Rapport d'information n° 853 (2012-2013) de M. Claude BELOT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 septembre 2013

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N° 853

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 septembre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l'enquête de la Cour des comptes relative aux aides de l' État à la presse écrite ,

Par M. Claude BELOT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le présent rapport retrace les conclusions d'une enquête de la Cour des comptes, réalisée en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), à la demande de votre commission des finances, sur les aides de l'Etat à la presse écrite 1 ( * ) .

L'objectif de la demande du Sénat consistait à évaluer l'efficacité et l'efficience des dispositifs directs et indirects de soutien public aux entreprises de presse, au regard de leur ampleur, à dresser un premier bilan des mesures intervenues depuis 2012 , et à dégager des perspectives de réforme destinées à rationaliser les aides à la presse, compte tenu des contraintes actuelles pesant sur les finances publiques.

Pour cela, trois axes d'étude avaient été retenus :

- Dresser un état des lieux des aides existantes et de leur coût , en passant en revue les différents types d'aides (aides directes et indirectes, soutien de l'Etat à l'Agence France Presse) et en présentant des éléments de comparaison internationale ;

- Examiner la gouvernance des aides à la presse , en mettant l'accent sur le pilotage, le suivi administratif et financier, ainsi que sur les procédures d'évaluation et de contrôle, et en dressant un premier bilan des mesures prévues par le décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 relatif à la réforme des aides à la presse et au fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) ;

- Apprécier l'impact des aides publiques à la presse sur la situation économique de ce secteur , en abordant les problématiques liées aux conditions d'emploi des personnels techniques et des journalistes, aux coûts induits par les différents niveaux de la chaîne de distribution, et aux conséquences des évolutions technologiques sur le modèle économique de la presse écrite.

Selon l'usage, les travaux de la Cour des comptes ont donné lieu, le mercredi 18 septembre 2013, à une audition pour suite à donner , mettant en présence les magistrats chargés de l'enquête, ainsi que les gestionnaires des aides (direction générale des médias et des industries culturelles, direction du budget) et plusieurs de leurs bénéficiaires (syndicat de la presse quotidienne nationale, syndicat de la presse quotidienne régionale, groupe La Poste, syndicat de la presse indépendante d'information en ligne).

La Cour des comptes, dans son rapport très riche, confirme pour une large part les observations formulées depuis plusieurs années sur cette politique publique par de nombreux travaux, notamment depuis 2009, dans le sillage des Etats généraux de la presse écrite (EGPE). Il ressort de son enquête que le secteur de la presse est très fortement soutenu par l'Etat. En effet, les aides publiques représentent de l'ordre de 7,5 % de son chiffre d'affaires . Fort ancien, ce soutien se justifiait à l'origine par la défense du pluralisme. Les états généraux et le plan de relance qui s'en est suivi (2009-2011) ont abouti à un doublement des dépenses budgétaires entre 2008 et 2009 . De surcroît, le niveau de dépenses actuel reste encore bien supérieur à celui de 2008, tandis que la conditionnalité des aides demeure presque inexistante. Or, malgré l'ampleur des aides publiques , l'érosion des ventes se poursuit et la crise du secteur s'aggrave . Les aides sont donc loin d'avoir démontré leur efficacité . Une réforme de cette politique publique , allant au-delà des annonces faites par la ministre en juillet 2013, s'avère par conséquent urgente et nécessaire .

En tout état de cause, votre rapporteur spécial est convaincu de l'impérieuse nécessité, pour les entreprises de presse, de s'adapter aux mutations technologiques. L'Etat n'a pas vocation à le faire à leur place, mais peut les accompagner dans cette transition.

L'enquête de la Cour et l'audition pour suite à donner contribueront, sans aucun doute, à alimenter le débat budgétaire qui s'ouvrira au moment de l'examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », sur le niveau adéquat et la forme que doit revêtir le soutien public à la presse écrite, dans le contexte actuel très dégradé de nos finances publiques.

OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

SYNTHÈSE

Votre rapporteur spécial pointe l'insuffisante conditionnalité des aides et leur manque d'efficacité, ainsi que la faible part des aides spécifiquement dédiées au pluralisme , alors que ce principe constitue la justification première du soutien public à la presse écrite. Il souligne aussi les dysfonctionnements de l'aide au portage et l'incohérence des aides à la diffusion . Enfin, il souhaite mettre en exergue l'impérieuse nécessité , pour les entreprises de presse, de s'adapter aux mutations technologiques , l'Etat n'ayant pas vocation à le faire à leur place.

Au vu de ces constats, parmi les recommandations formulées par la Cour des comptes dans son enquête, votre rapporteur spécial attache une importance toute particulière à la mise en oeuvre des mesures suivantes :

? S'agissant de la refondation des aides à la diffusion : encourager la transition du postage vers le portage par un rééquilibrage des tarifs de ces deux modes de distribution, à travers une baisse de l'aide au transport postal et la poursuite après 2015 de la hausse des tarifs du transport postal ; modifier le calcul de l'aide au portage de façon à privilégier une aide au flux qui serait limitée à la période nécessaire au décollage de cette activité ;

? S'agissant de l'amélioration de la gouvernance des aides : rendre public le montant annuel des aides accordées à chaque titre de presse, en consolidant dans un même document l'ensemble des financements alloués, qu'ils soient directs ou indirects, et en faisant également apparaître le montant des aides par exemplaire ; approfondir la contractualisation avec les entreprises bénéficiant de subventions, en élargissant leur périmètre à l'ensemble des aides allouées et en renforçant l'expertise technique pour en déterminer le contenu et en analyser l'exécution ;

? S'agissant des aides indirectes : harmoniser le taux de TVA de la presse écrite et celui de la presse en ligne à 2,1 % ;

? S'agissant de l'Agence France Presse : procéder, dans la perspective du prochain contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence France Presse (AFP), à l'évaluation des missions d'intérêt général qui doivent être compensées par une subvention pour charges de service public.

I. UN SOUTIEN DE GRANDE AMPLEUR, AUX OBJECTIFS VARIÉS ET AUX OUTILS HÉTÉROGÈNES, POUR AIDER UN SECTEUR EN CRISE

A. UN SECTEUR EN CRISE

Le secteur de la presse est confronté à une grave crise qui s'est accentuée à partir de 2008, sans aucun signe d'amélioration depuis lors. Celle-ci se traduit par l'érosion continue du lectorat, le déclin prolongé de la diffusion , la réduction régulière du nombre de points de vente, la baisse sensible du chiffre d'affaires des ventes, et par un transfert conséquent des recettes publicitaires vers d'autres supports, du fait de la fragmentation croissante de l'offre médiatique.

1. La chute du tirage et de la diffusion

Entre 1990 et 2000, le tirage et la diffusion de la presse payante se maintenaient autour de 6,5 milliards d'exemplaires imprimés par an et 5,25 milliards d'exemplaires diffusés 2 ( * ) . Depuis 2000, on observe une dégradation continue : le nombre d'exemplaires imprimés a chuté en 2010 à 5,32 milliards (- 17,5 % depuis 2000), et le nombre d'exemplaires diffusés à 4,34 milliards (- 16,6 %). De surcroît, la baisse a été particulièrement forte de 2008 à 2010, avec - 368 millions d'exemplaires imprimés et - 181 millions d'exemplaires diffusés .

Le déclin de la presse payante a pour partie été compensé par le développement de la presse gratuite d'information, qui représente un quart des exemplaires de la presse d'information publique et générale (IPG) depuis 2007. Mais la presse gratuite connaît à son tour une légère baisse de sa diffusion (638,7 millions d'exemplaires diffusés en 2010).

Les chiffres de l'année 2012 ne sont guère encourageants, avec une baisse de 3,8 % de la diffusion de la presse payante et de 3,4 % de la diffusion de la presse gratuite d'information par rapport à 2011.

2. Une baisse du chiffre d'affaires liée à la chute des recettes de ventes et à l'effondrement des recettes de publicité

Sur la période 1990-2009, le chiffre d'affaires de la presse éditeurs (qui inclut la presse gratuite), a connu trois phases distinctes : une forte hausse jusqu'en 2000 (en euros courants), de 6,25 milliards d'euros annuels à 10,64 milliards ; puis une stabilisation entre 2001 et 2007, entre 10 et 11 milliards d'euros ; enfin, une forte attrition à partir de 2008, le chiffre d'affaires passant de 10,9 milliards d'euros en 2007 à 10,45 milliards d'euros en 2008, 9,64 en 2009, 9,33 en 2010 et 9,15 en 2011.

Cette trajectoire suit l'évolution des deux principales ressources de la presse (recettes de vente et recettes de publicité 3 ( * ) ) : l'évolution des recettes issues des ventes est comparable à celle du chiffre d'affaires global de la presse. En revanche, les recettes publicitaires ont connu une évolution plus contrastée, avec trois phases de baisse intervenues en 1991, 2001 et 2008. Elles sont passées de 4,8 milliards d'euros en 2007 à 4,56 milliards en 2008 puis 3,88 milliards en 2009, 3,66 milliards en 2010 et 3,58 milliards d'euros en 2011. Les éditeurs de presse considèrent la baisse des recettes publicitaires comme irréversible, dans la mesure où ce marché est désormais partagé avec les nouveaux médias.

De surcroît, la Cour s'est attachée à préciser l'évolution du chiffre d'affaires de chaque type de presse. Elle observe ainsi que, même si l'ensemble des familles de presse est affecté par la crise, la presse quotidienne d'information politique et générale est la plus touchée .

B. DES AIDES HÉTÉROGÈNES, AUX OBJECTIFS MULTIPLES

Le soutien public à la presse est ancien et se justifiait à l'origine par la défense du pluralisme . Cette politique publique donne une traduction concrète à l'objectif à valeur constitutionnelle d'information pluraliste des citoyens. Aujourd'hui, elle répond, également, à deux autres objectifs stratégiques mentionnés dans les documents budgétaires : soutenir le développement économique de la presse écrite et favoriser sa modernisation .

A l'inverse des autres pays développés, la France se distingue par le caractère massif des aides et par le recours à une palette d'aides directes ou indirectes , ciblées ou non, dont certaines sont anciennes (aides au transport postal, taux préférentiel de TVA et aide au transport par la SNCF notamment).

De surcroît, la Cour relève que la « diversification des objectifs et modalités d'intervention de l'Etat a conduit à une accumulation de dispositifs de soutien (...), les suppressions étant beaucoup plus rares que les créations, et à une complexité croissante de cette politique publique ».

Les tableaux suivants récapitulent les montants associés aux différentes aides dont bénéficie le secteur de la presse.

Tableau n° 1 : Total des aides à la presse écrite en 2013

(en million d'euros)

Aides directes (aides à la diffusion, aides à la modernisation, aides au pluralisme)

416,0

Aides indirectes (dépenses fiscales et modalités de calcul de l'impôt)

446,5

Agence France Presse (souscription des abonnements de l'Etat auprès de l'AFP)

119,6

Total

982,1

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2013 de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et rapport de la Cour des comptes

Tableau n° 2 : Aides directes en 2013

(en millions d'euros)

Aides à la diffusion

331,3

Aide au transport postal

249,4

Aide au portage de la presse

37,6

Exonération de charges patronales pour les porteurs de presse

16,9

Réduction du tarif SNCF pour le transport de presse

4,5

Aide à la modernisation de la distribution de la presse

18,9

Aide à la modernisation des diffuseurs de presse

4,0

Aides au pluralisme

12,0

Aide aux quotidiens nationaux d'information politique et générale (IPG) à faibles ressources publicitaires

9,2

Aides aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d'IPG à faibles ressources de petites annonces

1,4

Aide à la presse hebdomadaire régionale

1,4

Aides à la modernisation

72,7

Aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d'IPG

19,7

Fonds stratégique pour le développement de la presse

33,5

Plan IMPRIME

19,5

Total des aides directes

416,0

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2013 de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et rapport de la Cour des comptes

Tableau n° 3 : Aides indirectes en 2013

(en millions d'euros)

Taux super réduit de TVA pour les périodiques

175,0

Déduction spéciale d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés en faveur des entreprises de presse

1,0

Réduction d'impôt pour la souscription au capital des sociétés de presse

0,5

Exonération de contribution économique territoriale (CET) 4 ( * )

210,0

Abattement fiscal au bénéfice des journalistes et des entreprises de presse 5 ( * )

60,0

Total des aides indirectes

446,5

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2013 de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et rapport de la Cour des comptes

1. Les aides indirectes

Les aides indirectes sont les aides de nature fiscale . La plupart d'entre elles sont anciennes et reconduites sans véritable examen de leur pertinence. Par ailleurs, leur coût n'est pas toujours aisément identifiable.

a) Le taux super réduit de TVA à 2,1 %, « socle » de la politique d'aide à la presse écrite

Le taux préférentiel de TVA constitue une aide ancienne (datant de 1920), mais c'est la loi de finances pour 1989 qui a étendu le bénéfice du taux de 2,1 % à l'ensemble des publications agréées 6 ( * ) . Depuis lors, ce taux s'applique aux ventes, commissions et courtage concernant les publications de presse, au moins trimestrielles, payantes et imprimées. En revanche, la presse en ligne ne bénéficie pas de ce régime « historique » favorable et est assujettie au taux « normal » de 19,6 %.

Les conditions légales d'octroi de l'agrément sont peu restrictives, permettant à de nombreux titres de l'obtenir. Le taux réduit est donc une mesure de portée générale en faveur du secteur de la presse . D'après le projet annuel de performances pour 2014 de la mission « Médias, livre et industries culturelles » annexé au projet de loi de finances pour 2014, 1 700 entreprises en bénéficiaient en 2012.

Le coût de cette mesure est resté plutôt stable entre 2001 et 2011, oscillant entre 190 et 205 millions d'euros 7 ( * ) , montants qui en font le dispositif d'aide à la presse le plus coûteux après l'aide au transport postal.

Enfin, l'existence de taux de TVA préférentiels n'est pas une spécificité française : elle constitue au contraire la forme d'aide à la presse la plus fréquente à l'étranger.

b) L'exonération de contribution économique territoriale : un coût indéterminé

Cette mesure, régie par l'article 1458 du code général des impôts (CGI) prévoit l'exonération de contribution économique territoriale (CET) pour toutes les publications de presse, les sociétés coopératives de messageries de presse et les sociétés qui leur sont liées, les agences de presse et les correspondants locaux de presse régionale ou départementale. En outre, les services de presse en ligne reconnus par la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) en bénéficient aussi. Cette mesure ne fait l'objet d'aucun chiffrage récent, ni précis, la dernière estimation l'évaluant à 200 millions d'euros. La Cour souligne donc la nécessité de disposer rapidement d'un ordre de grandeur du coût de cette mesure .

c) D'autres mesures fiscales dont la justification et l'efficacité ne sont pas évidentes

Aux deux aides majeures précédemment citées, s'ajoutent d'autres aides fiscales, dont la justification de la pérennisation est moins évidente.

Il s'agit notamment de l'abattement fiscal au bénéfice des journalistes et des entreprises de presse, d'un montant de 7 650 euros . Celui-ci, instauré dans les années 1930, visait à compenser des frais professionnels importants. Cet abattement s'applique de plein droit, sans que les intéressés soient tenus de justifier l'affectation effective de leur rémunération au paiement de frais professionnels à due concurrence . D'après les calculs de la Cour des comptes, il représente un avantage fiscal non négligeable qui va de 1 850 euros pour un journaliste en contrat à durée indéterminée (CDI) célibataire sans enfant, à 130 euros, pour un journaliste pigiste célibataire avec deux enfants à charge. Son coût budgétaire est estimé à 60 millions d'euros .

