E. ÉCHANGES AVEC LE PUBLIC

Michel CORNILLE

Ce second débat touche également à la question des horaires aménagés dans l'éducation nationale. Dans le système actuel, certains enfants sont, dès seize heures trente, livrés à eux-mêmes. J'ai une vision du collège différente, celle d'un véritable centre culturel, ouvert en permanence. À mon sens, nos enfants doivent pouvoir être accueillis convenablement dès sept heures du matin et rester jusque très tard le soir au sein d'établissements scolaires ouverts sur le tissu social de leurs quartiers. Les associations doivent être, de plein droit, des partenaires de notre enseignement.

Gaël MOUYEN

La fusion des ministères constituerait une injonction paradoxale à l'égard de l'école. Si cette dernière doit bien sûr préparer les jeunes à entrer sur le marché du travail, elle doit aussi leur transmettre une certaine instruction, une liberté de conscience. Il serait donc dommage de limiter l'école à la préparation au travail.

Fabienne KELLER , rapporteure

Faire travailler ces ministères ensemble ne signifierait pas fusionner leurs missions. Il s'agirait davantage d'assurer des cohérences entre celles-ci.

Gaël MOUYEN

Il existe en revanche nombre de représentations erronées sur la formation professionnelle. En matière d'orientation, trop de parents et de jeunes considèrent encore la filière professionnelle comme une voie de relégation. Nous devons mener un important travail sur ce point.

François ROUX

Je souhaite ajouter un élément à l'excellent exposé de Mme Barbara. L'ANI prévoit la mise en place d'une couverture santé. Les entreprises vont ainsi mettre trois ou quatre milliards d'euros à disposition pour offrir une couverture complémentaire santé. Actuellement, 30 000 intérimaires sont couverts par une complémentaire santé. Avec cette mesure, leur nombre pourra atteindre 500 000.

Par ailleurs, nous soutenons un organisme qui finance des aides pour les gardes d'enfant à destination des personnes trouvant un travail en intérim. Nous procédons de même en cas de besoin de logement d'urgence et de location de véhicule.

Enfin, je me demande en effet pourquoi le ménage est effectué de nuit dans mes propres bureaux. Nos échanges m'ont fait réfléchir, et je pense par conséquent revoir ce mode de fonctionnement.

Fabienne KELLER , rapporteure

Il s'agit d'une excellente nouvelle. Je vous invite d'ailleurs, dans vos interventions, à mettre l'accent sur des propositions concrètes d'actions à mener.

Bertrand CASTAGNÉ

J'insiste de nouveau sur le fait que le changement tient avant tout aux donneurs d'ordre. Il ne serait pas très compliqué de susciter un changement dans les cahiers des charges. La responsabilité de la fragmentation du temps de travail ne peut nous être imputée, alors que ce sont les donneurs d'ordre qui détiennent les clefs sur ce point. Certaines collectivités sont en avance sur le sujet dont les villes de Nantes et Rennes.

Joël BOURDIN , président

Au Sénat, le personnel interne effectue le ménage dans la matinée, à l'exception des bureaux des sénateurs, où des équipes extérieures passent à six heures. Cela dérange les sénateurs qui sont amenés à dormir dans leur bureau. Une solution pourrait donc être trouvée à double titre.

Fabienne KELLER , rapporteure

La prise en main d'un cahier des charges serait en effet une démarche à engager pour proposer à ces travailleurs invisibles une vie meilleure. J'estime que cela en vaut la peine, à la fois pour le rythme de vie de ces personnes, mais aussi pour améliorer le regard qui est porté sur elles. Je me demande quel sens peut avoir leur métier si elles ne rencontrent jamais les bénéficiaires de leur service.

Bertrand CASTAGNÉ

Comme l'ont souligné plusieurs intervenants ce matin, la plupart des personnes aiment leur travail. Même un métier qui peut paraître simple comme le nettoyage peut apporter une satisfaction. Nos salariés restent toutefois des travailleurs de l'ombre et n'ont aucune reconnaissance pour un travail qui peut être très technique. Ainsi, le nettoyage d'un bloc opératoire participe pleinement de l'activité de l'établissement hospitalier. Par ailleurs, une reconnaissance accrue susciterait sans doute davantage de civisme de la part des usagers, qui manquent parfois de respect à l'égard de la propreté.

Mohamed LARBI HAOUAT, président d'un conseil de quartier à Sarcelles et de l'Association de solidarité pour l'intégration par les langues, l'éducation et la culture (Asilec)

La proposition consistant à changer les horaires de travail peut être facteur de risques. Le premier de ces risques serait le viol.

