B. LE SOLDE STRUCTUREL, SOCLE DES NOUVELLES RÈGLES EUROPÉENNES

1. Le caractère procyclique des politiques budgétaires basées sur le solde effectif
a) L'effet récessif de la réduction des déficits

Les choix de politique budgétaire ne peuvent faire abstraction du fait que la réduction des déficits pèse sur l'activité . Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas réduire les déficits, mais que vouloir les réduire trop rapidement - en particulier en suivant, quoiqu'il arrive, une trajectoire de solde effectif - peut, dans une situation économique dégradée, s'avérer contreproductif.

Les économistes recourent à la notion de « multiplicateur budgétaire », défini comme l'impact à court terme sur le PIB d'une hausse des recettes publiques ou d'une baisse des dépenses publiques d'un point de PIB et donc, le cas échéant, d'une diminution du déficit public d'un même montant. En 2009, synthétisant leur « revue » des principales études disponibles, les services du Fonds monétaire international (FMI) écrivaient : « Une règle simple est un multiplicateur [...] de 1,5 à 1 pour les multiplicateurs de dépenses dans les grands pays [...]. Des multiplicateurs plus petits (environ la moitié des valeurs ci-dessus) sont vraisemblables pour les recettes et les transferts alors que des multiplicateurs légèrement plus grands pourraient être attendus des dépenses d'investissement » 18 ( * ) .

Si l'on retient l'hypothèse d'un multiplicateur budgétaire de 1, cela signifie qu'une réduction ex ante du déficit de 1 point de PIB réduit le PIB d'un point , ce qui à son tour dégrade le solde de 0,5 point de PIB 19 ( * ) , de sorte que l'amélioration du solde après prise en compte de ce phénomène ne serait plus que de 0,5 point de PIB.

b) Un effet récessif des consolidations budgétaires accru par la crise

La stagnation de l'activité économique provient en particulier de la réduction rapide et simultanée des déficits publics, dont l'impact aurait été sous-estimé .

Aussi, dans ses Perspectives pour l'économie mondiale d'octobre 2012, le FMI écrit-il : « Le principal constat, basé sur des données concernant 28 pays, est que les multiplicateurs utilisés pour établir les prévisions de croissance sont systématiquement trop faibles depuis le début de la Grande Récession, dans une marge allant de 0,4 à 1,2 selon la source des prévisions et les spécificités de la technique d'estimation. Des indications informelles laissent penser que les multiplicateurs employés implicitement pour générer ces prévisions sont de l'ordre de 0,5. Les multiplicateurs réels pourraient donc être supérieurs et s'échelonner de 0,9 à 1,7 ». Le FMI explique ce phénomène par « le contexte actuel de sous-utilisation des capacités, de politiques monétaires contraintes par le plancher de taux d'intérêt nul et d'ajustement budgétaire synchronisé dans de nombreux pays ».

Quelques semaines plus tard, l'économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, reconnaissait dans un document de travail que les multiplicateurs avaient vraisemblablement été sous-évalués 20 ( * ) :

« Il est naturel de se demander si les prévisionnistes n'auraient pas sous-estimé les multiplicateurs budgétaires, c'est-à-dire si les effets que la réduction des dépenses publiques ou les hausses d'impôts peuvent avoir à court terme sur l'activité économique. (...) Dans l'encadré publié en octobre [2012], nous nous sommes concentrés principalement sur les prévisions relatives aux économies européennes pour le début de l'année 2010. La raison est simple : les conditions étaient réunies pour que les multiplicateurs soient plus larges qu'en temps normal (...).

« Nos résultats suggèrent que les multiplicateurs budgétaires ont été effectivement plus importants que ce que supposèrent les prévisionnistes. Mais quelles étaient leurs hypothèses ?

« Certaines études basées sur des données d'avant-crise pour les économies avancées [voir le World Economic Outlook du mois d'octobre 2010 (FMI, 2010)] font état de multiplicateurs d'environ 0,5 et il est plausible que les prévisionnistes, en moyenne, firent des hypothèses cohérentes avec ce chiffre.

