N° 776 N° 420

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ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE 2012 - 2013

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Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale Enregistré à la présidence du Sénat

le 7 mars 2013 le 7 mars 2013

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

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RAPPORT

sur

QUELLES CONCLUSIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES TIRER DES ASSISES DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE ?

Compte rendu de l'audition publique du 4 décembre 2012

Par MM. BRUNO SIDO, sénateur, ET JEAN-YVES LE DÉAUT, député

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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Bruno SIDO,

Premier Vice-président de l'Office Président de l'Office

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Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Bruno SIDO, sénateur

Premier Vice-président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Marcel DENEUX, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Virginie KLÈS, sénatrice

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Anne GROMMERCH

Mme Françoise GUEGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DEAUT

M. Alain MARTY

Mme Corinne NARASSIGUIN

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Corinne BOUCHOUX

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

Mme Michèle DEMISSINE

M. Marcel DENEUX

Mme Chantal JOUANNO

Mme Fabienne KELLER

Mme Virginie KLES

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Jean-Claude LENOIR

M. Gérard MIQUEL

M. Christian NAMY

M. Jean-Marc PASTOR

Mme Catherine PROCACCIA

M. Bruno SIDO

PROPOS INTRODUCTIFS

M. Bruno Sido, sénateur, président de l'OPECST. Cette audition publique sera centrée sur la recherche universitaire, sa gouvernance, son insertion dans les territoires et son rapport avec les autres acteurs de la recherche. Le sujet est d'importance. Mon collègue Jean-Yves Le Déaut, qui a été chargé par la ministre d'une mission sur ces questions, vous exposera le déroulement de cette audition.

Pour ma part, en tant que président de l'OPECST, je vais vous exposer l'action de l'Office en ce domaine depuis l'adoption de la loi de programme pour la recherche de 2006.

Celle-ci a mis en place divers organismes dont la vocation principale était d'améliorer le fonctionnement de notre recherche - la qualité de ses travaux n'était, dans son ensemble, pas en cause.

Dans une économie mondialisée de la connaissance, tous les segments de la chaîne de recherche participent de la compétitivité. Ainsi, la récente démonstration du théorème des quatre couleurs, en mathématique fondamentale, offre d'importantes perspectives pratiques dans le domaine du numérique.

Le décloisonnement, le renforcement de la coordination, le rapprochement des acteurs, la mise en cohérence des systèmes de recherche imposaient de moderniser les structures et d'infléchir certaines habitudes.

L'Agence nationale de la recherche (ANR), qui joue maintenant un rôle d'appui presque comparable à celui de la Deutsche Forschung Gesellschaft (DFG) en Allemagne, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) qui, assistée par des évaluateurs internationaux, formule des appréciations sur les organismes, le Haut conseil pour la science et la technologie qui aide le Gouvernement à définir les thématiques prioritaires, les Alliances de recherche qui rapprochent les universités et les organismes de recherche, les Instituts Carnot, qui interviennent dans le développement technologique de base et la recherche appliquée, tous ces organismes constituent, à des titres divers, des novations essentielles pour l'avenir de notre recherche.

Qu'a fait l'Office ? Organisant des auditions publiques, comme celles sur les Alliances ou sur la valorisation de la recherche, auditionnant les responsables des organismes créés par la loi LRU, entretenant des rapports suivis avec les grands organismes de recherche - nous avons entendu récemment les responsables de l'INRA et de l'INRIA et entendrons prochainement ceux du CNRS et de l'INSERM -, il a cherché à dresser un premier bilan de l'application de la loi de 2006.

Ce bilan semble plutôt satisfaisant. Cela n'exclut pas que des corrections et des améliorations puissent être apportées. Des confrontations de points de vue sont intéressantes, comme celle ayant eu lieu entre l'AERES et l'Académie des sciences, cette dernière ne réclamant rien moins que la suppression de la première !

