Audition de M. Philippe-Jean PARQUET, professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l'université de Lille, spécialiste de l'emprise mentale (mercredi 21 novembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, je dois tout d'abord vous informer que notre collègue Jacques Mézard, rapporteur, se trouve empêché d'assister à notre réunion d'aujourd'hui et vous prie par mon intermédiaire de l'en excuser.

Nous poursuivons les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en rencontrant le Pr Philippe-Jean Parquet, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et d'addictologie à l'université de Lille.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

L'audition du Pr Philippe-Jean Parquet s'inscrit dans un ensemble d'auditions consacrées au thème de l'emprise mentale. Elle s'est tout naturellement imposée parce que le Pr Parquet a élaboré de manière très éclairante une définition des critères de l'emprise mentale destinés à asseoir un diagnostic dans une démarche comparable à celle du traitement de pathologies mentales. Cette définition répond par ailleurs à des besoins opérationnels, puisqu'elle est utilisée par les enquêteurs et par le professeur lui-même dans le cadre d'expertises qui lui sont confiées par les magistrats.

Je rappelle à l'attention du Pr Philippe-Jean Parquet que notre commission d'enquête a pour origine une initiative du groupe RDSE, présidé par notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Philippe-Jean Parquet de prêter serment.

Je mentionne pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Philippe-Jean Parquet, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Philippe-Jean Parquet . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Monsieur le professeur, c'est avec plaisir que je vous donne la parole pour un exposé introductif, à la suite de quoi nous vous poserons quelques questions...

M. Philippe-Jean Parquet, professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l'université de Lille, spécialiste de l'emprise mentale . - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis ce que l'on appelle un membre de la « tribu » des experts ; nous sommes toujours à la fois très requis et très suspectés. Je ne suis pas toutefois simplement expert mais également praticien.

Depuis plus d'une trentaine d'années, on m'a demandé d'accueillir, de soutenir, d'accompagner les personnes qui sont sorties des organisations à caractère sectaire et les familles confrontées à ce problème. Il y aura donc dans mon exposé un aspect théorique et un aspect pratique.

D'une part, la prévention compte aussi parmi mes domaines de compétences, que j'exerce par rapport à d'autres thématiques. J'essaierai de donner quelques pistes dans ce domaine.

Le premier point à souligner réside dans le changement considérable des mentalités dans notre pays : la santé, le bien-être, la réduction de l'occurrence des pathologies, l'exigence de leur efficacité, l'exigence des soins, la guérison facile sont devenus une préoccupation essentielle ; ceci explique que les organisations à caractère sectaire et les personnes utilisant les mêmes procédés se trouvent au coeur des préoccupations de la société. De ce fait, elles tentent de réaliser une analyse exacte des besoins et des attentes de la population en matière de santé. Les organisations à caractère sectaire et les personnes utilisant les mêmes procédés se livrent donc à une étude de marché très pertinente pour savoir où et sur quels thèmes leurs propositions doivent être faites...

Paradoxalement, les bénéfices que nous recevons de l'organisation des soins dans notre pays peuvent être aussi générateurs de dommages. C'est pourquoi il convient d'emblée de distinguer très clairement ce qu'on appelle les « dérives thérapeutiques » et les « dérives sectaires ».

D'autre part, on distingue aussi - et il convient de ne pas faire d'amalgame - les notions d'accident, d'utilisation thérapeutiques non validées, de faute par erreur, de maladresse ou d'incompétence ainsi que d'aléa thérapeutique. Souvent, lorsque nous sommes saisis d'informations, il peut ne pas s'agir d'une dérive sectaire mais de bien autre chose. Je siège à la Commission nationale des accidents médicaux. La rigueur de la définition est indispensable pour éviter toute confusion.

Notre grand problème est de savoir si une dérive thérapeutique conduit obligatoirement à une dérive sectaire. Or, certaines dérives thérapeutiques se situent en dehors de toute intentionnalité sectaire. Vous verrez que j'utiliserai souvent ce terme. Habituellement, la bizarrerie des pratiques cliniques, la non-validation scientifique de celles-ci ne suffisent pas et ne sont que des éléments d'alerte.

Cependant, il convient de repérer deux familles de critères, les critères relatifs à la mise en place d'un état psychologique nouveau, induit, que l'on appelle l'emprise mentale et l'utilisation de certains procédés, de certaines modalités relationnelles, affectives et intellectuelles. C'est pourquoi j'ai essayé de donner une définition qui n'est pas « compréhensive ». Toutes les interprétations sont possibles mais comment être capable de reconnaître une dérive sectaire ?

Cette dérive se caractérise par un état psychologique particulier, avec des traits de comportement et de personnalité et par l'utilisation d'un certain nombre de processus.

Je vais donner ici une définition qui comporte neuf critères, dont cinq seulement sont nécessaires pour identifier une dérive sectaire et un état d'emprise mentale.

Le premier est le plus classique. On en a beaucoup parlé lors des auditions précédentes. Il s'agit de la rupture imposée avec les modalités antérieures des comportements, des conduites, des jugements, des valeurs. Celle-ci va très clairement se révéler dans le cas des dérives sectaires relatives à la santé. Il s'agit d'une rupture avec les modalités antérieures du soin, de la conception des soins et de la proposition d'un projet thérapeutique.

