B. LES MESURES COMPLÉMENTAIRES RECOMMANDÉES PAR LA DÉLÉGATION

La délégation approuve l'extension du scrutin de liste proportionnel aux départements élisant 3 sénateurs, mais considère que d'autres leviers doivent également être mis en oeuvre pour conforter la parité en général et au Sénat en particulier.

Le renforcement de la portée juridique de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, l'obligation pour le candidat et le remplaçant d'être de sexe différent dans les circonscriptions au scrutin majoritaire, l'instauration de mécanismes paritaires dans la composition du collège électoral élisant les sénateurs et une incitation adressée aux partis à veiller à l'équilibre femmes/hommes dans la désignation des têtes de listes figurent parmi les principales orientations qu'elle préconise.

1. Renforcer la valeur juridique de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives

En ramenant de 4 à 3 le nombre de sénateurs par département à partir duquel l'élection a lieu au scrutin de liste proportionnel, le projet de loi ne fait qu'annuler les effets de la réforme opérée par la loi du 30 juillet 2003 et revenir à la situation qui prévalait avec l'adoption de la loi du 10 juillet 2000.

Votre délégation appelle de ses voeux une stabilisation de cette ligne de partage entre scrutin majoritaire et scrutin proportionnel , pour éviter tout retour en arrière.

Elle estime qu'un renforcement de la valeur juridique des dispositions constitutionnelle relatives à « l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » serait de nature à contribuer à cette stabilisation.

Pour cette raison, elle recommande de substituer, à l'occasion d'une prochaine révision constitutionnelle, le verbe « garantir » au verbe « favoriser » dans le deuxième alinéa de l'article premier de la Constitution .

Cette révision permettrait que les constitutionnalistes ne considèrent plus la parité comme « un objectif constitutionnel » mais comme un véritable principe constitutionnel. Elle serait de nature à faire évoluer dans un sens favorable l'équilibre recherché par le Conseil constitutionnel dans la conciliation de celui-ci avec « les autres règles et principes de valeur constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n'a pas entendu déroger » , pour reprendre la formule de la décision n° 2000-429 DC rendue à propos de la loi sur la parité du 6 juin 2000.

2. Une mesure symbolique : affirmer la visibilité du terme de « sénatrice »

Votre rapporteure est parfaitement avertie de la règle grammaticale en vigueur depuis le XVII ème siècle, en lieu et place de la règle de proximité qui, elle, avait cours depuis l'Antiquité.

Aujourd'hui, le langage doit refléter l'égalité entre les femmes et les hommes avec plus de détermination. C'est pourquoi elle juge regrettable qu'un projet de loi qui a pour objectif revendiqué de favoriser l'accès des femmes au mandat sénatorial n'évoque dans son titre que « l'élection des sénateurs » .

Elle recommande donc de compléter le titre du projet de loi pour que celui-ci soit dorénavant désigné comme « relatif à l'élection des sénatrices et des sénateurs » .

Cette modification paraîtra peut-être à certains « purement symbolique » : elle est symbolique, en effet, au sens fort du terme car notre délégation est pleinement consciente des enjeux symboliques que recouvre la féminisation des noms de métiers et de fonctions.

3. L'obligation pour le candidat et son remplaçant d'être de sexe différent dans les départements au scrutin majoritaire

Avec la réforme proposée par le projet de loi, ce sont quelques 93 sièges qui continueront d'être pourvus au scrutin majoritaire dans les départements, ainsi que dans les collectivités d'Outre-Mer qui n'élisent qu'un ou deux sénateurs ou sénatrices, soit plus du quart de l'assemblée.

Votre délégation ne pense pas qu'il soit opportun de dispenser ces départements et collectivités de toute obligation paritaire, même si le scrutin majoritaire à deux tours se prête, par nature, mal aux mesures favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.

Aussi vous propose-t-elle, dans une recommandation de compléter l'article L. 299 du code électoral relatif aux déclarations de candidatures pour y introduire l'obligation, pour le candidat et son remplaçant, d'être de sexe différent .

Une semblable obligation avait été introduite par la loi du 31 janvier 2007 11 ( * ) à l'article L. 210-1 du code électoral, pour l'élection des conseillers généraux et de leurs remplaçants. Son impact semble avoir été très limité sur la féminisation des conseils généraux.

Bien qu'il soit difficile à prévoir, l'impact d'une telle mesure sur le nombre de sénatrices, sans être considérable, ne serait cependant sans doute pas à négliger.

Dans la période séparant les élections sénatoriales de 2008 et celles de 2011, cinq parlementaires (4 sénateurs et 1 sénatrice) 12 ( * ) ont dû être remplacés dans le courant de leur mandat. Dans un contexte comparable, l'obligation pour un candidat d'être accompagné d'un remplaçant de sexe différent entraînerait, à l'avenir, l'entrée au Sénat de 4 nouvelles sénatrices et d'un nouveau sénateur.

