B. LA RÉGULATION DES ACCÈS

L'ARCEP dispose d'un pouvoir général de régulation dont les termes ont été rappelés tant du point de vue de ses objectifs que de son encadrement.

L'exercice de cette fonction l'a conduit à adopter le cadre d'ensemble dessinant les grands équilibres du projet de déploiement de la nouvelle infrastructure de THD, mais d'autres aspects de la régulation de l'ARCEP doivent être mentionnés pour leur influence décisive sur l'économie des réseaux numériques.

Il s'agit de la régulation fine des accès aux réseaux, qui porte sur leurs conditions tarifaires et techniques.

Avant d'en exposer les éléments les plus caractéristiques, il faut faire une observation sur la dichotomie de la régulation de l'ARN qui tantôt est universelle (symétrique dans le jargon), tantôt spécialisée (asymétrique).

Dans une situation comme celle que nous connaissons d'une asymétrie des positions des acteurs de l'économie des réseaux, il serait logique que la régulation asymétrique soit particulièrement développée. Elle concourrait à rétablir des conditions plus équilibrées entre les investisseurs. L'essor d'une régulation asymétrique serait d'autant plus logique que le dossier du THD suppose, pour prospérer, une rupture technologique face à laquelle tous les investisseurs des réseaux sont loin d'être dans une même situation.

A ce propos, vos rapporteurs ont été amenés à observer que cette logique n'était pas encore autant suivie par l'ARN qu'on pourrait s'y attendre.

L'intervention de l'ARCEP pour réguler les offres porte principalement sur l'offre de gros d'accès au génie civil et sur l'offre de gros d'accès aux lignes de cuivre, dit « dégroupage ».

Cette régulation exerce un effet majeur sur l'économie des réseaux et des opérateurs et sur les perspectives de déploiement du réseau de nouvelle génération.

La préoccupation de développer la concurrence sur le marché de détail a conduit le régulateur à intervenir pour encadrer les offres de gros de l'opérateur historique, quand le recours à un réseau en propre par les opérateurs alternatifs n'a pas été jugé souhaitable ou pratiquement réalisable.

L'intervention du régulateur est encadrée par l'application de critères (la proportionnalité,...) et porte sur les conditions techniques et tarifaires.

La méthode suivie ainsi que le champ d'expression de la régulation impliquent des choix qui jouent un rôle essentiel dans l'économie des télécommunications.

On le comprend aisément si l'on veut bien avoir à l'esprit que le régulateur joue alors le rôle d'un système de prix.

Les modalités de la régulation tarifaire sont encadrées par des principes qui laissent des marges d'appréciation au régulateur. Cette régulation est ouverte à la discussion. Elle ne manque pas d'intervenir comme on le vérifiera à propos d'un exemple particulièrement important pour l'équation de l'investissement dans les réseaux de nouvelle génération.

UNE TYPOLOGIE DES MÉTHODES DE RÉGULATION
DES TARIFS D'ACCÈS AUX INFRASTRUCTURES

La Commission européenne recommande d'adopter une régulation des tarifs d'accès aux infrastructures « cost-oriented », c'est-à-dire « basée sur les coûts ». Il s'agit de déterminer le tarif en sorte que celui-ci reflète le coût encouru pour la fourniture d'une unité d'accès en incluant un rendement raisonnable du capital investi à cet effet.

Ce principe qui tend à éviter les effets de monopolisation de l'offre d'infrastructures suppose des choix difficiles afin de déterminer le coût le plus pertinent. Ces choix sont relatifs en particulier :

1. aux coûts opérationnels à inclure dans l' assiette des coûts ;

2. à une méthode de valorisation des coûts, entre des « coûts historiques » - tels que ceux supportés par l'opérateur - et la méthode des « coûts courants » (les coûts de remplacement) qui seraient subis par un nouvel entrant ;

3. aux modalités de répartition temporelle des coûts au long de l'existence du réseau, ce qui pose essentiellement le problème de la durée d'amortissement de l'actif.

Le premier choix détermine l'ampleur de l'assiette des coûts pris en considération et conduit surtout à un choix d'inclusion (ou d'exclusion) des coûts de structure, une fois acquis que les actifs sont supposés dégager une certaine rentabilité.