Nous n'avons pas assez mesuré comment les nouvelles structures étaient perçues par la recherche universitaire, sinon par le biais des rencontres régulières que nous avons avec notre conseil scientifique et avec l'Académie des sciences, ce qui n'est pas suffisant.

Si des adaptations sont souhaitables, des corrections de trajectoire nécessaires, le législateur doit se garder de deux délices bien français, le mécano institutionnel et la superposition de structures, deux points sur lesquels nous sommes allés aux limites de l'épure.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. Je suis particulièrement heureux d'ouvrir, avec Bruno Sido, cette audition publique. J'interviendrai tout au long de cette journée en tant que rapporteur de nos débats, afin de faire un lien entre les Assises de la recherche et de l'enseignement supérieur, ouvertes depuis plus de deux mois, et la future loi sur l'enseignement supérieur et la recherche.

Le Premier ministre m'ayant confié la mission de tirer les conséquences législatives des débats des Assises, j'ai souhaité, en tant que premier vice-président de l'OPECST, que l'Office participe à cette réflexion en facilitant le dialogue entre les parlementaires et les principaux acteurs qui se sont mobilisés au niveau régional et national.

Notre objectif est de participer activement à la préparation du prochain projet de loi. La méthode est originale : en effet, les projets de loi sont d'ordinaire élaborés par le pouvoir exécutif seul, après le plus souvent une longue phase de coordination interministérielle. Celui-ci le sera, lui, après une période d'intenses discussions au sein d'Assises régionales puis nationales, et un dialogue que nous lançons aujourd'hui entre participants à ces Assises, membres de la communauté scientifique et parlementaires.

Comme il est de tradition à l'OPECST, nous travaillons en amont du débat législatif. Notre réflexion est ouverte, puisque les choix définitifs n'ont pas encore été arrêtés sur les sujets qui font le plus débat. Nos intervenants représentent les diverses sensibilités politiques. Nous ne craignons pas les prises de position contradictoires, tout en souhaitant déboucher sur des propositions constructives.

Le cadre de notre réflexion a été tracé par les interventions du Président de la République, alors qu'il n'était encore que candidat, à Nancy, en mars 2012, et du Premier ministre la semaine dernière lors de l'ouverture des Assises nationales. Leur ambition conjointe, que nous partageons, est de prendre des décisions qui marqueront l'avenir de notre système d'enseignement supérieur et de recherche, en dépit de la difficulté du contexte, marqué par les contraintes budgétaires et le poids de plus en plus lourd de la mondialisation dans notre environnement.

Malgré cela, plusieurs choix sont possibles. Des marges de manoeuvre existent, y compris pour résoudre les problèmes les plus difficiles. Je pense tout particulièrement à la situation des personnels précaires de la recherche, que nous avons tenus à inviter aujourd'hui et à qui nous donnerons la possibilité d'exposer leurs difficultés et leurs attentes.

Après les propos introductifs de Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012, et de Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008, nous entendrons Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises, qui a accompli un travail considérable.

Puis nous dialoguerons lors de quatre tables rondes axées sur quatre thèmes : la gouvernance et l'autonomie des établissements ; le rôle des territoires en matière d'enseignement supérieur et de recherche ; les conditions nécessaires à la réussite des étudiants ; la situation des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche, le financement du système et la problématique de son évaluation.

Chacune de ces tables rondes sera présidée par un parlementaire, député ou sénateur. Un seul intervenant y rendra compte brièvement des débats des Assises sur le sujet. Puis la parole sera donnée à la salle, chacun disposant de deux minutes pour présenter un témoignage, poser une question ou faire une proposition. Nous souhaitons que le plus grand nombre possible d'entre vous puisse s'exprimer. Cette règle, qui peut paraître contraignante, vise à rendre notre débat plus participatif que celui des colloques traditionnels.

M. Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012. Je suis ému de m'adresser pour la première fois à un auditoire comme celui-ci. Je m'en tiendrai à quelques propos généraux sur la recherche et sur ce qu'attendent les chercheurs de ces Assises.

