C. PRENDRE EN COMPTE LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION DE LA SITUATION FISCALE DES OPÉRATEURS

La réforme du financement de l'audiovisuel public, qui s'est traduite par la suppression de la publicité sur les chaînes de service public et sa compensation budgétaire de ce manque-à-gagner, a engendré la création d'une taxe sur les services de télécommunication destinée à contribuer au financement des dotations à France Télévisions.

L' article 302 bis KH du code général des impôts , introduit par l'article 33 de la loi du 5 mars 2009, a institué une taxe sur les services fournis par « les personnes physiques ou morales exploitant un réseau de communications électroniques ouvert au public ou fournissant au public un service de communications électroniques », usuellement désignées sous le nom de fournisseurs d'accès à Internet (FAI).

L'assiette de la taxe est constituée du montant, hors TVA, des abonnements et autres sommes acquittées par les usagers à ces opérateurs en rémunération des services de communications électroniques qu'ils fournissent.

Sont néanmoins exclues de cette assiette :

- les sommes acquittées au titre des prestations d'interconnexion et d'accès faisant l'objet des conventions définies au I de l'article L. 34-8 du code des postes et communications électroniques ;

- et les sommes acquittées au titre des prestations de diffusion ou de transport des services de communication audiovisuelle, qui ne relèvent pas d'un service de communications électroniques, mais d'un service de communication audiovisuelle.

Deux abattements sont en outre prévus :

- l'un de 5 millions d'euros appliqué de manière systématique afin de ne pas taxer des opérateurs émergents ou disposant de chiffres d'affaires très faibles (fournisseurs d'accès à Internet locaux...) ;

- l'autre qui correspond au montant des dotations aux amortissements comptabilisés au cours de l'exercice clos au titre de l'année au cours de laquelle la taxe est devenue éligible, lorsqu'ils sont afférents aux matériels et équipements acquis par les opérateurs pour les besoins des infrastructures et réseaux de communications électroniques établis sur le territoire national et dont la durée d'amortissement est au moins égale à dix ans.

Cette disposition issue d'un amendement parlementaire, fruit d'un compromis entre une rédaction proposée par M. Bruno Retailleau et la commission des affaires culturelles du Sénat poursuit l'objectif particulièrement louable d'éviter de pénaliser l'équipement numérique du territoire en incluant dans la taxe un mécanisme, sinon d'incitation, du moins de neutralisation fiscale. Cet abattement est susceptible d'exercer un effet non négligeable sur le produit de la taxe, qui, compte tendu du renouvellement souhaitable des actifs des opérateurs dans le cadre du programme national du très haut débit, pourrait s'amplifier dans les années à venir.

Le taux applicable est de 0,9 % des encaissements concernés .

Selon les services du ministère de l'économie, le montant des sommes encaissées en 2009 au titre de cette taxe a été de 185,9 millions d'euros, 255 millions d'euros en 2010, 251 millions d'euros en 2011 (estimation) et 251 millions d'euros en 2012.

PRODUIT DES TAXES INSTITUÉES AUX ARTICLES 302 BIS KG ET KH

Source : réponses au questionnaire budgétaire (* prévisions)

Ainsi que l'observent nos collègues David Assouline et Jacques Legendre dans leur rapport de contrôle de l'application des lois relatif à la communication audiovisuelle, le rendement de la taxe a été sensiblement inférieur à celui escompté lors des débats parlementaires.

A cet égard, ils rappellent que le rapport de M. Michel Thiollière et de Mme Catherine Morin-Desailly, adopté par le Sénat au moment de l'instauration de ladite taxe, faisait état d'un produit prévisionnel de 375 millions d'euros sur la foi des informations transmises par le gouvernement.

La moins-value de recettes atteint en moyenne près de 130 millions d'euros par an (soit 390 millions d'euros pour la période de 2010 à 2012).

L'écart entre le produit effectif de la taxe et les anticipations de recettes semble pouvoir provenir pour une partie non négligeable de la neutralisation fiscale introduite en cours de discussion au profit des investissements des opérateurs. C'est aussi cette disposition qui contribuerait à expliquer l'absence de dynamisme de la recette alors même que le chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès à Internet a progressé au cours de la période concernée.

Une autre explication fait valoir les effets de l'augmentation de la TVA sur les abonnements qui n'aurait pas été intégralement répercuté sur les prix « offerts » aux consommateurs, réduisant ainsi l'assiette, par construction calculée hors TVA, de la taxe. Mais, l'augmentation en volume du chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès à Internet réduit la portée pratique de cette explication.

Quoi qu'il en soit, c'est bien le constat d'un prélèvement moins élevé que celui annoncé qu'on peut tirer des tendances effectives de cette taxe. Ce constat pourrait être encore plus radical à l'avenir si les contestations juridiques soulevées par la Commission européenne devaient conduire à l'annulation de ce prélèvement.