Par ailleurs, la Cour cite, au titre des aides indirectes susceptibles de faire l'objet d'un réexamen, deux mesures fiscales en faveur de l'investissement dans les entreprises de presse : le régime des provisions pour les entreprises de presse , prorogé d'année en année en loi de finances, et la réduction d'impôt en faveur des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés qui souscrivent au capital de sociétés de presse . Ces deux mesures visent à répondre au problème récurrent de la sous-capitalisation des éditeurs de la presse française , mais elles ne concernent qu'un nombre très limité de bénéficiaires (respectivement 76 et 50 en 2011), pour un coût inférieur à un million d'euros chacune.

2. Les aides directes

Les aides directes à la presse sont financées principalement sur les crédits de l'action 2 du programme 180 - Presse de la mission « Médias, livre et industries culturelles », pour un total de 396,5 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013. La Cour relève que « le panorama actuel des aides directes fait apparaître une volonté de couvrir l'ensemble des préoccupations du secteur, ce qui se traduit, selon les années, par l'existence d'une quinzaine d'aides classées en trois catégories dans les documents budgétaires ».

Les aides directes se caractérisent, de fait, par leur grande hétérogénéité , due au degré d'ancienneté des dispositifs, à leur montant, au nombre de bénéficiaires des aides et à la nature de ces derniers.

a) Les aides à la diffusion

Elles représentent les trois quarts des aides directes à la presse , dont une majeure partie revient à l'aide au transport postal (60 %). Ce dernier pourcentage apparaît élevé, dans la mesure où ce mode de diffusion n'est pas porteur d'avenir. Au contraire, il est voué à décroître, au profit du portage. Les aides à la diffusion ciblent les deux principales formes de vente de la presse : la vente au numéro dans les points de vente et la vente par abonnement, cette dernière s'effectuant, soit par transport postal, soit par portage. On distingue :

- l'aide au transport postal de la presse , qui constitue la principale aide directe, avec un montant de 249,4 millions d'euros en loi de finances initiale (LFI) pour 2013 8 ( * ) . Elle est versée par l'Etat à la Poste afin de lui permettre d'accorder des tarifs préférentiels à la presse. Votre rapporteur spécial relève que les crédits correspondant à cette aide sont transférés, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, du programme 180 - Presse de la mission « Médias, livre et industries culturelles » au programme 134 - Développement des entreprises et du tourisme de la mission « Economie ». Il regrette ce transfert qui rend complexe la lecture consolidée de l'ensemble des aides au secteur de la presse écrite.

L'aide au transport postal et l'accord tripartite de 2008 entre l'Etat, La Poste et les entreprises de presse

Les articles L. 2 et L. 4 du code des postes et communications électroniques prévoient que la presse bénéficie de tarifs bonifiés de transport postal , au titre des missions de service public de la Poste. Ces tarifs sont fixés par l'Etat.

En 2008, une négociation tripartie a conduit l'Etat, la presse et La Poste à conclure des accords , dit « accords Schwartz » pour la période 2009-2015 . Ceux-ci prévoient l'engagement réciproque de chacune des parties sur des évolutions progressives et programmées : hausse de la productivité de la Poste, hausse des tarifs acquittés par les éditeurs de presse et baisse de la compensation que l'Etat verse à la Poste.

L'ensemble des titres de presse inscrits à la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) au titre de l'aide postale est concerné par l'évolution des tarifs postaux, avec des trajectoires cependant différentes pour la presse d'information politique et générale (IPG) et non IPG , les hausses de tarifs subies par cette dernière étant plus sensibles. Ainsi, l'augmentation des tarifs postaux passerait de 2 % en 2009 à 3,5 % en 2015 pour la presse IPG, contre 3 % et 5 % pour la presse non IPG.

L'Etat compense à la Poste une partie du surcoût ainsi supporté par cette dernière par rapport au tarif postal de service universel, en échange de gains de productivité de l'entreprise matérialisés par la décroissance de la subvention budgétaire 9 ( * ) , qui reflète aussi la baisse anticipée des volumes transportés. A l'issue des accords, le déficit résiduel supporté par la Poste au titre du transport postal de la presse est réputé réglé.

- l'aide au transport par la SNCF , versée par l'Etat à cette entreprise pour lui permettre de réduire le coût de cette forme de transport pour les titres de presse (4,5 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013, et suppression de cette aide en projet de loi de finances (PLF) pour 2014) ;

- l'aide au portage 10 ( * ) de la presse : créée en 1999 et substantiellement remaniée en 2009, elle est versée aux titres de presse recourant à cette forme d'acheminement. Son montant est passé de 8 millions d'euros avant 2009, à 70 millions d'euros en 2009, avec une baisse depuis 2012 (45 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2012, 37,6 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013, et 36 millions d'euros en PLF 2014) ;

- une exonération de charges patronales qui concerne les professionnels chargés du portage , à savoir les vendeurs-colporteurs et les porteurs de presse 11 ( * ) , pour un montant proche de 17 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013. La Cour des comptes relève que cette mesure a fait l'objet d'une sous-budgétisation récurrente et qu'il conviendrait d'accroître la dotation en loi de finances initiale afin de tenir comptes des dépenses réelles . Votre rapporteur spécial se félicite donc de la prise en compte de cette recommandation dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. En effet, la dotation prévue à ce titre s'élève à 21,2 millions d'euros.

En outre, la Cour des comptes classe dans la catégorie des aides à la diffusion deux autres aides relatives à l'acheminement et à la vente de la presse au numéro, pourtant référencées comme aides à la modernisation dans les documents budgétaires :

• l'aide à la distribution de la presse quotidienne (18,9 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013 comme en projet de loi de finances pour 2014), versée aux quotidiens nationaux d'information politique et générale qui la reversent de fait à Presstalis pour contribuer à sa restructuration ;

• l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse , versée aux points de vente porteurs de projets visant à la modernisation de l'espace de vente et à leur informatisation (4 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013 comme en projet de loi de finances pour 2014).

b) Les aides à la modernisation

Elles ont pour objectif d'accompagner les projets des entreprises dans leur processus de modernisation technologique et sociale, et représentent 23 % du total des aides directes à la presse écrite, soit 95,6 millions d'euros . Votre rapporteur spécial s'étonne de la part modeste du soutien public dédié à ce type d'aides, alors que la modernisation des modes de production, de diffusion et de distribution constitue un enjeu majeur pour l'avenir du secteur.

Les aides relatives à la modernisation de l'outil sont regroupées dans le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) créé par le décret du n° 2012-484 du 13 avril 2012 relatif à la réforme des aides à la presse et au fonds stratégique pour le développement de la presse, doté de 33,9 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013 contre 30,9 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2014 , qui comprend trois sections :

• la première est consacrée aux projets de mutation et de modernisation industrielle et bénéficie aux agences de presse, aux quotidiens d'information politique et générale et assimilés et aux quotidiens gratuits imprimés par des entreprises de presse ;

• la seconde concerne les projets numériques : la plupart des services de presse en ligne (SPEL) reconnus par la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) y ont accès, avec une priorité accordée aux SPEL d'information politique et générale.

• la troisième est dédiée au financement d'actions innovantes et au développement du lectorat . Cette section s'adresse aux bénéficiaires des deux autres sections ainsi qu'à certains titres favorisant le débat d'idées.

Il existe, enfin, un dispositif de bonifications pour les actions de responsabilité sociale des entreprises (RSE), collectives ou innovantes.

Les aides sont attribuées par l'Etat sur dossier, après appel à projet, et sur la base de l'avis d'un comité d'orientation où siègent à parité les administrations et les représentants du secteur. Le fonds a disposé de 18,9 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 23,6 millions d'euros en crédits de paiement (CP) en 2012.

De surcroît, la Cour des comptes relève que les crédits affectés au fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) sont particulièrement concernés par les mesures de régulation budgétaire (33 ,7 millions en AE et 38,3 millions en CP en loi de finances initiale pour 2012, pour 24,4 millions d'euros en AE et 28,6 millions d'euros en CP réellement disponibles en 2012). Votre rapporteur spécial s'étonne que ce fonds, outil « rationalisé » par rapport aux dispositifs qu'il remplace, et vecteur essentiel des aides à la modernisation de la presse, soit si affecté par les mesures de régulation budgétaire . Il appelle donc de ses voeux une « régularisation » rapide de cette situation dès 2013, alors que la dotation du fonds paraît déjà mal calibrée pour tenir le rôle central qu'on lui assigne.

Les aides à la modernisation sociale relèvent quant à elles essentiellement du fonds d'aide à la modernisation sociale (18,4 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013), qui regroupe des mesures d'accompagnement en faveur des salariés concernés par la restructuration des imprimeries de presse. Il convient aussi de mentionner à cet égard les crédits du programme 103-Anticipation des mutations économiques et développement de l'emploi de la mission « Travail et emploi », géré par le ministère du travail : 19,5 millions d'euros étaient ouverts en 2013 au titre du plan « IMPRIME 12 ( * ) ».

c) Les aides au pluralisme

Alors que le soutien public à la presse écrite se justifiait à l'origine par le souci de garantir le pluralisme, corollaire de la liberté d'expression, les aides au pluralisme ne représentent que 3 % du total des aides directes à la presse écrite. Au nombre de trois, leur montant total est modeste (12 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013 ) . Elles ciblent les titres de la presse d'information politique et générale présentant une fragilité particulière :

• le fonds d'aide aux quotidiens nationaux d'information politique et générale (IPG) à faibles ressources publicitaires , créé en 1986 et doté de 9,2 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013, contre 8,7 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2014. Le bénéfice de cette aide ouvre également droit à des tarifs très avantageux de transport postal et à une aide accrue au portage. Les bénéficiaires de cette aide sont très peu nombreux : la Croix, l'Humanité, France Soir, Libération et Présent, ainsi que trois quotidiens destinés aux enfants et adolescents, dans des proportions inférieures ;

• le fonds d'aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces , créé en 1989. Doté de 1,4 million d'euros en loi de finances initiale pour 2013, il concernait 18 publications en 2012. Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit une reconduction de ce montant ;

• le fonds en faveur de la presse hebdomadaire d'information politique et générale régionale , créé en 2004. Doté de 1,4 million d'euros en loi de finances initiale pour 2013, il bénéficie à plus de 200 publications. De même, la dotation prévue pour 2014 s'élève à 1,4 million d'euros.

C. UNE AUGMENTATION MASSIVE DES AIDES DANS LE CADRE DU PLAN TRIENNAL 2009-2011

Dans le contexte de crise aiguë de la presse après 2008, une hausse très conséquente des aides budgétaires a été décidée dans le cadre d'un plan triennal couvrant la période 2009 à 2011. Déjà très important, le soutien public annuel à la presse écrite a ainsi progressé de près de 160 millions d'euros à la suite des états généraux de la presse écrite (EGPE) . Cette dynamique budgétaire s'explique principalement par :

• une hausse massive des crédits consacrés au développement du portage, passés de 8 millions d'euros en 2008, à 70 millions d'euros en 2009 , parallèlement à la progression du coût de l'exonération des porteurs de presse, passé de 0 à 8 millions d'euros, puis 17 millions d'euros en 2010 ;

• un moratoire d'un an sur l'aide postale : prenant acte de la brusque aggravation du contexte économique, le Président de la République a décidé que l'application des hausses tarifaires inscrites dans les « accords Schwartz » serait reportée d'un an. Le coût total de cette décision, jusqu'en 2015, est estimé à 192 millions d'euros . Il a représenté 24,5 millions d'euros en 2009, et est estimé à 32 millions d'euros en 2013 ;

• un développement de l'aide à la transition numérique avec la création d'une aide dédiée à la presse en ligne (fonds SPEL) ;

• la mobilisation des crédits publics pour accompagner les réorganisations du réseau de diffusion de la presse, à travers, d'une part, l'aide à la distribution de la presse quotidienne et, d'autre part, les aides exceptionnelles aux diffuseurs de presse .

S'agissant de la première, la Cour des comptes relève que son montant, stable entre 2002 et 2009 (autour de 12 millions d'euros), s'est fortement accru en 2010 (45 millions d'euros) pour faire face aux difficultés croissantes de Presstalis. L'aide reste à un niveau élevé (18 millions d'euros en 2011 et 24 millions en 2012 en exécution). Plus généralement, la Cour des comptes note qu'entre 2002 et 2012, l'Etat a dépensé près de 160 millions d'euros pour l'accompagnement des différents plans de restructuration de Presstalis , dont 86,9 millions d'euros entre 2010 et 2012.

S'agissant des aides aux diffuseurs de presse, deux dispositifs exceptionnels (aides d'urgence) ont été accordés en 2009 13 ( * ) , pour un montant total de 51,3 millions d'euros, puis en 2011 (12,8 millions d'euros). Comme la Cour le souligne, « au total, l'Etat a consacré de l'ordre de 63,4 millions d'euros à deux mesures exceptionnelles qui n'ont eu d'autre objet que d'apporter un secours à un secteur professionnel en difficulté, soit presque le double du montant consacré depuis 2005 à la mesure structurelle de modernisation des points de vente (33,5 millions d'euros sur 7 ans) ». Cet exemple est assez emblématique de l'inefficacité du soutien public à la presse, qui consacre des montants importants à résorber des difficultés économiques récurrentes, sans pour autant inciter le secteur à se réformer .

• la mise en place du programme « Mon journal offert » , opération qui consistait à proposer à tout jeune de 18 à 24 ans un abonnement gratuit d'un an à un journal quotidien de son choix, le journal étant payé par l'éditeur et le transport par l'Etat. Ce projet s'est concrétisé par une hausse de 15 millions d'euros sur trois ans des crédits accordés au fonds de modernisation de la presse . Il a permis d'abonner plus de 200 000 jeunes au quotidien de leur choix, un jour par semaine, pendant un an. Toutefois, cette opération n'a pas eu les résultats escomptés en termes de fidélisation des jeunes lecteurs, et a donc été abandonnée. S'il salue l'idée sous-jacente à ce projet, visant à fidéliser un jeune lectorat, votre rapporteur spécial regrette que les résultats se soient avérés décevants et souligne la nécessité de réaliser un effort d'attraction du jeune public .

La Cour des comptes regrette que la plupart des aides du plan triennal se soient ajoutées aux aides existantes plus qu'elles ne les ont remplacées, rendant encore plus complexe le panorama des aides directes à la presse. De plus, le plan a financé des mesures d'urgence, sans contrepartie, la conditionnalité des aides s'avérant très limitée. Au total, les états généraux de la presse ont abouti à un doublement des dépenses budgétaires (324 millions d'euros en 2009, contre 165 millions d'euros en 2008 en dépenses constatées sur le programme « Presse » hors abonnements de l'Etat à l'Agence France Presse).

Ce niveau élevé de dépenses a ensuite été maintenu, avec 329,1 millions d'euros en 2010 et 298,1 millions d'euros en 2011. De surcroît, malgré la fin du plan d'aides, le niveau des dépenses est encore largement supérieur à celui de 2008 . En effet, les dépenses constatées en 2012 sont encore très supérieures à celles de 2008 (267 millions d'euros, soit + 62 %). Enfin, si le budget initial pour 2013, à périmètre constant, prévoyait la poursuite de la diminution des aides directes à la presse, celles-ci restaient supérieures de 43 % à leur niveau de 2008 .

Votre rapporteur spécial observe toutefois une décroissance plus marquée des dépenses dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 . En effet, à périmètre constant, les aides directes portées par le programme 180 - Presse de la mission « Médias, livre et industries culturelles » passent de 396,5 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013 à 285,6 millions d'euros en projet de loi de finances pour 2014. Cette baisse s'explique principalement par la suppression de la compensation de l'Etat à La Poste du moratoire d'augmentation des tarifs réalisé en 2009 . Hors aides au transport postal, les aides directes portées par le programme 180 connaissent une baisse de 10,7 millions d'euros par rapport à 2013, du fait d'un recentrage sur les aides jugées les plus efficaces pour favoriser les mutations du secteur.