Il est très important de faire évoluer le cadre de la recherche scientifique à un moment où, dans le monde entier, des problèmes fondamentaux urgents se posent, que seule la science peut résoudre. Il ne saurait en effet y avoir de recherche appliquée sans recherche fondamentale préalable.

Il faut améliorer la situation des chercheurs en général, des jeunes chercheurs en particulier. Le système doit reposer davantage sur la confiance. La recherche a besoin de temps long. Ce sont aujourd'hui de confiance et de temps dont manquent le plus nos chercheurs.

Les problèmes sont connus. Tout d'abord, la superposition des structures qui complique inutilement leur travail : le système est si complexe que même ses acteurs discernent mal comment s'agencent les différentes structures et quelles sont leurs responsabilités respectives. Il faut revenir à des structures plus simples, de façon que les chercheurs n'aient qu'un seul interlocuteur, leur laboratoire de recherche, en général associé à une université ou un organisme de recherche comme le CNRS ou l'INSERM. D'une manière générale, les superstructures, quand on ne peut s'en passer, devraient être intégrées au point d'être invisibles. Les chercheurs ne devraient pas avoir à s'adresser à plusieurs interlocuteurs, dont les exigences multiples diffèrent parfois au point qu'ils sont obligés de reprendre leur travail - quand ces exigences ne sont tout simplement pas contradictoires !

Puisque l'on a donné leur autonomie aux universités, il faut leur faire confiance, notamment pour l'évaluation de la recherche. Les chercheurs devraient être évalués de manière plus souple par des structures plus proches d'eux. Les agences nationales d'évaluation devraient, quant à elles, se concentrer sur l'évaluation conduite au niveau local par les universités en s'assurant qu'elles respectent bien les règles éthiques exigées sur le plan international.

Il faudrait rééquilibrer les crédits de recherche récurrents et les crédits sur contrats. Les recherches sont de plus en plus financées sur contrat à court terme, ce qui ne permet pas aux jeunes chercheurs d'engager leurs travaux dans un climat de confiance, alors qu'ils se lancent souvent dans des projets ambitieux qui demandent du temps. On ne peut exiger d'eux des résultats au bout d'un an, ou même de deux ou trois ans. Dans les recherches sur contrat, le plus souvent présentées comme des recherches finalisées, on demande aux chercheurs ce qu'ils auront obtenu à un horizon proche et ils doivent ensuite se justifier s'ils ne suivent pas les étapes prévues. Ce n'est pas ainsi que doit marcher la recherche fondamentale. Les crédits récurrents devraient être plus importants.

Il faudrait aussi améliorer la carrière des jeunes chercheurs. Leur rémunération de départ est inadmissible : 1 700 euros nets à bac + 10 ou 12, c'est indécent. Les chercheurs sont certes passionnés par leur métier, mais il n'est pas moral de profiter à ce point de leur passion. Les salaires de milieu et de fin de carrière sont corrects, mais du fait des difficultés d'avancement, les chercheurs restent très longtemps à un niveau de rémunération faible, qui ne leur permet pas, au moment où en général ils fondent une famille, d'avoir l'esprit libre comme il le faudrait pour faire de la recherche.

Je suis défavorable au recrutement des jeunes chercheurs sur contrat précaire lorsque ce contrat n'est pas sous leur propre responsabilité. Lorsque le détenteur d'un contrat du type ANR engage un jeune chercheur pour trois ans, il prend une responsabilité morale et il faut que le débouché soit ensuite raisonnablement assuré. Dans les pays voisins, les universités font confiance aux jeunes chercheurs, les engagent sur contrat à durée déterminée en les invitant à obtenir eux-mêmes un contrat de recherche sous leur responsabilité et à montrer pendant ce temps qu'ils sont aptes à faire de la recherche. Lorsque le chercheur est asservi à un contrat dont il n'est pas responsable, la situation est totalement différente. Il faudrait regarder ce qui se fait à l'étranger, à la fois pour s'en inspirer et se garder de certains travers.

