LA DIFFICULTÉ DE METTRE EN oeUVRE DE VÉRITABLES CONTRÔLES

À l'issue de la réunion de la Commission de lutte contre le travail illégal du 27 novembre 2012, présidée par le Premier ministre, le gouvernement a rappelé son souhait de lutter de manière conjointe dans tous les pays concernés contre l'abus de détachements. Le plan national de lutte contre le travail illégal 2013-2015, défini à cette occasion, fait du renforcement de la lutte contre la fraude au détachement un de ses objectifs prioritaires. Le secteur du bâtiment, du transport routier de marchandises, ou l'agriculture sont particulièrement visés. Pourtant, plusieurs obstacles se dressent dès lors qu'il s'agit de mettre en oeuvre des contrôles efficaces.

Une première difficulté tient dans la majorité des cas à la barrière de la langue. Le recours à des interprètes peut constituer une solution pour surmonter cette difficulté. Cependant les conditions matérielles et financières de recours à un interprète, hors le cas de réquisitions judiciaires, amènent souvent à accepter le recours à un tiers, sans que les conditions de sécurisations juridiques des procédures puissent être jugées satisfaisantes. Les prestations de services sont en outre pour une large partie de très courte durée ce qui limite les contrôles. Le responsable d'une société étrangère n'est pas toujours présent sur le lieu du chantier. Suite à ces contrôles, les courriers adressés aux sociétés de droit étranger restent généralement lettre morte. Les documents demandés ne sont pas transmis, ou dans le meilleur des cas partiellement et non traduits.

L'absence d'un système efficace de coopération entre États membres est également une des causes des dérives observées. L'augmentation souhaitable des contrôles nationaux se heurtera quoiqu'il en soit à cet écueil.

L'article 4 de la directive 96/71 prévoit la mise en place de bureaux de liaison au sein de chaque État membre. Ces offices sont notamment chargés d'échanger des informations sur la situation des travailleurs détachés dans les pays d'accueil et celles des entreprises des pays d'envoi. Ils doivent permettre de répondre aux demandes de renseignements en cas d'abus constatés ou d'activités transfrontalières illégales.

Pour autant, la directive ne fixe pas de délais de réponse pour les demandes de coopération. De fait, si le texte prévoit un dispositif de contrôle, celui-ci peut apparaître comme une réelle coquille vide. La coopération dépend en fait de la volonté des États membres concernés. Les pays « exportateurs » n'ont pas toujours intérêt à la mise en place d'échanges, surtout en période de crise économique et de chômage généralisé sur l'ensemble du continent. Il a ainsi fallu attendre mars 2011 pour qu'une application informatique destinée à réduire les délais de traitement des dossiers entre les 27 bureaux de liaison nationaux soit mise en place.

La saisine des bureaux de liaison est jugée relativement difficile par l'inspection du travail. Celle-ci doit au préalable apporter la preuve de l'existence de la société et de sa situation légale. Aux termes d'un délai souvent long, la réponse est souvent insuffisante et se limite à justifier l'immatriculation de la société mais ne permet pas de vérifier la réalité de son activité sur le territoire concerné. La notion de coopération loyale entre les États membres sur laquelle se fonde la directive 96/71 est de fait plus que relative. L'impunité est en quelque sorte garantie.

Les bureaux de liaisons déconcentrés français

Afin de renforcer l'efficacité de cette coopération, la France a fait le choix de mettre en place des bureaux de liaisons déconcentrés, spécifiquement dédiés aux échanges transfrontaliers, implantés au sein des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) du ministère du travail. Des accords de coopération bilatéraux ont ainsi permis de mettre en place des bureaux de liaison franco-allemand en 2001 (DIRECCTE Alsace), franco-belge en 2003 (DIRECCTE Nord-Pas-de-Calais), franco-espagnol en 2010 (DIRECCTE Aquitaine et DIRECCTE Languedoc-Roussillon), franco-italien en 2011 (DIRECCTE Provence-Alpes-Côte d'Azur et DIRECCTE Rhône-Alpes) et franco-luxembourgeois en 2011 (DIRECCTE Lorraine).

L'augmentation du nombre de détachements enregistrée depuis 2004 a pour corollaire une croissance des nombre de demandes d'informations : 339 cas traités en 2011 par le bureau de liaison central et les antennes franco-allemande et franco-belge contre 168 en 2007. Ces chiffres restent néanmoins à mettre en perspective avec le nombre supposé de travailleurs détachés réguliers ou non présents sur le territoire : 300 000.

La mise en place de programmes de coopération entre certains États membres tente depuis peu de répondre à ces insuffisances. Plusieurs projets européens axés sur le développement d'outils et de réseaux d'experts ont, ainsi, été mis en oeuvre. Ils ont pour ambition de renforcer la coopération entre services de contrôle et de lutter ainsi plus efficacement contre la fraude. Restent que ces projets ne s'imposent pas à tous les États membres et demeurent relativement récents.

Le projet « Formation commune des inspecteurs du travail » a ainsi été lancé en 2011. Il réunit neuf États membres autour de la France, chef de projet du dispositif : Danemark, Belgique, Estonie, Finlande, Lituanie, Luxembourg, Pologne, Portugal et Roumanie. Ce projet a déjà abouti à la création d'un réseau européen d'inspecteurs du travail, relais de six États (Belgique, Espagne, France, Luxembourg, Pologne et Portugal), qui a conçu un site internet « euro-détachement ». Les partenaires sociaux des pays concernés sont désormais associés aux travaux de ce groupe, qui privilégie deux secteurs : l'agriculture et le bâtiment et travaux publics.

Le projet ICENUW réunit dix États derrière la Belgique : Autriche, Bulgarie, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie et Suède. Dédié à la lutte contre le travail non-déclaré, il a permis de recenser les documents exigibles au sein des onze États et d'élaborer un prototype d'application internet facilitant l'identification des acteurs impliqués dans la lutte contre le travail non-déclaré.

Le projet CIBELES visait quant à lui à améliorer la coopération entre inspections du travail des États membres. Outre l'Espagne en tant que chef de projet, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la France, la Hongrie, l'Italie, Malte et le Portugal participaient à ce réseau destiné à promouvoir un meilleur contrôle des règles en matière de santé et de sécurité au travail mais aussi à favoriser l'assistance réciproque en ce qui concerne les procédures de sanction. Les conclusions de ce groupe ont servi pour la rédaction du projet de directive d'accompagnement de la directive 96/71, présenté le 21 mars 2012.

Le projet TRANSPO, qui réunissait la France, l'Italie et la Roumanie a permis l'élaboration en 2012 d'un guide de contrôle des situations de détachement dans le secteur du transport routier de marchandises transnational, destiné aux inspections du travail des trois pays.

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