D. LE CAS SPÉCIFIQUE DES RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE L'ETAT ET L'AGENCE FRANCE PRESSE (AFP)

1. L'Agence France Presse, un organisme sui generis dont l'Etat est le principal client

L'Etat est aujourd'hui le premier client français de l'Agence France Presse (AFP). Celle-ci est un organisme de droit privé sui generis 14 ( * ) . Or, ce statut n'est pas sans poser problème à son développement car « cette entreprise sans actionnaire et dégageant des ressources qui sont mobilisées par son exploitation, rencontre des difficultés pour financer ses investissements » .

Depuis 2001, la part des abonnements de l'Etat dans les recettes commerciales de l'AFP est stabilisée autour de 40 % . L'Etat verse à l'agence les sommes correspondant aux abonnements à partir des crédits du programme 180 - Presse  de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Cette dotation progresse chaque année en raison de son indexation sur le taux d'inflation et pour prendre en compte la hausse du taux de TVA de 5,5 % à 7 % entre 2011 et 2012. D'un montant de 105,7 millions d'euros en 2005, les crédits de l'Etat pour l'AFP atteignent 119,6 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013, et 123 millions d'euros dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2014 15 ( * ) .

Trois cent cinquante abonnements sont souscrits par les services de l'Etat, mais leur intérêt pour certains services est discutable . La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) envisage donc de revoir l'ensemble du dispositif et des contenus des abonnements de l'Etat à l'AFP, à partir d'un examen des besoins réels des administrations et d'une renégociation avec l'AFP des tarifs des abonnements .

2. L'Agence France Presse menacée d'une procédure communautaire

Par ailleurs, l'Agence France Presse (AFP) doit faire face à une procédure communautaire. En effet, une plainte a été déposée par une agence de presse allemande auprès de la Commission européenne à son encontre . Le plaignant argue que la France accorderait des aides d'Etat illégales à l'agence française.

Si les sommes versées par l'Etat dans le cadre de ses abonnements sont qualifiées d'aides d'Etat, leur compatibilité avec le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne nécessitera la mise en oeuvre de modifications dites « mesures utiles », destinées à clarifier pour l'avenir les relations financières entre l'Etat et l'AFP, en distinguant ce qui relève des abonnements proprement dit et ce qui relève de la compensation par l'Etat du coût des missions d'intérêt général de l'AFP imposées par le législateur . La procédure est en cours, et pourrait avoir des implications financières et budgétaires en cas de condamnation de la France.

3. Vers la négociation d'un nouveau contrat d'objectifs et de moyens

L'actuel contrat d'objectifs et de moyens (COM) couvre la période 2009 à 2013. Dans ce cadre, l'AFP s'est engagée à accroître ses recettes commerciales, à améliorer ses indicateurs de rentabilité économique, et à moderniser son outil de production technique . La Cour des comptes souligne les limites du modèle économique actuel de l'AFP et le besoin d'une réflexion d'ensemble sur ses missions et ses ressources . En effet, « son statut fortement dérogatoire, qui l'empêche de disposer d'un capital, est de plus en plus inadapté à ses ambitions de développement qui sont désormais moins nationales qu'internationales ».

L'arrivée à échéance du contrat d'objectifs et de moyens implique la préparation du nouveau document stratégique pour la période suivante, qui pourrait être l'occasion de prendre en compte les faiblesses du modèle économique actuel. Toutefois, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) indique que cette négociation ne commencera que lorsque la Commission européenne se sera prononcée sur la plainte déposée à l'encontre de l'AFP .

II. DES RÉSULTATS DÉCEVANTS AU REGARD DE L'AMPLEUR DU SOUTIEN PUBLIC, QUI S'EXPLIQUENT EN PARTIE PAR DES DÉFAUTS DE CONCEPTION ET DE CALIBRAGE DES AIDES

A. DES RÉSULTATS DÉCEVANTS AU REGARD DE L'AMPLEUR DU SOUTIEN PUBLIC...

1. L'ampleur du soutien public et la dépendance du secteur aux aides

Comme le souligne la Cour des compte dans son rapport, « la politique de soutien de l'Etat à la presse écrite est devenue une composante essentielle du fonctionnement du secteur, qu'il s'agisse des éditeurs de presse ou d'autres acteurs majeurs ». En fonction du périmètre retenu, les aides à la presse représentent entre 7,5 % et 11 % du chiffre d'affaires global des éditeurs de presse .

La Cour s'est en particulier intéressée à l'aide globale de l'Etat à chaque exemplaire diffusé. Elle met en valeur le fait que les quotidiens nationaux d'information politique et générale (IPG) et la presse magazine IPG sont les catégories de titres les plus aidées. Parmi elles, ce sont les titres éligibles aux aides au pluralisme qui sont les plus subventionnés (l'Humanité, La Croix et Libération). Il convient cependant de noter que les magazines de télévision apparaissent eux-aussi particulièrement aidés , comme le fait apparaître le tableau n° 4 .

Tableau n° 4 : Estimation du montant des aides à la presse, hors aides

indirectes, par exemplaire diffusé (par montant décroissant)

Titre de presse

Montant annuel de subventions (moyenne sur la période 2009-2001) en €

Diffusion totale France + Etranger (moyenne annuelle sur la période 2009-2011)

Montant subvention /exemplaire diffusé (moyenne sur la période 2009-2001) en centimes

Monde (Le)

18 465 277

97 809 817

19

Figaro (Le)

17 217 154

101 343 030

17

Ouest France

15 784 440

258 956 732

6

Croix (La)

9 988 388

31 656 889

32

Libération

9 908 617

36 533 590

27

Telerama

9 411 822

31 935 825

29

Aujourd'hui en France

9 331 562

61 786 183

15

Nouvel Observateur (Le)

7 800 161

27 071 314

29

Télé 7 jours

7 279 547

76 126 212

10

Humanité (L')

6 761 434

14 219 917

48

Sud Ouest

6 260 812

106 720 006

6

Express (L')

6 232 242

27 395 244

23

Nouvelle République du Centre

5 645 242

61 530 368

9

Voix du Nord (La)

5 445 430

95 019 897

6

Paris Match

5 151 418

35 760 764

14

Dépêche du Midi (La)

5 014 820

68 764 053

7

Echos (Les)

4 513 559

30 785 702

15

Point (Le)

4 501 245

22 151 130

20

Dauphiné libéré (Le)

4 464 330

90 178 748

5

Télé Star

4 451 357

60 578 404

7

Télé Loisirs

4 390 415

56 121 753

8

Dernières nouvelles d'Alsace (Les)

4 035 733

60 618 655

7

Progrès (Le)

3 868 585

81 019 183

5

Petit Quotidien (Le)

3 800 067

ND

ND

Parisien (Le)

3 681 247

102 203 217

4

Télé Z

3 669 232

81 667 765

4

Télégramme

3 555 598

73 217 679

5

Elle

3 413 233

21 290 708

16

Télécâble satellite hebdo

3 390 880

32 635 825

10

Montagne (La)

3 216 097

67 572 258

5

Mon Quotidien

3 139 538

ND

ND

Est Républicain (L')

2 999 986

56 860 210

5

Pèlerin

2 849 399

12 037 997

24

Provence (La)

2 783 573

50 424 722

6

Femme actuelle

2 749 581

49 857 491

6

Nice Matin

2 727 086

38 638 289

7

Challenges - Le News de l'économie

2 384 145

10 810 088

22

Midi libre

2 247 553

53 377 189

4

Télé Poche

1 881 812

28 912 604

7

Courrier de l'Ouest

1 853 381

35 940 335

5

Source : Cour des comptes

2. Les aides à la modernisation : des objectifs partiellement atteints
a) L'efficacité limitée du fonds d'aide à la modernisation et du fonds d'aide au développement des services de presse en ligne

Jusqu'à la création du fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) en 2012, les aides à la modernisation relevaient du fonds d'aide à la modernisation de la presse (FMP) et du fonds d'aide au développement des services de presse en ligne (FDSPEL). La Cour des comptes estime que ces deux dispositifs n'ont pas atteint leurs objectifs. Selon elle, le premier « a fini par se transformer en un système de guichet marqué par une forte cogestion entre les représentants de l'Etat et les bénéficiaires des aides (...) ainsi que par des procédures limitées de contrôle ». Au total, les aides allouées n'ont pas suffisamment incité les entreprises à préparer leur mutation technologique . Le second a pâti d'un champ d'intervention très large. En outre, la proportion des dossiers de presse d'information politique et générale soutenus par le fonds d'aide au développement des services de presse en ligne a diminué au fil du temps, au profit de la presse spécialisée, notamment dans les domaines du sport et du tourisme.

b) L'obstacle du taux de TVA appliqué à la presse en ligne

Le développement du numérique constitue un enjeu central pour la diffusion de l'information . A cet égard, se pose la question de l'investissement que nécessite la transition technologique, et celle de sa rentabilité pour les entreprises, en l'absence de modèle économique stabilisé. L'un des principaux obstacles au développement de la presse en ligne est le taux de TVA qui lui est appliqué (19,6 %), conformément à la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA.

Depuis 2006, les gouvernements successifs ont souhaité remédier à cette situation et obtenir une modification du droit communautaire , mais les démarches sont laborieuses, dans un domaine qui requiert l'unanimité. Le Parlement européen s'est prononcé en faveur de l'adoption d'un taux réduit de TVA, similaire à celui qui s'applique aux mêmes oeuvres physiques.

La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) estime à 5 millions d'euros le manque à gagner pour l'Etat qu'impliquerait, la première année, le passage de la presse en ligne au taux super réduit . Toutefois, ce manque à gagner serait peut-être compensé par le développement corrélatif de la filière et les recettes supplémentaires de TVA qui en résulteraient. Ainsi, au cours de l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, Denis Bouchez, directeur du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) a déclaré : « abaisser immédiatement le taux permettrait, d'après les estimations que nous avons fait réaliser par des cabinets extérieurs, de multiplier par 10 les ventes de contenus, certes sur un taux abaissé. Mais, compte tenu de la multiplication des contenus, cela rapporterait autant, sinon plus, à l'Etat ».

Au-delà de la problématique liée à la TVA, se pose plus généralement la question de la définition du régime fiscal des productions sur support numérique.

3. Les effets insuffisants des aides à la diffusion

La Cour estime que les aides à la diffusion n'ont eu que des effets limités . En effet, elle constate en premier lieu l'aggravation des difficultés du système de vente au numéro , et, en second lieu, une progression limitée du portage dans les ventes par abonnement .

S'agissant du premier point, la situation s'explique en partie par l'incapacité à réformer le système de distribution au numéro issu de l'après-guerre , caractérisé par sa faible productivité et mal adapté à l'évolution des conditions concurrentielles 16 ( * ) . De fait, la situation de Presstalis demeure préoccupante, tandis que les conditions de travail des diffuseurs de presse se sont dégradées (faible rémunération, nombre de point de vente peu élevé) 17 ( * ) .

S'agissant du second point, malgré la forte progression de l'aide au portage - + 775 % entre 2009 à 2011 ( cf. supra ) - les résultats se sont avérés modestes. Une étude rendue par un cabinet indépendant, à la demande du ministère de la culture et de la communication, en mars 2013, conclut que l'aide a principalement permis de renforcer marginalement plusieurs tendances existantes (le développement des volumes portés, celui du nombre de communes desservies, et le portage multi-titres par la presse quotidienne régionale).

B. ... QUI S'EXPLIQUENT EN PARTIE PAR DES DÉFAUTS DE CONCEPTION ET DE CALIBRAGE DES AIDES

1. Une aide au portage qui a souffert de plusieurs défauts qui en ont limité la portée
a) Des aides contradictoires : le cas du portage et du postage

Le soutien public est parfois incohérent. Le cas de l'aide au portage est emblématique à cet égard.

L'ensemble des acteurs du secteur de la presse estime que le portage représente la solution d'avenir pour l'acheminement de la presse aux abonnés , même si le transport postal peut jouer un rôle complémentaire dans les zones à plus faible densité. Pourtant, actuellement, en dépit des avantages du portage, le transport par voie postale occupe en France une place prépondérante, à la différence de nos voisins.

Si les entreprises de la presse quotidienne régionale (PQR) sont parvenues à développer des réseaux propres de portage adaptés à leur zone de diffusion, ce mode d'acheminement reste encore très limité pour la presse quotidienne nationale (PQN). Alors que l'Etat augmentait les aides au portage ( cf. supra ), il maintenait parallèlement l'aide au transport postal à un niveau élevé. En conséquence, les deux aides se sont neutralisées et le portage ne s'est pas développé autant qu'on aurait pu l'espérer, au regard de l'ampleur du soutien . Comme le relève la Cour des comptes, « l'accroissement concomitant du soutien au portage et au transport postal ne pouvait conduire à une substitution progressive du premier mode de transport au second » .

Dans ce contexte, la poursuite, au-delà de 2015, d'une politique onéreuse d'aides simultanées et d'un montant élevé au portage et au transport postal n'est justifiée ni au regard d'un objectif de réduction des déficits publics, ces deux aides représentant l'essentiel des aides directes, ni de l'efficacité du soutien de l'Etat . Ce dernier doit donc s'attacher, à un horizon de trois à cinq ans, à aider le secteur de la presse et les opérateurs de transport à réaliser la transition du postage vers le portage .

b) Le défaut de conception de l'aide au portage, source d'un fort effet d'aubaine

Au-delà de la concurrence avec le transport postal, l'aide au portage a pâti de trois défauts principaux, qui expliquent aussi ses résultats mitigés : d'une part, le mauvais calibrage des deux composantes de l'aide (aide aux stocks et aide aux flux 18 ( * ) ). L'aide aux stocks a représenté 90 % de l'aide au portage en 2009, créant un effet d'aubaine au profit des quotidiens qui recouraient déjà significativement au portage (presse quotidienne régionale et départementale). Or, l'objectif principal était de développer le portage des quotidiens nationaux 19 ( * ) . Malgré un recalibrage du dispositif, le rééquilibrage n'a été que partiel. La question du calibrage de l'aide au portage, et du poids respectif des aides aux stocks et au flux reste donc un point central .

D'autre part, l'aide au flux est calculée sur la base des données de 2008 (antérieures à l'adoption du dispositif), ce qui a réduit à néant son effet incitatif. Enfin, l'aide globale, bien que plafonnée à 30 centimes a, pour certains titres, été supérieure au coût réel du portage supporté par les éditeurs de presse.

c) Un développement très limité de la mutualisation, faute d'une conditionnalité suffisante de l'aide au portage

Les états généraux de la presse (EGPE) avaient souligné la nécessité de renforcer la mutualisation des réseaux de portage , à travers un portage « multi-titres » presse quotidienne nationale/presse quotidienne régionale. Concrètement, au regard des structures existantes, il s'agissait d'inciter la presse quotidienne régionale à assurer le portage de la presse quotidienne nationale, dans le cadre d'une relation commerciale normale. Or, selon la Cour des comptes, le renforcement de l'aide en 2009 n'a donné lieu à aucun engagement concret de la part du secteur. Pourtant, au cours de l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, Jean Viansson-Ponté, président du syndicat de la presse quotidienne régionale, a fait valoir que la mutualisation existe déjà, pour des questions d'intérêt économique : « Nous ne comprenons pas bien ce que signifie la prime à la mutualisation car cette dernière est déjà une réalité : la presse quotidienne régionale acheminait quotidiennement 68 000 journaux nationaux en 2009 contre 90 000 aujourd'hui. L'intérêt économique commun est de développer du chiffre d'affaires sans qu'il y ait besoin d'aide. Pourquoi compliquer davantage le dispositif ? ».

Au total, votre rapporteur spécial prend acte des perspectives de réforme de l'aide au portage annoncée par la ministre de la culture et de la communication. Le projet annuel de performance de la mission « Médias, livre et industries culturelles » annexé au projet de loi de finances pour 2014 indique en effet que « l'aide au portage doit être modifiée en profondeur, pour devenir plus incitative, favoriser le portage multi-titres, y compris des magazines d'information politique et générale. Le calibrage de cette réforme est en cours d'exercice ».