Fabienne KELLER , rapporteure

Vous pensez qu'il existe une relation de subordination. En principe, dans un milieu de travail, il existe des règles de respect. À mon sens, les femmes sont peut-être justement plus protégées en présence des salariés et de la hiérarchie que de nuit.

Corinne BOUET, principale du collège Anatole-France de Bethoncourt

Le collège où je travaille se trouve être la seule institution publique dans un quartier très enclavé, marqué par un fort taux de chômage et des conditions difficiles. Les mères seules ayant des horaires décalés sont nombreuses. Concernant les horaires d'ouverture, notre collège mène un travail avec les habitants du quartier et les associations pour les étendre. Toutefois, nous sommes confrontés à une culture anti-institutionnelle. Par ailleurs, les personnels des associations sont souvent des bénévoles, qui ne sont pas forcément formés pour travailler avec un collège, ou qui ne portent pas forcément le même discours que nous. Notre collège a mis en place l'accompagnement éducatif demandé par le ministère. Le constat est très mitigé. Très peu d'élèves viennent pour l'aide aux devoirs. Ils se hâtent de quitter le collège dès l'heure de sortie. Concernant la demi-pension, nous pourrions aussi mettre en place ce type de dispositif. Toutefois, sur deux cent cinquante élèves au total, nous n'avons que vingt demi-pensionnaires.

Enfin, pour rebondir sur les propos de M. Castagné, j'ai enseigné à des élèves du bac professionnel Hygiène et environnement, qui effectuaient des stages en entreprises de propreté. Il s'agit en effet d'un réel métier. Mais nos élèves ne veulent pas entendre parler de ce type d'orientation, notamment en raison des horaires fractionnés.

Marie-Noëlle JULIEN, directrice du territoire Val-d'Oise, fondation Apprentis d'Auteuil

Notre fondation accueille des jeunes en grande difficulté. Nous constatons que ceux qui sont en situation de décrochage scolaire sont souvent issus de familles monoparentales. Nous leur proposons fréquemment la solution de l'internat, qui constitue un bon moyen de raccrochage, à la fois pour leur transmettre le sens de l'école mais aussi pour leur offrir des activités périscolaires. Nous réfléchissons par ailleurs à des pistes d'internats destinés aux jeunes enfants.

Line PAVERNE, coordinatrice de la mission générale d'insertion au collège Anatole-France de Bethoncourt

Je travaille avec des jeunes décrocheurs de seize à dix-neuf ans, et beaucoup avec les entreprises. La diversité des stages professionnels permet des insertions durables. L'entreprise doit être partenaire de l'éducation nationale à tous les niveaux.

Bertrand CASTAGNÉ

Je suis heureux d'entendre ce type de propos de la part d'un acteur de l'éducation. En effet, nous avons besoin que l'éducation nationale ait une vision différente du monde de l'entreprise. À cet égard, le stage d'observation en fin de classe de troisième ne me paraît pas adapté dans sa forme actuelle.

Fabienne KELLER , rapporteure

Je vous propose précisément de travailler sur l'accueil des stagiaires de troisième. Selon moi, ces stages d'ouverture peuvent jouer un rôle fondamental dans les cursus des jeunes. Ils constituent pour eux une rare occasion d'entrer dans un nouvel univers et peuvent les aider dans leurs choix d'orientation professionnelle. Ils ont fait l'objet d'un chapitre dans mon rapport de 2011 car ils constituent un grand moment de ségrégation sociale. Il existe toutefois de belles initiatives à cet égard, notamment celle d'une école de commerce privée de Paris qui aide les collégiens à trouver des entreprises pour faire des stages. Nous avons tous intérêt à soutenir ces stages.

Mme Rania LAMDAOUAR, principale du collège Michelet de Saint-Ouen

À mon sens, le stage de troisième en entreprise ne vise pas à apprendre un métier. Son ambition est de démontrer au jeune qu'il est, lui aussi, capable de trouver un stage, d'activer un réseau, quel que soit le milieu dont il est issu. Il lui offre également la possibilité de s'intéresser à la profession de ses proches, et de comprendre pourquoi l'école lui demande de respecter les horaires, d'adapter son langage, etc. Pour certains élèves indisciplinés, ce stage est une opportunité de voir que, dans un autre contexte, ils peuvent être valorisés. Il serait utile d'interroger des enseignants à ce sujet. Ils diraient combien ces élèves se transforment au travers du stage. Dans mon établissement, sur soixante-treize élèves, soixante et onze ont trouvé eux-mêmes un stage. Nous avons aidé les deux autres à en trouver un. Cela fait partie de notre mission en faveur de l'orientation et de la construction de ces élèves.