4. Améliorer la parité du collège sénatorial

Dans le souci d'améliorer la représentativité du collège sénatorial, le projet de loi prévoit d'augmenter le nombre de délégués supplémentaires représentant les communes de 30 000 habitants.

Avec une ingénuité touchante, l'étude d'impact indique (paragraphe IV.1.2) : « l'augmentation du nombre de délégués supplémentaires n'a pas d'effet sur la parité. En effet, l'obligation de parité ne s'impose pas dans la désignation des délégués supplémentaires » .

Votre délégation ne se satisfait évidemment pas de cet état de choses. Elle considère que dès lors qu'un nombre appréciable des délégués qui composent le collège électoral, et des suppléants qui peuvent être amenés à les remplacer, sont élus au scrutin de liste sur le fondement de l'article L. 289 du code électoral, il est anormal que celui-ci ne soit pas assorti d'obligations paritaires.

Elle considère que la composition par sexe du collège électoral chargé d'élire les sénatrices et les sénateurs n'est pas une question indifférente 13 ( * ) .

Il est évident que la composition paritaire du collège électoral n'entraînerait pas nécessairement, par elle-même, l'élection d'un plus grand nombre de sénatrices. Mais sans doute une forte proportion de femmes au sein de ce dernier pourrait-elle avoir un effet dissuasif sur le dépôt de ces listes dissidentes conçues un peu trop ostensiblement pour contourner la parité.

Elle s'étonne que le projet de loi ait fait l'impasse sur cette question qui intéresse au premier chef la parité.

Elle demande au Gouvernement de faire établir des données globales sur la composition par sexe du collège électoral et des différentes catégories de délégués le composant.

Les conseils régionaux étant quasiment paritaires dans leur composition et les conseils départementaux ayant vocation à le devenir avec l'instauration du scrutin binominal, toute l'attention se reporte donc sur la répartition par sexe des délégués des conseils municipaux qui représentent, au demeurant, près de 95 % de leur effectif.

Leur nombre varie en fonction de la taille des communes, qui sont, elles-mêmes, réparties en trois catégories :

dans les communes de moins de 9 000 habitants , les conseillers municipaux élisent en leur sein un nombre de délégués qui varie en fonction de l'effectif du conseil municipal mais qui est toujours impair . Votre délégation relève, à ce sujet, que le choix systématique d'un nombre impair n'est pas, par nature, favorable à l'égalité entre les sexes ; si les données attendues du ministère de l'Intérieur faisaient apparaître un trop grand déséquilibre entre les femmes et les hommes parmi les 40 000 délégués élus dans ces communes, se poserait alors la question d`une modification de l'article L. 284 du code électoral pour substituer des chiffres pairs aux chiffres impairs ;

dans les communes de 9 000 à 30 000 habitants , tous les conseillers municipaux sont délégués de droit ; les dispositions de la loi du 6 juin 2000 ayant déjà permis d'arriver à une quasi parité dans les conseils municipaux de ces communes, on peut inférer que les 16 000 délégués issus de ceux-ci doivent également approcher la parité ;

dans les communes de plus de 30 000 habitants , les conseils municipaux élisent, en sus des délégués de droit, des délégués supplémentaires à raison de 1 pour 1 000 habitants au-dessus de 30 000, tranche que le projet de loi propose de ramener à 800 ; ces délégués supplémentaires sont élus au scrutin de liste, par application des dispositions de l'article L. 289 du code électoral, sans que celui-ci prévoie de règle paritaire dans la composition de ces listes ; avec le projet de loi, le nombre de ces délégués supplémentaires devrait passer de 12 569 à 15 744 d'après les données figurant dans l'étude d'impact.

Il serait anormal que ces délégués, qui ont vocation à représenter une proportion significative du collège sénatorial, soient élus sans aucune garantie de parité.

Votre délégation recommande en conséquence de compléter l'article L. 289 du code électoral relatif à l'élection des délégués et des suppléants à la proportionnelle, pour préciser que, sur chacune des listes, l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un et que chaque liste doit être composée alternativement d'un candidat de chaque sexe .

5. Inciter les partis politiques à respecter une parité globale dans la désignation des têtes de listes

La révision constitutionnelle de 1999 qui a introduit le principe de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives a en outre précisé, à l'article 4 de la Constitution, que « les partis et groupements politiques [...] contribuent à la mise en oeuvre [de ce] principe [...] dans des conditions déterminées par la loi » .

La délégation considère que les obligations paritaires imposant une stricte alternance entre les candidats des deux sexes ne peuvent à elles seules garantir une parité véritable, particulièrement dans les départements ne comportant qu'un petit nombre de sièges.

Aussi recommande-t-elle aux partis politiques, à l'occasion de chacun des scrutins sénatoriaux, de veiller à une stricte parité au sein de la série renouvelée, dans la désignation des têtes de listes se réclamant de leur étiquette .