2. Des chiffrages initiaux parfois défectueux
a) Les défauts du calcul de l'aide aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires

La Cour des comptes souligne que cette aide ne prend pas en compte la part des ressources publicitaires dans les recettes totales des différents titres aidés, ni leur niveau de diffusion payante, ce qui a pour effet de biaiser les aides et de manquer l'objectif initial consistant à soutenir des titres ayant des ressources publicitaires limitées. La Cour des comptes plaide donc pour une refonte de cette aide.

b) Les difficultés de calibrage des aides à la modernisation sociale

Deux dispositifs permettant l'attribution d'une allocation spéciale aux travailleurs âgés ayant fait l'objet d'un licenciement pour motif économique ont été adoptés en 2005 et 2006, respectivement pour la presse quotidienne nationale d'information politique et générale, et la presse quotidienne régionale et départementale. Le nombre de bénéficiaires potentiels de ces mesures a été mal calibré et le coût initial de chaque plan revu à la baisse. Malgré tout, les dépenses induites par ces mesures restent très élevées, avec un coût moyen par bénéficiaire, à la charge de l'Etat, de l'ordre de 154 000 euros pour la presse nationale et de 88 400 euros pour la presse régionale . A ces montants s'ajoutent ceux du plan IMPRIME (coût unitaire de 62 000 euros).

3. Un principe de neutralité des aides à la diffusion inexistant dans la pratique

La Cour des comptes constate que le principe de neutralité des aides 20 ( * ) à la diffusion souhaité par le ministère de la culture et de la communication n'est qu'inégalement appliqué. Il s'avère, en pratique, que les décisions des entreprises de presse sont souvent davantage liées au montant des aides publiques qu'à des choix économiques rationnels .

Par ailleurs, la Cour des comptes note que la mission de service public de transport de la presse alimente un déficit récurrent dans les comptes de la Poste qui, s'il tend à diminuer, ne devrait pas disparaître avant plusieurs années.

Face à ce constat, la Cour des comptes s'interroge sur la nécessité, à terme, de maintenir le service public du transport postal en tant que tel ou dans sa forme actuelle, dès lors que la majeure partie du transport des abonnements serait réorientée vers le portage : « l'activité de transport postal visant à assurer l'acheminement de la presse dans des zones peu denses, non couvertes par le portage, pourrait, le cas échéant, relever d'une des missions de service public de la Poste : la contribution à l'aménagement du territoire ».

4. Des aides insuffisamment ciblées

Le ciblage présente l'intérêt de concentrer les ressources financières sur un nombre limité de bénéficiaires considérés comme prioritaires et de maximiser leur efficacité. La Cour des comptes constate que, si le ciblage des aides directes a progressé et constitue aujourd'hui la règle, tel n'est pas le cas des deux aides directes les plus coûteuses pour l'Etat : le taux super réduit de TVA à 2,1 % (175 millions d'euros en 2013) et l'aide au transport postal (249,4 millions d'euros en 2013).

Or, comme le relève la Cour des comptes, « dans un contexte budgétaire contraint, le soutien de l'Etat à des familles de presse économiquement rentables et présentant peu ou pas d'enjeux en termes de pluralisme paraît de moins en moins se justifier ».

III. QUELLES RÉFORMES ?

A. DES INITIATIVES RÉCENTES QUI DOIVENT ÊTRE CONFORTÉES ET ÉLARGIES POUR RÉFORMER LE SOUTIEN DE L'ETAT À LA PRESSE ÉCRITE

A partir de janvier 2011, une instance de concertation présidée par Roch-Olivier Maistre, conseiller maître à la Cour des comptes, a été chargée de définir les modalités d'application des mesures visant à réformer la gouvernance des aides à la presse telles que proposées par le rapport Cardoso 21 ( * ) de septembre 2010. Les travaux de celle-ci, qui réunissait les représentants des différents secteurs de la presse et de l'Etat, se sont achevés en juillet 2011 et ont préconisé une réforme selon trois axes principaux :

- la création d'un espace de dialogue rénové entre la presse et l'Etat pour améliorer la gouvernance des aides ;

- la détermination d'un nouveau partenariat fondé sur le principe de contractualisation ;

- l'évolution de certaines aides directes.

Le décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 relatif à la réforme des aides à la presse et au fonds stratégique pour le développement de la presse marque la concrétisation de ces réflexions. Ses dispositions reprennent en grande partie les préconisations de la mission Cardoso relatives à la distinction entre le pilotage stratégique et la gestion opérationnelle des aides .

Il instaure le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), renforce le pilotage de l'Etat, accroît la transparence sur le montant des aides allouées aux différents bénéficiaires, et préconise la mise en place des démarches de contractualisation, encore inabouties. Ce décret marque donc une première étape dans la volonté de rationaliser le soutien public à la presse écrite .

Toutefois, ces premières démarches doivent être améliorées et confortées. On peut, par exemple, porter une appréciation nuancée sur le Fonds stratégique : s'il a le mérite de regrouper les aides stratégiques au sein d'un outil unique, il reste marqué, dans sa structure et son fonctionnement, par les régimes d'aides qui l'ont précédé, traitant de façon séparée la presse imprimée et la presse en ligne. De même, ces actions gagneraient à être complétées au regard du contrôle et de l'évaluation des aides attribuées.

Afin de prolonger la réflexion sur la réforme des aides à la presse, la ministre de la culture et de la communication a lancé, en janvier 2013, un groupe de travail sur la refondation des aides à la presse , présidé par Roch-Olivier Maistre, qui a rendu ses travaux en avril 2013.

Les principales recommandations étaient les suivantes :

- harmoniser le régime de TVA de la presse , en abaissant sans délai le taux de TVA de la presse en ligne de 19,6 % à 2,1 %, et en conservant le taux uniforme de 2,1 % pour l'ensemble de la presse imprimée ;

- faire du fonds stratégique pour le développement de la presse l'instrument central , en amplifiant ses capacités, en rénovant sa gestion et en ciblant ses interventions sur les projets d'innovation et de mutualisation ;

- rationaliser les aides à la distribution et à la diffusion , en menant à son terme la restructuration de la distribution, en reconsidérant la situation des diffuseurs, en réformant l'aide au portage et en ciblant davantage l'aide au transport postal ;

- affermir la gouvernance , en étendant la contractualisation, en accroissant la transparence, et en systématisant le contrôle et l'évaluation.

B. LA RÉFORME DES AIDES À LA PRESSE ÉCRITE ANNONCÉE PAR LA MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION : DES ANNONCES QUI VONT DANS LE BON SENS, MAIS QUI DEMEURENT INSUFFISANTES

Éclairée par le rapport Maistre d'avril 2013, la ministre de la culture et de la communication a présenté, le 10 juillet dernier, les grands axes de la réforme des aides à la presse retenus par le Gouvernement, qui s'inspirent des recommandations de ce rapport, sans toutefois les reprendre dans leur intégralité.

Le Gouvernement souhaite ainsi réorienter les aides à la presse sur deux objectifs principaux : aider à la mutation des outils et à la monétisation des contenus d'information pour accélérer l'émergence de modèles économiquement viables sur Internet ; garantir l'accès de tous , quelle que soit la forme de la presse, imprimée ou numérique, à une information diversifiée . De plus, il entend généraliser les conventions-cadres avec les principaux titres de presse et renforcer les engagements souscrits par les éditeurs (un malus sera ainsi introduit pour les éditeurs ne respectant pas les bonnes pratiques professionnelles).

La réforme s'articule autour de quatre piliers :

- le maintien du taux super réduit de TVA de 2,1 % pour l'ensemble des familles de presse écrite bénéficiant actuellement de ce taux . En contrepartie, celles-ci devront continuer à participer au financement solidaire du système de distribution de la presse caractérisant la filière depuis l'après-guerre. Par ailleurs, le Gouvernement a affirmé son souhait d'abaisser le taux de TVA des services de presse en ligne, mesure dont la mise en oeuvre sera soumise aux aléas des négociations avec les autorités européennes 22 ( * ) ;

- la réorientation des aides directes en faveur de la modernisation : la gouvernance du fonds stratégique du développement de la presse sera ouverte à des personnalités extérieures spécialistes de la transition numérique. Surtout, la priorité sera accordée aux projets mutualisés et technologiquement innovants ;

- la poursuite de la réforme de la diffusion de la presse ;

Les principales mesures prévues pour réformer la diffusion de la presse

La réflexion sur la complémentarité entre modes de diffusion, portage, postage et vente au numéro est lancée dès à présent pour une mise en oeuvre à l'issue des « accords Schwartz » entre l'Etat, La Poste et la presse. Afin de préparer la transition, il est mis un terme au moratoire sur l'aide postale décidé en 2009 . Le renchérissement progressif du transport postal qui en découlera pour la presse sera déterminé selon les équilibres entre familles de presse dégagés lors des accords Schwartz ;

L'aide au portage sera réformée dans son calcul afin de favoriser le portage multi-titres et cibler plus efficacement les situations dans lesquelles l'aide s'avère pertinente ;

L'Etat continuera à apporter son concours pour pérenniser l'activité de Presstalis et soutenir les kiosquiers.

Source : communiqué de presse du Conseil des ministres du 10 juillet 2013

- une meilleure prise en compte de la dimension sociale du secteur, et notamment de la situation des vendeurs colporteurs de presse et des photojournalistes.

La question du statut et de la rémunération de ces derniers constitue en effet une problématique délicate, à laquelle nos collègues membres de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sont particulièrement sensibilisés. Ainsi, Françoise Laborde déclarait, au cours de l'audition du 18 septembre : « s'agissant des aides ciblées, nous avons récemment fait un déplacement au festival Visa pour l'image de Perpignan. Or, les journaux télévisés utilisent des clichés photographiques qu'ils ne rémunèrent pas, contrairement à la presse écrite. Il y a donc un vrai problème pour les photos-reporters. Nous aimerions donc que certaines aides ciblées puissent également bénéficier aux photographes ».

Si les mesures annoncées vont dans le bon sens, elles demeurent insuffisantes, en particulier en ce qui concerne la question du taux de TVA. A cet égard, votre rapporteur spécial regrette que le Gouvernement n'ait pas pris la décision d'harmoniser sans attendre les taux de TVA respectivement applicables à la presse écrite et à la presse en ligne . En effet, le maintien du taux de TVA à 19,6 % pour la presse en ligne paraît contradictoire avec la volonté de favoriser la transition de la presse vers le numérique et son adaptation aux mutations technologiques, pourtant fondamentales pour l'avenir du secteur. Par ailleurs, votre rapporteur spécial relève que le Gouvernement n'a pas fait preuve de la même frilosité en ce qui concerne l'alignement du taux de TVA applicable au livre numérique sur celui applicable au livre papier, alors que le risque de contentieux communautaire est tout aussi avéré. Votre rapporteur spécial s'interroge donc sur ce manque de cohérence dans la politique gouvernementale .

De surcroît, votre rapporteur spécial estime que le maintien du taux de TVA super réduit au bénéfice de l'ensemble des familles de presse devra s'accompagner de contreparties réelles. De ce point de vue, la « contrepartie » évoquée, selon laquelle celles-ci « devront continuer à participer au financement solidaire du système de distribution de la presse caractérisant la filière depuis l'après-guerre », ne semble guère contraignante. Votre rapporteur spécial appelle donc de ses voeux des engagements précis et concrètement mesurables en la matière .

Enfin, votre rapporteur spécial fait sienne l'appréciation de la Cour des comptes, selon laquelle les mesures annoncées par le Gouvernement « traduisent davantage la volonté de procéder à des ajustements ou à des réorientations dans le cadre des dispositifs existants que celle de revoir les fondements même des aides à la presse » , ce qui, à l'évidence, n'est pas suffisant.

Votre rapporteur spécial observe par ailleurs que les annonces faites par la ministre de la culture et de la communication ont reçu un accueil mitigé de la part des bénéficiaires des aides . Si le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) a salué « la justesse de la vision, et l'équilibre des orientations retenues » 23 ( * ) , le syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL) comme le syndicat national de la presse spécialisée (FNPS) se sont montrés beaucoup plus critiques, « regrettant des décisions budgétaires fondées sur une logique comptable susceptible d'entraîner des distorsions de concurrence dommageables » 24 ( * ) . Par ailleurs, la baisse du soutien public au transport postal de la presse écrite, évolution nécessaire mais douloureuse, suscite de fortes tensions entre le groupe La Poste et les éditeurs de presse sur la répartition du surcoût à payer.

C. LES RECOMMANDATIONS DE LA COUR DES COMPTES : UNE TRAJECTOIRE PERTINENTE DE RATIONALISATION DES AIDES À MOYEN TERME

Au-delà de la réforme présentée par le Gouvernement, la Cour des comptes estime qu'il « n'en demeure pas moins opportun de conduire une réflexion de plus long terme sur les fondements et l'économie générale de la politique publique, dans le but de simplifier et de rendre plus efficaces les dispositifs d'aide, mais aussi de garantir un niveau de dépenses compatible avec la trajectoire générale des finances publiques ».

Elle propose donc une série de recommandations à court terme, et d'orientations, dans une perspective de trois à cinq ans . Votre rapporteur spécial souligne que cette enquête et les recommandations qui en résultent constituent le prolongement et l'approfondissement de l'insertion du rapport public annuel de la Cour des comptes de février 2013, relative au plan d'aide en faveur de la presse écrite mené à l'issue des états généraux de la presse écrite, de 2009 à 2011 , et dont les principales observations et recommandations sont rappelées dans l'encadré ci-dessous.

Les principales observations et recommandations de la Cour des comptes dans son insertion au rapport public annuel 2013 : « Le plan d'aide à la presse écrite 2009-2011 : une occasion de réforme manquée »

Le plan d'aide à la presse écrite 2009-2011 a obtenu des résultats limités , qui se situent en deçà des objectifs de départ et ne sont pas en rapport avec les moyens budgétaires supplémentaires engagés par l'Etat, plus de 450 millions d'euros sur trois ans , ni a fortiori avec le coût total cumulé des soutiens publics qui peut être estimé à 5 milliards d'euros sur cette même période .

L'aggravation de la crise du secteur de la presse écrite concomitante à la tenue des états généraux de la presse écrite a conduit les pouvoirs publics à adopter un ensemble de mesures sans avoir pu procéder à une évaluation préalable des dispositifs existants , ni orienter une partie des moyens financiers vers des mesures d'urgence. Les rares mesures de nature structurelle ne sont pas parvenues à modifier durablement les modes de distribution, ni à adapter le secteur de la presse écrite aux mutations en cours.

Une réforme profonde de la politique d'aide à la presse reste plus que jamais une nécessité compte tenu de son coût et de sa faible efficacité . Elle passe d'abord par la poursuite des actions conduites depuis 2012 par le ministère pour améliorer l'efficacité de la gouvernance et du pilotage de cette politique . Si les orientations définies vont dans la bonne direction, les mesures conduites en matière de contractualisation, de transparence et de renforcement des moyens de contrôle et d'évaluation doivent encore trouver une traduction effective.

Le retour au niveau des dépenses antérieur au plan 2009-2011 s'impose également dans un contexte marqué par les contraintes de maîtrise des dépenses publiques . L'évolution budgétaire suivie depuis 2012, et prévue jusqu'en 2015, témoigne à la fois d'une volonté de réduire le niveau des dépenses et de faire disparaître les rigidités qui empêchent de revenir au niveau de dépenses constaté avant la mise en oeuvre du plan triennal.