Le second point qui posera problème est l'occultation des repères antérieurs et la rupture dans la cohérence de la vie antérieure du sujet qui accepte que sa personnalité, sa vie affective, cognitive, relationnelle soit modelée par les sujétions, les injonctions, les ordres, les idées, les concepts et les valeurs imposés par une tierce personne, entraînant une délégation générale et permanente de l'individu à un modèle imposé. On aura dès lors beaucoup de difficultés à soustraire les malades à l'influence de personnes qui veulent exercer sur elles une action particulière.

Le troisième critère, qui posera également un problème considérable dans le domaine de la santé, est celui de l'adhésion et de l'allégeance inconditionnelles à une personne, un groupe, une institution. Ce terme d'allégeance est essentiel. On retrouve ce même trait psychopathologique dans les dépendances aux substances psycho-actives, aux drogues et à certaines addictions comportementales.

Le quatrième critère est celui de la mise à disposition complète, progressive et extensive de la totalité de sa vie à une personne ou une institution. Ceci est un peu différent de la notion d'allégeance...

Le cinquième critère est une sensibilité accrue dans le temps aux idées, aux concepts et aux prescriptions. Il faudra donc être actif très tôt lorsqu'on constatera une dérive sectaire dans le domaine de la santé. Si on laisse les choses évoluer, on aura infiniment plus de difficultés à aider les personnes concernées.

Le sixième critère est celui de la dépossession des compétences d'une personne, avec une anesthésie affective et une altération du jugement. Si l'on souhaite réaliser une approche rationnelle, celle-ci a les plus grandes chances d'échouer.

L'altération de la liberté de choix est une caractéristique essentielle.

Un huitième point est très important : il s'agit de l'imperméabilité aux avis, aux attitudes et aux valeurs de l'environnement, avec une impossibilité de se remettre en cause et de promouvoir un changement, voire de croire qu'il soit possible.

Le dernier point est classique. Le président de la Miviludes vous en a en particulier parlé longuement : c'est l'induction et la réalisation d'actes gravement préjudiciables à la personne et, dans le cas particulier qui intéresse la commission d'enquête, à la santé.

Cette définition nous permet d'identifier ce qu'il en est de la différence entre une dérive thérapeutique et une dérive sectaire.

La dérive sectaire a pour mission de mettre les personnes dans l'état psychologique que je viens de décrire et d'utiliser celui-ci au bénéfice de l'organisation sectaire. Il y a là une intentionnalité d'emprise et d'asservissement, une intentionnalité de se servir d'autrui et l'on voit là la base de la légitimité de l'action de chaque citoyen et de l'Etat face à une atteinte à la personne.

Il me semble fondamental de se dire que ces dérives sectaires sont offertes. Je vous dirai tout à l'heure ce que l'on peut faire pour prévenir l'offre en matière de soins non conventionnels.

La surestimation des processus thérapeutiques mis à notre disposition par l'amélioration des compétences médicales s'accompagne d'un doute sur leur efficacité. Il y a là un effet paradoxal qui constitue une porte d'entrée et qui déclenche une certaine vulnérabilité. Lorsqu'ils annoncent à un malade qu'il est atteint d'un cancer, les thérapeutes lui présentent un certain nombre de traitements et se posent en conseillers techniques, demandant au patient son choix de thérapie. Ces choix sont souvent très divers ; on met par voie de conséquence le malade dans une grande difficulté puisqu'on lui confère un rôle de technicien, d'où l'obligation d'information qui doit permettre au patient de prendre une décision - c'est là l'un des apports majeurs de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dite « loi Kouchner ». Ceci est à l'opposé de ce à quoi on assiste avec l'emprise mentale, où l'on indique au malade ce qu'il convient de faire. Cette différence est essentielle et permet un repère très précis.

Il existe une formidable hétérogénéité entre la représentation de la maladie que peuvent en avoir les acteurs de santé et la théorie personnelle, les besoins, les attentes et les attitudes du malade. Il y a donc un formidable décalage entre un projet scientifique et un projet personnel de guérison. Cette non-négociation fait que les malades ont le sentiment de se retrouver seuls, sans comprendre ce qui se passe et pensent que ce qu'on leur propose est imposé.

On est là dans un dysfonctionnement fort important de la relation entre le soignant et le soigné ou entre le soigné et le soignant. La consultation médicale, projet thérapeutique, est une négociation entre les représentations, besoins et attentes des acteurs de santé et de malade. Il y a donc là construction d'un projet commun.

Dans le cadre de la dérive sectaire, cette construction n'existe pas ; elle émane du gourou, qui dit ce que l'on doit faire ou ne pas faire. L'adepte n'a pas droit à la parole ni aux commentaires : il doit suivre les prescriptions. Si on n'obtient pas les résultats escomptés, le gourou explique que ses recommandations n'ont pas suffisamment été suivies, que l'adepte est le seul fautif. Le gourou est le seul à pouvoir dire ce qu'il convient de faire. Voilà un piège, un enfermement considérable et qui, du point de vue éthique, est formidablement choquant. Cela signifie que l'on nie l'altérité, la singularité et le libre arbitre de l'autre, à qui on va imposer ce qu'il doit faire parce que le gourou l'a dit. Le gourou se dresse en Deus ex machina et l'adepte n'est qu'un pantin entre ses mains.

