III. L'ACTIVITÉ RÉGLEMENTAIRE DE L'ARCEP

L'activité réglementaire et, plus largement, de régulation de l'ARCEP, est trop foisonnante pour être examinée complètement dans le cadre du présent rapport.

On se limitera à présenter certains des choix effectués pour encadrer le déploiement des infrastructures du très haut débit ainsi que certains domaines d'intervention du régulateur où il exerce une influence déterminante sur l'écosystème de ce déploiement.

A. L'ENCADREMENT DU DÉPLOIEMENT DU TRÈS HAUT DÉBIT, ENTRE CONCURRENCE ET RATIONALISATION

Le cadre législatif concernant les réseaux de fibre optique a été complété par un encadrement réglementaire 6 ( * ) des réseaux fixes de fibre optique déterminé par l'ARCEP.

Celle-ci présente les principes ayant guidé ses choix comme répondant à la préoccupation d' instaurer une mutualisation des infrastructures passives de fibre optique afin de permettre une concurrence entre les fournisseurs de services tout en évitant une duplication coûteuse des réseaux sur la partie terminale. Il vise à favoriser des économies de coût de déploiement . Néanmoins, selon l'ARCEP, le degré de mutualisation implicite à sa régulation résulte d'un arbitrage entre le coût de déploiement des réseaux et le niveau d'indépendance des différents opérateurs permettant le maintien d'une concurrence pérenne et la poursuite de l'innovation au bénéfice des utilisateurs finals, particuliers et entreprises, ce qui a conduit l'ARN à promouvoir, du moins pour une partie du réseau et en théorie, le principe d'une concurrence par les infrastructures .

L'ARCEP cite également les mesures favorables au cofinancement des opérateurs , qu'ils soient privés ou publics, sous forme de cession de droits d'usage pérennes, pour lequel ils sont tenus de publier une offre, comme ayant pour objet de favoriser le partage de la charge totale d'investissement entre plusieurs opérateurs, en fonction des capacités d'investissement de chacun .

Dans ce contexte, l'ARCEP a pris trois décisions (homologuées par le ministre compétent) dont les deux premières se distinguent par la partie du territoire national envisagée.

Elles ont été adoptées sur la base des compétences générales de régulation attribuées à l'ARCEP précisées, pour son objet particulier, par l'article L. 34-8-3 issu de la loi 2009-1572 du 17 décembre 2009, qui énonce en son dernier alinéa :

« Pour réaliser les objectifs définis à l'article L. 32-1, et notamment en vue d'assurer la cohérence des déploiements et une couverture homogène des zones desservies, l'Autorité peut préciser, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès prévu au présent article. »

L'ARCEP a d'abord adopté, en décembre 2009 , la décision n° 2009-1106 , précisant, d'une part, un ensemble de règles applicables sur tout le territoire et, d'autre part, certaines règles applicables de manière spécifique aux seules zones très denses , constituées d'une liste de 148 communes définie par la décision.

Dans ces zones très denses, définies comme les communes à forte concentration de population pour lesquelles, sur une partie significative du territoire, il est jugé économiquement viable pour plusieurs opérateurs de déployer leurs propres réseaux de fibre optique au plus près des logements, le principe est celui de la concurrence des réseaux jusqu'au point de mutualisation où jouent alors, jusqu'à l'abonné, le principe d'accès au réseau de l'opérateur d'immeuble mais aussi celui du déploiement concurrentiel de la fibre jusqu'à l'abonné selon le moment où intervient la demande de l'opérateur alternatif.

Globalement, dans les zones très denses, la mutualisation est seconde par rapport à la concurrence et à la préoccupation d'assurer aux opérateurs une indépendance fonctionnelle de bout en bout.

Il en va différemment pour les zones peu denses , où la mutualisation des réseaux est encouragée en particulier à travers les prescriptions portant sur les caractéristiques du point de mutualisation.

En effet, une deuxième décision, la décision n° 2010-1312 du 14 décembre 2010 , prise par l'ARCEP, dessine les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique dans les zones du territoire non couvertes par la notion de zones « très denses ».

La localisation réglementaire du point de mutualisation est en effet déterminante . Ce point constitue la frontière entre la portion de la boucle locale qui est mutualisée et celle pour laquelle chaque opérateur devra disposer de son propre réseau. Ainsi, plus le point de mutualisation est proche de l'abonné, plus la contrainte d'investissement pesant sur chaque opérateur est élevée. A ce volet concernant les coûts du déploiement, il faut ajouter un volet relatif aux recettes. En effet, celles-ci sont a priori d'autant plus élevées que le point de mutualisation rassemble une poche d'habitations plus importante.

