Audition de Mme Isabelle ADENOT, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (mardi 20 novembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons cette série d'auditions des ordres professionnels, commencée avec l'Ordre des sages-femmes, en recevant l'Ordre des pharmaciens.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

Je précise à l'attention de Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission, qui sera remis début avril 2013.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Isabelle Adenot de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Isabelle Adenot, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Isabelle Adenot . - Je le jure.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Des pratiques thérapeutiques alternatives sont-elles exercées par des professionnels affiliés à l'Ordre national des pharmaciens ? Dans l'affirmative, est-ce une source de préoccupation pour l'Ordre, et quelles mesures avez-vous prises pour y faire face ?

Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens. - Les pharmaciens délivrent d'autres substances que des médicaments - des plantes, des oligo-éléments, par exemple. C'est d'autant plus vrai depuis que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a intégré dans la définition de la santé la notion de bien-être, ne définissant plus la santé par opposition à l'état de maladie. Les scandales comme celui du Mediator ont en outre accentué la défiance du public à l'égard des médicaments, le précipitant massivement vers des solutions de remplacement parfois plus que douteuses. J'interviendrai à ce sujet la semaine prochaine, devant la ministre de la santé, à l'occasion de la Journée de l'Ordre des pharmaciens. La cacophonie est aujourd'hui immense : personne ne sait plus que croire et à qui faire confiance, et le nombre de ceux qui se détournent de la médecine conventionnelle augmente régulièrement. Mais je ne suis pas capable de distinguer les pratiques normales de celles qui relèvent d'une dérive sectaire.

L'Ordre des pharmaciens procède à des rappels au code de déontologie, en particulier à quatre de ses articles : l'article 4235-26, qui interdit aux pharmaciens d'aider quiconque se livre à l'exercice illégal de la médecine ; l'article 4235-10, qui promeut la lutte contre le charlatanisme ; l'article 4235-62 enjoint, lui, aux pharmaciens d'orienter les patients vers un praticien qualifié ; enfin, l'article 4235-47, qui interdit aux pharmaciens de délivrer des médicaments non autorisés.

Or, le public oppose de plus en plus les médicaments (chimiques donc suspects à leurs yeux) aux plantes (naturelles donc supposément bénéfiques). Cette distinction est absurde, car nombreux sont les médicaments à base de plantes : les curares viennent des lianes d'Amérique, la morphine vient du pavot, certains anticancéreux très puissants trouvent leur origine dans le bois d'if... A l'inverse, vous pouvez avaler toute l'écorce de quinquina que vous voulez sans parvenir à vous soigner. J'ignore toutefois si cette confusion est source de dérives sectaires.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous été amenée à prendre des sanctions à l'encontre de ceux qui promeuvent des pratiques pharmaceutiques douteuses ?

Mme Isabelle Adenot. - L'Ordre des pharmaciens peut d'abord prendre des sanctions disciplinaires. Il est par exemple arrivé qu'un confrère cultive chez lui, dans le plus strict respect des phases lunaires, des produits dont il préconisait ensuite l'administration, contenus dans un petit sachet suspendu par une cordelette de laine...

L'Ordre des pharmaciens peut ensuite se porter partie civile dans des affaires pénales dont il a connaissance. Quatre-vingt-treize sont aujourd'hui pendantes, qui ont souvent trait à l'exercice illégal de la profession de pharmacien et la délivrance de plantes. L'Ordre ne se prononce toutefois pas sur l'existence de dérives sectaires, mais limite son intervention à l'aspect thérapeutique. Dans un cas récemment médiatisé, c'est l'administration de doses excessives d'une plante au cours de séances de purification qui était en cause. Depuis vingt-cinq ans que je siège dans les chambres disciplinaires, les affaires de cet ordre sont toutefois rarissimes. La chambre de discipline se réunit entre 200 et 400 fois par an, pour entendre essentiellement des pharmaciens d'officines et des pharmaciens biologistes. L'Ordre peut en outre intervenir lorsqu'un laboratoire trompe un pharmacien sur les produits qu'il fabrique.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Constatez-vous un développement significatif des cas d'exercice illégal de la pharmacie ?