C'est le problème des faux souvenirs induits. L'adepte exprime un certain nombre de difficultés et de souffrances ; on lui propose une interprétation de l'origine de ce qu'il vit actuellement alors que dans les projets thérapeutiques respectueux de la personne, on cherche plutôt à connaître les idées, les réflexions du patient : comment a-t-il imaginé les choses ? Comment pense-t-il avoir été bloqué ? Comment pense-t-il pouvoir utiliser la résilience ? Comment pense-t-il pouvoir s'en sortir ? On fait donc là appel aux compétences des personnes. Cette dimension est respectueuse d'autrui, caractéristique des prises en charge thérapeutiques et des accompagnements psychologiques.

Les personnes sous emprise sectaire, elles, finissent par accepter de n'être plus personne et de devenir objet. Il s'agit là d'une manière de repérer et d'identifier clairement les choses.

Comment les gens peuvent-ils accepter de devenir objets, de ne plus être ce qu'ils ont été, ni à l'origine de leur destin et de leur choix ? Il y a là une notion très importante, celle de vulnérabilité. Un certain nombre de gens sont vulnérables, à un moment particulier de leur vie, à l'offre de ces stratégies non conventionnelles. On pourrait parler de vulnérabilité « situationnelle » ou « accidentelle ». Rien dans la personnalité antérieure ni dans la vie antérieure ne pouvait laisser penser que cette personne pouvait être vulnérable. Or, à un moment donné - licenciement, maladie, deuil - la personne devient vulnérable.

Par ailleurs, il existe des vulnérabilités liées à l'organisation de la personnalité. Un certain nombre d'entre nous estiment que la pensée magique est importante ou que les voies habituelles peuvent être contestées. Il s'agit d'un trait de caractère, non d'une pathologie. Certains traits de la personnalité peuvent donc rendre plus vulnérable. La paranoïa est un trait particulier : la personne se demande toujours si une autre personne ne veut pas l'influencer ou lui créer des dommages. Quand les acteurs de santé proposent quelque chose, le doute se fait immédiatement sentir. Ce trait de personnalité, lorsqu'il fonctionne dans la vie quotidienne et dans la relation thérapeutique, peut être transformé en élément constructif du choix et de la participation du patient à un projet thérapeutique négocié et construit ensemble par le soignant et le soigné.

Cependant, un certain nombre de gens n'ont aucune espèce de vulnérabilité autre que la maladie. C'est la base des procédés utilisés par les personnes qui souhaitent mettre les autres sous emprise mentale. Il s'agit d'une manipulation qui peut porter sur chacun et chacune d'entre nous. Personne n'est à l'abri d'une manipulation de cet ordre. On le voit très bien dans le domaine de l'entreprise, où un certain nombre d'acteurs exercent ce genre d'activités, utilisant les mêmes processus pour pouvoir mettre les autres sous emprise. Ces méthodes peuvent toucher n'importe qui. C'est donc là une « compétence » particulière des personnes qui souhaitent mettre les autres sous emprise mentale grâce à leur expérience personnelle, à ce qu'elles ont appris ou lu, alors que les autres n'étaient pas à l'origine vulnérables.

Un autre point important sur lequel je souhaiterais insister est celui de la perte de chance. C'est une notion considérable. Lorsqu'un projet thérapeutique est mis en place à l'occasion d'une maladie, il existe une probabilité de bénéfices qui peut survenir mais aussi de dommages que l'on peut voir éventuellement apparaître. Le patient doit en être informé. Cette probabilité de bénéfices s'établit lorsqu'une proposition de stratégie thérapeutique a été validée de manière scientifique.

Le refus de cette proposition susceptible d'amener des bénéfices et le recours à des propositions thérapeutiques non validées conduisent à une perte de chance dramatique.

Dans le cas d'une maladie cancéreuse, un protocole est proposé au patient ; on lui explique les avantages, les inconvénients et les difficultés du traitement ainsi que sa continuité. Lui conseiller de renoncer à cette proposition scientifiquement validée et de poursuivre des thérapeutiques non validées - imposition des mains, jeûnes, régimes à base d'huile de palme, compositions tirées de métaux lourds, etc. - constitue une perte de chances.

Même si les chances ne sont pas totales dans les projets d'utilisation des thérapeutiques scientifiquement validées, le fait de perdre ces chances et d'en minorer les bénéfices avec des thérapies non validées entraînent des dommages considérables pour le malade.

On a bien souvent voulu centrer les problèmes des dérives sectaires uniquement sur les dommages induits par l'utilisation de thérapies non conventionnelles. Je voudrais qu'on prenne plus en compte la notion de perte de chances, extrêmement importante...

Je voudrais brièvement faire état de quelques éléments en matière de prévention. Ces éléments passent par des préventions implicites et explicites. J'entends par prévention implicite le fait d'augmenter la compétence des acteurs de santé et des institutions, c'est-à-dire de mieux informer les patients, d'essayer de comprendre leurs besoins, leurs attentes, leurs craintes et leurs représentations, de délivrer des informations compréhensibles et de faire en sorte qu'il existe un accompagnement de la souffrance. La psychologie de l'homme malade n'est pas celle de l'homme sain. Nous savons fort bien que c'est important...

