II. L'APPORT DES CHERCHEURS AU DÉBAT SUR L'AMÉLIORATION DE LA GOUVERNANCE DE LA LUTTE CONTRE LA POLLUTION EN MÉDITERRANÉE

Etienne RUELLAN

S'agissant de l'apport des chercheurs au débat sur l'amélioration de la gouvernance de la lutte contre la pollution en Méditerranée, « Mistrals » constitue un outil d'amélioration de la gouvernance. Il s'intéresse en effet aux questions qui relèvent de la compréhension des processus qui gouvernent l'environnement en Méditerranée, et qui tirent de ces processus les facteurs anthropiques liés sur la Méditerranée.

« Mistrals » est un programme intégré à l'échelle de l'ensemble du domaine méditerranéen. Une décennie a été prévue pour observer, comprendre et prédire l'habitabilité de la Méditerranée à long terme. Nous nous intéressons à tous les facteurs qui interagissent sur la Méditerranée. Parmi eux, nous étudions les plus prégnants, qui sont relatifs à la pollution de la Méditerranée. Ce programme interdisciplinaire et international, bien que né d'une initiative française, acquiert progressivement une dimension méditerranéenne.

Je rappelle le contexte : la Méditerranée est un berceau historique de notre civilisation et un réceptacle très important de biodiversité. Les enjeux géostratégiques en termes d'environnement, de société et de politique y sont très forts. La zone est critique du point de vue du changement climatique global. Du point de vue socio-économique, elle est très vulnérable.

L'habitabilité de la zone est considérée comme critique dans le futur, en raison de facteurs majeurs, notamment la croissance démographique très importante sur la Méditerranée dans son ensemble, en particulier sur les zones côtières. Les ressources y sont limitées. La Méditerranée est située dans la zone de convergence entre plusieurs plaques tectoniques, et donc soumise à des risques importants. De très fortes pressions se font donc sur les sociétés. Ces pressions peuvent générer des conflits d'usage ou géopolitiques importants.

L'objectif du programme « Mistrals » consiste à structurer à l'échelle de la Méditerranée - et de les organiser - les différents partenaires autour d'un programme commun. La Méditerranée est un espace partagé entre l'ensemble des pays riverains. Le domaine est fermé, et la réactivité des changements aux pressions extérieures est bien plus rapide que sur les grands océans, les répercussions étant quasi immédiates d'une rive à l'autre de la Méditerranée.

Il s'agit donc de lancer un grand programme d'observation et d'expérimentation sur la Méditerranée, à dix ans, afin d'interagir avec d'autres acteurs, et de produire des recommandations en termes de développement socio-économique durable de la Méditerranée. Je pense notamment au Plan Bleu. Dans ce cadre, des approches devront être combinées avec une vision intégrée associant l'ensemble des partenaires de tous les pays de la Méditerranée, y compris les ONG agissant sur cette mer.

Le cadre et la stratégie de la construction de ce grand programme intégré multidisciplinaire de recherche amont pour endiguer la pollution s'intéressent aux différents compartiments de l'environnement et des sociétés qui y sont soumises. Il s'agit de mieux comprendre et contrôler les mécanismes du changement climatique et de l'environnement généralement sous les pressions à la fois naturelles et anthropiques à l'horizon 2020, en coordonnant les stratégies des différents pays périméditerranéens et en s'appuyant sur des coopérations scientifiques internationales et sur des priorités définies à l'avance.

Ce programme, lourd, nécessite des moyens importants tels que l'utilisation ou le lancement de satellites, de ballons de recherche et de navires de recherche. Au final, nous laisserons sur place un grand réseau d'observation à long terme, multidisciplinaire, sous forme d'observatoire de l'environnement de la Méditerranée. Nous nous appuyons sur des structures et des organisations internationales existantes telles que la Commission européenne, le Plan Bleu, etc.