« La note du FMI du mois de mars 2009 contient une évaluation qui supposait des multiplicateurs compris entre 0,3 et 0,5 pour les recettes publiques et entre 0,3 et 1,8 pour les dépenses publiques (FMI, 2009, p. 32).

« Les multiplicateurs étaient effectivement largement supérieurs à 1 au début de la crise.

« Il n'y a pas un seul multiplicateur en tout temps et pour tous les pays. Les multiplicateurs peuvent être plus ou moins élevés au cours du temps et d'une économie à l'autre. Puisque les économies connaissent une reprise et quittent la trappe à liquidité, les multiplicateurs sont susceptibles de revenir à leurs niveaux d'avant-crise. Néanmoins, il semble prudent pour le moment, lorsque l'on pense à la consolidation budgétaire, de supposer que les multiplicateurs sont plus élevés qu'avant-crise. [...]

« Les résultats ne signifient pas que la consolidation budgétaire n'est pas souhaitable. Pratiquement toutes les économies avancées doivent relever le défi de l'ajustement budgétaire en réponse aux niveaux élevés d'endettement public et aux pressions que l'évolution démographique exercera à l'avenir sur les finances publiques » .

2. Une politique budgétaire désormais définie en termes de solde structurel, en application du TSCG
a) Le TSCG : un assouplissement de facto du pacte de stabilité

Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), entré en vigueur le 1 er janvier 2013, ne modifie pas le pacte de stabilité et de croissance (PSC). Toutefois, il prévoit une règle définie en termes de solde structurel, économiquement plus rationnelle .

Ainsi, l'article 3 prévoit :

- comme le volet préventif du pacte de stabilité, que les Etats se dotent, dans leur programme de stabilité, d' un objectif à moyen terme (OMT) de déficit structurel , qui ne peut être supérieur à 0,5 % du PIB (contre 1 % du PIB dans le cas du pacte de stabilité). On a vu que la France avait choisi de retenir comme OMT l'équilibre structurel ;

- que les Etats doivent s'engager à une trajectoire de solde structurel permettant d'atteindre cet OMT ;

- qu'« un mécanisme de correction est déclenché automatiquement si des écarts importants sont constatés par rapport à l'objectif à moyen terme ou à la trajectoire d'ajustement propre à permettre sa réalisation » ;

- que ces règles « prennent effet dans le droit national des parties contractantes au plus tard un an après l'entrée en vigueur du présent traité [soit le 1 er janvier 2014], au moyen de dispositions contraignantes et permanentes , de préférence constitutionnelles, ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon ».

Autrement dit, si en 2013 ou 2014 la France, tout en réduisant son déficit structurel comme prévu, ne ramenait pas son déficit effectif sous le seuil des 3 % du PIB à cause d'une croissance inférieure aux prévisions, la règle du TSCG serait tout de même respectée.

La notion d'« écart important » est définie par le volet préventif du pacte de stabilité comme correspondant à un écart d'au moins 0,5 % du PIB sur une année donnée, ou au moins 0,25 % du PIB par an en moyenne sur deux années consécutives.

La notion de « dispositions contraignantes et permanentes » a été interprétée de manière souple par la Commission européenne dans une communication du 20 juin 2012. Selon elle, le caractère « contraignant » des dispositions nationales peut se limiter à un principe « se conformer ou s'expliquer » : un Etat membre ne devra donc pas nécessairement se conformer à l'avis de l'organisme de supervision (dans le cas de la France, le Haut Conseil des finances publiques).

b) La mise en oeuvre du TSCG par la France
(1) La loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques

La loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques précise le contenu des lois de programmation des finances publiques (LPFP), prévues par l'article 34 de la Constitution. Elles doivent, en particulier, comprendre la trajectoire de solde structurel prévue par le TSCG, ainsi que les détails du mécanisme de correction.

La loi organique instaure un Haut Conseil des finances publiques (HCFP), constitué de onze membres, dont quatre nommés par le Parlement. A l'initiative de nos collègues André Gattolin et Jean-Vincent Placé, la composition du Conseil doit respecter le principe de parité entre hommes et femmes.