Plus regrettable encore, la baisse des crédits prévue par la programmation budgétaire triennale 2013-2015 ne repose pas sur une approche plus sélective de la politique d'aide , qui permettrait de dégager des marges de manoeuvre nouvelles, sans remettre en cause les priorités de l'Etat. Il importe de refonder la stratégie d'intervention de l'Etat pour chacun de ses objectifs prioritaires :

- pour le développement de la diffusion, une mise en cohérence des nombreuses aides existantes s'impose d'ici 2015, date à laquelle les accords relatifs à l'aide au transport postal viendront à échéance ;

- pour la préservation du pluralisme, une réflexion sur le périmètre d'application des tarifs postaux préférentiels et du taux de TVA « super réduit » à 2,1 % paraît nécessaire afin de mieux prendre en compte la situation particulière de chaque famille de presse au regard de l'objectif de préservation du pluralisme et des contraintes pesant sur le niveau de rentabilité économique de leur activité ;

- pour la modernisation du secteur de la presse écrite, le fonds stratégique nouvellement créé doit avoir pour objectif de mieux orienter les interventions de l'Etat sur les projets innovants .

Si, en raison de ses montants, l'aide de l'Etat constitue un levier important de modernisation de la presse écrite, elle n'atteindra ses objectifs qu'à la condition que ce secteur professionnel poursuive lui-même sa mutation avec célérité, en tenant compte des évolutions en cours du secteur des médias, notamment avec le développement des réseaux sociaux .

Or, le contrôle réalisé par la Cour a montré que des évolutions considérées comme le corollaire de l'aide massive de l'Etat , notamment en matière de mutualisation des moyens consacrés au portage, de réduction des coûts de la chaîne de distribution de la presse quotidienne nationale ou d'adaptation au numérique, ont été très modestes pendant la période 2009-2011 .

Au regard de ces constats, la Cour formule les recommandations suivantes :

Concernant la gouvernance et le pilotage des aides :

- mettre en oeuvre de façon effective la contractualisation avec les entreprises bénéficiant de subventions :

- publier le montant annuel des aides accordées à chaque titre de presse ;

- systématiser les procédures d'évaluation et de contrôle et améliorer la cohérence du dispositif.

Concernant la stratégie d'intervention de l'Etat :

- accompagner la baisse programmée des aides publiques d'une réflexion globale visant à :

- mettre en cohérence les différentes aides à la diffusion d'ici 2015 ;

- accentuer leur ciblage en faveur des familles de presse présentant des enjeux en termes de pluralisme ;

- recentrer les aides à la modernisation sur les projets innovants.

Source : rapport public annuel de la Cour des comptes, février 2013 ; Tome I : les observations, volume I-1 : les finances publiques, les politiques publiques ; chapitre IV : deux plans d'aide sectoriels.

Les recommandations à court terme de la Cour des comptes sont précises et portent sur :

- l'estimation du coût et l'évaluation de l'efficacité des aides indirectes ;

- la refonte des aides à la diffusion avec, comme priorité, la transition du postage vers le portage, la sortie des accords tripartites sur le transport postal et la réforme de l'aide au portage ;

- la gouvernance des aides, à travers le renforcement de la transparence par la publication du montant annuel des aides accordées à chaque titre et la généralisation de la contractualisation ;

- les relations financières entre l'Etat et l'Agence France Presse (AFP) à travers l'évaluation des missions d'intérêt général qui devraient être compensées par une subvention pour charges de service publi c, et le passage en revue de l'ensemble des abonnements de l'Etat à l'AFP.

De façon générale, votre rapporteur spécial approuve ces recommandations , dont la mise en oeuvre devrait permettre d'introduire davantage de cohérence, d'efficacité et de transparence dans la mise en oeuvre de cette politique publique. Il prend donc acte des premières mesures prévues en ce sens, notamment la baisse de l'aide au transport postal, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014.

Les orientations s'inscrivent quant à elles dans une perspective de trois à cinq ans, dans la ligne des décisions prises par le Gouvernement. Dans ce cadre, la Cour des comptes élabore un schéma-cible autour de deux grands principes :

- la simplification des aides directes , en ciblant leur impact sur la presse d'information politique et générale et la transition technologique de la filière , à travers le recentrage de l'action du Fonds stratégique pour le développement de la presse sur le soutien aux projets de mutualisation des coûts et aux projets innovants. Par ailleurs, la Cour des comptes préconise la création d'un fonds de soutien du pluralisme dédié à la presse d'information politique et générale ;

- la suppression des aides fiscales dont la pertinence n'est pas avérée , parallèlement au maintien de la mesure d'exonération de contribution économique territoriale et d'un taux de TVA préférentiel à 2,1 % pour l'ensemble de la presse (papier et en ligne).

Votre rapporteur spécial approuve pleinement la trajectoire de réforme proposée par la Cour des comptes . La simplification des aides proposée a l'avantage d'offrir de la visibilité aux acteurs économiques, de cibler davantage les aides sur la nécessaire transition numérique et sur la presse d'information politique et générale, seule garante du pluralisme. Elle devrait donc favoriser le rééquilibrage des aides en faveur des aides au pluralisme et à la modernisation. Néanmoins, contrairement à la Cour des comptes, votre rapporteur spécial estime indispensable d'harmoniser dès maintenant les taux de TVA applicables à la presse écrite et à la presse en ligne, sans attendre l'ouverture des négociations communautaires sur ce sujet qui requiert l'unanimité.

S'agissant de la suppression des aides fiscales non pertinentes, votre rapporteur spécial estime que des évaluations complémentaires sont inutiles : le rapport du comité Guillaume sur les dépenses fiscales et les niches sociales, publié en septembre 2011, a évalué les deux dépenses fiscales en faveur de l'investissement dans les entreprises de presse, et leur a attribué la note de 0.

TRAVAUX DE LA COMMISSION - AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 18 septembre 2013 sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les aides de l'Etat à la presse écrite.

M. Philippe Marini, président . - Nous sommes réunis pour une audition pour suite à donner à l'enquête réalisée par la Cour des comptes sur les aides de l'Etat à la presse écrite. Je rappelle que cette enquête a été menée à la demande de la commission des finances du Sénat, en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Nous avons défini le thème et avons été régulièrement informés du déroulement de cette mission ; avec le concours essentiel du rapporteur spécial de la mission concernée, Claude Belot, nous avons préparé cette matinée.

Il s'agit donc de traiter d'un thème sensible, important sur le plan budgétaire, d'une exception française : les aides de l'Etat à la presse écrite.

Ce sujet revient souvent dans l'actualité, en particulier ces tous derniers temps : la ministre de la culture et de la communication a annoncé au mois de juillet quelques propositions de réforme que nous aurons à aborder. Le sujet des aides à la presse revêt au moins trois dimensions : économique, sectorielle et technologique. Il convient donc de s'interroger sur le niveau et l'adéquation du soutien que l'Etat apporte à un secteur qui, du point de vue de sa diffusion - je me limite à la seule presse écrite - est un secteur en déclin et qui peine à se réformer. Cette aide doit être appréciée alors que la consolidation de nos finances publiques est particulièrement difficile.

En dépit des très nombreuses évaluations réalisées, notamment depuis 2009, sur cette politique publique et ses résultats, nous ne pouvons pas dire que les pratiques ont été réellement réformées ni même substantiellement adaptées.

Par rapport à ses partenaires, notre pays se distingue par une politique de soutien que l'on peut qualifier, du point de vue budgétaire, de particulièrement généreuse, même si elle est sans doute considérée de la part des récipiendaires comme insuffisante. Ce soutien, qui mobilise aussi bien des aides directes qu'indirectes, n'a pas son équivalent chez nos principaux partenaires, où les groupes de presse sont certes plus puissants d'un point de vue capitalistique que les nôtres, et qui estiment que le rapport à la puissance publique serait gravement perturbé par une relation budgétaire susceptible de nuire à l'indépendance des organes de presse.

De surcroît, la grande majorité des aides ne fait l'objet d'aucune conditionnalité, ce qui peut créer une véritable « dépendance » - voire une certaine « addiction » - des entreprises de presse au soutien de l'Etat, sans que l'on puisse constater de résultat tangible en termes de restructuration, de modernisation du secteur et de coup d'arrêt apporté à l'érosion de ses ventes. Dans le contexte actuel des finances publiques, peut-on encore se permettre un tel niveau de soutien, sans contrepartie ? Qui plus est, je voudrais souligner le manque de transparence associé à cette politique, dont on a du mal à mesurer les résultats. Dispose-t-on d'indicateurs de performance suffisamment précis et pertinents pour apprécier l'efficacité des aides à la presse ?

Cette politique ne peut que s'inscrire dans le cadre de la contrainte globale pesant sur les finances publiques. La justification de certaines aides - et je me permets d'en parler à une période où la question des niches fiscales est encore d'actualité - comme par exemple l'abattement fiscal en faveur des journalistes et des entreprises de presse, n'est-elle pas parfois ténue ? De même, comment expliquer que des magazines de télévision, dont la rentabilité économique est supérieure à celle des publications d'information politique et générale, et qui ne contribuent pas à l'objectif de pluralisme, soient presque autant subventionnés que la presse politique et généraliste ? Dans ce domaine, il y a une sédimentation des décisions prises dans le temps et des contradictions nées de cet empilement, mais cela coûte toujours plus cher.

Au total, je m'interroge sur l'avenir, à moyen terme, de notre modèle de soutien public à la presse écrite.

Pour cette audition, je vous propose de procéder ainsi : tout d'abord, M. Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, assisté de MM. Philippe Duboscq et Joël Montarnal, rapporteurs, ainsi que de M. Jacques Tournier, contre-rapporteur, présentera en une quinzaine de minutes une synthèse de l'enquête. Puis le rapporteur spécial Claude Belot s'exprimera, avant que nous entendions les professionnels : M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) ; M. Jean Viansson-Ponté, président du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) ; M. Nicolas Routier, directeur général-adjoint du groupe La Poste, directeur général du courrier et président de SOFIPOST ; M. Maurice Botbol, président du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL). J'ouvrirai ensuite le débat aux sénateurs, et j'inviterai ensuite Mme Laurence Franceschini, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), et M. Alexandre Grosse, sous-directeur de la 8 ème sous-direction du budget, à nous faire part de leurs réactions et de leurs réponses aux propos et questions entendus depuis le début de l'audition.

Cette réunion a également été ouverte aux membres de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, ainsi qu'à la presse.

Je donne maintenant la parole à Patrick Lefas, que nous remercions très vivement, ainsi que ses collaborateurs, pour la qualité et la profondeur du travail accompli.

M. Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes . - J'ai l'honneur de vous présenter un rapport que la commission des finances du Sénat a demandé au titre de l'article 58-2° de la LOLF sur les aides de l'Etat à la presse écrite.

Pour vous le présenter et répondre à vos questions, j'ai à mes côtés Jacques Tournier, président de section, ainsi que Philippe Duboscq et Joël Montarnal, conseillers référendaires.

L'enquête de la Cour avait pour objet d'examiner l'efficacité et l'efficience des dispositifs directs et indirects de soutien public aux entreprises de presse, en abordant les aides à la diffusion, à la modernisation, en faveur du pluralisme, ainsi que le soutien de l'Etat à l'Agence France-Presse (AFP).

Cette enquête a démarré en février 2013. Parallèlement aux procédures d'instruction et de contradiction écrite de la Cour, de nombreuses auditions ont permis de recueillir les analyses et positions de l'administration, des représentants des entreprises de presse et de plusieurs syndicats de salariés dont vous avez invité des représentants. A cette occasion, je salue vos invités avec lesquels, j'en suis sûr, un dialogue fructueux va se poursuivre.

L'enquête s'est également fondée sur les comparaisons internationales disponibles qui mettent en lumière les spécificités du modèle français en matière de soutien à la presse. Enfin, elle a pris en compte les décisions récentes du Gouvernement qui visent à engager un processus de réforme des aides de l'Etat à la presse.

Le rapport qui vous est présenté aborde trois aspects et les questions posées par le président trouveront, je l'espère, un éclairage satisfaisant au cours de mon exposé. Les trois questions sont : la gestion des différents dispositifs d'aides directes et indirectes à la presse écrite ; l'impact de ces aides sur les entreprises de presse confrontées à des difficultés économiques croissantes et à la nécessité d'affronter une transition technologique de la presse sur support papier à la presse sur support numérique ; enfin, la gouvernance de la politique publique en faveur de ce secteur économique et donc en particulier les problématiques de conditionnalité et de transparence dans le cadre du processus conventionnel.

La Cour en tire trois grands constats et 14 recommandations et appelle à une réflexion de plus long terme sur les fondements et l'économie générale de la politique publique.

Le premier constat est que le secteur de la presse écrite est fortement aidé par l'Etat et qu'il en est, de ce fait, fortement dépendant. Ce secteur regroupe environ 2 200 entreprises qui emploient 80 000 salariés, dont 25 000 journalistes, et qui éditent environ 9 000 titres.

Le soutien de l'Etat à la presse est ancien puisqu'il s'appuie sur l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui affirme le principe de la libre communication des pensées et des opinions. Ce principe a été consacré à plusieurs reprises par la loi et, en dernier lieu par le Conseil constitutionnel, pour justifier les aides publiques à la presse, au nom de la défense du pluralisme.

Au fil des décennies, le soutien de l'Etat à la presse a abouti à une politique complexe qui poursuit des objectifs multiples et qui juxtapose de nombreuses aides, directes, sur crédits budgétaires, et indirectes, sous forme d'avantages fiscaux ou - ce qui est moins connu - d'exonérations sociales non compensées par l'Etat et donc prises en charge par le régime général de la sécurité sociale. Cette accumulation d'aides hétérogènes s'est encore accentuée depuis les états généraux de la presse écrite de 2008, avec la mise en oeuvre d'un plan exceptionnel d'aide à la presse sur la période 2009-2011 dont on n'est pas véritablement sorti.

Les aides directes qui s'imputent principalement sur le programme 180 « Presse » du ministère de la culture et de la communication concernent aussi bien la diffusion (308 millions d'euros en 2013) et le soutien au pluralisme (12 millions d'euros) que la modernisation (75 millions d'euros). Il faut également mentionner les crédits versés à l'Agence France-Presse (120 millions d'euros) qui mêlent encore indistinctement l'achat d'abonnements par l'Etat - 350 à ce jour - et la compensation des missions d'intérêt général assumées par cette agence d'envergure mondiale - mais cette situation est appelée à évoluer à l'issue des négociations avec la Commission européenne. En tout, on peut recenser près d'une quinzaine de dispositifs sur le programme 180.

S'y ajoutent les financements émargeant sur d'autres programmes budgétaires. C'est le cas de l'aide au transport postal qui, sans réelle justification, était pour partie financée jusqu'en 2012 par le programme 134 « Développement des entreprises et des services » relevant du ministère de l'économie et des finances. Cette aide est, depuis la loi de finances initiale pour 2013, rattachée au programme 180, conformément aux recommandations formulées par la Cour dans ses notes d'exécution budgétaire. On peut aussi mentionner le plan d'accompagnement social IMPRIME financé par le programme « Anticipation des mutations économiques et développement de l'emploi » géré par le ministère chargé des affaires sociales à hauteur de 19,5 millions d'euros.

Au total, cet ensemble de dépenses budgétaires s'élève, en 2013, à 534 millions d'euros.

Au-delà de ces aides directes, un ensemble d'aides indirectes bénéficie également à la presse écrite. La principale aide est constituée par le taux préférentiel de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 2,1 % qui est appliqué à la presse écrite, la presse en ligne étant imposée au taux de normal de 19,6 % qui sera porté à 20 % au 1 er janvier 2014. Si cette mesure bénéficie in fine aux lecteurs, elle constitue de toute évidence une aide au secteur de la presse en abaissant le prix de vente des journaux, même si cette appréciation est parfois contestée. Son coût pour l'Etat se situe autour de 200 millions d'euros lorsqu'on le rapporte au taux réduit de TVA à 5,5 %, méthode de calcul adoptée dans les documents budgétaires (dans le fascicule des voies et moyens), mais serait proche du milliard d'euros si on le rapportait au taux normal de TVA à 19,6 %.