Sur cent femmes chez qui on détecte une lésion suspecte par mammographie, seules soixante s'inscrivent dans la chaîne thérapeutique ultérieure susceptible de leur apporter des bénéfices. La crainte de la maladie va donc faire refuser la probabilité de bénéfices ultérieurs. C'est cette psychologie très particulière qui fonde l'action des mouvements sectaires, qui formulent dans ce domaine des propositions inverses. C'est pourquoi on a inventé il y a très longtemps la notion de « thérapeutique douce », laissant entendre que toutes les autres sont cruelles.

Il convient également de modifier la relation thérapeutique. L'acteur de santé est un conseiller technique, même s'il est accueillant et humain. Par voie de conséquence, le projet thérapeutique apparaît comme une construction. Bien souvent, les gens sensibles aux propositions de type sectaire trouvent dans la relation avec un gourou quelque chose qu'ils n'ont pas trouvé chez les thérapeutes habituels. Nous devons donc augmenter la qualité et la compétence relationnelle des acteurs de santé.

Une autre prévention me paraît essentielle. Certaines municipalités accordent à des personnes que nous connaissons la possibilité d'intervenir dans une salle municipale alors que leurs repères scientifiques ne sont pas validés et posent problème, leur assurant ainsi une certaine notoriété.

La forte médiatisation des procès constitue en outre une caisse de résonance formidable pour ces organisations sectaires.

L'intervention sur l'offre est aussi un point très important : si l'on veut modifier une conduite ou un comportement, il faut modifier la proposition et les compétences de ceux qui en sont à l'origine.

Repérer les propositions exclusives de soins me semble également très important. Le soin ne peut se réduire à une approche mais doit passer par une prise en charge globale. Tout projet thérapeutique exclusif, réductionniste et restrictif constitue donc un danger extrêmement important.

Un autre critère sur lequel nous devons travailler est celui de l'adhésion non critique. Une personne ayant suivi des thérapeutiques non conventionnelles dans le cadre de dérives sectaires se trouve en grandes difficultés et décède. On voit alors se mobiliser un certain nombre de personnes - amis, proches, etc. - qui adhèrent à la thérapie non conventionnelle en affirmant qu'il s'agit d'un échec mais que celui-ci ne remet pas le procédé en cause ni les méthodes proposées.

On se trouve là face à l'incapacité critique non seulement du malade mais également de l'entourage. Une action de prévention doit donc être menée en direction de cet entourage.

Ces préventions doivent être collectives, explicites ou implicites mais il existe également des préventions individuelles. C'est ainsi qu'un certain nombre de personnes, inquiètes de la difficulté du projet thérapeutique, de son bénéfice possible, de la souffrance et de la mort se tournent vers un gourou qui nie tous ces aspects, leur proposant de les soulager grâce à un processus thérapeutique indolore...

Un autre point me semble extrêmement important : il faut essayer d'attirer l'attention de la personne sur la singularité des méthodes proposées. Toutefois, les critères de l'emprise mentale contrarient cette démarche individuelle, l'adhésion inconditionnelle, la sensibilité accrue dans le temps, la dépossession des compétences et l'altération de la liberté de choix va rendre très difficile l'accès à ces personnes.

Cependant, les personnes souhaitant proposer des thérapeutiques non conventionnelles travaillent sur l'émotion, sur une adhésion personnelle. C'est pourquoi il convient de garder une adhésion personnelle avec les personnes engagées dans un processus dommageable. Elle peut être celle d'un soignant, de quelqu'un de la famille ou d'un intervenant extérieur. Il y a là une formidable possibilité d'entrer en relation avec le patient, d'autant plus que le moment de la maladie est un moment de vulnérabilité où la quête affective par celui-ci est considérable. Nous avons là un moyen extrêmement ténu mais généralement très efficace.

Quelle légitimité avons-nous à faire en sorte que ces propositions ne soient plus présentées ? C'est un problème de respect de la personne. Il ne s'agit pas ici que de dommages à la personne - important et réel - mais du fait que cette atteinte est insupportable !

M. Alain Milon , président . - La parole est à Mme Dini.

Mme Muguette Dini . - Nous avons rencontré hier M. Accoyer ; que pensez-vous de la réglementation de l'usage du titre de psychothérapeute prescrit dans la logique de l'amendement Accoyer par la loi de 2004 ?

Estimez-vous que les diplômes et les formations exigés par la loi soient de nature à garantir les usagers contre le danger des thérapeutiques déviantes ?

M. Philippe-Jean Parquet . - Je pense que cela constitue un inestimable progrès qui pourrait contribuer à la diminution du nombre des psychothérapeutes autoproclamés et faire en sorte que les patients n'aillent plus consulter quelqu'un sans connaître ses compétences. Aux Etats-Unis, les diplômes sont affichés dans le cabinet médical comme dans celui du psychiatre ou du psychologue. Plus les honoraires sont élevés, plus il y a de diplômes accrochés au mur. C'est donc un élément très éclairant pour les patients...