Mme Isabelle Adenot. - Oui, et c'est une vraie catastrophe. Le problème est mondial : il arrive en France des extraits de plantes venues du monde entier. Si nos pharmacies ne peuvent délivrer que les plantes qui font partie de la pharmacopée (française et européenne), on peut, dans la rue et sur Internet, trouver n'importe quoi à acheter. C'est pourquoi je remercierai lundi prochain la ministre de la santé d'avoir décidé de mettre en place un portail officiel d'information sur les médicaments. Je vous donne un exemple issu de mon expérience personnelle : un client m'a demandé la semaine dernière une plante utilisée au Brésil ; n'ayant pas connaissance d'études sérieuses démontrant son intérêt pharmaceutique, je la lui ai refusée ; le lendemain, le même individu revenait m'informer qu'il se l'était procurée, pourvue d'un certificat, sur un marché, et le surlendemain il m'annonçait qu'il se sentait beaucoup mieux ! Les cas de ce type se multiplient. Là encore, il ne s'agit pas nécessairement de dérives sectaires, plus souvent d'escroquerie et de charlatanerie. Les moyens de communications inondent le grand public de références à de nouvelles plantes pourvues de toutes les vertus imaginables, qui pénètrent facilement le territoire et sont écoulées en moins de temps qu'il ne faut pour s'en apercevoir.

La question du diplôme d'herboriste est une autre source d'inquiétude. Depuis le décret n° 2008-841 du 22 aout 2008 relatif à la vente au public des plantes médicinales inscrites à la Pharmacopée et modifiant l'article D. 4211-11 du code de la santé publique, la vente de 148 plantes est autorisée. Si les herboristes ont, comme le disent leur défenseur, une meilleure connaissance des plantes, je m'en réjouis ; mais ils ne sont toutefois pas des professionnels de santé. J'étais outrée de voir sur TF1, l'année dernière, un reportage dans lequel on donnait la parole à l'un d'entre eux, bien qu'il ait été condamné en première instance et en appel... Il exerçait toujours, et prétendait avoir diagnostiqué et soigné des malades du Sida ! De tels individus, au lieu de se contenter de délivrer des plantes, vont jusqu'à poser des diagnostics, alors que même les pharmaciens n'y sont pas habilités. Nous, les pharmaciens, sommes attachés à ce que la vente des produits soit entourée de garanties. Nous sommes soucieux de répondre aux nouvelles demandes du public dans ce domaine, mais à condition qu'il y ait toutes les garanties nécessaires.

Mme Catherine Génisson . - Pouvez-vous opposer un refus à une ordonnance médicale qui semble farfelue ?

Mme Isabelle Adenot. - D'après mon expérience personnelle, deux types de réactions sont envisageables. Les ordonnances surprenantes peuvent être le fait d'adeptes de médecines non conventionnelles, mais tout à fait qualifiés pour établir de telles prescriptions. Lorsque cela n'est pas le cas, nous pouvons opposer un refus et devons, conformément au code de la santé publique, en informer le prescripteur.

M. Alain Milon , président. - Vous n'informez alors que le prescripteur ? Vous ne faites pas de signalement ?

Mme Isabelle Adenot. - L'Ordre des pharmaciens peut être saisi. Des actions peuvent alors être engagées au niveau national ou régional, le cas échéant en lien avec l'Agence du médicament. Le Rivotril par exemple, drogue utilisée par les violeurs avec soumission chimique, fait l'objet d'un vaste trafic qui passe par l'Afrique du nord. Vingt à trente chambres de discipline ont été réunies à son propos.

Second cas de figure : en présence d'une personne fragilisée, victime d'une grave maladie, que le désespoir a poussée vers un charlatan, le rôle du pharmacien est de la convaincre de ne pas interrompre le traitement suivi. Cela requiert que les clients aient une grande confiance dans leur pharmacien, qui ne doit pas être alors soupçonné de défendre ses intérêts commerciaux. Heureusement, ce lien de confiance existe, comme nous le confirment les enquêtes d'opinion.

