F. L'ETAT-STRATÈGE

Dominique ROUSSET

Comment l'Etat peut-il parvenir à assurer ce rôle d'Etat-stratège ?

Yann ALGAN

J'insiste en premier lieu sur la distinction nécessaire entre un commissariat stratégique et un organe de planification. A la suite d'une période de désengagement de l'Etat au profit du marché, le besoin d'un retour mesuré est identifié. L'Etat doit réguler et laisser place aux initiatives locales, tout en favorisant les innovations et ce, afin de compenser les défaillances du marché telles que certaines externalisations l'ont révélé. Par exemple, plus le nombre de personnes fortement éduquées est important, plus le rendement de l'éducation dans sa globalité augmente. L'Etat doit donc investir dans l'éducation supérieure. De la même façon, les entreprises les plus innovantes sont souvent de jeunes entreprises. Or ce sont celles qui connaissent les contraintes les plus fortes en matière de crédit.

En second lieu, si je comprends la nécessité de restructurer les organismes d'évaluation, je pense que le consensus s'obtient mieux par le biais d'organes décentralisés mettant en oeuvre des négociations tripartites (Etat, patronat et salariés). Les Pays-Bas ont réussi à créer des organes indépendants d'évaluation, de contrôle d'évolution des salaires, afin de demander à tous les acteurs de fournir un effort permettant la création de marges et permettant de réinvestir. En France, les chiffres de l'Insee sont au choix cités en référence ou décriés. Une structure indépendante et assise sur une pluralité de représentants favoriserait la confiance et le consensus.

Michel ROCARD

L'Etat stratège est au coeur de la question. Je veux encourager le projet de commissariat à la stratégie et à la prospective car l'Etat est pauvre en pensées longues. Néanmoins, je mets en garde contre les trop grandes responsabilités que l'on pourrait lui donner. Je considère que la fonction d'évaluation ne doit pas être rattachée à cet organe. Je le déconseille formellement. En effet, je rappelle que notre pays refuse l'évaluation dans tous les corps de son système de décision publique. Ce constat exige que la France se dote d'évaluateurs recrutés en dehors des circuits traditionnels. Il exige aussi que chaque évaluation soit réussie, grâce à ces personnes non issues d'un organe de l'Etat existant. Je pense donc que le commissariat doit naturellement demander des évaluations et les étudier, mais en aucun cas les effectuer.

Quant au dialogue social, il n'existe pas en France. C'est ce qui explique les difficultés que notre pays connaît pour réformer les retraites ou l'assurance-maladie. Je pense que la pensée syndicale a évolué depuis la Charte d'Amiens qui prône la non-coopération avec l'Etat. Cette évolution favorable au dialogue social suppose néanmoins d'abandonner les éléments vagues et incertains. Le dialogue doit être précis et organisé en thèmes spécifiques afin de donner lieu à la contractualisation, et non pas à la concertation. Pour le restaurer, le dialogue social doit être préservé, salué et cette appellation ne doit pas servir à définir n'importe quelle rencontre. Pour introduire la dimension du temps long, le commissariat doit faire des recherches afin d'éclairer efficacement l'Etat dans ses décisions exécutives et d'informer pertinemment les partenaires sociaux. Le commissariat doit également reposer à mon sens sur la pluridisciplinarité dans la mesure où le développement durable s'entend pour de nombreux domaines : logement, transports, agriculture, etc.

Je risque une dernière hypothèse. Je continue de penser que le temps de travail va diminuer encore, en lien avec une croissance économique ralentie. La question est : « que faire de ce temps libre ? ». Car le temps libre effraie et il est un certain capitalisme qui souhaite le récupérer à des fins marchandes. La pratique du sport et celle de la culture doivent être revitalisées afin de rendre à nouveau désirable le temps libre.

Yannick MOREAU

Je suis d'accord avec Michel Rocard, le commissariat à la stratégie et à la prospective ne traitera pas du dialogue social. Néanmoins, Jean-Michel Charpin a été sévère sur les nouvelles formes de concertation - Grenelle, Journée CO 2 -jugées peu efficaces. Or ces nouvelles formes de concertation vont continuer d'être appliquées, j'en suis convaincue. Le futur commissariat ne pourra se situer dans l'appareil de l'Etat, qui lance des concertations de ce type, seulement s'il y joue un rôle actif. Il ne doit pas se situer à côté, mais au coeur de l'action. Le commissariat doit observer ces concertations nouvelles et agir pour une meilleure organisation. Il doit éclairer l'Etat sur la pertinence des nouvelles formes de concertation.

Par ailleurs, le commissariat ne peut s'extraire de l'évaluation. Il doit siéger dans les instances d'évaluation pour en être l'observateur avisé. Il doit aussi être le lieu du lien entre la recherche et les fonctionnaires qui mettent en oeuvre l'évaluation. Le retard de la culture d'évaluation en France est avéré et le commissariat à la stratégie et à la prospective doit y apporter des réponses pertinentes.

Page mise à jour le

Partager cette page