En conclusion, je reconnais qu'il est facile de poser les problèmes, il l'est beaucoup moins de trouver des solutions - surtout quand les avis divergent ! Je vous souhaite donc bon courage. Les maîtres mots devraient être simplification, confiance et temps suffisant. Alors que partout dans le monde, les vocations pour la carrière scientifique se faisaient plus rares, du fait notamment de la concurrence avec des carrières beaucoup mieux rémunérées, la crise offre l'opportunité d'attirer de nouveau des jeunes vers la science, la recherche fondamentale mais aussi les sciences de l'ingénieur. Nos ingénieurs, issus des grandes écoles, se voyaient jusqu'à présent offrir des carrières plus intéressantes dans le management ou la finance, ce qui les détournait des carrières techniques. Or, dans les années qui viennent, nous en aurons besoin dans quantité de domaines pour résoudre les problèmes liés à l'évolution du climat, trouver de nouvelles sources d'énergie... Il faut donc que plus d'entre eux s'orientent vers les métiers techniques. Il faut aussi décloisonner recherche publique et recherche privée, recherche fondamentale et recherche appliquée. Ces cloisonnements sont l'un des handicaps du système français. Les doctorats obtenus dans la recherche publique ne sont que très faiblement valorisés dans le privé. Il faudrait rendre le système plus fluide, de façon à nous rapprocher de pays concurrents comme l'Allemagne. Des mesures législatives devraient être prises pour que les doctorats soient davantage reconnus dans l'administration, ce qui encouragerait le secteur privé à les reconnaître de la même façon.

Mme Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité de pilotage des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, prix Nobel de médecine 2008 (en vidéo). Je tiens tout d'abord à m'excuser de ne pouvoir être parmi vous ce matin, mais un déplacement prévu de longue date m'en empêche. J'ai tenu néanmoins à ce que ce message vidéo vous soit adressé pour vous encourager dans vos travaux.

Une consultation nationale très large a été engagée en juillet dernier à la demande de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Plus d'une centaine d'auditions ont eu lieu, des Assises territoriales ont été organisées par les territoires et ont fait l'objet d'un rapport remis au comité de pilotage des Assises. Nous avons aussi reçu quelque 1 300 contributions écrites.

De là, 121 propositions ont été faites, qui ont été débattues lors des Assises nationales qui se sont tenues les 26 et 27 novembre derniers. Elles concernent la réussite des étudiants, la nouvelle ambition à donner à la recherche française, la gouvernance de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Certaines sont assez consensuelles comme celles qui touchent à l'amélioration des conditions de vie et d'études des étudiants dans notre pays ou bien encore l'accueil des étudiants étrangers. Chacun s'accorde aussi à reconnaître qu'il faudrait améliorer la lisibilité de l'enseignement supérieur pour les étudiants de premier cycle, les liens entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, et instaurer une spécialisation progressive afin de limiter l'échec en premier cycle et orienter les étudiants vers des filières pour lesquelles ils ont à la fois des motivations et des compétences.

Il est proposé aussi de rééquilibrer les financements récurrents de la recherche et les financements sur projets comme ceux de l'ANR.

En matière de carrière des enseignants-chercheurs, il faudrait faciliter la mobilité entre enseignement et recherche, entre secteur public et secteur privé, ainsi que la mobilité à l'international.

Il faudrait aussi régler la situation des précaires. Après des années de CDD, les « post-docs » devraient pouvoir être titularisés.

En matière de gouvernance, il est proposé de transformer les pôles d'enseignement supérieur et de recherche (PRES) en grandes universités fédérales - l'appellation exacte reste à trouver.

En matière d'évaluation, sujet qui fait débat, on se demande s'il faut supprimer l'AERES ou la réformer en profondeur.

Nous attendons beaucoup des échanges d'aujourd'hui. A leur lumière, nous affinerons encore les propositions des Assises qui feront l'objet d'un rapport de synthèse remis prochainement au Président de la République.