Ceci exige par ailleurs un certain nombre de formations. Or, dans ce cadre, il existe des acteurs de santé de nature extrêmement différente - psychiatres, psychologues, psychologues cliniciens, etc. Reconnaître une pathologie mentale aussi grave qu'une schizophrénie relève probablement de la compétence du psychiatre. Peut-on confier ce diagnostic à une personne qui veut faire de l'accompagnement dans l'entreprise ou de l'accompagnement psychologique ? Probablement non. On a là une dimension qui n'est pas assez diversifiée. On peut penser que les agences régionales de santé (ARS) pourraient intervenir mais il ne faut peut-être pas trop leur en demander, car elles ont une dimension essentiellement administrative...

Enfin, cela ne permet pas de penser que l'on pourrait éliminer les dérives thérapeutiques. La probabilité qu'il existe des dérives du fait d'une augmentation des compétences des acteurs de santé est moindre mais il peut en exister un certain nombre, qui relève dans ce cas de la faute professionnelle.

Cependant, il se peut que l'intention d'un certain nombre d'acteurs de santé utilisant des stratégies thérapeutiques non classiques soit de prendre le pouvoir ou d'en tirer des bénéfices personnels, aux dépens du patient. On serait là dans des dérives du même ordre que la dérive de type sectaire.

Mme Muguette Dini . - Pouvez-vous nous dire quelles sont les méthodes de psychothérapie éprouvées, quelles méthodes peuvent ou doivent alerter les futurs patients, comment on peut mieux diffuser ce type d'information pour empêcher les personnes en demande de traitement psychothérapeutique de mal tomber ?

M. Philippe-Jean Parquet . - C'est extrêmement difficile mais il existe des éléments de réponse...

Le premier élément de réponse est de savoir si la formation de la personne a été validée de quelque manière que ce soit. Or, en ce qui concerne la psychiatrie, la psychanalyse et la psychothérapie, la formation n'est pas simplement une formation sur le savoir mais aussi une formation sur la manière d'utiliser ce savoir. Cette formation s'accompagne obligatoirement d'une formation à la responsabilité éthique.

Une autre famille d'arguments se trouve dans le système de la relation avec autrui, la maîtrise de la relation entre le médecin et le malade. La maîtrise de la réaction personnelle face aux demandes et aux projections d'un patient est quelque chose qui s'apprend. C'est pourquoi il existe, dans les processus de formation, non seulement une vérification des savoirs mais, à partir du suivi de cas cliniques par un superviseur, la possibilité de connaître l'implication de la personne. Ce sont les garanties que l'on peut éventuellement prendre en matière de psychothérapie.

D'autre part, un comportement du praticien qui choquerait la manière habituelle de penser du patient ou sa conception des relations avec autrui constitue un signal d'alerte important à l'encontre du praticien. Pour que cette impression puisse efficacement être prise en compte, il faut que tous les citoyens reçoivent une éducation en matière de soins et soient informés de ce que les soins représentent. L'éducation à la santé ne consiste pas seulement à connaître les comportements dommageables bénéfiques pour la santé et à faire des choix éclairés en la matière : il s'agit aussi de savoir si quelque chose est susceptible ou non de s'inscrire dans un fonctionnement habituel, un style de vie, etc.

Enfin, il existe un élément que l'on ne maîtrise pas, c'est l'équation personnelle.

A contrario , un certain nombre de patients peuvent provoquer chez les thérapeutes des dérives thérapeutiques et, si la personne a l'intention de dominer l'autre, favoriser la construction d'une emprise mentale dans le sens patient-thérapeute. Les thérapeutes sont vulnérables aussi ; cette vulnérabilité justifierait une aide. Ceux qui travaillent dans les Samu et les soins d'urgence, confrontés couramment à des choses terrifiantes, ont quelquefois des troubles, des conduites et des comportements qu'on ne comprend pas et qui sont en rupture avec ce qu'ils ont vécu antérieurement. Si l'on installe une cellule de soutien psychologique auprès de ces acteurs de santé, on évite ce phénomène. Il convient de prendre soin des acteurs de santé. C'est une marque de respect fondamentale et cela accroît leurs compétences.

M. Yannick Vaugrenard . - Lors de l'audition de l'Ordre des sages-femmes qui a eu lieu hier, nous avons appris qu'il existait une emprise sectaire dans le domaine de l'accouchement notamment en raison d'une insuffisante disponibilité des professionnels qui n'ont pas assez de temps à consacrer à l'accompagnement des femmes et plus généralement des jeunes parents.

C'est ce que vous avez dit à propos du cancer ou d'autres maladies : le praticien n'est pas seulement un technicien ; il doit aussi être psychologue. Le temps lui manque parfois, ainsi que la formation. Vous l'avez dit, le travail d'équipe peut aider à faire face à l'annonce d'une maladie et à trouver des solutions.

Le médecin ne propose-t-il pas plutôt des choix techniques alors que les tenants des dérives sectaires abordent uniquement l'aspect psychologique, proposant aux patients les solutions qu'ils attendent ? Pensez-vous que cet aspect dispose d'une place suffisante dans la formation ?