En théorie, la tarification optimale, dans un marché de concurrence pure et parfaite, est le coût marginal de la fourniture d'un accès. Or, si l'infrastructure a des capacités en excédent, ce coût marginal est à peu près nul, ce qui n'est évidemment pas une base de tarification viable en pratique. Il faut donc envisager d'autres assiettes de coûts. Trois d'entre elles peuvent être conçues :

l'une, où les coûts comprennent les coûts opérationnels et les coûts en capital de l'accès fourni ;

l'autre, où ils incluent en plus un taux de marge ou une partie des coûts d'entreprise ;

la dernière, où ces derniers coûts sont pris en totalité.

Cette dernière méthode est fréquemment jugée excessive et il reste à choisir entre les deux autres méthodes.

La valorisation des coûts est un second champ de choix entre :

une méthode de valorisation par les coûts historiques ;

et une méthode de valorisation se référant à un coût hypothétique que devrait aujourd'hui assumer l'opérateur alternatif pour disposer de l'accès au réseau (méthode des coûts courants).

La méthode des coûts historiques consiste à agréger les coûts réellement supportés par l'opérateur de sorte que la valeur de son réseau évolue en fonction des investissements réellement effectués dans le passé, sans appréciation ou dépréciation financière (liées notamment au nombre des clients). Cette méthode présente des avantages pratiques mais elle peut offrir quelques inconvénients économiques (elle n'incite pas à des investissements « économes » et néglige des données extérieures au coût de l'investissement en lui-même qui peuvent influer sur la valeur de l'actif).

La méthode du coût courant (ou de remplacement) oblige à une réévaluation constante du coût pour que celui-ci reflète le coût actuel d'installation d'un réseau. Elle se rapproche d'une valorisation de l'actif aux conditions actuelles du marché.

Cette méthode peut conduire à pénaliser des investissements historiquement élevés pour des raisons diverses, mais appelés à devenir plus efficients avec le temps. L'une des causes de cet écart peut venir des progrès technologiques qui viennent réduire le coût de l'investissement ou, plus largement, de l'existence de coûts d'apprentissage initiaux. Dans un tel cas, des coûts irrécouvrables sont inévitables qui dépendent de l'ampleur de la baisse des coûts de déploiement entre le moment de l'investissement et le moment où il est tarifé.

L'essentiel est que le choix de cette méthode ne garantit pas à l'opérateur de recouvrer la totalité de ses coûts de sorte qu'il apparaît comme peu incitatif à investir dans un réseau où le progrès technique ou d'autres facteurs peuvent, à l'avenir, entraîner une baisse des coûts de déploiement.

Les différentes modalités de répartition temporelle des coûts posent le problème du choix de la dépréciation de l'actif.

Cette question ne détermine pas le niveau ces recettes liées à la mise à disposition de l'actif mais leur rythme, c'est-à-dire, fondamentalement, le niveau de l'écart entre le coût de l'actif et son rendement à une période donnée.

On peut se référer à la méthode de tarification des services de télécommunication de l'OCDE qui identifie trois catégories de coûts d'infrastructure :

les coûts opérationnels subis au cours de la période courante ;

la valeur de l'actif déprécié au cours de la période courante ;

la valeur nette de l'actif au cours de la période courante.

En négligeant les coûts opérationnels, la valeur de l'actif déprécié au cours de la période courante représente le rendement du capital tandis que la valeur nette de l'actif au cours de la période courante permet de prendre en compte le rendement sur le capital engagé (afin de compenser le coût d'opportunité de la détention de capital à la période considérée).

Dans ces conditions, le choix de la méthode de dépréciation a des effets qui se compensent partiellement (une forte dépréciation augmente le « retour du capital » et réduit le « retour sur le capital »). Mais selon que le choix se porte sur un amortissement linéaire, un amortissement économique ou un amortissement par annuité, le profil des revenus liés au capital est variable.

Globalement, plus la méthode d'amortissement garantit une récupération rapide des coûts de l'investissement, plus l'incitation à investir est forte.

