ANNEXES

ANNEXE 1 :
AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS BACH, SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, SUR LES CRITIQUES ÉMISES PAR L'ACADÉMIE À L'ENCONTRE DE L'AGENCE NATIONALE D'ÉVALUATION DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE (AERES), LE 21 NOVEMBRE 2012

« M. Bruno Sido , sénateur, président de l'OPECST. - Nous allons maintenant recevoir successivement, M. Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l'Académie de sciences et M. Didier Houssin, président de l'AERES.

Ces auditions, dont le principe a été acté lors d'une précédente réunion de notre Délégation, sont justifiées par la publication, au mois de septembre dernier, par l'Académie des sciences de « remarques et propositions sur les structures de la recherche publique en France », dans le cadre des réflexions qui accompagnent les « Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche ».

L'Office avait entendu, au mois de mars 2011, le président de l'AERES d'alors, M. Jean-François Dhainaut, poursuivant ainsi la démarche entreprise par MM. Claude Birraux et Henri Revol, de faire un premier bilan des institutions nouvelles mises en place par la loi Goulard de 2006. Cette audition a montré qu'en dépit de la novation qu'elle constituait, l'action de l'AERES, qui s'appuyait notamment sur une expertise internationale d'évaluation, comme le fait depuis longtemps l'Institut Max Planck en Allemagne, était peu à peu acceptée.

Dans son opuscule que je viens de citer, l'Académie fait part d'une opinion divergente et beaucoup plus tranchée puisqu'elle propose de supprimer l'AERES, au motif - je cite - « qu'elle a fait la quasi-unanimité contre elle ».

Monsieur le secrétaire perpétuel, pouvez-vous contribuer à nous éclairer sur ce jugement ?

M. Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. - C'est avec un certain regret que je me trouve dans cette position de critique de l'AERES, que je connais bien et où j'ai siégé encore récemment pour l'évaluation du CNRS. J'apprécie la compétence de son directeur, M. Houssin, et de ses collaborateurs. L'Académie a rendu un avis très tranché en raison de la complexification, au cours des années récentes, du système français de recherche. Hubert Curien disait que lorsqu'on veut modifier une structure, si l'on ajoute une commission, il faut en supprimer deux autres. Or ce n'est pas ce qui s'est produit en France : le nombre de structures s'est multiplié, entraînant une charge de travail administratif insupportable pour les chercheurs.

Il ne faut pas comprendre les remarques de l'Académie comme des réserves à l'égard de l'évaluation. Nous avons rendu deux rapports sur l'évaluation : l'un sur la bibliométrie en janvier 2011 ; l'autre sur l'évaluation individuelle des chercheurs en juillet 2009. Cette évaluation individuelle ne relève pas de l'AERES mais, d'une part, de commissions au sein des organismes de recherche, et, d'autre part, du Conseil national des universités (CNU) pour les enseignants chercheurs. L'évaluation individuelle et celle des équipes sont néanmoins très connexes.

L'Académie a peut-être été un peu trop brutale dans la forme. Mais on en est arrivé à une situation insupportable pour les chercheurs, qui se plaignent de la lourdeur des tâches qu'ils doivent accomplir au détriment de leurs travaux de recherche, pour répondre aux demandes de l'AERES et d'autres organes administratifs. Ceux-ci n'ont pas toujours conscience du temps qui est requis pour apporter les réponses demandées.

La tâche assignée à l'AERES est en outre considérable, étant entendu, au surplus, que les règles d'évaluation doivent être adaptées discipline par discipline. En conséquence, l'AERES n'a pas pu remplir l'ensemble de ses missions. La tâche de validation des règles de procédure de l'évaluation des personnels n'a pas été réalisée de façon satisfaisante : l'évaluation par le CNU aurait, par exemple, besoin de s'inscrire dans un cadre mieux défini. Néanmoins, les évaluations menées par l'AERES ont généralement été satisfaisantes.

Que proposons-nous ? Le groupe de travail de l'Académie des sciences, puis l'Académie elle-même, se sont prononcés à la quasi-unanimité en faveur des orientations suivantes.

L'évaluation des équipes, regroupées dans les mêmes lieux, doit être faite par des comités ad hoc de site. Nous ne souhaitons pas que l'évaluation relève à nouveau de commissions au sein des organismes de recherche ou du CNU, comme ce fut le cas avant la création de l'AERES. En effet, ces commissions comprenaient des élus syndicaux. Or il nous semble que l'évaluation doit être fondée sur le seul critère d'excellence, indépendamment de toute appartenance syndicale.

Nous souhaitons néanmoins que ces comités ad hoc respectent des procédures définies par une nouvelle structure d'évaluation et fonctionnent en pratique sur les moyens des organismes évalués, comme cela se fait à l'étranger. Les modalités administratives de l'évaluation (remboursements de frais, ...) en seraient simplifiées.