Votre délégation croit indispensable de rappeler aux partis politiques la responsabilité que leur confie la Constitution en ce domaine car la bonne volonté dont ils font preuve dans la poursuite de cet objectif est très inégale.

Aussi propose-t-elle qu'une réflexion soit engagée sur les moyens qui permettraient de compléter cet encouragement par des mesures fortement incitatrices. Deux pistes de réflexion ont été évoquées au cours des auditions conduites par la rapporteure.

La première porte sur les pénalités financières . La commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, a proposé de renforcer le dispositif des retenues financières qui sont imposées sur leur dotation publique aux partis ne respectant pas la parité des candidatures aux élections législatives. Votre rapporteure suggère que, à l'occasion de cette réforme, les modalités suivant lesquelles ces pénalités financières pourraient être étendues aux élections sénatoriales fassent l'objet d'un examen.

Ces retenues pourraient être modulées :

- en fonction des candidatures dans les départements élus au scrutin majoritaire, sur le modèle du dispositif actuellement en vigueur pour l'Assemblée nationale ;

- en fonction des têtes de listes dans les départements élus à la proportionnelle, ce qui constituerait un mécanisme novateur.

Les personnes auditionnées ont également envisagé une perspective plus radicale : celle qui consisterait à refuser d'enregistrer les listes de candidats présentées par un même parti dès lors que celles-ci ne satisferaient pas à l'obligation de présenter un nombre égal de têtes de listes de l'un et l'autre sexe sur l'ensemble du renouvellement considéré. Cette sanction serait évidemment très lourde. Elle ne manquerait pas de susciter des objections juridiques, notamment au regard du principe de liberté des candidatures ainsi que des objections pratiques qui tiennent aux liens parfois complexes qui lient les partis politiques aux candidats qui s'en réclament.

Comme l'ont souligné les auditions conduites par la rapporteure, la relative faiblesse des progrès constatés en matière de parité s'expliquent aussi par la conjonction de toute une série d'autres facteurs : la variété des modes de scrutin qui ne laisse qu'une part limitée au scrutin proportionnel, historiquement le plus favorable à la parité et dont il faut de ce fait recommander l'extension, mais aussi le cumul des mandats et l'absence de limite à leur cumul dans le temps qui freine tout renouvellement.

Parmi les axes de réflexion plus généraux sur les mesures de nature à favoriser l'exercice par les femmes de responsabilités politiques, il faut citer également la question du statut de l'élu-e . Celle-ci figure en bonne place parmi les nombreuses propositions retenues lors des États généraux de la démocratie territoriale, en octobre 2012, sous l'impulsion de Jean-Pierre Bel, Président du Sénat. Ce statut de l'élu-e dépasse le cadre des élections sénatoriales mais constitue une revendication consensuelle qui permettrait aux femmes, comme aux hommes, d'exercer leurs mandats électifs dans de meilleures conditions.

En conclusion, votre délégation souhaite rappeler que c'est grâce aux dispositions législatives votées par le législateur que la parité a pu progresser, même timidement, même insuffisamment, et que c'est le scrutin de liste proportionnel qui s'est révélé, sur la durée, comme son levier le plus efficace et le plus difficile à contourner.

Enfin la question de la parité renvoie plus généralement à celle du partage des pouvoirs car, comme le relevait Réjane Sénac 14 ( * ) lors de son audition : « Questionner le pouvoir, c'est aussi questionner toutes les autres inégalités » .


* 11 Loi n° 2007-128 du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

* 12 Il s'agit de Jean-Claude Étienne, André Lejeune, Gérard Longuet, Jacqueline Chevé et Henri de Raincourt. Ils ont respectivement été remplacés par Mireille Oudit, Renée Nicoux, Claude Léonard, Ronan Kerdraon, André Villiers.

* 13 Certains se demanderont peut-être si les délégués sénatoriaux relèvent des mandats électoraux et des fonctions électives concernés par le principe d'égal accès garanti par la Constitution.

Il est certain que les délégués sénatoriaux n'exercent pas à proprement parler un « mandat électoral », mais on peut difficilement leur dénier le fait qu'ils remplissent une « fonction élective » dès lors qu'ils sont désignés par une élection et concourent eux-mêmes à une élection, sauf à conférer au terme « électif » un sens différent de celui que lui reconnaît l'usage courant attesté par les dictionnaires usuels :

- Petit Robert : « électif, ive : 1. qui choisit ; 2. qui est nommé ou conféré par élection » ;

- Larousse : « électif, ive : 1. nommé ou conféré par élection ; 2. qui opère un choix, une élection » .

* 14 Chargée de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences-Po (CNRS-CEVIPOF), présidente de la commission « parité » au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, auditionnée le 15 avril 2013.

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