N° 655

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juin 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les dispositions du projet de loi relatif à l' enseignement supérieur et à la recherche (procédure accélérée), dont la délégation a été saisie par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication,

Par Mme Françoise LABORDE,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente , M. Roland Courteau, Mmes Christiane Demontès, Joëlle Garriaud-Maylam, M. Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Chantal Jouanno, Françoise Laborde, Gisèle Printz, vice-présidents ; Mmes Caroline Cayeux, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, M. Christian Bourquin, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Laurence Cohen, MM. Gérard Cornu, Daniel Dubois, Mmes Marie-Annick Duchêne Jacqueline Farreyrol, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Genisson, Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-François Husson, Mmes Christiane Kammermann, Claudine Lepage, Valérie Létard, Michelle Meunier, M. Jean-Vincent Placé, Mmes Sophie Primas, Laurence Rossignol, Esther Sittler et Catherine Troendle.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La délégation aux droits des femmes a toujours porté une grande attention aux questions qui ont trait à l'enseignement supérieur et à la recherche car elle est convaincue que ces deux domaines connexes jouent un rôle déterminant dans l'émancipation des femmes et dans le combat pour une égalité véritable entre les sexes.

Comme elle l'a rappelé dans son récent rapport sur « les femmes et le travail », la levée du « handicap scolaire », l'accès des femmes à l'instruction puis, dans un deuxième temps aux études supérieures, ont amélioré l'accès des femmes au marché du travail et favorisé leur autonomie économique.

Au terme d'une évolution qui s'est accélérée dans la seconde moitié du XX ème siècle, les filles, qui réussissent dans l'ensemble mieux leur parcours scolaire que les garçons, ont largement investi l'enseignement supérieur : en 2010, elles représentaient plus de 55 % de la population étudiante.

D'ailleurs, au sein d'une classe d'âge donnée, elles sont, en proportion, plus nombreuses à être titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur : 54 % contre 39 % seulement des garçons.

Malgré ces évolutions, l'enseignement supérieur et la recherche restent marqués par une double série d'inégalités.

La première affecte la population étudiante : la proportion de filles et de garçons varie fortement suivant les types d'études et les filles se portent moins que les garçons vers les filières sélectives, celles qui offrent de meilleurs débouchés professionnels.

La seconde concerne les personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche et se traduit à la fois par de fortes disparités suivant les disciplines et par une raréfaction des femmes au fur et à mesure que l'on progresse dans les étapes d'une carrière.

La délégation exprime ici sa reconnaissance à la commission de la Culture, de l'Éducation et de la Communication pour sa saisine sur le présent projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche qui, à travers plusieurs de ses dispositions, témoigne d'une volonté de faire progresser l'égalité femmes-hommes dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Votre rapporteure s'est attachée, dans les délais qui lui étaient impartis, à recueillir le point de vue de quelques-uns des principaux interlocuteurs et interlocutrices institutionnels et associatifs dont la liste figure en annexe du présent rapport. Elle tient à leur adresser ici ses remerciements pour la contribution qu'ils ont apportée à son information et à sa réflexion.

I. ÉGALITÉ DES FEMMES ET DES HOMMES DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA RECHERCHE : LA PERSISTANCE DE BARRIÈRES IMPLICITES

Les filles sont désormais majoritaires dans la population étudiante. Mais cette situation s'accompagne de fortes disparités qui témoignent de la persistance de barrières implicites.

Ce constat a amené le Gouvernement à engager, avec les principaux acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche, une démarche commune débouchant sur des engagements partagés, dans le prolongement desquels s'inscrit le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche.

A. LA PLACE DES ÉTUDIANTES DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : UN DOUBLE FILTRAGE

L'enseignement supérieur constitue une étape dans le paradoxe qui caractérise les parcours de formation des filles. Alors que celles-ci enregistrent, dans l'ensemble, de meilleurs résultats scolaires que les garçons, et qu'elles sont, en proportion, plus nombreuses à accéder à l'enseignement supérieur, elles se retrouvent en fin de parcours confrontées à des conditions d'insertion professionnelle plus difficiles et moins porteuses.