Les membres du HCFP

Outre son président, le premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) compte quatre magistrats de la Cour des comptes nommés par ce dernier, quatre membres nommés par les présidents des deux chambres du Parlement et de leurs commissions des finances, un membre nommé par le président du conseil économique, social et environnemental (CESE) et le directeur général de l'INSEE. La durée du mandat des membres autres que les membres de droit a fait l'objet d'un tirage au sort en date du 21 mars 2013. La liste des membres et la durée de leur mandat figure ci-après :

1° Magistrats de la Cour des comptes en activité à la cour, désignés par son premier président :

- M. Raoul Briet, président de chambre (mandat de 30 mois) ;

- Mme Martine Latare, conseillère-maître (mandat de 30 mois) ;

- M. François Ecalle, conseiller-maître (mandat de 5 ans) ;

- Mme Catherine Demier, conseillère-maître (mandat de 5 ans).

2° Membres nommés, respectivement, par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, les présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat :

- M. Jean Pisani-Ferry, professeur d'économie, nommé par le président de l'Assemblée nationale (mandat de 5 ans) ;

- M. Michel Aglietta, ancien administrateur de l'INSEE, professeur d'économie, nommé par le président du Sénat (mandat de 30 mois) ;

- Mme Marguerite Bérard-Andrieu, inspectrice des finances, directrice générale adjointe d'un groupe bancaire, nommée par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale (mandat de 30 mois) ;

- Mme Mathilde Lemoine, directrice de département d'une banque, nommée par le président de la commission des finances du Sénat (mandat de 5 ans).

3° Membre nommé par le président du Conseil économique, social et environnemental :

- M. Philippe Dessertine, professeur d'économie (mandat de 5 ans).

Siège également au Haut Conseil, en qualité de membre de droit, le directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (actuellement, M. Jean-Luc Tavernier).

Le HCFP doit donner des avis consultatifs , portant essentiellement sur les prévisions macroéconomiques ou la trajectoire de solde structurel des projets de textes financiers (LPFP, PLF, PLFSS, etc.).

Le principal avis du HCFP sera celui qu'il rendra, « en vue du dépôt du projet de loi de règlement », sur l'exécution du solde structurel de l'année précédente. A l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Caffet, la loi organique précise que la trajectoire de PIB potentiel utilisée pour ce calcul est celle figurant dans le rapport annexé à la LPFP .

Si le HCFP estime alors qu'il existe un « écart important », au sens du TSCG, entre le solde structurel prévu et celui réalisé ( n-1 ), le Gouvernement devra annoncer, à l'occasion du débat d'orientation des finances publiques (DOFP), les mesures correctrices qu'il entend prendre, sans toutefois être contraint de corriger entièrement l'écart. Ces mesures devront figurer, au moins pour partie, dans les PLF et PLFSS pour l'année n+1 .

(2) La loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017

La loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 21 ( * ) (« LPFP 2012-2017 ») se conformait par anticipation à l'entrée en vigueur de la loi organique, le 1 er mars 2013.

Elle fixe l'engagement budgétaire de la France au sens du TSCG, soit le déficit structurel indiqué par le tableau ci-après.

L'engagement du Gouvernement au titre du TSCG et de la loi organique du 17 décembre 2012

(en points de PIB)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Solde structurel prévu par la LPFP 2012-2017

-3,6

-1,6

-1,1

-0,5

0,0

0,0

Source : LPFP 2012-2017

3. Une interprétation plus souple du volet correctif du pacte de stabilité
a) Un volet correctif de fait appliqué comme une règle de solde structurel depuis 2009

Le pacte de stabilité et de croissance (PSC) prévoit que les Etats ne peuvent avoir un déficit effectif supérieur à 3 points de PIB .

Toutefois, il ne s'agit pas d'une interdiction absolue. Si un Etat a un déficit supérieur à 3 points de PIB, le Conseil fixe un délai maximal pour revenir sous ce seuil, assorti d'une diminution annuelle minimale du déficit structurel, qui ne peut être inférieure à 0,5 point de PIB.