Il faut, par ailleurs, mentionner plusieurs mesures fiscales anciennes qui font l'objet d'évaluations insuffisantes de leur coût comme de leur efficacité et qui suscitent certaines interrogations quant à leur légitimité.

Ainsi, lors du remplacement de la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale, l'exonération dont bénéficient les entreprises de presse, comme c'était déjà le cas pour la patente, a été reconduite sans réexamen de sa pertinence, et son coût n'a jamais fait l'objet d'une évaluation et demeure donc inconnu.

Les deux mesures existantes en faveur de l'investissement dans les entreprises de presse, inférieures chacune à un million d'euros en dépenses fiscales, s'avèrent de ce fait même très peu utilisées, et leur efficacité n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact.

Enfin, l'abattement fiscal bénéficiant aux journalistes ne fait l'objet d'aucune estimation officielle de son coût, même si les services de l'Etat ont pu, dans le cadre de l'enquête de la Cour, l'estimer à 60 millions d'euros. De plus, les justifications de cette mesure très ancienne, restée inchangée depuis 1998, sont devenues plus incertaines tant au regard des conditions d'exercice du métier, y compris la protection des sources, que du principe d'égalité devant l'impôt au sein de la profession comme à l'égard des autres salariés.

Ces évaluations approximatives ou manquantes empêchent donc un chiffrage exhaustif et précis de la politique d'aide à la presse. Sur la base des seuls chiffrages fiables existants, elle mobilise au moins 700 millions d'euros et plus de 1,5 milliard d'euros si, comme précédemment mentionné, on se réfère au taux normal de TVA. En tout état de cause, si la plupart des autres pays comparables présentent des dispositifs de soutien à la presse, principalement sous la forme de taux préférentiels de TVA, la France se distingue à la fois par l'extrême diversité et le caractère massif des aides à ce secteur économique ; le président Marini a évoqué la question de la problématique de la dépendance de ce secteur au regard de l'aide publique.

Au vu des montants engagés, la politique de l'Etat en faveur de la presse écrite place les éditeurs de presse et les acteurs majeurs du système de distribution (société Presstalis, marchands de journaux) dans un état de dépendance vis-à-vis du soutien public, au point de représenter 7,5 % du chiffre d'affaires des entreprises de presse sur la base des seules mesures officiellement chiffrées. Cette dépendance se mesure tant par la multiplication, depuis une dizaine d'années, de mesures exceptionnelles de soutien, que par le montant élevé d'aide apporté par l'Etat à chaque exemplaire diffusé, comme le montre le tableau qui figure à la page 40 du rapport de la Cour.

A cet égard, il faut rappeler que la mise en oeuvre du plan d'aide 2009-2011 a conduit à un quasi-doublement des dépenses budgétaires : 324 millions d'euros en 2009 contre 165 millions d'euros en 2008 sur le programme 180 « Presse », hors abonnements de l'Etat à l'Agence France-Presse. Ce plan constituait un effort massif mais exceptionnel et limité dans le temps. Or les baisses intervenues depuis 2012 dans le cadre de l'actuelle programmation budgétaire triennale n'ont pas permis, loin de là, de revenir à la situation antérieure au plan d'aide 2009-2011. En 2013, à périmètre constant, c'est-à-dire en neutralisant les effets du transfert des crédits du programme 134, les crédits ouverts sur le programme 180 « Presse » restent supérieurs de plus de 72 millions d'euros à ceux ouverts en 2008, alors que le plan de relance a, lui, été entièrement exécuté.

Les arbitrages à rendre sur le niveau pertinent des dépenses budgétaires et fiscales en faveur de la presse s'inscrivent nécessairement dans le cadre des contraintes de retour à l'équilibre des comptes publics.

Au terme de ce premier constat, la Cour formule les principales recommandations suivantes : estimer le coût de l'exonération de contribution économique territoriale ; évaluer la pertinence des deux mesures fiscales relatives aux investissements dans les entreprises de presse et les supprimer si leur efficacité n'est pas démontrée ; réexaminer les justifications du régime de l'abattement pour frais professionnels des journalistes ; procéder à la juste évaluation des missions d'intérêt général de l'AFP et au réexamen du nombre et de la nature des abonnements de l'Etat à l'AFP.

Le deuxième grand constat est que, pour coûteuses qu'elles soient, les aides à la presse n'ont pas réellement démontré leur efficacité. De nombreux facteurs inhérents à cette politique contribuent à expliquer ces résultats décevants par rapport aux objectifs poursuivis et aux moyens engagés. Ces constatations portent sur les trois grands ensembles d'aides directes à la presse : les aides à la diffusion et à la distribution, les aides au pluralisme et les aides à la modernisation.

Les aides à la diffusion et à la distribution de la presse, qui visent à réduire son coût d'acheminement vers les lecteurs, présentent en premier lieu des contradictions majeures entre les objectifs poursuivis, dont l'exemple le plus frappant concerne l'aide au portage et l'aide au transport postal. De l'avis général, l'acheminement par des porteurs est plus rapide que l'acheminement par voie postale et donc mieux adapté aux délais très contraints de distribution de la presse quotidienne, notamment pour les abonnés (puisqu'ils peuvent trouver leur journal dès 6h30 dans leur boîte aux lettres). A la suite des états généraux, l'Etat a donc logiquement fait du développement du portage une priorité et accru son aide de plus de 60 millions d'euros.

Pour atteindre cet objectif, il aurait fallu baisser parallèlement l'aide au transport postal afin de permettre une substitution progressive du portage au postage. Or, de manière peu cohérente, l'Etat a non seulement maintenu un niveau élevé d'aide au transport postal à hauteur de 242 millions d'euros de 2009 à 2011, mais il a aussi accepté le principe d'un moratoire qui a retardé d'un an la hausse des tarifs postaux et coûte de l'ordre de 25 à 30 millions d'euros chaque année. Cette contradiction n'est toujours pas levée en 2013 : bien que la priorité au portage demeure, l'aide qui lui est consacrée a été ramenée à 37,6 millions d'euros alors que l'aide au transport postal, moratoire inclus, avoisine encore les 250 millions d'euros.

Circonstance aggravante, les modalités d'attribution de l'aide au portage ont été mal conçues en 2009, de telle sorte que l'aide a surtout bénéficié aux entreprises qui recouraient déjà au portage, en particulier la presse quotidienne régionale, alors que l'Etat souhaitait surtout développer le portage de la presse quotidienne nationale, encore trop limité. Les chiffres sont éloquents, en 2009 et 2010, la presse régionale a reçu près de 80 % de l'aide contre 20 % seulement pour la presse nationale.

Si ce défaut de calibrage initial a été corrigé, le débat demeure sur les modalités d'attribution et de calcul de l'aide au portage, en particulier sur la répartition des crédits entre une aide fondée sur le nombre total d'exemplaires portés (c'est-à-dire l'aide au stock) et une aide fondée sur la progression annuelle du nombre d'exemplaires portés (appelée aide au flux). On peut observer que les différentes familles de la presse quotidienne ont, à cet égard, des points de vue différents.

L'ensemble de ces facteurs explique notamment la progression modeste du portage au regard des montants engagés et des objectifs annoncés lors des états généraux.

La politique de soutien de l'Etat à la diffusion et à la distribution de la presse présente d'autres défauts majeurs. Alors que l'Etat revendique une neutralité de son intervention afin de ne pas influer sur les choix faits par les éditeurs de presse, l'enquête de la Cour a montré qu'elle bénéficie plus à certains titres qu'à d'autres en fonction des modes d'acheminement que ceux-ci ont privilégiés.

La juxtaposition, sans aucune cohérence d'ensemble, de dispositifs d'aide conçus à des périodes différentes avec des modalités d'attribution très diverses, conduit en effet à rendre tel mode de transport plus intéressant qu'un autre, indépendamment de toute logique économique. Elle a, en outre, pour effet de ne pas inciter les entreprises à opérer des choix rationnels, par exemple en mutualisant leurs réseaux.

Cette politique conduit enfin à des situations de déficits structurels comme ceux constatés dans les comptes de La Poste où la mission de service public de transport de la presse occasionne encore un déficit de plus de 280 millions d'euros en 2012.

S'agissant maintenant du deuxième grand ensemble d'aides, les aides au pluralisme, qui passent principalement par un ciblage des aides sur la presse d'information politique et générale, des défauts persistent et réduisent leur efficacité.

L'enquête de la Cour a ainsi constaté que les modalités de calcul de l'aide aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires, qui bénéficie principalement à quatre titres nationaux - vous trouverez le détail dans l'enquête de la Cour - étaient déconnectées du nombre d'exemplaires diffusés comme de leur pourcentage de recettes publicitaires.

Autre constat de la Cour, le ciblage des aides sur la presse d'information politique et générale reste insuffisant, en particulier en matière de bonifications de tarif de transport postal, et conduit donc à une dispersion des moyens engagés par l'Etat. Est-il conforme à cet objectif de ciblage que les magazines de télévision bénéficient d'un taux bonifié proche de 60 % du tarif universel, ou plus largement, que 46 % de l'aide au transport postal, soit 100 millions d'euros, aille à des familles de presse qui ne présentent pas d'enjeu majeur au regard de l'objectif de préservation du pluralisme qui constitue la principale justification des aides de l'Etat ?

Enfin, s'agissant du dernier ensemble d'aides à la presse, les aides à la modernisation, les résultats sont pour le moins incertains puisque ces aides ont servi, par exemple, au financement d'achat de rotatives, alors même que décroît le lectorat sur support papier ; au développement de sites de presse en ligne consacrés à des pratiques sportives ou alimentaires, ou encore à l'achat de téléphones portables. En d'autres termes, ces aides paraissent avoir insuffisamment incité les entreprises à engager leurs nécessaires mutations technologiques dans un contexte général marqué par le développement de la presse sur support numérique. Ce phénomène est accentué par le fait que la presse en ligne ne bénéficie pas du même taux de TVA que la presse sur support papier, et les arbitrages récents du Gouvernement n'ont pas remis en cause cette situation.

Si les moyens importants engagés par l'Etat ont probablement permis d'atténuer quelque peu les effets de la crise, ils n'ont pas eu d'effet structurel notable. La crise de la presse persiste et tend même à s'accroître. Les difficultés aiguës de restructuration de la messagerie Presstalis, que le rapport analyse en détail, et la diminution du nombre de créations nettes de points de ventes de la presse, c'est-à-dire les marchands de journaux, en témoignent. Les données relatives à la diffusion de la presse au cours du premier semestre 2013 le démontrent également : par rapport à 2012, la plupart des titres de la presse nationale voient leur diffusion diminuer de 5 % à 14 %, ceux de la presse régionale de 4 % à 7 %, les magazines n'étant pas davantage épargnés avec des baisses pouvant dépasser les 20 %.

En donnant des signaux de prix contradictoires, en n'incitant pas à la constitution d'opérateurs du portage, en n'encourageant pas suffisamment les projets innovants concourant à l'émergence d'un modèle économique viable, la politique publique n'a eu pour effet que de freiner ou de retarder les nécessaires évolutions technologiques. En effet, un double défi reste à relever pour les sites de presse en ligne : une tarification adaptée aux attentes des lecteurs en contenu et en images en s'inspirant des meilleures pratiques étrangères et une optimisation de leurs recettes publicitaires dans un marché devenu fortement concurrentiel.

Au terme de ces constats, la Cour formule les principales recommandations suivantes : encourager la transition du postage vers le portage ; réaliser une évaluation incontestable sur le coût réel pour La Poste de la mission de service public de transport de la presse et sur l'écart entre les tarifs du service public et ceux du service universel ; mieux moduler le calcul de l'aide aux quotidiens nationaux d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires en fonction du pourcentage de recettes publicitaires et du nombre d'exemplaires diffusés.

Le troisième grand constat est qu'en matière de gouvernance des aides à la presse, les ajustements récemment opérés restent encore insuffisants au regard des enjeux.

Bien que centrale, la question de l'amélioration de la gouvernance des aides à la presse n'a été abordée qu'à l'issue du plan d'aide 2009-2011, avec la publication du décret du 13 avril 2012 relatif à la réforme des aides à la presse et au fonds stratégique pour le développement de la presse.

Les mesures prises vont incontestablement dans le bon sens en renforçant les moyens de pilotage de l'Etat. A ce titre, elles accroissent la transparence sur le montant des aides allouées qui font désormais l'objet d'une publication sous une forme, il est vrai, encore perfectible. Comme le président l'a signalé, cette transparence n'est pas encore totale dans le cadre conventionnel qui régit désormais les relations entre l'Etat et les entreprises de presse. Elles instaurent également des démarches de contractualisation avec les bénéficiaires, ce qui constitue une étape indispensable pour renforcer la pertinence et le suivi des soutiens publics aux entreprises de presse. Enfin elles mettent en place une globalisation des aides à la modernisation de la presse, en fusionnant plusieurs dispositifs qui faisaient l'objet d'une gestion trop cloisonnée.

Toutefois, à la date d'achèvement de l'enquête de la Cour, ces mesures n'étaient que très partiellement mises en oeuvre.

Des lacunes importantes persistent, tout particulièrement dans le domaine du contrôle et de l'évaluation des aides allouées, mais aussi des indicateurs. Les anciennes commissions de contrôle des aides à la modernisation ont été supprimées, sans que soit encore formalisé un cadre institutionnel et méthodologique pour pallier une telle carence.

De plus, l'Etat ne dispose encore que de données lacunaires pour appréhender la situation économique du secteur de la presse et pour mesurer l'impact de la transition technologique vers le numérique. Des progrès en matière de transparence sont encore indispensables pour permettre à l'Etat de pouvoir réellement apprécier l'efficacité de son soutien au secteur de la presse.

Au terme de ce troisième grand constat, la Cour formule les principales recommandations suivantes : rendre public le montant annuel des aides accordées à chaque titre de presse, en consolidant l'ensemble des financements ; approfondir la contractualisation ; mettre en oeuvre des procédures effectives d'évaluation et de contrôle ; réaliser périodiquement des études permettant d'apprécier les niveaux de rentabilité respectifs des différentes familles de presse.

Au-delà de ces constats et des 14 recommandations que nous formulons, la Cour appelle à une réflexion à moyen terme dont les quatre axes de réforme présentés en Conseil des ministres, le 10 juillet 2013, par la ministre de la culture et de la communication, constituent, à notre avis, la première étape.

Le rapport propose, en conclusion, des orientations qui visent à remédier de manière plus structurelle aux faiblesses de la politique publique en faveur de la presse écrite.

L'objectif que la Cour propose de poursuivre est, à la fois, de simplifier cette politique en réduisant fortement le nombre de dispositifs ; de mieux maîtriser les dépenses que celle-ci entraîne, dans un contexte contraint pour l'Etat, en rappelant notamment le caractère exceptionnel et limité dans le temps de l'effort financier consenti par l'Etat de 2009 à 2011 ; de centrer les soutiens publics sur les deux objectifs majeurs, que sont, d'une part, la préservation du pluralisme qui conduit à concentrer l'aide sur la presse d'information politique et générale, cette famille de presse étant de surcroît la plus fragile sur le plan économique ; et d'autre part, la modernisation, les projets devant être soutenus, non pas en fonction des intérêts particuliers des entreprises, mais dans le souci d'inciter l'ensemble de la filière de la presse à assumer sa transition technologique.

Afin de donner corps à ces orientations, le présent rapport suggère, sous la forme d'un schéma-cible, une nouvelle architecture des aides à la presse qui s'articulerait autour de quatre mesures, deux aides indirectes et deux aides directes. Les dispositifs fiscaux dont la pertinence ne serait pas établie devraient être remis en cause, hormis le taux préférentiel de la TVA qui devrait être étendu à la presse en ligne et à l'exonération ancienne de contribution économique territoriale, dont il faudrait évaluer le coût avec précision ; les aides à la distribution et à la diffusion seraient supprimées, en raison de leur manque de cohérence globale, au profit d'un fonds de soutien au pluralisme qui serait exclusivement dédié à la presse d'information politique et générale, le soutien de l'Etat en faveur de cette famille prioritaire n'étant dès lors pas affecté par les réductions budgétaires ; une partie des économies dégagées dans le cadre de cette réforme (entre 135 et 150 millions d'euros selon les hypothèses retenues) pourrait, outre l'abondement du nouveau fonds de soutien au pluralisme, être réinvestie dans le fonds stratégique pour le développement de la presse dont l'impact en faveur de la modernisation se trouverait ainsi renforcé.

