IV. LE POIDS DE LA RÈGLEMENTATION EUROPÉENNE

Le cadre législatif général des télécommunications, tout comme les décisions de l'ARCEP, interviennent dans un contexte déterminé par la règlementation européenne.

Celle-ci est marquée par la volonté d'assurer le plus de concurrence possible, en particulier en faisant prévaloir le plus qu'il se puisse, un principe de concurrence par les infrastructures, ce qui représente un choix très fort, discuté par ailleurs.

Le droit européen constitue ainsi un cadre général d'action publique caractérisé par une orientation libérale et concurrentielle qui limite les interventions publiques dans le secteur.

La doctrine européenne qui affirmait déjà une réglementation très rigoureuse des conditions de l'intervention publique dans les télécommunications a encore été durcie pour les réseaux de nouvelle génération.

Au nom d'un risque élevé de distorsion de la concurrence d'une intervention publique dans les réseaux à très haut débit, la commission a posé pour ces réseaux des conditions spécifiques par rapport aux règles applicables aux réseaux à haut débit, qui restreignent encore le champ de l'intervention publique.

Ce resserrement des contraintes débouche sur des marges de manoeuvre plus limitées que celles offertes par la régulation nationale même si, sur un point particulier -celui du délai de réservation des droits des opérateurs privés, de 3 ans dans la réglementation européenne contre 5 en France - la Commission se montre plus exigeante pour les opérateurs.

Pour autant, le principe de réalité semble se rappeler à la Commission européenne qui a très récemment publié de nouvelles lignes directrices assouplissant, mais très médiocrement, sa doctrine.

A. LE PRINCIPE DE LIBERTÉ D'ÉTABLISSEMENT DES RÉSEAUX

Le principe de liberté d'établissement des réseaux est fondamental, tant du point de vue de l'action publique que pour les opérateurs privés.

Posé par la directive « concurrence » 2002/77/CE, il interdit aux États membres d'établir ou de maintenir des droits exclusifs spéciaux pour l' exploitation des réseaux de communications électroniques . La directive « autorisation » n° 2002/20/CE va dans le même sens en obligeant les États à garantir la liberté d'établissement des réseaux.

Concrètement, on l'a vu, en droit français , le principe se traduit par l' affirmation de la liberté d'établissement des réseaux dans le cadre d'un régime de police reposant essentiellement sur le mécanisme de la simple déclaration préalable .

Ce cadre règlementaire a des effets essentiels sur les conditions de la gestion publique du déploiement des infrastructures mais aussi sur la gestion privée.

A l'inverse du régime des attributions des fréquences radioélectriques qui peut (et, plus encore, le doit sans doute) recourir à la cession ou location à titre onéreux de droits patrimoniaux publics, l'établissement des réseaux ne peut être monnayé ou soumis à des conditions dérivées de la reconnaissance à l'État de la disposition d'un actif valorisable à sa convenance.

Les effets du principe de liberté d'établissement des réseaux sur la gestion publique ne se limitent pas au champ patrimonial de l'État. Il faut encore compter avec les difficultés qu'il crée dans le processus de programmation publique des infrastructures .

Les potentialités offertes de ce point de vue par les mécanismes de sélection que permet la reconnaissance d'une propriété publique ne sont plus accessibles dans le régime de liberté. En particulier, l'État ne peut amener les opérateurs privés à révéler leurs préférences avec autant d'efficacité que dans les mécanismes où il peut mettre aux enchères son actif (ou recourir à un concours de beauté).

Surtout, il n'est pas possible à l'État de dépasser l'incitation pour déployer son action en recourant à des mécanismes de contrainte.

Le principe de liberté d'établissement des réseaux est avant tout l'application d'une liberté fondamentale d'entreprendre mais il correspond également au choix de préserver la possibilité d'une concurrence par les infrastructures .

Pour autant, le cadre règlementaire européen comporte des possibilités d'atténuation de cette logique.

Ainsi l'article 12 de la directive « cadre » tel que modifié par la directive 2009/140/CE du 25 novembre 2009 dispose d'abord :

« Lorsqu'une entreprise fournissant des réseaux de communications électroniques a le droit, en vertu de la législation nationale, de mettre en place des ressources sur, au-dessus ou au-dessous de propriétés publiques ou privées [...] les Autorités réglementaires nationales , tenant pleinement compte du principe de proportionnalité , peuvent imposer le partage de ces ressources ou de ce bien foncier, notamment des bâtiments, des accès aux bâtiments, du câblage des bâtiments, des pylônes, antennes, tours et autres constructions de soutènement, gaines, conduites, trous de visite et boîtiers. »

Cette disposition permet à l'autorité réglementaire nationale (ARN) d'imposer le partage des ressources déployées dans le respect toutefois du principe de proportionnalité qui vient encadrer les effets de l'obligation de partage sur les parties concernées.

Elle est complétée par la même faculté offerte à l'ARN, mais sous des conditions plus strictes, d'imposer ce partage au plus près de l'utilisateur final (à savoir, à l'intérieur des bâtiments ou jusqu'au premier point de concentration ou de distribution).

Cette faculté est subordonnée à la condition que le doublement des infrastructures en cause serait économiquement inefficace ou physiquement irréalisable :

« Les États membres veillent à ce que les Autorités nationales soient également dotées des compétences permettant d'imposer aux titulaires des droits visés au paragraphe 1 et/ou au propriétaire de ce câblage, après une période appropriée de consultation publique pendant laquelle toutes les parties intéressées ont la possibilité d'exposer leurs points de vue, de partager du câblage à l'intérieur des bâtiments ou jusqu'au premier point de concentration ou de distribution s'il est situé à l'extérieur du bâtiment, lorsque cela est justifié par le fait que le doublement de cette infrastructure serait économiquement inefficace ou physiquement irréalisable. De tels accords de partage ou de coordination peuvent inclure une réglementation concernant la répartition des coûts du partage des ressources ou des biens fonciers, adaptés le cas échéant en fonction des risques [...]. »

Ces principes orientent la recommandation NGA publiée par la Commission européenne le 20 septembre 2010 . Son quatrième considérant indique que :

« Lorsque la duplication de l'infrastructure serait économiquement inefficace ou physiquement irréalisable, les États membres peuvent aussi, conformément à l'article 12 de la directive précitée, imposer aux entreprises exploitant un réseau de communications électroniques des obligations relatives au partage de ressources qui permettraient d'éliminer les goulets d'étranglement dans l'infrastructure de génie civil et les segments terminaux. »

Les pouvoirs de régulation doivent être exercés de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, notamment en vue de promouvoir des investissements efficaces et des innovations et d'assurer la cohérence des déploiements et l'homogénéité des zones desservies.

En particulier, la Commission européenne a invité l'ARCEP à préciser son analyse des marchés de la fourniture en gros ainsi que ses décisions afin de favoriser la prévisibilité réglementaire et de sauvegarder les décisions d'investissement prises par les opérateurs.

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