéresse, à cet égard, c'est plutôt la campagne profonde. Pour l'économie, j'observe que les activités glissent des territoires ruraux vers des agglomérations, évolution expliquée bien souvent par des problèmes de déplacement. Que proposer aux entreprises pour les encourager à rester implantées sur le territoire ? Je déplore, par ailleurs, qu'il n'y ait jamais eu de véritable politique de réhabilitation des logements existants. Sur un autre plan, je crains que la réforme des collectivités locales, qui prévoit une refonte des cantons, ne débouche sur une diminution de la représentation des territoires ruraux dans les conseils généraux.]

Concernant le transport des petits enfants, je vous signale des initiatives intéressantes de covoiturage. Par ailleurs, la définition des campagnes qui est donnée par l'INSEE est négative : les territoires ruraux sont les territoires qui ne sont pas urbains, ce qui ne facilite pas, en effet, l'approche du concept.

Je citerai, d'autre part, la logique du « small business act », très intéressante pour l'activité locale; elle consiste a réserver une part des marches publics aux locaux. Le logement « très social » doit aussi attirer notre attention, surtout à cause des effets à retardement de la crise actuelle.

Concernant la voirie, une expérience de communautarisation montre la possibilité d'un gain de 30 % sur les devis et d'une augmentation sensible de la DGF... Pour le problème du déneigement, l'issue est celle d'une véritable mutualisation entre communes, intercommunalité et département.

Pour ce qui concerne les structures, il existe un consensus républicain pour la sanctuarisation des communes. En revanche, je crois que les intercommunalités doivent gagner en surface via des refontes successives et devenir ainsi des fédérations de cantons. Mais il faut aussi pouvoir expliquer aux administrés « qui fait quoi ».

[ Gérard Bailly - Pour la réunion des communes, la situation est compliquée car si beaucoup souhaiteraient que l'intercommunalité devienne la commune, toutes les lois favorisant des fusions ont échoué... Faut-il faire des intercommunalités géantes ? Je crois plutôt à des inter-intercommunalités souples, plutôt qu'à des super-intercommunalités.]

Il est vrai que la perspective des évolutions souhaitables peut changer considérablement d'un territoire à l'autre, mais la fiscalité constitue une incitation certaine à des intégrations intercommunales toujours plus larges.

Je déplore que l'acte III de la décentralisation se préoccupe en premier lieu des métropoles. J'estime, par ailleurs, que les pays sont un excellent lieu d'apprentissage du travailler et du vivre ensemble pour les circonscriptions qui les composent. Mais d'une façon générale, je dirai que, pour le développement des campagnes, la gouvernance des territoires ruraux est une fausse bonne question.

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