Bernard DUNEVON, principal de collège honoraire, Marseille

Dans nos collèges de quartiers sensibles, le taux d'élèves admis à passer en seconde s'élève, dans le meilleur des cas, à 40 %. Sachant que le taux d'échec en seconde est extrêmement élevé dans les quartiers difficiles, les chances de ces élèves d'accéder à des études supérieures sont donc très faibles. Cette situation n'est pas acceptable. Il n'est pas normal que tant d'élèves soient privés de la chance d'obtenir un emploi qualifié. Ces jeunes n'ont pas conscience qu'ils ont aussi le droit de devenir médecin ou professeur. Un tel enfermement culturel est très préjudiciable. Il importe de donner de l'ambition à ces jeunes.

Marie-Noëlle JULIEN, directrice du territoire Val-d'Oise, fondation Apprentis d'Auteuil

Je suis convaincue que la découverte de l'entreprise permet au jeune de sortir de l'école. L'école apporte une ouverture culturelle, une intégration. Pour rester à l'école, il faut que l'école prenne du sens. L'orientation fait partie de ce sens, en particulier par l'intermédiaire des stages. Aider à l'orientation consiste à travailler sur les talents et les désirs. La découverte d'un métier, au travers du stage, permet au jeune de faire un choix d'orientation scolaire. Aujourd'hui, le stage ne peut être réussi que s'il est préparé en amont par l'école et l'entreprise.

Marc VIGIÉ

Le premier mérite de la concomitance de ces deux tables rondes est de nous inciter à privilégier une approche globale. Cette approche nous apprend que l'école ne peut pas tout. Une bonne partie des problèmes qu'elle ne parvient pas à régler lui viennent de l'extérieur. On ne peut parler d'échec de l'école tant que certaines questions sociales ne sont pas résolues.

De même, la violence subie par une bonne partie de nos élèves est d'abord une violence sociale, qui s'exerce sur leurs parents, et d'abord sur les femmes. Les témoignages de ce matin sont à cet égard accablants. Nos sociétés actuelles sont à l'origine d'organisations socio-économiques de plus en plus complexes, qui débouchent sur une forme de brutalisation des personnes. Autrement dit, les problèmes seraient bien moindres dans nos établissements si les parents n'avaient pas deux heures et demie de transport pour se rendre à leur travail, qui plus est souvent précaire.

Enfin, l'école et la société n'évoluent pas au même rythme et ne visent pas les mêmes objectifs. L'époque où l'école intervenait dans la société est malheureusement révolue. L'école doit s'interroger sur son influence réelle sur l'évolution de la société. Pour autant, elle ne doit pas ignorer les problèmes de son environnement. Certains dispositifs sont ainsi expérimentés, avec plus ou moins de succès.

Fabienne KELLER , rapporteure

En effet, l'école innove beaucoup. Certaines innovations mériteraient d'être mieux connues et, peut-être, généralisées.

Yahya CHEIKH

Pour l'intérêt des élèves, il serait souhaitable que les professeurs et les chefs d'établissement revoient les critères d'orientation avant la seconde. Par ailleurs, il conviendrait de mettre un peu d'ordre dans le choix des stages. L'établissement devrait intervenir pour aider les élèves qui n'ont pas la possibilité de se déplacer à Paris.

Emmanuelle BARBARA

La question du stage illustre l'ambiguïté de notre perception du rôle de l'école. Dans une vision héritée de Montaigne, l'école doit aider les jeunes à devenir des citoyens. Mens sana in corpore sano , diraient certains. Une vision plus utilitariste de l'école est axée sur l'orientation professionnelle. En tout état de cause, pour améliorer le lien entre l'école et l'entreprise, il conviendrait que le monde enseignant ait lui-même une appétence ou une compétence pour parler d'un univers qu'à l'évidence il ne connaît pas.

Par ailleurs, la notion de stage est elle-même ambiguë. On s'évertue à ce que le stage ne soit pas comparable à du travail, pour ne pas risquer de pérenniser des situations précaires. À force de chercher à étioler le concept de stage, on ne sait plus à quoi il renvoie.

Roland MEYER

Il me semble essentiel de ne pas oublier que l'acteur central de nos échanges est l'enfant. Ainsi, dans la garde d'enfant, l'enfant doit être le signifiant premier. Dès lors, la question de la garde devient la question du lieu où l'enfant vit, à savoir l'école.

Nous pouvons envisager une révolution en termes de fonctionnement. L'école doit avoir le pouvoir de créer des liens entre l'enseignement et la culture. Dans une telle approche, nous pourrions penser une prospective de manière globale. Si le lieu de l'enfant est l'école, alors la question prospective revient à se demander comment l'école peut créer des liens.

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