Dans les zones peu denses , qui représentent 80 % des logements 7 ( * ) (environ 24 millions de lignes), la réglementation impose à tout opérateur de déployer des points de mutualisation d'au moins 1 000 lignes . On relèvera incidemment que l'identification de poches de basse intensité dans les zones très denses a conduit à utiliser le même levier réglementaire, mais dans une moindre mesure. Les points de mutualisation permettant de desservir ces territoires doivent y permettre la desserte de 300 lignes (soit moins que les 1 000 prévues dans les zones peu denses). Par ailleurs, le schéma retenu implique dans les zones de faible densité la pose d'une seule fibre en aval du point de mutualisation.

En résumé, au regard du degré de la concurrence par les infrastructures, la régulation du réseau FttH pose un cadre général de pleine concurrence dans les zones très denses (limitées de fait à 148 communes) jusqu'au pied de l'immeuble, et de concurrence plus limitée dans les autres zones pour lesquelles la mutualisation des réseaux peut être plus forte .

Cette architecture d'ensemble doit être toutefois nuancée par plusieurs considérations.

En premier lieu, la concurrence par les infrastructures dans les zones très denses n'exclut pas que des accords entre les opérateurs interviennent, prévoyant la mutualisation des investissements dans les villes concernées .

Il s'agit d'une atténuation de la concurrence par les infrastructures. La question que ces accords peuvent poser est celle de leur portée. Doivent-ils être interprétés comme de simples aménagements d'une concurrence qui, pour ne plus passer par la propriété de réseaux différents, demeure au stade de l'exploitation commerciale du réseau mutualisé ? Ou bien débouchent-ils sur une remise en cause plus profonde de la concurrence ?

Cette question n'est pas anodine. Outre ses prolongements juridiques, elle conduit à considérer des effets plus pratiques. Parmi ceux-ci, l'équilibre concurrentiel du marché du THD n'est pas le moindre.

Selon les précisions rassemblées par vos rapporteurs, l'Autorité de la concurrence a donné un blanc-seing à ces accords sous la réserve toutefois que le partage des infrastructures s'accompagne d'une offre systématique à l'autre partie d'accès au réseau pris en charge.

Cette décision, dont l'application devrait être contrôlée, semble régler la question.

Mais, il faut encore considérer un autre aspect du problème. On sait que les limites posées à l'intervention publique ont été dessinées, parmi d'autres considérations, sur la base d'une analyse des perspectives de concurrence sur le marché. Cette démarche, qui oriente toute la conduite de la politique de déploiement des infrastructures de nouvelle génération, est également au coeur du droit européen de la concurrence et de la règlementation des aides d'État.

Selon la réponse donnée à la question des prolongements effectifs des accords de mutualisation dans les zones très denses, il faudrait reconsidérer tout à la fois la pertinence des découpages territoriaux qui organisent, et leur donnent leur logique, les déploiements mais aussi, très concrètement les marges de manoeuvre juridiques offertes à l'intervention publique.

Si, en pratique, les témoignages recueillis par vos rapporteurs n'accréditent pas l'idée qu'il faille associer aux accords effectivement conclus entre les opérateurs une portée excessive 8 ( * ) cette question mérite cependant d'être considérée avec une attention soutenue .

L'ARCEP s'est encore attachée à promouvoir le partage du financement .

Dans les zones très denses , le cofinancement serait généralement mis en oeuvre par un partage égalitaire des coûts entre les opérateurs et un échange de droits d'utilisation sans limitation . Par ailleurs, un encouragement à la mise en oeuvre de cofinancement ab initio est prévu.

Ce mécanisme qui concerne l'accès au réseau vertical installé dans les immeubles est destiné à encourager le déploiement des réseaux horizontaux correspondant de chaque opérateur (pourquoi payer un accès au segment vertical si l'on ne dispose pas du segment horizontal susceptible de l'alimenter ?) mais aussi à mutualiser les coûts de déploiement de cette partie du réseau.

Il passe par une distinction des conditions tarifaires d'accès selon que celui-ci intervient en amont ou une fois l'équipement réalisé.

Lorsque les opérateurs se manifestent après l'installation des lignes leur contribution au partage des risques est déterminée en recourant à une base de calcul plus élevée utilisant un taux de rémunération du capital « qui tienne compte du risque encouru et confère une prime à l'opérateur d'immeuble ».

En bref, en l'absence de cofinancement des déploiements, la régulation de la fibre prévoit que son « dégroupage » supporte un surcoût à la charge de l'investisseur tardif.

On a mentionné que ce mécanisme était destiné à inciter au cofinancement des parties terminales des réseaux de fibre déployés dans les zones très denses mais aussi à offrir une récompense aux investisseurs actifs.

Ce dispositif, qui peut se comprendre, n'est pas entièrement indiscutable. Il peut avoir exercé des effets pervers qui concernent, d'un côté, les conditions de la concurrence, de l'autre, le rythme effectif des raccordements.