Huit programmes sont en cours, dont certains s'intéressent de près aux questions de pollution en Méditerranée :

- « HyMeX » a trait en particulier au cycle de l'eau en Méditerranée ;

- « ChArMEx » s'intéresse à la chimie atmosphérique, aux changements qui s'y produisent et aux interactions entre les différents compartiments, en particulier les échanges avec la Mer Méditerranée ;

- « MerMeX » étudie la réponse des écosystèmes aux activités humaines et aux changements climatiques en Méditerranée ;

- « SICMed » s'intéresse aux domaines continental et côtier des surfaces et interfaces continentales, en particulier à l'évolution des éco-anthroposystèmes ;

- « TerMex » étudie la Terre Solide ;

- « BioDivMex » s'intéresse à l'évolution de la biodiversité méditerranéenne, qu'elle soit terrestre ou marine ;

- « SocMed » est un programme dédié à l'évolution des sociétés en Méditerranée sous les pressions tropiques et climatiques.

L'initiative de « Mistrals » est venue d'un travail associant l'ensemble des organismes français touchant à l'environnement. Aujourd'hui, de nombreux organismes autour de la Méditerranée sont impliqués de manière très active dans les programmes que je viens de citer. Environ 1 000 chercheurs sont impliqués tout autour de la Méditerranée. Ils proviennent de presque tous les pays de la Méditerranée mais aussi au-delà, lesquels participent à de grands programmes internationaux (de climatologie, par exemple).

Certains pays s'impliquent de manière assez forte. Nous travaillons dans un esprit de coconstruction, de co-financement, de coimplémentation, de coappropriation et de coévaluation de ce programme.

Un programme de cette nature ne peut fonctionner que si l'ensemble des partenaires se sentent impliqués, à la base même de la construction de ce programme, et qu'ils participent à la gouvernance générale au travers de différents comités scientifiques.

Pour cela, nous nous appuyons également sur des actions importantes au niveau euro-méditerranéen, à la fois sur des outils ou des acteurs politiques :

- le « MoCo » (Monitoring Committee for the Euro-Mediterranean Cooperation in Research, Development and Innovation) : structure largement partagée à l'échelle méditerranéenne ;

- les outils de la Commission européenne, tels qu'INCONET MED-SPRING (réseau de coopération internationale Mediterranean science, policy, research & innovation gateway ), qui a démarré en 2013 et qui est coordonné avec l'ERA-NET Méditerranée et l'article 185 en préparation.

En termes de gouvernance, nous devons nécessairement nous appuyer, pour la partie recherche en amont, sur l'ensemble de ces initiatives, qu'elles soient politiques, politico-scientifiques et scientifiques à l'échelle de la Méditerranée, en associant tous les partenaires existants.

Proposition a donc été faite d'une gouvernance internationale de « Mistrals », avec une Assemblée générale méditerranéenne, un comité de pilotage, un comité d'experts et un secrétariat. Ce dernier interagira avec les correspondants nationaux ( focal points ) qui eux-mêmes seront impliqués dans les différents programmes de « Mistrals » à différents degrés.

Il ressort des différents échanges la nécessité qu'un programme de cette nature soit transdisciplinaire et international, avec une gouvernance flexible. Chaque pays doit pouvoir y adhérer avec ses priorités et ne pas se voir imposer un modèle unique, même si des outils nous sont indispensables en tant que pays européen.

Nous devons aussi imaginer un programme à géométrie variable. Les priorités actuelles ne sont pas nécessairement les mêmes que dans cinq ans. Nous devons être prêts à introduire de nouvelles thématiques, notamment la question littorale, c'est-à-dire une zone sur laquelle se concentrent les populations et qui est très soumise aux contraintes de pollution.

Roland COURTEAU

Les drones peuvent-ils être utilisés pour vos observations ?

Etienne RUELLAN

Oui. Même dans les pays du Nord, nous sommes de plus en plus contraints par les coûts des grosses infrastructures de recherche, c'est d'autant plus vrai de la mer Méditerranée où nous rencontrons des difficultés d'un point de vue financier. Dans les pays du Sud, la situation est encore plus dramatique.

Les drones présentent des coûts modérés (100 000 euros environ). Ces engins sont capables de traverser la Méditerranée de manière autonome. Certains peuvent rester seuls quatre ou cinq mois en mer. Ils constituent selon moi une solution technique beaucoup plus accessible pour les pays du Sud.

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