Mme Nicole Bonnefoy. - Observe-t-on une augmentation du nombre des personnes qui arrêtent leur traitement dans ce cas de figure ?

Mme Isabelle Adenot. - Oui. Je veux tirer ici le signal d'alarme, comme je le ferai la semaine prochaine dans mon discours. Aujourd'hui, il y a une méfiance générale envers les médicaments et leurs notices font peur ! Tous les médicaments présentent un risque mais on tient compte du rapport - en principe positif - entre bénéfices attendus et risques associés. Les conséquences d'un livre comme Les 4 000 médicaments inutiles ou dangereux sont à cet égard catastrophiques. Ajoutez à cela les scandales pharmaceutiques, la perte d'autorité de l'Agence du médicament et l'absence de réaction des autorités, et les charlatans prospèrent. D'aucuns propagent ainsi l'idée que les médicaments génériques seraient néfastes, car ils viennent de l'étranger. Or, 85 % des composants des médicaments - génériques ou princeps - proviennent de pays situés hors d'Europe, car jusqu'à une période récente, les pays d'Europe ne voulaient pas d'industrie chimique lourde sur leurs territoires. Cela n'empêche pas nos autorités de contrôle de faire leur travail. Mais c'est une catastrophe.

M. Alain Milon , président. - C'est dû à l'affaire du Mediator...

Mme Isabelle Adenot. - Pas seulement ! La vaccination antigrippale, cette saison, est inférieure à ce qu'elle était l'année dernière à la même époque, car certains sont persuadés que les vaccins contiennent des composants anti-H1N1. J'espère que nos échanges contribueront à restaurer l'autorité des institutions de santé.

M. Alain Milon , président. - L'Ordre des pharmaciens peut interdire à quelqu'un d'exercer son métier, mais peut-il lui interdire aussi d'utiliser son titre ?

Mme Isabelle Adenot. - Nos chambres de discipline sont réputées pour leur sévérité : chaque année, nous éjectons définitivement de la profession certains confrères. La sanction a valeur pédagogique ; elle est indispensable pour protéger notre réseau de pharmaciens et la confiance que le public place en lui. L'impossibilité d'exercer a des conséquences rapides, puisque passé un an, l'intéressé est obligé de vendre son officine. Toutefois, le titre de docteur en pharmacie ne lui est pas retiré.

M. Alain Milon , président. - Donc rien n'empêche un pharmacien interdit d'exercer par son Ordre professionnel de créer un site Internet pour vendre des produits pharmaceutiques...

Mme Isabelle Adenot. - Les sites posent de vrais problèmes. La Commission européenne reconnaît aujourd'hui l'existence de pharmacies en ligne - licites dans certains pays - et travaille à la création d'un label dédié pour que l'internaute puisse faire la différence entre les pharmacies licites et les illicites. Mais elle convient déjà qu'il pourra être contrefait ! La signature du président du groupe pharmaceutique de l'Union européenne (GPUE) que je préside a déjà été contrefaite, ce qui permet à certains sites de vendre du viagra « aux plantes »... La lutte contre les réseaux de vente illicite de médicaments sur Internet a enregistré un premier succès avec l'opération Pangea V, qui a permis de fermer près de 18 000 sites illicites. Ce combat se heurte toutefois au fait que la plupart des sites sont domiciliés à l'étranger, même si, pour ceux qui s'adressent aux francophones, leurs textes sont désormais orthographiquement irréprochables et leur adresse d'hébergement parfois en « .fr ». En outre, des allégations de santé sont de plus en plus fréquemment mentionnées sur des produits qui ne sont en rien assimilables à des médicaments - des compléments alimentaires, par exemple. Des textes européens sont en cours d'élaboration pour y remédier, afin d'éviter la tromperie du public.

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