Vous nous avez, d'autre part, proposé une évaluation de la dérive sectaire selon neuf critères. Cette approche est particulièrement intéressante et permet d'entrer dans le concret. Avez-vous soumis cette proposition à la Miviludes ? Nous pourrions avoir là un mode d'emploi qui nous permette d'aller plus loin de manière rationnelle, dans un domaine souvent proche de l'irrationnel...

M. Philippe-Jean Parquet . - L'acteur de santé est certes un technicien, mais aussi un homme ou une femme de relation. Je crois qu'il en va de même pour un maire ou un sénateur. C'est essentiel. Je pense même que lorsque nous recrutons des collaborateurs dans une équipe, nous les recrutons sur leurs compétences techniques mais aussi sur leurs habiletés relationnelles et leur sens éthique.

Quelle formation pouvons-nous donner à l'ensemble de ces acteurs de santé pour mieux maîtriser le système des relations avec les patients ? L'un de mes anciens élèves m'a dit s'être rappelé un cours où j'avais expliqué que lorsqu'on devait toucher un corps, on ne devait pas se précipiter dessus sous peine de commettre une effraction et qu'il existait toute une dynamique pour le faire. Il faut donc aller contre l'idée que la relation ne s'apprend pas. Certes, certaines personnes sont naturellement douées pour avoir de bonnes relations avec un patient, mais ces choses-là peuvent aussi s'apprendre.

Faut-il du temps et un apprentissage spécifique pour gérer ce type de relations avec les patients ? Il existait autrefois dans les études médicales une unité de valeur appelée « psychologie médicale ». Elle s'accompagnait non seulement d'un enseignement magistral mais aussi d'un enseignement par petits groupes et d'une analyse de la prise en charge des patients afin de répondre à certaines questions : comment avez-vous fait ? Pourquoi l'avez-vous fait ? Qu'est-ce que cela vous a amené ? Quelles étaient vos inquiétudes, vos réticences ? On a depuis davantage centré les choses sur la technique mais je pense qu'il faut également être un bon technicien de la relation !

Par ailleurs, les critères que j'ai mis en place sont déjà utilisés puisque je suis souvent nommé expert pour savoir s'il existe ou non une emprise mentale. J'avais beaucoup de difficultés avec les enquêteurs, les éléments de l'enquête ne me permettant pas de poser ce diagnostic. Nous avons donc travaillé pour essayer de reprendre les éléments de cette définition afin de les aider à mener leur enquête.

C'est pourquoi j'ai élaboré ce système d'évaluation par critères. Certains sont quelque peu redondants. Ils sont différents des anciens critères qui devaient tous être présents et qui pouvaient avoir des acceptions différentes. On est là dans une stratégie opératoire.

Cette stratégie est maintenant utilisée par un certain nombre d'experts afin de permettre aux magistrats de savoir sur quels critères se baser pour affirmer qu'il existe une emprise mentale.

Il ne s'agit pas des mêmes définitions que celles qui avaient cours dans le cadre de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (Mils). Reste la notion d'intentionnalité qui mérite d'être conservée, même si elle ne fait pas partie du matériel que l'on va utiliser pour affirmer les choses.

M. Alain Néri . - Lorsqu'on est inquiet, on cherche à être rassuré et, lorsqu'on est malade, on est forcément en situation d'inquiétude. On a donc tendance à vouloir trouver un réconfort à travers le médicament et le traitement mais on attend un peu plus d'un médecin sur le plan relationnel.

Les notions de « coaching », de soutien psychologique se développent de plus en plus dans notre société. On peut espérer que les sportifs qui participent à des compétitions sont en excellente santé. Vu leur épanouissement physique, ils devraient plutôt être en état de se passer de ce soutien et d'avoir cette force mentale en eux : un esprit sain dans un corps sain !

Or, la nécessité du « coaching » se développe de plus en plus dans l'opinion publique - et beaucoup à travers les médias. Ne doit-on pas faire un effort d'information vis-à-vis de la population et prendre quelques précautions ? Dans tout homme existe un désir de puissance ; il faut donc veiller à ce que tout ceci ne dérive pas vers un abus de faiblesse.

Je crois beaucoup aux relations humaines et à la solidarité qui continue malgré tout à s'exprimer, en particulier lors de catastrophes. On peut toutefois regretter que celle-ci manque dans les grandes cités urbaines. L'individualisme forcené peut favoriser l'appel à un soutien susceptible de se révéler abusif.

M. Philippe-Jean Parquet . - Dans la Grèce antique, le maître de philosophie, accompagnant le disciple, était indispensable à la construction d'un citoyen. Cela donnait même naissance à une méthode particulière, la maïeutique socratique. Dans la vieille Europe existaient des directeurs de conscience. Un livre a également connu un succès extraordinaire, L'imitation de Jésus Christ , qui pourrait d'ailleurs faire actuellement douter de son contenu, de la méthode suivie et de son éthique.

La référence au développement de la personnalité est très importante. Un enfant se développe à partir de ses propres compétences mais aussi de sa rencontre avec ses parents et un environnement. Il y a là une activité structurante. Nous sommes habitués à être ce que nous sommes et à devenir nous-mêmes avec l'appui de l'autre, la référence à l'autre et à autrui. Ceci est inhérent à notre manière de fonctionner.