M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je ne reviens pas sur la méthodologie des Assises, rappelée par Mme Barré-Sinoussi, non plus que sur l'articulation entre les Assises territoriales et les Assises nationales. L'objectif de ces Assises était de renouer le dialogue et de rétablir la confiance avec le monde de la recherche.

J'ai rappelé lors des Assises nationales l'importance de l'enseignement supérieur et de la recherche pour notre économie. Ils préparent l'insertion de nos jeunes dans la vie professionnelle. Grâce à l'innovation, ils stimulent le dynamisme de nos entreprises et contribuent à leur compétitivité. Mais au-delà, il y va de l'émancipation des individus par le savoir, du renforcement du lien social par la connaissance, la culture et l'humanisme. L'université est le lieu où se diffuse et se partage le sens critique, sans lequel il ne saurait y avoir de morale et de politique. Avec le sens critique, c'est de la démocratie dont il s'agit, celle-ci exigeant l'appréhension par le plus grand nombre de phénomènes complexes qu'il faut essayer de faire comprendre de tous.

L'enjeu de l'enseignement supérieur et de la recherche n'est donc rien moins que la démocratie elle-même. L'importance qu'une nation leur accorde lui permet d'afficher un cap de civilisation.

Je n'entrerai pas dans le détail des 121 propositions des Assises.

Beaucoup concernent la coopération entre les acteurs : entre les lycées et l'université pour faciliter la transition entre enseignement secondaire et supérieur ; entre l'enseignement supérieur et la recherche et les entreprises ; entre les organismes de recherche et les universités ; entre les universités et les grandes écoles ; entre les universités elles-mêmes ; entre les différents ministères concernés - ce n'est pas le plus facile ! D'un mot, il faut simplifier le « mikado » institutionnel et mieux faire entrer en synergie tous les acteurs.

Plusieurs propositions tournent autour de la responsabilité sociale de l'enseignement supérieur et de la recherche. Tout d'abord, vis-à-vis des étudiants - orientation, logement, santé, allocations, démocratisation de l'enseignement supérieur. Ensuite, vis-à-vis des personnels - personnels précaires, personnels en situation de handicap et personnels féminins. Enfin, vis-à-vis de la société en général - diffusion des sciences et techniques mais aussi partage actif des connaissances avec tous.

Pour améliorer la réussite des étudiants, nous avons proposé un élargissement disciplinaire de la licence par grands domaines, de façon à permettre une orientation progressive. Ce serait un moyen de réduire l'échec à l'université. Nous avons également proposé de mieux orienter les bacheliers technologiques et professionnels respectivement dans les STS (sections de techniciens supérieurs) et les IUT (instituts universitaires de technologie) : le titulaire d'un bac professionnel n'a aujourd'hui que 2 % de chances d'obtenir sa licence en trois ans et 4 % en quatre ans.

Un autre sujet a suscité un vif intérêt : l'émergence du numérique. Nouvel outil pédagogique, il bouleverse également notre rapport au savoir. Des cours sont aujourd'hui suivis en ligne par plus d'un million d'étudiants. Il sera vraisemblablement possible dans quelques années à un étudiant français de suivre en ligne les cours d'une université américaine, de faire des stages ou des travaux pratiques organisés par cette université près de chez lui, de passer des examens en présentiel chez lui, et d'obtenir in fine le diplôme de cette université sans jamais avoir quitté sa ville. Nous ne pouvons rester indifférents à cette révolution. Il peut en aller de l'indépendance même de la nation. La France doit dire si elle entend ou non maîtriser l'enseignement supérieur de ses enfants.

Marquant une rupture dans les méthodes pédagogiques, le numérique révolutionne notre rapport au savoir, renouvelant par exemple totalement le rôle du professeur. Nous demandons qu'on mobilise d'importantes forces de recherche sur ces sujets, en particulier dans le domaine des sciences humaines.