Nous souhaitons par ailleurs que le coeur de fonctionnement de l'AERES soit regroupé avec le Haut Comité de la science et de la technologie (HCST) et le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT), au sein d'une nouvelle structure qui, outre la mission de définir les procédures d'évaluation, se verrait confier un rôle de réflexion transdisciplinaire sur la stratégie nationale de recherche.

M. Bruno Sido. - Je vous remercie.

M. Jean-Yves Le Déaut . - Chargé de la traduction législative des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche en tant que parlementaire en mission, j'ai pris connaissance de la position de l'Académie des Sciences qui propose la suppression de l'AERES. Je remarque qu'aujourd'hui vous ne parlez plus de suppression, mais de l'évolution de ses missions. Dans un tel système, comment pourrait-on simplifier et parvenir à une moindre multiplicité des procédures d'évaluation, ce qui est notamment le cas de la recherche contre le cancer où il y a au moins, avec l'INRA, l'ANR, l'INSERM, le ministère de la Santé, l'AERES, cinq systèmes d'évaluation différents entre l'octroi des financements et l'évaluation proprement dite, au point qu'on pourrait parler de la République des évaluateurs ? Pourriez-vous préciser le rôle du Haut Comité de la science et de la technologie (HCST) qui résulte de la loi de 2006 et qui est maintenant placé auprès du Premier ministre, après avoir été chargé de conseiller le Président de la République sur les grandes questions scientifiques ? Comment pourrait-il combiner cette fonction de conseil avec celle d'évaluation ?

M. Jean-François Bach . - Les structures actuelles forment un millefeuille, ce qui a notamment conduit l'INSERM à mettre en place un groupe de réflexion qui propose une réunification des structures de recherche et d'évaluation en France.

Il faut distinguer plusieurs niveaux d'évaluation : l'évaluation des individus qui permet de les recruter et de les promouvoir ; l'évaluation des équipes, des laboratoires qu'il faudrait opérer de manière uniforme, pas forcément unique, mais sur une base commune, en établissant des règles qui n'existent pas actuellement.

Une bonne évaluation repose sur trois éléments : la compétence, la disponibilité et l'absence de conflits d'intérêts.

Or, actuellement beaucoup des meilleurs scientifiques refusent de siéger dans les comités d'évaluation par manque de temps, alors qu'on pourrait imaginer des règles simples, une fréquence raisonnable des évaluations afin d'éviter de devoir les mobiliser trop souvent.

Le HCST a été peu sollicité jusqu'à présent, alors qu'il y a des problèmes majeurs qui concernent l'équilibre des moyens entre les disciplines (il faut tenir compte des sciences émergentes) et les principes devant guider les procédures d'évaluation. Il pourrait être chargé de constituer des groupes de travail pour réfléchir sur ces problèmes, en faisant appel à des scientifiques de renom à qui on demanderait un temps d'investissement raisonnable.

M. Jean-Yves Le Déaut . - Lorsque plusieurs ministères sont concernés, et c'est notamment le cas pour la santé, et particulièrement pour la recherche clinique, ne faudrait-il pas une cotutelle, qui permettrait d'aboutir à un meilleur pilotage des formations notamment ?

M. Jean-François Bach . - Dans le cas de la santé, l'INSERM qui rend compte au ministère de la recherche comme au ministère de la santé, s'adresse en fait davantage au ministère de la recherche. La double tutelle est nécessaire car il y a des finalités distinctes à respecter. Pour la recherche clinique, la demande de placement sous l'égide du ministère de la Recherche est ancienne. Les professeurs de médecine ont revendiqué de longue date une prise en compte de cette activité par l'INSERM. La création du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) s'est faite sous l'égide du ministère de la santé, alors que l'INSERM devrait couvrir l'ensemble de la recherche clinique. Il n'est pas bon qu'il poursuive ses propres programmes de recherche clinique et que le PHRC fasse la même chose de son côté ; l'effort devrait être conjoint.

M. Michel Berson, sénateur . - En tant que membre du Conseil de l'AERES, j'ai été choqué par le contenu du rapport de l'Académie des sciences sur l'AERES, car il s'agit d'un document à charge qui ne contient pas de points positifs. Ses démonstrations sont fondées sur des éléments erronés. L'AERES ne procède plus à une notation d'ensemble et a maintenant une notation multicritères. Elle n'utilise pas les mêmes grilles pour évaluer des structures de nature différente. Il est pour le moins contestable de dire qu'une quasi-unanimité s'est faite sur sa suppression. Pourquoi l'Académie a-t-elle émis un avis aussi critique ? L'apport de l'AERES depuis cinq ans est une avancée, en termes de garantie d'indépendance, d'impartialité, et d'homogénéité de l'évaluation. Pourquoi ne pas l'avoir souligné ? N'y a-t-il pas un risque de retour en arrière vers une notation dépendante des universités et des organismes de recherche ? Pourquoi faudrait-il confier l'évaluation à ceux qui financent et distribuent des postes ?

M. Jean-François Bach . - L'Académie a procédé de manière simple. Les membres de l'Académie ont été invités à exprimer par écrit leur opinion sur une dizaine de sujets d'actualité, dont la réforme éventuelle de l'AERES. L'Assemblée générale a corroboré leur opinion qui, dans la forme, est sans doute trop brutale, comme l'est le terme de « suppression ».