Le schéma de réforme proposé par la Cour pourrait être mis en oeuvre dans un délai de trois à cinq ans, cet horizon étant indispensable pour permettre aux acteurs économiques de s'y préparer, compte tenu du contexte de crise et de mutation auxquels ils sont confrontés. Il n'impliquerait nullement la remise en cause des mesures récemment annoncées dont il constituerait, au contraire, un prolongement logique.

Au terme de cette présentation du rapport de la Cour, nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Philippe Marini, président . - Avant de passer la parole au rapporteur spécial Claude Belot, je propose à notre collègue Françoise Laborde, en tant que représentant de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, de nous faire part de ses observations.

Mme Françoise Laborde . - Merci de m'accueillir ici au nom de Marie-Christine Blandin. Cet exposé est très éclairant car nous avons l'habitude, au sein de la commission de la culture, de travailler de façon séquencée, notamment au moment de l'examen du budget, et nous avons ici un exposé global clair pour l'ensemble de la presse écrite. Pour ma part, je crois que le fort soutien de principe à ces entreprises est légitime du point de vue de la démocratie ; mais ce soutien est contesté en raison, notamment de son manque de transparence.

J'insiste sur le fait que nous sommes en pleine évolution, avec le développement du numérique et du portage : ceux qui sont attachés à la presse écrite préfèrent la lire le matin.

S'agissant des aides ciblées, nous avons récemment fait un déplacement au festival Visa pour l'image de Perpignan. Or, les journaux télévisés utilisent des clichés photographiques qu'ils ne rémunèrent pas, contrairement à la presse écrite. Il y a donc un vrai problème pour les photos-reporters. Nous aimerions donc que certaines aides ciblées puissent également bénéficier aux photographes.

Par ailleurs, il faut en effet aider la transition vers le numérique.

M. Philippe Marini, président . - Merci d'ajouter cette question des photos-reporters, qui est en effet un sujet en soi.

M. Claude Belot, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles » . - Je remercie le Président Patrick Lefas et ceux qui, à la Cour des comptes, nous ont éclairé sur une politique essentielle à la démocratie mais qui présente des problèmes structurels. Je suis rapporteur spécial de cette mission depuis quinze ans, les difficultés sont toujours les mêmes et je constate que rien n'a vraiment changé, sauf la stratification continue des dispositifs d'aides nouvelles créées pour éteindre un incendie dans telle ou telle catégorie de presse.

Tout le dispositif des aides à la presse est né après la Seconde guerre mondiale, pour faire renaître notre démocratie - je pense notamment à la loi Bichet de 1947. Mais cette aide au pluralisme ne représente que 12 millions d'euros, à peine plus de 3 % ! Or, c'est toujours cette justification que l'on met en avant. Pourtant, les difficultés et les rigidités du secteur sont profondes, qu'il s'agisse de la production, les concentrations n'ayant pas eu lieu, du transport - notamment du transport par La Poste, qui représente 60 % de la diffusion - et de la modernisation, la révolution numérique ne faisant que commencer. Sur ce dernier point, la presse française est en retard par rapport à nos voisins : certains journaux, qui restent en dehors du numérique, risquent de disparaître car la jeune génération lit de moins en moins la presse papier.

Au total, notre presse réussit le tour de force d'être à la fois la plus aidée et la plus en difficulté en Europe. Il y a un problème existentiel pour certains titres, mais aussi pour le transport. Ce n'est pas qu'une question financière, l'enjeu est de conserver une presse francophone de qualité.

Je remercie à nouveau la Cour dont le travail nous permet de sortir de « l'impressionnisme » et de donner une vision à la fois globale et précise de la situation.

La Cour relève plusieurs incohérences dans le dispositif actuel : pourquoi la presse quotidienne régionale (PQR) bénéficie-t-elle de quatre fois moins d'aides que la presse nationale ?

Par ailleurs, en 2008, nous avions décidé de faire arriver le journal avant le petit-déjeuner pour tous les Français, où qu'ils soient : il s'agissait donc de développer les aides au portage, que la PQR avait déjà anticipé. Mais ce plan n'a pas eu les effets escomptés : les marchands de journaux sont toujours incontournables pour accéder à la presse nationale, les synergies n'ont pas été trouvées, mais les dispositifs mis en place sont coûteux, sans que l'aide au postage n'ait été réduite !

De surcroît, l'aide au pluralisme représente peu de choses mais elle constitue un aspect symbolique du dispositif. Enfin, s'agissant des aides à la modernisation, la Cour nous montre qu'elle a été utilisée pour l'achat de machines - ou de téléphones portables ! - alors qu'elle avait été conçue pour assurer la transition numérique.

Au total, comment les représentants de la presse ici présents voient-ils l'avenir de leur métier ?

Aux pouvoirs publics, je voudrais demander quelle est la cohérence à créer un fonds stratégique pour le développement économique de la presse pour rationaliser l'ensemble du dispositif d'aide, mais sans l'abonder - ou trop peu ?

Nous sommes, je le crois, à un tournant et il faut donner plus d'efficacité au milliard d'euros d'aides à la presse, faute de quoi nous aurons bientôt une presse écrite à Londres ou à New York et traduite par une machine en français...

M. Philippe Marini, président . - Avant de lui passer la parole, je voudrais poser une question provocatrice à Denis Bouchez : qu'est-ce qui s'opposerait à ce que chaque titre de presse publie le montant total des aides annuellement reçues ?

M. Denis Bouchez, directeur du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) . - Je vous remercie et je remercie également la Cour des comptes pour son travail. Pour répondre à votre question, on peut jouer la transparence dans une certaine mesure seulement. Pour les journaux, les aides directes sont connues, elles rentrent même dans le compte d'exploitation de chaque entreprise. En revanche, il est difficile de quantifier les aides indirectes. C'est notamment le cas de l'aide au postage, calculée au prorata de la diffusion des journaux, mais dont les éditeurs ignorent, de fait, le montant exact.

Il y a en réalité deux grandes questions à ne pas confondre. La première est de savoir si notre secteur est capable de se moderniser. Je pense quant à moi, malgré les critiques récurrentes, qu'il s'agit d'un secteur dynamique, qui a su développer une offre numérique et dispose d'une audience massive, notamment auprès des jeunes. La seconde question, distincte de la première, est de savoir si le soutien public au secteur est efficace.

Le chiffre d'affaires global des entreprises de presse s'établit autour de 9 milliards d'euros. C'est un milliard de moins qu'il y a dix ans, mais le nombre des ventes, quant à lui, s'est maintenu. En réalité, la baisse de l'activité correspond à une baisse des recettes publicitaires, en raison, notamment, d'un transfert vers les acteurs technologiques.

La diffusion papier est en érosion mais le portage connaît une dynamique positive. Surtout, il y a une vraie évolution vers les nouvelles technologies, dans lesquelles les journaux français ont investi massivement. C'est le cas d'Internet, avec 25 millions de lecteurs, des téléphones intelligents, avec 8 millions de lecteurs et des tablettes, depuis deux ans, avec 3 millions de lecteurs français. Certes, les jeunes consultent ces sites mais il reste difficile de leur vendre du contenu. Cependant, de façon générale, la presse française a fait sa transition vers le numérique.

La presse écrite représente 200 000 emplois et emploie 66 % des journalistes français. C'est là qu'est l'expertise, la profondeur de l'analyse.

S'agissant de l'impression, le parc a été modernisé, en particulier vers le tout-couleur pour séduire les lecteurs et les annonceurs. Les imprimeries sont désormais communes à plusieurs journaux. Cette modernisation a certes été aidée mais elle n'en est pas moins réussie.

S'agissant du portage, on constate, dans les pays voisins, que la presse quotidienne régionale est forte dès lors qu'il existe un réseau de portage. Il s'agit d'un levier de développement et d'attractivité important, car on peut capter ce moment privilégié du petit-déjeuner, où le journal n'est pas en concurrence avec la télévision. Développer le portage est un défi compliqué car il faut aller chercher les lecteurs, constituer des listes d'adresse, etc. mais la démarche est lancée et il faut la poursuivre. La presse quotidienne régionale a les réseaux nécessaires et nous devrions davantage travailler en synergie pour s'appuyer sur cet acquis.

De façon générale, en matière de soutien public, les entreprises ont besoin d'aides qui soient prévisibles, qui anticipent sur les besoins des acteurs et qui donnent une vision pluriannuelle, pour éviter les à-coups liés au principe d'annualité budgétaire. Il faut une politique de soutien qui s'inscrive dans le long terme.

M. Philippe Marini, président . - Mais comme le disait Lord Keynes, à long terme, nous serons tous morts... Je souhaiterais également ouvrir le débat sur les conditions de fonctionnement du futur fonds Google.

M. Jean Viansson-Ponté, président du syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) . - Nous avons encore entendu que la presse française était une exception et la plus aidée du monde. Je pense que nous n'avons pas à avoir honte car si, pour nos confrères irlandais ou britanniques, la comptabilité publique prenait en compte le taux zéro de TVA qui leur est appliqué, si leurs gouvernements prenaient la décision de soutenir une grande agence internationale d'information et imputaient ce soutien sur le budget de la presse au même titre que l'aide à la Poste et aux opérateurs de portage, je pense que l'on pourrait dire la même chose de ces pays-là.

Par ailleurs, il me semble qu'il faut distinguer ce qui relève de l'aide ponctuelle pour soutenir des phases de transition, compte tenu du rôle d'information de la presse et de pivot du jeu démocratique, de ce qui relève de la contrepartie au déficit structurel du secteur en raison de cette mission d'intérêt général. Aujourd'hui, la presse quotidienne régionale (PQR) a 18,5 millions de lecteurs par jour pour 5,2 millions de journaux vendus. Sur les sites Internet, nous retrouvons 16 millions de visiteurs uniques tous les mois et 700 millions de pages vues. Le papier représente 90 % de notre économie, contre à peine 10 % pour le numérique. Nous sommes dans une phase de transition où, contrairement aux pure-players , nous devons réadapter l'ensemble de notre structure. Pour la PQR, 5 500 journalistes garantissent le professionnalisme de la presse. La société vers laquelle nous allons n'est pas une société sans papier mais une société multi-supports. Cela signifie que soutenir la distribution n'est pas jeter l'argent de l'Etat par la fenêtre.

L'efficacité, l'équité et la transparence sont des impératifs s'agissant d'argent public et encore plus en période de crise. Nous saluons donc les études qui sont faites et sommes demandeurs de la transparence.

Après ces considérations préliminaires, je voudrais maintenant aborder la problématique de la distribution. En France, un quotidien régional est vendu en moyenne un euro, dont un coût d'acheminement postal de 66 centimes par exemplaire, ce qui représente une part très importante. La participation demandée pour l'acheminement de la presse nationale est, quant à elle, de 45 centimes par exemplaire. Par comparaison, nos confrères de la presse belge effectuent cet acheminement pour 20 centimes. En France, qui est un pays peu dense, - trois fois moins que la Belgique -, l'aide à l'acheminement et à la distribution est le type d'aide structurelle nécessaire qui permet de maintenir le prix de vente au public à un niveau acceptable.

Dans cette logique d'empilement « presse - la Poste », les abonnements à la presse régionale sont acheminés à 10 % par la poste. La contrepartie du service postal à ce titre aura été de 40 millions d'euros en 2012. Parallèlement, pour acheminer 50 % de sa diffusion par portage, la PQR a perçu 30 millions d'euros. Cela pose question et nous partageons les constats de la Cour mais nous n'arrivons pas aux mêmes conclusions. L'année dernière, l'abondement moyen par quotidien régional posté a été de 24 centimes, contre seulement 3,5 centimes pour un journal porté. De plus, selon les titres, toute catégorie confondue, l'aide à l'exemplaire peut aller de 2,5 centimes à 25 centimes selon les éditeurs. Ces écarts posent question.

Globalement, j'estime, contrairement à la Cour des comptes, que le portage est une réussite. Sur la décennie 2002-2012, le portage de la PQR a augmenté de 12 % alors que tous les autres canaux ont chuté de 37 %. En outre, la couverture par les réseaux de portage de la PQR a augmenté entre 2009 et 2012 de 13 %. Cela représente une couverture totale de 25 000 communes de France, soit 67 % des communes. Nous avons créé des emplois de porteurs, le plus souvent à temps partiel, dont le nombre est aujourd'hui de 22 500.

M. Philippe Marini, président . - 22 500 personnes ou équivalent temps plein ?

M. Jean Viansson-Ponté, président du syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) . - Il s'agit bien de personnes.

M. Philippe Marini, président . - C'est loin d'être négligeable en matière d'emplois !

M. Jean Viansson-Ponté, président du syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) . - Et nous pouvons constater que la loi « Seguin » du 3 janvier 1991 a permis de développer un réseau de portage efficace sur la France entière. Pour présenter une vision prospective de l'aide à la distribution, il faut rappeler que l'aide ne va pas à celui qui porte mais à celui qui est porté, c'est-à-dire l'éditeur. L'opérateur du portage ne perçoit aucune aide à ce titre, mais bénéfice d'allègement de charges. Aujourd'hui, on évoque la prime à la mutualisation. Or, pour qu'une aide soit efficace, elle doit être universelle, lisible et neutre. Nous ne comprenons pas bien ce que signifie la prime à la mutualisation car cette dernière est déjà une réalité : la PQR acheminait quotidiennement 68 000 journaux nationaux en 2009 contre 90 000 aujourd'hui. L'intérêt économique commun est de développer du chiffre d'affaires sans qu'il y ait besoin d'aide. Pourquoi compliquer davantage le dispositif ?

J'estime qu'une aide au portage juste, transparente et efficace doit être une aide à l'exemplaire porté et, à terme, une aide unique à la distribution versée directement aux éditeurs, réservée exclusivement à la presse IPG, et se substituant aux régimes différenciés existants « portage - Poste ».

Je n'évoquerai pas la distribution au numéro car la PQR entretient ses 60 000 points de vente en dehors du système coopératif et de Prestaliss.

M. Philippe Marini, président . - On est tenté de penser que le portage crée plus d'emplois que le postage et que ce dernier ralentit les grandes évolutions que la Poste doit mener. M. Routier, qu'en pensez-vous ?

M. Nicolas Routier, directeur général adjoint du groupe la Poste, directeur général du courrier, président de SOFIPOST . - Je remercie également la Cour des comptes pour la synthèse de ce rapport que nous allons examiner attentivement. La Poste représente 270 000 emplois à temps plein. Je présenterai quatre éléments sur les conditions de diffusion de la presse. Le premier est que la distribution de la presse est la première des quatre missions de service public de La Poste, créée à la Révolution française. Concrètement, cela représente 1,3 milliard d'exemplaires dont la répartition géographique est très variée, sachant que le coût du dernier kilomètre entre des zones très denses et rurales varie de 1 à 8. Jean Viansson-Ponté a souligné que La Poste réalise 10 % du portage de la PQR : pour des raisons propres à la rationalité économique des éditeurs, cette proportion correspond aux zones les moins denses. Il faut donc prendre en compte la zone de distribution pour apprécier les coûts.

La Poste distribue aussi près de un quotidien national sur cinq (18 %). En outre, Sur les différentes familles de magazines, le rôle de La Poste évolue de 70 % à 100 % de la diffusion. Le taux de qualité sur les quotidiens en j + 1 est de 97 % dans le cadre de la tournée du facteur, et de 99 % pour les magazines à j + 4.