Ce paradoxe tient largement au fait que filles et garçons n'effectuent pas, en matière d'orientation, les mêmes choix et qu'ils ne poursuivent pas de la même façon leur cursus universitaire.

1. L'avance des filles en matière de réussite scolaire

Plusieurs paramètres traduisent la meilleure réussite des filles dans leur parcours scolaire.

Leur taux d'accès au baccalauréat est meilleur que celui des garçons : le taux de réussite globale de 71,6 % en 2011, recouvre en réalité des disparités sensibles en fonction du sexe puisqu'il est de 76,6 % pour les filles, contre 66,8 % pour les garçons, soit dix points d'écart.

Certaines disparités en matière d'orientation commencent d'apparaître dès l'enseignement secondaire : en 2011, les filles représentaient 78,6 % des bacheliers en série L (littérature), 61 % en série ES (économique et social), mais seulement 45,3 % en série S (scientifique) et 10,5 % en série STI (sciences et technologies industrielles).

Elles constituaient en revanche 56,2 % des bacheliers de série STL (sciences et technologies de laboratoire), 92,9 % des bacheliers de la série STLS (sciences et technologies de la santé et du social) et 56,1 % de la série STG (sciences et technologies de la gestion).

Ces proportions sont toutefois à relativiser compte tenu des fortes disparités numériques qui existent entre ces différentes options. Ainsi, du fait de l'importance du poids relatif de la série S, les filles sont plus nombreuses en terminale S (56 400) qu'en terminale L (33 200).

Autrement dit, si la tendance des filles à préférer les filières littéraires et sociales aux filières scientifiques et techniques s'amorce dès avant le baccalauréat, ce n'est toutefois que dans l'enseignement supérieur qu'elle prend toute son ampleur.

2. Les choix d'orientation dans l'enseignement supérieur : une ségrégation horizontale

Filles et garçons sont très inégalement répartis dans les différentes filières de formation de l'enseignement supérieur, au point que certains secteurs paraissent très « féminins » et d'autres au contraire « masculins ». La persistance de ces choix sexués, dont il faut souligner qu'ils sont autant le fait des filles que des garçons, reflète l'incidence de stéréotypes de genre et d'une image des parcours universitaires et des professions sur lesquelles ceux-ci débouchent.

Ces différences se retrouvent dans des proportions variables dans les différents cursus de l'enseignement supérieur.

a) Une inégale répartition en fonction des types de cursus

Les filles et les garçons ne s'orientent pas dans les mêmes proportions vers les différents cursus de l'enseignement supérieur.

L'équilibre entre les deux sexes est respecté dans les écoles de commerce et les sections de techniciens supérieurs.

Les filles sont en revanche majoritaires dans les filières universitaires, dont elles représentent globalement 57 % des effectifs.

Elles sont en revanche moins présentes dans les instituts universitaires de technologie (40 %), dans les classes préparatoires aux grandes écoles (42 %) et, particulièrement, dans les écoles d'ingénieurs (27,5 %) qui restent un secteur très « masculin ».

Ces chiffres globaux recouvrent dans chacun de ces types de cursus de fortes disparités internes.

b) Des choix différents dans les parcours universitaires

Au sein de la population étudiante inscrite à l'université, les filles sont très largement majoritaires en lettres et sciences du langage (71 %), en sciences humaines et sociales (68,4 %), en droit et sciences politiques (64 %), ainsi que, dans une moindre mesure, dans les filières médicales et celles de l'administration, de l'économie et du social, ou encore des sciences de la nature et de la vie, où leur proportion s'établit aux alentours de 60 %.

Elles sont en revanche très minoritaires dans les instituts universitaires de technologie (IUT) (40 %), en sciences fondamentales (28 %) et en sciences et techniques des activités sportives (31,4 %).

c) Les sections de techniciens supérieurs : une ségrégation caricaturale

Envisagées globalement, les sections de techniciens supérieurs attirent un nombre équivalent de filles et de garçons. Mais cet apparent équilibre recouvre une ségrégation suivant le sexe extrêmement tranchée.

