24. Dominique Berteloot, Directeur académique, services départementaux de l'éducation nationale de la Creuse

Mercredi 14 novembre 2012


• Préciser l'apport de la Charte de service public en milieu rural concernant l'école. Pourquoi ferme-t-on une classe ? L'accueil systématique des enfants à partir de 2 ans dans les zones rurales peut-il constituer une piste de consolidation des effectifs scolarisés et de renforcement de l'attractivité des territoires ruraux pour les familles ?


• Comment réagissent les élus locaux à l'annonce d'un projet de fermeture d'établissement ? Existe-t-il des effets en cascade ?


• Egalité des chances et conditions de l'enseignement primaire et secondaire : des évolutions différenciées entre zones rurales et urbaines sont-elles perceptibles ?


• Les transports scolaires remplissent-ils toutes les missions que les usagers en attendent ?


• Quel bilan tirer du plan « Ecole numérique rurale » ?


• Quel pourrait être, à moyen et long terme, l'impact du très haut débit sur l'implantation des classes et des familles ?

La Creuse est représentative d'un département rural avec, dans le premier degré, 158 écoles publiques et 3 écoles privées, une prédominance de classes multi niveaux et une moyenne de moins de 20 élèves par classe. Le second degré comprend 18 collèges publics, 1 collège privé, 5 lycées publics, 1 lycée privé et 4 lycées professionnels.

La problématique démographique est importante, avec un effondrement des effectifs sur le long terme : 20 111 élèves en 1957, 9 473 en 2001 (172 écoles) et 8 672 en 2012 (158 écoles) dans le premier degré. Ces dix dernières années, le taux d'encadrement est resté globalement stable, autour de 6,5 élèves par poste. Pour les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), on constate une chute en 2011-2012. La carte scolaire 2011 impose, d'une façon générale, la restitution de 5 % des postes.

Si le taux d'encadrement de la Creuse reste l'un des trois premiers de France, il convient de distinguer plusieurs zones géographiques -les villes, les bourgs et la ruralité de grand isolement- où ce taux n'a pas la même signification. En certains endroits, il est indispensable, en l'état actuel de l'organisation, de maintenir une classe unique accueillant 7 élèves, forcément plus consommatrice d'encadrement qu'une classe urbaine.

Les élèves de deux ans se retrouvent souvent en plus faible nombre qu'annoncé, alors que la place pour les accueillir, bien souvent, ne manque pas. La difficulté principale est, pour eux, celle de leur mélange avec les autres enfants de la même classe, entraînant une grande disparité d'âge, et non le refus d'ouvrir une classe ou sa fermeture par l'administration.

Au fond, cette question est celle du service pédagogique rendu à la population scolaire.

Par crainte de fermetures de classes dans les petits villages, nombre d'élus préfèrent le maintien de classes à cours multiples (maternelle X cours préparatoire par exemple) alors qu'en jouant sur l'offre de transports, ils pourraient proposer aux plus jeunes élèves une scolarité en école maternelle de plein exercice, ce qui serait bien plus adapté pour eux et améliorerait les conditions d'enseignement.

La Charte de service public en milieu rural est parfois une confrontation à la réalité. Les faibles effectifs laissent présager de certaines fermetures. Il existe des postures défensives, des dramatisations annuelles entraînées par l'absence de contractualisation. On détecte parfois une sorte de « marché de l'élève » pour les attirer, chaque maire cherchant à toute force le maintien de son école avec des conséquences pédagogiques (classes comprenant beaucoup de niveaux différents) non négligeables.

Une contractualisation sur trois années qui maintiendrait des moyens adaptés sur cette durée, permettrait aux élus de travailler à la consolidation démographique ou organisationnelle (proposition de services, offre d'immobilier locatif, construction de principe de RPI...).

[ Renée Nicoux - Dans les zones de montagne, les élus se battent aussi pour maintenir les écoles, ce qui paraît légitime.]

La Charte est un bon outil s'il est porté par un collectif d'administrations et repose sur un dialogue. Toutefois, il reste difficile de rencontrer les parents d'élèves et nombre d'interlocuteurs dont parfois, les syndicats enseignants restent défiants sur cette démarche

Il convient de ne pas décourager les personnes qui s'installent ou résident dans des zones en voie de désertification et maintiennent le territoire en vie : la charte est un moyen de contractualiser le dialogue.