Le principal critère utilisé pour le volet correctif est le déficit effectif, qui ne doit pas être supérieur à 3 points de PIB. Toutefois le pacte de stabilité permet au Conseil de repousser le délai pour revenir sous le seuil de 3 points de PIB en cas d'« événements économiques négatifs et inattendus ayant des conséquences défavorables majeures pour les finances publiques » postérieurs à l'adoption de sa recommandation 22 ( * ) .

Ainsi, dans le cas de la France, le Conseil a, le 27 avril 2009, indiqué que « les autorités françaises devraient notamment [...] déployer les efforts nécessaires pour que le déficit soit ramené sous la valeur de référence d'ici à 2012 ; à cette fin, elles devraient renforcer l'effort budgétaire moyen prévu chaque année à au moins 1 % du PIB à compter de 2010 ».

Dans sa recommandation du 30 novembre 2009, en raison notamment du plan de relance, le Conseil a décalé à 2013 l'année où la France devait revenir sous le seuil des 3 points de PIB. Toutefois elle devait toujours « assurer un effort budgétaire annuel moyen supérieur à 1 % du PIB sur la période 2010-2013 ».

La « règle des 3 % » est donc de fait appliquée comme une règle de solde structurel . Ainsi, le 22 février 2013, Olli Rehn, commissaire en charge des affaires économiques et financières, a déclaré que, dans le cas de la France, si les « prévisions de printemps [de la Commission européenne] (prévues en mai) montr[aient] que l'ajustement budgétaire structurel est au-delà de 1 % par an sur la période de 2010 à 2013 et si des évènements économiques inattendus avaient des conséquences défavorables importantes sur les finances publiques, alors le pacte de stabilité autoriserait le report à 2014 du délai pour rapporter le déficit nettement sous les 3 % » 23 ( * ) .

b) Une approche confirmée par le Conseil européen en mars 2013

Prenant acte de la dégradation des perspectives de croissance dans la zone euro, le Conseil européen a indiqué, lors de sa réunion du 14 mars 2013, que la politique de réduction des déficits publics devait davantage prendre en compte la croissance .

Ainsi, dans ses conclusions, il écrit : « Des progrès substantiels sont réalisés sur la voie de l'équilibre budgétaire en termes structurels et ces progrès doivent se poursuivre. Le Conseil européen souligne en particulier la nécessité d'assurer un assainissement budgétaire différencié, axé sur la croissance , tout en rappelant les possibilités offertes par les règles budgétaires actuelles du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) et du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) ».

c) La coexistence de deux types de règles

Les considérations ci-avant montrent que le pacte de stabilité comprend deux types de règles :

- des règles « permanentes » (amélioration annuelle du solde structurel et effort structurel d'au moins 0,5 point de PIB, règle de dette) ;

- des règles fixées par le Conseil dans le cas d'un Etat particulier (comme la détermination de l'année de retour sous le seuil de 3 points de PIB, ou la détermination de l'amélioration annuelle minimale du solde structurel à un niveau supérieur à 0,5 point de PIB).

Ainsi, le pacte de stabilité en tant que tel ne dit pas si la France doit réaliser en 2014 un effort supplémentaire par rapport à celui prévu par le présent projet de programme de stabilité. Ce sera au Conseil de se prononcer sur ce point quand il adressera, à l'occasion de sa réunion des 27 et 28 juin, sa recommandation à la France.


* 18 « Fiscal Multipliers », IMF staff position note, SPN/09/11, 20 mai 2009 (traduction de la commission des finances).

* 19 Les dépenses correspondant à environ la moitié du PIB et le ratio recettes/PIB hors mesures nouvelles étant supposé stables.

* 20 Source : Olivier Blanchard et Daniel Leigh , « Growth forecast errors and fiscal multipliers », FMI, Working paper n° 2013/1, janvier 2013.

* 21 Loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.

* 22 Règlement (CE) N° 1467/97 du Conseil, article 3.

* 23 « If our Spring forecasts (due in May) show the structural fiscal adjustment is beyond 1% a year over the period of 2010 to 2013 and if there are unexpected economic events that have major unfavorable consequences for public finances, then the growth and stability pact would allow the deadline to get the deficit clearly below 3% to be pushed to 2014 » (Dow Jones Business News, 22 février 2013 ; traduction de la commission des finances).

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