Nous avons également fait des propositions sur l'encadrement et l'insertion professionnelle des doctorants. Le doctorat devrait être mieux reconnu dans les grilles de la fonction publique et les conventions collectives. La France est le seul pays au monde où ce diplôme ne l'est pas à sa juste valeur. Aucun des PDG du CAC 40 n'est docteur. Sans doute n'est-ce pas un hasard !

En ce qui concerne les thématiques de recherche, nous avons proposé l'élaboration d'un agenda stratégique fondé sur les grands problèmes à l'horizon 2020, à laquelle participeront les Alliances.

Nous avons aussi proposé d'accroître le soutien de base à la recherche, comme le demande la communauté de l'enseignement supérieur et de la recherche. En effet, on est allé beaucoup trop loin dans le financement sur projets. Il est contre-productif de rémunérer des personnels sans leur donner les moyens de travailler.

Beaucoup de propositions concernent l'ANR. Il faudrait des projets plus longs, moins nombreux, moins lourds en procédure.

D'autres, nombreuses également, ont trait à la sincérité budgétaire. Il est impératif d'y voir clair dans les financements au niveau des sites, des universités, des régions. Il est aujourd'hui difficile de savoir par exemple combien on dépense au total pour la recherche ici ou là car il faut additionner l'effort des organismes de recherche, des universités, des écoles, mais aussi les crédits extra-budgétaires, pas faciles à appréhender. Il faudrait savoir quelle est la dépense exacte pour un étudiant de licence par exemple. Il est faux de dire, comme on peut le lire dans la presse, qu'on dépense 11 000 euros. Ce montant est obtenu en divisant le budget total des universités par le nombre d'étudiants. Or, il faudrait retirer ce qui est dépensé pour la recherche et pour les masters, et ne diviser ce qui reste que par le nombre d'étudiants en licence. On trouverait alors un montant de trois à quatre fois inférieur, différent selon les disciplines et les régions. Il ne peut y avoir de sincérité politique sans sincérité budgétaire.

Nous avons « revisité » la loi LRU en profondeur. La centralisation des pouvoirs autour du président et du conseil d'administration qu'elle a instituée présente des inconvénients. Nous avons fait des propositions pour corriger les dysfonctionnements pouvant en résulter et aller dans le sens à la fois d'une plus grande collégialité et d'une plus grande démocratie.

Les Assises territoriales ont proposé de fédérer les universités en grandes universités - fédérales ou régionales, le terme n'est pas encore choisi - et de démocratiser les PRES, la loi de 2006 n'ayant pas permis que leur gouvernance soit vraiment démocratique.

Le rôle des régions dans le pilotage a également été un grand sujet de discussion.

Nous avons fait des propositions pour simplifier le système en demandant d'abord que ne soient plus créées de nouvelles structures ni de nouvelles personnalités morales. Nous avons même proposé de supprimer la personnalité morale des initiatives d'excellence (IDEX). La structure de base de la recherche, c'est l'unité mixte de recherche. Nous proposons la mise en place d'un outil tout simple, le groupement de coopération scientifique. Cela serait beaucoup plus compréhensible que l'empilement actuel de structures... et d'acronymes.

Nous alertons sur la situation des personnels précaires : post-doctorants qui enchaînent parfois plusieurs « post-docs », ce qui les porte à un âge où il leur est difficile d'être recrutés que ce soit dans le secteur privé ou dans le milieu académique, mais aussi personnels non enseignants des organismes de recherche et des universités. Pour ceux-ci, les solutions dépendent de leur corps.

Nous avons également abordé les sujets de la résorption du décalage grade/fonction, de la carrière et de l'évaluation des enseignants-chercheurs. L'évaluation est un sujet sensible : il faut faire retomber les passions pour ouvrir un débat plus serein.

M. Jean-Yves Le Déaut. Merci infiniment pour tout ce travail préparatoire qui servira de base aujourd'hui à nos discussions.

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