Dans son rôle de substitut au système de prix, l'ARCEP peut mobiliser les marges de manoeuvre offertes par la méthode de fixation des prix.

Tel fut le cas au cours de la rédaction du présent rapport lorsque l'ARCEP mit en discussion une décision tendant à élever le plafond de la rémunération exigible par l'opérateur historique en appliquant un nouveau calcul concernant la rentabilité de son capital.

Les décisions du régulateur sont mises en consultation (avec des délais parfois très brefs) et peuvent être contestées.

Une controverse importante pour l'économie des investissements dans les réseaux mérite à cet égard une mention : celle portant sur l'accès au fil de cuivre.

La fixation du tarif de dégroupage a conduit à évoquer une « rente du cuivre » selon un raisonnement présenté dans l'encadré ci-après.

UNE RENTE DU CUIVRE ?

1. Les tarifs de la boucle locale de France Télécom sont actuellement fixé à 8,8 €/mois sur la base d'une méthode dite « de coût courant économique », élaborée par l'ARCEP en 2005 (décision dite 05-0834).

2. Cette méthode a été construite de manière à permettre à « France Telecom [de] bénéficier de revenus suffisants afin d'assurer le nécessaire renouvellement des actifs ».

3. En pratique, cette méthode aboutit à un tarif mensuel qui a été jugé supérieur d'environ 2 € à ce qui permettrait de couvrir les coûts historiques réels de France Telecom, y compris une juste rémunération des capitaux engagés par plusieurs des personnes auditionnées par vos rapporteurs.

4. Cette situation met les opérateurs alternatifs, dont les capacités financières sont bien plus faibles que celles de France Telecom, dans une situation inéquitable puisqu'ils doivent à la fois investir dans la fibre mais aussi financer un renouvellement des infrastructures historiques de la boucle locale de France Telecom qui pourrait ne jamais intervenir.

5. Pour un volume d'environ 35 millions de lignes, le montant ainsi perçu par France Telecom au-delà des coûts historiques réels est d'environ 850 millions d'euros par an .

6. Selon les personnes auditionnées, il serait plus judicieux d'utiliser ces montants considérables pour alimenter le fonds d'aménagement numérique du territoire.

7. Une telle réforme serait favorable à l'investissement en ce que (1) elle inciterait France Telecom à investir (moins de tentation à vouloir « conserver sa rente du cuivre »), (2) elle donnerait des moyens financiers pour les investissements en dehors des zones les plus denses, (3) elle rétablirait une forme d'équité concurrentielle, notamment avec les opérateurs qui investissent dans la fibre.

8. Au total, les tarifs d'accès, contribution au FANT incluse, resteraient dans une fourchette comprise entre 8 et 10 euros compatible avec le cadre européen en cours de discussion.

Sans faire leur critique mentionnée, vos rapporteurs souhaiteraient souligner la nécessité de l'examiner mais surtout la logique d'une rémunération du capital investi. Elle est de rémunérer le risque mais aussi de préparer l'avenir.

Enfin, le problème soulevé, quel que soit le jugement économique sur le prix offert par le régulateur, est au coeur de la question des effets de la régulation sur l'investissement dans la nouvelle infrastructure.

C'est à ce titre qu'on le retrouvera à plusieurs reprises dans la suite du présent rapport.

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L'ARCEP a lancé une consultation publique sur la régulation du très haut débit en fibre optique. Dans son rapport de présentation, elle se satisfaisait du modèle de régulation. La consultation, dont les résultats ont été publiés le 8 février 2013, ne l'a pas conduite à réviser son appréciation. « Il n'y a pas lieu de modifier de manière anticipée les obligations imposées au titre du cycle actuel des analyses de marché ».

Toutefois, sur des points particuliers, dont celui du marché des entreprises qui, de fait, semble peu ouvert à la concurrence, des évolutions ponctuelles sont envisagées par la régulation.

Vos rapporteurs relèvent encore que l'ARCEP procèdera à une nouvelle analyse de marché, préalable à d'éventuelles modifications réglementaires, devant s'appliquer à partir de 2014.

Ils souhaitent que ce processus intervienne le plus rapidement possible et que les suggestions et questions formulées dans le présent rapport soient pleinement prises en compte.

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