Pour en revenir à ce « marché de l'élève », il arrive que « des écoles tuent des écoles ». On constate que pour de multiples raisons (soutien des élus, services associés -crèche, garderie) des écoles connaissent une attractivité telle que leurs voisines se vident à leur profit.

Parfois cela débouche sur des fermetures : il est nécessaire d'anticiper sur ces situations pour permettre la construction de l'offre scolaire, respectueuse des temps de transport des élèves.

L'organisation d'une école comprenant trois classes (un classe : un cycle) est des plus structurantes.

En effet, elle correspond souvent à un bassin de population suffisant pour assurer le recrutement de l'effectif des trois classes et, par ailleurs, la fermeture d'une classe peut avoir un effet sur l'attractivité de l'école. Des effets en cascade peuvent alors se ressentir ; il est impératif de mener une concertation d'ensemble pour éviter une dynamique négative : de la perte de population à la fermeture d'une classe, qui accélère encore le départ de la population....La décision de fermeture devrait toujours obéir à un principe de concertation partagée portant sur les besoins des territoires sur le moyen et le long terme (le « lissage » de l'effectif évite les effets de seuil ponctuel).

[ Gérard Bailly - Les écoles à trois classes doivent constituer un objectif à maintenir même si la population connaît un creux ponctuel.]

J'en viens à l'évolution sociologique du corps enseignant. Dans la Creuse, il n'y a plus que deux instituteurs ; les autres enseignants sont des professeurs des écoles affectés dans le département selon leur rang de réussite à l'issue du concours, académique. Or, ceux qui sont envoyés dans les campagnes périphériques ne s'implantent pas et préfèrent endurer des temps de transport importants. On assiste aussi, après la naissance d'enfants, à une multiplication des congés parentaux et des temps partiels.

[ Renée Nicoux - Ne faudrait-il pas prendre des mesures pour loger les instituteurs dans la commune et éviter ainsi les phénomènes de « professeur-navette » ?]

Une idée pourrait être d'implanter des formations de professeur des écoles dans des villes moyennes (cf Master par alternance à Guéret, qui attire des étudiants venus de la France entière : on peut penser que quelques-uns de ces jeunes s'implanteront pour longtemps en Creuse).

Concernant l'égalité des chances, il faut absolument casser une tradition de non-orientation vers des études longues. L'ouverture culturelle doit être améliorée et l'expérience montre que l'augmentation du taux de passage en seconde se traduit aussi par une augmentation du taux de réussite en première (sur trois années, le département a rejoint les scores académiques dans ce domaine).

Dans une perspective de valorisation du territoire, une charte éco-pédagogique a été mise en place. La ruralité est une identité susceptible d'être revendiquée ; une réflexion est nécessaire sur le paradigme de ruralité qui n'est pas la mort d'un monde passé mais l'espoir d'un monde nouveau.

Concernant les moyens disponibles en milieu rural, notons, par exemple, la difficulté de faire entretenir le matériel informatique par absence de personnel spécialisé dans les petites mairies.

Notons également qu'il est complexe d'assurer une formation et une animation pédagogique dédiée à ces outils : le nombre d'animateurs informatiques de circonscription s'est restreint ces dernières années.

En conclusion, l'école en milieu rural est plus onéreuse, mais elle participe à l'aménagement du territoire. Je pense en effet que la mise à disposition de logements pour les enseignants pourrait être une facilitation. Certains d'ailleurs louent une chambre, ponctuellement, pour s'éviter de longs trajets. La suppression de RASED est plus dommageable encore hors des villes car absolument personne ne peut se substituer à leur action : d'une façon générale, on ne peut s'en tenir à un modèle basé sur la seule observation du ratio « nombre d'élèves sur nombre de maîtres » pour calculer des dotations. Seule l'analyse approfondie de la situation du territoire, de la nature des classes (cours multiples), des proximités de service (remplacement, rased, emala) peut conduire à des décisions : leur impact est d'autant plus important qu'il porte sur des unités isolées, fragiles, en résonance avec leur territoire d'implantation.

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