Il incite les opérateurs à réserver leurs places sur un marché encore à naître en procédant par priorité à l'équipement des immeubles, sans pour autant accompagner cet équipement des réseaux horizontaux nécessaires à son alimentation.

Cette tactique peut se comprendre dès lors que les capacités d'investissement des « concurrents » sont inégales. Dans une telle configuration, un vaste programme de fibrage des immeubles de la part de l'opérateur aux plus fortes capacités relatives « essouffle » les concurrents et permet de disposer pour l'avenir d'un actif auquel le système confère une rentabilité d'autant plus élevée que la prime du « premier investisseur » l'est elle-même.

Dès lors qu'il n'est pas « temporalisé » le mécanisme peut finalement aboutir à la situation inverse de celle qui est qui est affichée 9 ( * ) :

- le cofinancement est inférieur à ce qu'il serait dans un processus ancré dans le temps ;

- la concurrence est gelée ;

- le réseau se déploie plus lentement ;

- l'innovation tarde à émerger.

Ces risques, qui semblent s'être partiellement concrétisés, sont a priori moins forts en dehors des zones les plus denses où, de toute façon, la perspective d'un cofinancement des réseaux, pour être un objectif souhaitable, implique des mesures très fortes, qui n'entrent pas nécessairement dans les compétences de l'ARCEP.

LA QUESTION PARTICULIÈRE DE L'OBLIGATION DE COMPLÉTUDE

La loi du 17 décembre 1979 a modifié l'article L. 34-8-3 en confiant à l'ARCEP le soin de préciser les modalités de l'accès aux réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné « en vue d'assurer la cohérence des déploiements et une couverture homogène des zones desservies ».

A cet effet, en dehors des zones très denses , l'ARCEP a imposé, à la demande des collectivités territoriales rappelle-t-elle, une « obligation de complétude » à tout opérateur qui y déploie des réseaux FttH. Elle consiste en l'obligation faite à tout opérateur d'immeuble exploitant un point de mutualisation (PM) de déployer un réseau capillaire jusqu'à proximité immédiate de l'ensemble des logements, ou locaux à usage professionnel, de la zone arrière du PM dans un délai raisonnable de deux à cinq ans, en fonction des caractéristiques locales. Cette contrainte ne s'exerce en pratique le plus souvent que pour les RIP.

En dehors de son effet cohésif pour les territoires, elle peut contribuer à la réunion des conditions d'une bonne commercialisation du réseau dans toute la mesure où celle-ci suppose de pouvoir accéder à des « poches de clientèle » suffisamment larges.

Toutefois, elle renchérit les projets de RIP et peut influer sur leur configuration de sorte que le premier effet signalé puisse être évité.

A la demande des collectivités, l'ARCEP a entrepris de déterminer les conditions d'un éventuel aménagement de cette obligation afin de tenir compte des spécificités de certains territoires.

Cette sage initiative qui ne doit pas déboucher sur un abandon de l'ambition de complétude verrait son urgence diminuée par la mise en oeuvre des préconisations tendant à consolider l'économie des RIP.

Dans les zones moins denses , le cofinancement est organisé selon un principe permettant aux opérateurs alternatifs de proportionner leur implication . Des tranches de 5 % sont ouvertes au cofinancement qui, en échange d'un partage proportionné des coûts, donnent des droits limités.


* 6 La régulation de l'ARCEP ici examinée ne porte que sur les réseaux de fibre optique. Elle n'embrasse pas les autres techniques, pourtant diversifiées, qui, du moins dans la conception par l'ARCEP du très haut débit, peuvent être mobilisées pour atteindre l'objectif du très haut débit pour tous. Les investissements correspondant à ces techniques alternatives sont régulés, quand ils le sont, par les normes générales édictées par l'ARCEP.

* 7 Les zones, en sus de la régulation des déplacements, couvrent les zones AMII et le reste du territoire.

* 8 Plusieurs personnes auditionnées ont plutôt déploré de devoir subir la domination de leur cocontractant tant au regard des conditions financières des accords que sur le plan de leurs conditions techniques. En particulier, les aléas du rythme d'investissement de la partie la plus en capacité financière d'y procéder ont été signalées comme affectant d'un fort potentiel de déséquilibre les accords conclus.

* 9 Un tel accompagnement aurait pu être envisagé d'emblée puisqu'aussi bien l'ARCEP avait relevé dans sa décision n° 2008-0835 du 24 juillet 2008 relative à l'analyse de marché pertinent de gros des offres d'accès à la boucle locale filaire que France Telecom était un « opérateur puissant » sur ce marché. Pourtant, en ce qui concerne le THD, l'ARCEP n'a souhaité apporter comme remède à cette situation qu'une régulation de l'accès aux infrastructures de génie civil, se réservant, pour des phases ultérieures, de prendre de nouvelles mesures de régulation asymétriques.

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