Aucune des spécialités envisagées ne présente une répartition tant soit peu équilibrée entre les sexes : certaines sont presque exclusivement féminines (le textile, le travail social, la coiffure), d'autres essentiellement masculines (l'énergie, l'électricité, les transformations industrielles).

d) Les diplômes universitaires de technologie : une différenciation marquée

Cette dissociation par sexe est presque aussi marquée pour les diplômes universitaires de technologie : certains sont très majoritairement féminins dans leur recrutement, avec en moyenne 80 filles pour 20 garçons (carrières juridiques, carrières sociales ou information-communication) ; les autres sont très fortement masculinisées avec une proportion de filles qui oscille entre 6 et 15 % (génie civil, réseaux et télécommunications, informatique, génie électrique).

e) Les classes préparatoires aux grandes écoles : un déséquilibre relatif

Les classes préparatoires aux grandes écoles ont toujours retenu une attention particulière, car ce dispositif spécifique à l'enseignement supérieur français constitue l'antichambre de la « voie royale » des grandes écoles et, notamment, des plus prestigieuses d'entre elles.

Une approche globale révèle un déséquilibre relatif en faveur des garçons : ceux-ci constituent 58 % de l'effectif total des étudiants de ces classes préparatoires, contre 42 % pour les filles 1 ( * ) .

Mais cet équilibre relatif recouvre là encore de fortes disparités en fonction des filières choisies :

- les filles sont très largement majoritaires dans les filières littéraires (73 %) ;

- la filière économique et commerciale, naguère encore très masculine, se rapproche de l'équilibre, avec 54 % de garçons et 46 % de filles ;

- en revanche, les filles restent très minoritaires dans les filières scientifiques dont elles représentent à peine un tiers de l'effectif (30 %).

Dans cette filière, les évolutions sont faibles : le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche indique qu'entre 2001 et 2011 la part des filles dans les classes préparatoires a augmenté globalement de deux points. Elles sont un peu mieux représentées dans les filières scientifiques, légèrement moins nombreuses dans les filières littéraires, leur proportion restant stable dans les filières de l'économie et du commerce.

f) Les écoles d'ingénieurs : un secteur resté très « masculin »

L'évolution de la proportion des étudiantes dans les effectifs des écoles d'ingénieurs illustre la lenteur de ces évolutions. En vingt ans, celle-ci est passée de 20 % en 1988 à un peu moins de 30 % en 2008, comme l'illustre le graphique reproduit ci-dessous.

3. Un filtrage vertical : le moindre accès aux études doctorales

Dans les différentes disciplines, la proportion de femmes varie sensiblement aux différentes étapes des cursus universitaires. Elles sont globalement majoritaires dans les cursus licence (56,5 %) et master (59,5 %) mais minoritaires dans les cursus de doctorat, où leur proportion tombe à un peu moins de 48 %.

Cette évolution globale se reproduit, de façon plus ou moins accentuée dans les différentes disciplines, comme l'illustre le graphique ci-dessous.

Elle est particulièrement marquée dans des disciplines comme le droit et les sciences politiques, où cette proportion tombe de 65 à 49 % entre le master et le doctorat, ou en sciences humaines et sociales, où elle est ramenée de 71 à 55 %.

Les comparaisons internationales montrent que la France se situe parmi les pays où la proportion de femmes est la plus faible parmi les nouveaux titulaires de doctorats. Avec 43 % de femmes parmi les nouveaux docteurs, la France se situe à niveau comparable de la Belgique, des Pays-Bas et du Danemark. Elle fait sensiblement mieux que le Japon (27 %) ou la Corée (30 %), mais elle reste très en deçà de l'Espagne, d'Israël, de la Pologne qui parviennent à un quasi équilibre, ou encore des États-Unis (52 %), de la Finlande (53 %), du Portugal (62 %) ou de l'Islande (63 %) où les filles sont en proportion plus nombreuses.


* 1 Ministère de l'éducation nationale, Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, « Filles et garçons sur le chemin de l'égalité de l'école à l'enseignement supérieur » , 2013, p. 31.

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