Les sportifs ont des compétences, comme les médecins ont des compétences relationnelles mais on peut les optimiser. La préparation mentale dont bénéficient actuellement tous les sportifs de haut niveau est à peu près du même ordre : comment optimiser les compétences et faire en sorte que la dimension psychique soit un appui et non une chaîne ?

On pense que l'on peut influencer les choses. Au ministère des sports, je travaille sur le dopage sportif et les conduites dopantes dans l'entreprise. On voit bien la différence entre la conduite dopante et la préparation mentale, qui consiste à utiliser les ressources d'un individu. C'est ce que l'on pourrait appeler une optimisation.

Cependant, chez un grand nombre de sportifs - et ceci est fort préoccupant - on arrive à une dérive de nature sectaire visant à développer une emprise mentale importante. On l'a vu tout récemment et cela a été le mérite de la précédente ministre des sports d'aider un certain nombre de sportives à évoquer cette emprise mentale, allant jusqu'aux violences sexuelles.

Le problème du coaching s'inscrit aussi dans la volonté actuelle de chacun d'augmenter ses performances. « Comment vais-je augmenter mes performances ? Naturellement à partir de mes propres ressources ! Certaines personnes pourraient-elles m'aider à optimiser mes compétences ? Ces coachs vont-ils me greffer un certain nombre de compétences ? » Certaines thérapies comportementales le proposent.

Les principes New Age - bien-être, développement des compétences, etc. - peuvent être très positifs. De nombreuses revues décrivent comment, en deux ou trois mouvements, développer des compétences extraordinaires ! Si l'intentionnalité est d'utiliser cette manière de faire pour produire un homme lige, c'est très différent. On peut utiliser les mêmes méthodes, les mêmes procédés et les mêmes processus pour aboutir à un objectif respectueux de l'autre comme à un asservissement. C'est le coeur du problème. C'est une question de l'image que l'on se fait de certaines valeurs et que l'on se fait de l'homme.

C'est la raison d'être de la Miviludes, dont la mission est de traiter des dérives. Dès lors que l'utilisation de ces méthodes d'emprise provoque des dommages psychologiques, affectifs, financiers, sexuels, citoyens, familiaux ou professionnels, il devient légitime d'agir non par rapport aux croyances mais au fait que des processus, des théories et des corpus doctrinaux infligent des dommages aux personnes.

M. Gérard Roche . - On a tous l'exemple de psychothérapeutes de bonne foi qui ont longtemps fait correctement leur travail avant que les choses ne dévient. C'est souvent la rumeur qui amène la clientèle chez les psychothérapeutes. Les patients satisfaits se passent l'information qui produit une sorte d'aura artificielle autour du psychothérapeute, qui se dit qu'il y a peut-être là quelque chose. Il va peu à peu remplir les critères dont vous avez parlé, dominé par sa réputation, n'ayant d'autre solution que la fuite en avant qui va le mener à adopter des conduites déviantes et condamnables.

Le travail réalisé par Bernard Accoyer est une très bonne chose mais on peut se demander s'il ne conviendrait pas d'exercer un contrôle du travail des psychothérapeutes, ce sujet étant bien difficile à évaluer. Cela pourrait rendre service aux praticiens eux-mêmes...

M. Philippe-Jean Parquet . - Il est vrai que l'exercice solitaire d'une telle profession est parfois dangereux : on est extrêmement sollicité, la relation entre les personnes est très dense et a un impact sur la vie personnelle...

C'est pourquoi tous les groupes de travail sont confrontés à l'appréciation, aux recommandations et à l'accueil bienveillant des personnes. On l'avait fait pour les médecins généralistes il y a longtemps avec les « groupes Balint », dans lesquels les médecins se réunissaient pour s'entraider. C'est à partir de cette idée de supervision que nous avons créé, en particulier dans la région lilloise, les groupes d'entraide pour les personnes, les familles et les victimes. Les thérapeutes ont de la même manière besoin de cette aide interactive.

Lorsqu'on est pris dans ce style d'exercice sans recevoir une aide tierce, on répète et on densifie les choses. On se rigidifie alors et des dérives thérapeutiques peuvent survenir. Si le thérapeute n'a pas une certaine éthique ou s'il se trouve en grande difficulté, on peut se trouver face à une dérive sectaire.

La rumeur est la base du fonctionnement habituel des choses. Quand vous allez dans un restaurant, c'est généralement parce que quelqu'un vous l'a recommandé. Vous suivez l'avis de cette personne en vous demandant si elle a du goût ou s'il s'agit de quelqu'un qui aime bluffer. Vous émettez alors des critères d'appréciation sur votre « recruteur ». C'est pourquoi l'information est extrêmement importante.

Les recruteurs potentiels sont de deux types. Les premiers sont ceux qui sont sous emprise mentale, militants et prosélytes. Il convient de se méfier aussi des seconds, militants anti sectes, tout aussi dangereux. Les modalités de prise en charge des personnes sortant d'organisations à caractère sectaire ne doivent donc ressembler en aucune manière aux stratégies des organisations à caractère sectaire, ni utiliser les mêmes procédés.

J'ai fait partie, il y a fort longtemps, d'un groupe dans lequel nous faisions exactement l'inverse, comme si la personne était prise dans les mêmes réseaux, utilisant les mêmes procédés et les mêmes processus. C'est extraordinairement dangereux !