Nous ne proposons pas le retour à la situation initiale. C'est la critique de cette situation qui avait conduit à la création de l'AERES, afin de retirer aux organismes la possibilité de s'autoévaluer. Nous demandons par contre la création de comités ad hoc qui seraient gérés par les organismes au niveau matériel, ce qui se fait dans beaucoup de pays, et je connais personnellement le cas de l'université d'Oxford.

L'AERES a bien fonctionné. Le fait que ses évaluations aient été rendues publiques a pu poser problème. La critique porte aussi sur l'organisation, la lourdeur de l'administration, mais la qualité du travail lui-même n'est pas remise en cause. Il y a eu certes une évolution depuis quelques mois sous l'impulsion de M. Didier Houssin.

L'utilisation des notes données par l'AERES est un point préoccupant. Il n'en est presque pas tenu compte. Ce n'est pas du fait de l'AERES, mais il n'y a pratiquement plus de moyens à donner aux laboratoires. Il en résulte que, pour les équipes, les conséquences pratiques de l'évaluation sont faibles. Les décisions financières importantes sont prises par l'ANR, par les structures des investissements d'avenir, et les retombées du travail de l'AERES ne sont pas à la hauteur de l'effort qu`implique l'évaluation.

L'Académie est très sensible aux comparaisons internationales. Or à l'étranger, il n'existe pas d'organisation de ce type. L'évolution que propose l'Académie pourrait être faite de manière simple. Ses critiques ne doivent pas être prises ad hominem , car les responsables de l'AERES n'ont fait qu'accomplir leur mission.

M. Jean- Yves Le Déaut. - L'AERES est une autorité administrative indépendante dont la mission est l'évaluation ; elle a la possibilité de s'appuyer sur des organismes pour évaluer les diplômes, elle a reçu mission de valider les procédures d'évaluation des personnes. La loi de 2006 évoque les missions d'évaluation de la recherche, un peu celle de l'enseignement. Ne pensez-vous pas que la mission d'évaluation doit aussi porter sur les enseignants et englober d'autres missions non prises en compte jusqu'à présent, comme l'innovation, les transferts de technologie, l'ouverture à l'international, la médiation scientifique, la contribution aux rapports sciences/société ? Cela ne devrait-il pas entrer en ligne de compte, au moins dans l'évaluation des hommes ?

M. Jean-François Bach. - Ma réponse est oui. Nous avons insisté sur les points évoqués notamment pour les enseignants-chercheurs. Cependant, il est plus compliqué d'évaluer un enseignant qu'une recherche : sur quoi se fonder : la participation aux tâches collectives, les résultats des étudiants, etc . ? Ce n'est pas simple et il faut distinguer l'évaluation des individus, dévolue au Conseil national des universités (CNU) et aux commissions d'organismes, de celle des laboratoires, qui concernent parfois les mêmes questions, sous des aspects différents, avec pour enjeu l'affectation des moyens. Il est nécessaire de séparer ces missions très différentes. Quant à l'évaluation des institutions, c'est une tâche difficile qui a ses limites, comme l'illustre le cas de l'évaluation du CNRS qui s'est déroulée en une semaine sous l'égide de Philippe Busquin, ancien commissaire européen à la recherche. Qu'en sera-t-il le jour où il faudra évaluer une université dans son ensemble ? Pour autant, c'est un exercice plus pertinent que le classement de Shanghai, qui est trop abrupt.

M. Bruno Sido. - Je poserai deux questions quelque peu iconoclastes : les évaluateurs sont-ils eux-mêmes évalués ? Lorsque l'on écoute les chercheurs se plaindre de la lourdeur des contrôles, du temps passé à l'évaluation, de son coût, on se demande comment ils peuvent rester efficaces en tant que chercheurs s'ils doivent passer leur temps à remplir des formulaires. Si on les mobilise la moitié du temps à cela, quand peuvent-ils chercher ?

M. Jean-François Bach. - Cette question est au centre de notre rapport, c'est devenu intolérable pour les chercheurs, car même si ce problème se pose aussi à l'étranger, il se trouve accentué en France du fait de l'existence d'un mille-feuille administratif et de la multiplicité des structures. Il faut donc mettre fin à cela. La nouvelle instance que nous préconisons devrait veiller à la mise en oeuvre de cette simplification.

Les évaluateurs sont eux aussi évalués : un chercheur de qualité se doit d'évaluer de temps en temps les travaux des autres ; s'il refuse trop souvent de participer à un comité ou d'évaluer un article, il risque de se voir lui-même refuser des articles. Les évaluateurs sont également évalués quand ils soumettent des projets à l'ANR ou les présentent devant des instances de financement internationales. Ainsi, les chercheurs sont-ils en permanence évalués et évaluateurs.

M. Bruno Sido. - Je vous remercie beaucoup pour vos réponses. »

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