En effet, par lettre de mise en demeure du 28 janvier 2010 , la Commission européenne a exprimé des doutes quant à la compatibilité du dispositif avec la directive « autorisation » du « Paquet télécom » et elle a invité le gouvernement français à fournir ses observations sur la question.

Dans leur réponse en date du 25 mars 2010, les autorités françaises ont contesté les griefs mis en avant par la Commission et ont conclu que la taxe n'était pas couverte par le champ d'application de la directive « autorisation ». Finalement, par lettre en date du 30 septembre 2010 , la Commission, qui n'a pas été convaincue par la réponse des autorités françaises, a adressé un avis motivé à la République française arguant de l'incompatibilité de la taxe avec les dispositions de l'article 12 de la directive « autorisation ». La Commission a engagé en parallèle la même procédure contre l'Espagne.

Le 14 mars 2011 , la Commission a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). L'arrêt pourrait intervenir au premier semestre 2013.

Les arguments en présence tels que présentés par nos collègues Assouline et Legendre sont les suivants :

- « selon la Commission, la taxe ne respecte pas les dispositions de l'article 12 de la directive « autorisation », selon lesquelles les taxes administratives imposées aux entreprises fournissant un service ou un réseau au titre de l'autorisation générale ou auxquelles un droit d'utilisation a été octroyé ne peuvent couvrir que les frais de gestion, de contrôle et d'application de l'autorisation, des droits d'utilisation, des obligations spécifiques visées à l'article 6, paragraphe 2 de la directive « autorisation » et les frais afférant aux travaux de réglementation. En effet, il n'est prévu en aucune manière de destiner le produit de la taxe à des fins prévues à l'article 12 de la directive « autorisation ». Par ailleurs, la taxe est assise sur le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, des abonnements et autres sommes acquittées par les usagers aux opérateurs de communications électroniques en rémunération des services de communications électroniques qu'ils fournissent. Les revenus provenant des prestations en gros sont donc en principe exclus de l'assiette de la taxe de manière plus sensible que les opérateurs qui les fournissent. D'après la Commission, ce mécanisme enfreint l'article 12 de la directive « autorisation », qui dispose que les taxes administrations doivent être réparties entre les entreprises individuelles d'une manière objective et proportionnée ;

- les autorités françaises considèrent que l'objectif de la directive « autorisation » est de limiter les contraintes, tant administratives que techniques, qui pourraient entraver l'installation de nouveaux opérateurs sur les marchés nationaux et qui freineraient par conséquent le développement du marché intérieur communautaire du secteur des communications électroniques. Cette directive fixe à ce titre les conditions de délivrance de l'autorisation que les États membres peuvent exiger des opérateurs de communications électroniques qui souhaitent s'installer en France et, notamment à son article 12, les conditions à respecter par toute taxe imposée par les États membres aux opérateurs titulaires de cette autorisation, du seul fait de cette qualité. Dans ces conditions, et dans la mesure où il a été démontré que l'objectif de la taxe prévue à l'article 302 bis KH du CGI est sans incidence sur l'économie générale du dispositif, que le fait générateur de la taxe française n'est en rien lié à la procédure d'autorisation prévue par la directive « autorisation », les autorités françaises considèrent que la taxe prévue à l'article 302 bis KH du CGI n'entre par dans le champ d'application de la directive « autorisation » et n'a donc pas à remplir les conditions posées par son article 12. »

Nos collègues alertent à bon droit sur les effets d'une éventuelle décision de la CJUE contraire aux prétentions de la France tant du point de vue de l'équilibre du financement de l'audiovisuel (même si, la taxe n'étant pas affectée, la moins-value de recettes obérerait le budget général, plutôt que, directement, le financement de France Télévision) que sur l'équilibre des comptes publics.

En effet, tout aussi, voire plus, inquiétant, si la Cour de justice prenait une telle décision, les requérants pourraient intenter une action devant le juge français afin de voir indemnisés des préjudices subis.

Un tel recours devrait avoir lieu devant le juge administratif, qui reconnaît depuis la décision Gardedieu du Conseil d'État, rendue le 8 février 2007, la responsabilité de l'État du fait des lois pour violation des obligations internationales (CE ass., 8 février 2007, n° 279522, Gardedieu). Au vu de décisions récentes du juge (CE, 8 ème et 3 ème sous-sections, 3 août 2011, min. c/ Sté Dirland et MM. Dirler), une réparation intégrale du préjudice subi est pleinement envisageable, voire - sous réserve de l'interprétation souveraine du juge - probable.

Les enjeux financiers s'élèvent à 950 millions d'euros soit le produit prélevé sur les opérateurs au fil des années.

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