Ceci me permet d'affirmer ici qu'il ne faut pas aider les personnes à oublier la période dans laquelle ils ont été embrigadés dans une organisation sectaire. C'est irrespectueux ! Cela fait en effet partie de leur vie et doit demeurer présent dans leur esprit. Notre travail est toutefois de faire en sorte que ce moment ne demeure pas actif.

Mme Christiane Kammermann . - Monsieur le professeur, j'ai été très heureuse de vous entendre car vous êtes à la fois technique et fort humain.

Je crois qu'il reste beaucoup d'efforts à accomplir dans le domaine de la psychologie du médecin vis-à-vis du malade. Mon mari a été un grand médecin. Ma famille a connu sa part de malheurs et mon mari a pu suivre ces situations de très près. Ayant vécu dans le milieu médical, je me suis aperçue qu'il y avait beaucoup à faire, y compris auprès des infirmières - qui jouent un rôle très important.

En matière de soins, il y a bien souvent un manque de bonté, de gentillesse, d'humanité. Je pense surtout aux médecins spécialisés dans certains domaines - cancer, coeur, grands accidentés. Il reste, en France, beaucoup de progrès à réaliser dans ce domaine.

J'aimerais par ailleurs savoir si vous êtes pour ou contre le fait de dire toute la vérité à un malade, en particulier aux adolescents ?

M. Philippe-Jean Parquet . - Je suis heureux de voir que nous partageons certains points de vue à partir d'une expérience vécue.

Il est vrai que la formation psychologique des acteurs de santé, dans leur totalité, est très importante. Il faut se trouver en empathie, avoir la capacité de percevoir, de ressentir, d'accueillir mais ne pas se trouver en sympathie, « condolere », « souffrir avec » - sans quoi la vie des acteurs de santé devient totalement insupportable.

Dire la vérité - toute la vérité - est quelque chose de très particulier. J'ai été amené de nombreuses fois dans ma vie à annoncer des diagnostics dramatiques à certaines familles, en particulier dans des cas d'autisme. Le problème était de savoir si on était certain du diagnostic. Peut-on faire partager une vérité partielle lorsqu'on ne la possède pas complètement ?

Lorsque j'étais jeune interne dans les services d'obstétrique, une sage-femme m'aidait lors des accouchements. Voir apparaître la tête de l'enfant est un moment extraordinaire, exceptionnel pour la famille mais aussi pour les soignants. Or, la tête de l'enfant que nous étions en train de mettre au monde était typique d'un enfant mongolien. L'enfant était encore pour partie dans le corps de la mère quand la sage-femme a dit à celle-ci : « Il est mongolien ! ».

Lorsqu'on a pu confirmer les choses, on l'a écrit dans le dossier mais on n'a rien dit à la famille. La belle-mère est arrivée en disant à la jeune mère : « Ton bébé a une drôle de tête ! Dans notre famille, on n'a pas cette tête-là ! Il y a quelque chose de bizarre. Il faudrait peut-être demander... ». Progressivement, l'annonce du diagnostic s'est faite de manière supportable. Il faut aussi penser qu'il existe après cette annonce du diagnostic une prise en charge considérable. Il faut donc être certain de pouvoir établir ce post-diagnostic.

Il existe des vérités acceptables. On nous oblige actuellement à dire toute la vérité rapidement. Mon frère est mort d'un cancer du pancréas. Il a consulté à 14 heures ; le bilan était terminé à 16 heures. A 16 heures 05, on lui a appris l'origine du mal dont il souffrait, sans ensuite aucun suivi. Ce n'est pas une vérité acceptable mais une vérité traumatique !

Il faut donc progressivement amener les gens à se demander s'ils n'ont pas quelque chose et à interroger les médecins. Toute la vérité peut ensuite être dite mais il existe une série de processus avant et après.

M. Alain Milon , président . - Que pensez de la « Gestalt thérapie » ?

M. Philippe-Jean Parquet . - Prudence !

M. Alain Milon , président . - Lorsqu'un ordre professionnel interdit à un professionnel d'exercer pour faute, ne devrait-il pas être possible de priver ce médecin du droit d'utiliser ce titre ?

M. Philippe-Jean Parquet . - C'est impossible à mon avis, car le grade de docteur en médecine est un grade universitaire dont on reste titulaire même en cas de radiation.

M. Alain Milon , président . - Lorsqu'une victime d'un gourou ou d'une secte arrive à s'en sortir, elle reste cependant dominée par son état de victime. Qu'en pensez-vous ?

M. Philippe-Jean Parquet . - Si elle n'est plus que victime et si cela lui confère un statut, c'est formidablement dommageable pour elle. Elle a vécu une période de sa vie qui lui appartient. Elle n'est pas que cela mais tout autre chose. Si elle se pose en victime et va régulièrement témoigner à la télévision ou devant des commissions d'enquête, elle n'est plus qu'une victime. Elle n'a plus d'autre identité.

On dit de quelqu'un qui consomme de l'alcool que c'est un alcoolique : la personne ne peut se résumer à cela. Je suis psychiatre mais je ne me résume pas à cela ! C'est pareil pour les victimes...

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