Dans le courrier, la presse représente 9 % du nombre de plis, 22 % du poids de la sacoche du facteur et 4 % du chiffre d'affaires de la Poste. Cette mission de service public implique donc une logistique spécifique, un niveau de qualité de service élevé et des tarifs très inférieurs aux coûts mais aussi au tarif universel qui s'applique à l'ensemble du courrier.

En 2012, ce coût s'est élevé à 946 millions d'euros et le montant payé par les éditeurs était de 404 millions d'euros. L'aide postale à la presse est donc de 542 millions d'euros, montant dont moins de la moitié est pris en charge par l'Etat. Au total, un peu plus de la moitié reste donc à la charge de La Poste, soit 284 millions d'euros.

Le déficit lié à cette activité a été divisé par deux en dix ans, grâce aux efforts des différents acteurs et aux économies réalisées par La Poste, mais cela reste un montant important dans un contexte de diminution du volume global du courrier : 18 milliards de plis en 2007, 14 milliards en 2013 et sans doute 9 milliards à la fin de la décennie. Au total, cette mission de service public est assumée avec fierté mais elle s'inscrit dans un cadre économique général difficile que l'entreprise ne peut pas ignorer.

M. Philippe Marini, président . - Pour la clarté des chiffres, vous nous dites que les tarifs de service public sont inférieurs au coût réel du transport. L'aide publique est-elle de nature à combler le manque à gagner pour La Poste ?

M. Nicolas Routier, directeur général-adjoint du groupe La Poste, directeur général du courrier, président de SOFIPOST . - En arrondissant les chiffres, le coût global est de 950 millions d'euros et le chiffre d'affaires versé pour les éditeurs est de 400 millions. Donc il reste 550 millions d'euros à financer répartis entre 260 millions d'euros pour l'Etat et 290 millions pour La Poste. Ce chiffre doit être rapproché du résultat d'exploitation du groupe qui avoisine 650 à 700 millions d'euros ; c'est donc une proportion conséquente.

M. Philippe Marini, président . - En quelque sorte, le manque à gagner est partagé entre l'Etat et La Poste.

M. Nicolas Routier, directeur général-adjoint du groupe La Poste, directeur général du courrier, président de SOFIPOST . - Tout à fait. Troisième élément, La Poste préconise l'application de l'accord de 2008 entre l'Etat, la presse et La Poste, jusqu'à son terme fin 2015. Il s'agit d'un accord unanime et équilibré entre tous les acteurs : La Poste a pris des engagements d'économie et de qualité de service, la presse a accepté des augmentations tarifaires significatives contre le maintien d'un système d'aides large et l'Etat a accepté de s'engager sur la durée, soit sept ans, pour une aide passant de 240 millions d'euros à 180 millions sur la période. Les efforts consentis dans cet accord sont soutenables, progressifs et conformes à deux priorités politiques : l'aide postale est universelle, lisible et neutre, sans pour autant être indifférenciée. La preuve en est qu'il existe trois catégories de tarifs selon les familles de presse :

- les quotidiens à faibles ressources publicitaires paient 16 % du tarif universel ;

- c'est 35 % pour la presse d'information politique et générale ;

- et 57 % pour les autres titres.

J'ajoute que ce système permet une péréquation tarifaire au bénéfice des zones peu peuplées.

Symétriquement, nous pensons que toute remise en cause de ces accords avant leur terme serait déstabilisatrice.

Bien entendu, La Poste est disponible pour participer activement aux étapes suivantes et à toute évolution du système. Nous proposons trois conditions initiales pour aborder cette réflexion :

- la progressivité et la prévisibilité sur le long terme est la seule méthode raisonnable pour faire évoluer le dispositif ;

- La Poste partage la conviction qu'un portage multi-titres, rentable, avec un modèle social et responsable, est possible au moins sur la moitié du territoire ;

- nous devrons également étudier la question du surcoût spécifique aux zones peu denses car c'est un point important de l'équilibre du système.

M. Philippe Marini, président . - Je crois comprendre que vous souhaitez le maintien ad aeternam du système actuel ?

M. Nicolas Routier, directeur général-adjoint du groupe La Poste, directeur général du courrier, président de SOFIPOST . - Nous pensons simplement que les évolutions doivent être progressives et anticipables pour l'ensemble des acteurs.

M. Philippe Marini, président . - Nous avons donc là une perspective utile et il est bon que vous l'ayez dit.

M. Maurice Botbol, président du syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL) . - Le SPIIL est le dernier syndicat né de la presse, précisément en 2009, et le plus petit, car avant cette date, la presse numérique n'était pas considérée comme étant de la presse. Ce qui a changé fondamentalement, c'est la prise en compte de ce nouveau statut. Nous ne demandons pas plus d'aide car nous avons été suffisamment critiques vis-à-vis du système actuel ; nous souscrivons d'ailleurs pour une grande partie aux analyses de la Cour des comptes.

Nous avons été parmi les premiers à demander la transparence des aides et à vérifier leur efficacité. Comme nous sommes issus du monde numérique, nous ne vivons pas les pesanteurs ou l'héritage de la presse traditionnelle, bien que les fondateurs de notre syndicat soient tous issus de la presse traditionnelle. Nous en partageons par ailleurs totalement les valeurs.

Le SPIIL comporte 70 membres et représente toutes les familles de presse : gratuite et payante, d'information politique et générale (IPG) et non IPG, nationale et régionale. C'est pourquoi nous ne raisonnons pas en termes de familles car nous pensons que la presse est une et indivisible.

Le principe essentiel est celui du pluralisme car c'est un élément fondamental de notre démocratie. C'est la seule justification réelle à l'existence de l'aide de l'Etat pour ce secteur économique. Je voudrais, à ce sujet, citer la page 644 du dernier rapport annuel de la Cour des comptes : « ce principe, reconnu par le Conseil constitutionnel, constitue le fondement historique de l'aide de l'Etat et le coeur de sa politique actuelle ». Cette citation résume nos débats car depuis la libération, avons-nous constaté que ces mécanismes d'aide ont favorisé le pluralisme de la presse ? La réponse est clairement non.

Aujourd'hui, le nombre de quotidiens nationaux a été considérablement réduit et seul Libération a été créé depuis la guerre, puis, tout récemment, l'Opinion . Ce système n'a donc pas favorisé le pluralisme de la presse nationale. Encore plus grave, dans la presse quotidienne régionale, il n'y a plus quasiment que des monopoles. Le rapport de la Cour des comptes est même plus sévère que je ne l'aurais jamais été, mais il faut réaffirmer le fait que ces aides n'ont pas atteint leur objectif.

Le rapport de M. Roch-Olivier Maistre, président de l'autorité de régulation et de distribution de la presse, demandé par Mme Aurélie Filipetti, ministre de la culture et de la communication, présenté au mois d'avril dernier, a émis des constats similaires et aussi des propositions, auxquelles nous souscrivons mais qui n'ont pas été suivies d'effet. Deux mesures très courageuses étaient proposées :

- la TVA à 2,1 % pour toute la presse, alors qu'elle est toujours à 19,6 % pour la presse en ligne. Les aides indirectes comme la TVA sont plus vertueuses que les aides directes pour favoriser tout le secteur de la presse, à égalité pour tous les acteurs et les lecteurs dans un cadre neutre. Cela rejoint le même débat sur la neutralité fiscale de la TVA pour le livre papier et le livre numérique. Comment peut-on vouloir soutenir l'innovation, donc le numérique, et surtaxer les nouvelles technologies ? Il y a une sorte d'incohérence ;

- sur le second point, la distinction entre presse IPG et non IPG doit être supprimée car elle n'a aucune justification dans la presse numérique, et aucune capacité d'être contrôlée. Il y a 180 sites de presse reconnus comme IPG et plus de 5 000 qui ne le sont pas. Au nom de quoi l'Etat déciderait-il que l'innovation serait cantonnée à la presse IPG ? Pourquoi exclure la presse scientifique, économique, sportive et médicale ? Il n'y a pas de raison pour que la presse dédiée à la connaissance et au savoir soit exclue du soutien à l'innovation. Le rapport « Maistre » a conclu qu'il n'était pas souhaitable de maintenir la distinction entre la presse IPG et la presse qui ne l'est pas. D'ailleurs, il était proposé une forme de troc en demandant à la presse magazine de soutenir la diffusion de la presse quotidienne en échange de la suppression de cette barrière. Cette solution est louable, c'est pourquoi je regrette qu'elle n'ait pas été retenue par la ministre et par la Cour des comptes.

Pour aggraver cette situation, il y a le fonds « Google » que vous avez évoqué, Monsieur le Président. Il s'agit d'un fonds totalement privé, créé par une société multinationale américaine, qui va soutenir uniquement la presse IPG, laquelle bénéficiera à la fois des aides publiques et de fonds privés. Google, avec la bénédiction du Président de la République et de l'Etat, va fixer ses propres règles de distribution des aides à un seul secteur, qui plus est très étroit, de la presse. Je salue la capacité de lobbying de nos confrères, mais est-il normal que l'Etat ne remplisse pas sa fonction de soutien au pluralisme à travers les aides publiques et, dans le même temps, abandonne ses prérogatives de politique publique à un fonds privé ?

M. Philippe Marini, président . - C'est effectivement une problématique très importante et je partage l'avis de M. Edwy Plenel sur les conditions de création et de fonctionnement de ce fonds.

M. Maurice Botbol, président du syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL) . - C'est aussi l'avis du SPIIL dans son ensemble.

M. Philippe Marini, président . - Je vais maintenant ouvrir le débat à mes collègues sénateurs.

M. Yvon Collin . - Je voudrais à mon tour adresser mes remerciements à la Cour des comptes. Si j'en juge par les conclusions de cette enquête très riche, le contribuable n'en a pas pour son argent, puisque, malgré l'effort public consenti, les aides n'ont pas démontré leur efficacité. Je m'interroge sur le tableau de la page 40 du rapport, qui retrace les aides perçues par les différents journaux, et qui révèle de fortes disparités selon les titres. Peut-on connaître les critères ayant présidé à ce calcul ?

De plus, je tiens à souligner que le principe du pluralisme est mis à mal dans la plupart de nos régions, où n'existe souvent qu'un seul titre, du fait de certains regroupements. Les éditorialistes de la presse locale peuvent donc prendre des positions politiques, sans « contre-pouvoir ».

S'agissant de l'abattement fiscal dont bénéficient les journalistes et les entreprises de presse, je me souviens que la presse avait dénoncé en son temps un traitement fiscal favorable aux parlementaires, qui avait abouti à sa suppression, et que Michel Charasse, alors ministre, avait prédit, dans son sillage, la disparition de la niche favorable aux journalistes. Pourtant, cette mesure favorable demeure, même si elle a pu être aménagée. Quelle est en la justification ?

M. Éric Bocquet . - Je suis très intéressé par l'ensemble des interventions que nous avons entendues. La notion de pluralisme est évidemment très importante. Avec la multiplication des supports et des moyens de communication des médias, on assiste à une uniformisation dans le traitement de l'information, ce qui ne me paraît pas très sain pour la démocratie. Je suis interpellé par la conclusion selon laquelle les aides mises en place au lendemain de la guerre n'ont jamais garanti le développement du pluralisme. C'est même plutôt le contraire qui se produit aujourd'hui, du fait des concentrations entre grands groupes de presse qui se partagent la diffusion de la presse écrite.

Par ailleurs, je souhaiterais disposer d'un éclaircissement sur deux pistes évoquées : le portage multi-titres et l'accompagnement de la mutation numérique. A mon sens, il ne faut pas opposer le papier et le numérique. Tous les supports ont leur place dans l'espace médiatique actuel.

M. Francis Delattre . - Sur le pluralisme, nous sommes nombreux, au sein de l'UMP, à estimer qu'il relève de la fiction au regard du traitement médiatique de la dernière élection présidentielle, constat qui ne nous empêche pas de dire que la presse a besoin de l'aide publique.

Je me demande pourquoi la presse écrite traditionnelle est complètement absente des grands groupes radio et télévision, alors que ceux-ci posent un vrai problème de démocratie, à partir du moment où ils sont entre les mains de puissances tributaires de la commande publique pour la plupart. Je pense qu'il faudrait mener une réflexion approfondie à ce sujet. En la matière, les réponses varient selon que l'on appartient à la majorité ou à l'opposition. De plus, je suis un élu de la région parisienne, mais je constate qu'en province, même si le journal local est en situation de monopole, l'éditorial parisien relaie l'opinion dominante. C'est une forme d'uniformisation de l'information telle que l'a décrite mon collègue précédemment.

Enfin, quel est l'intérêt de subventionner des magazines télé qui ne contribuent pas au pluralisme ? Je pense qu'il serait plus utile de subventionner la presse spécialisée (environnementale, scientifique...), car celle-ci contribue à améliorer la qualité des débats sur les différents sujets de société (par exemple les OGM), quand le traitement qui en est fait par la presse généraliste est parfois réducteur.

M. Philippe Marini, président . - Puis-je demander à nos intervenants de réagir à ces questions, avant d'entendre les représentants de l'administration et la synthèse du Président Lefas qui conclura nos travaux ? MM. Bouchez et Viansson-Ponté ont pour point commun d'être administrateurs du fonds Google AIPG. Comment fonctionnera ce fonds ? Dans quel délai seront examinés les dossiers ? Existe-t-il un règlement, accessible à tous ? L'aide sera-t-elle temporaire ou reconductible ?

M. Jean Viansson-Ponté, président du syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) . - Sur le portage multi-titres, je donnerai un exemple concret. En Bourgogne, en 1991, il n'y avait pas de portage. Trente ans après, 55 % des journaux sont portés. Ce réseau a été monté avec volontarisme, pour des raisons de qualité, car le journal doit arriver avant sept heures le matin. Nous mettons notre réseau de porteurs et vendeurs-colporteurs de presse au profit d'autres publications quotidiennes d'information politique et générale (IPG) et assimilées. Il a été annoncé que cette ouverture serait étendue aux magazines d'IPG. Sur notre réseau, nous pouvons intégrer la distribution de confrères de la presse nationale. Actuellement, nous portons la moitié des exemplaires de la presse quotidienne nationale qui sont distribués par portage (soit 90 000). Les freins à la mutualisation sont les horaires d'arrivée. En effet, on ne peut pas retarder le journal tiré sur place pour attendre celui qui est tiré plus loin. De plus, se pose la question des tarifs. Nous sommes dans un rapport client-fournisseurs. Cela dépend des zones. Sur certaines, on sera moins chers, sur d'autres, on sera plus chers.

M. Nicolas Routier, directeur-général adjoint du groupe La Poste, directeur général du courrier, président de SOFIPOST . - Le portage mono-titres couvre actuellement tout le territoire, sauf les zones les moins denses. L'enjeu est aujourd'hui de démontrer la viabilité d'un portage multi-titres - qui concerne plusieurs quotidiens - et multi-format - qui concerne les quotidiens et les magazines. A la Poste, nous sommes convaincus, comme les éditeurs, que le portage constitue une réponse à la crise de la distribution de la presse. C'est l'objet de la création de Neopress en 2007, filiale à 100 % de La Poste, opérateur multi-titres et multi-format. Si nous avons fait la preuve que cela fonctionne dans les zones denses (essentiellement Paris, l'Île-de-France et Lyon), la démonstration reste à faire dans les zones moins denses. Cet opérateur porte une dizaine de quotidiens (20 millions par an) et 4 millions de magazines. Il répond au niveau d'exigence élevé de la clientèle. Il repose sur un modèle social salarial, et un modèle économique dans lequel, hors frais de structure, nous sommes maintenant à l'équilibre. Pourtant, Neopress ne reçoit aucune subvention, n'étant pas une filiale d'éditeur. Tous ses résultats exigent des investissements lourds en systèmes d'information. Le modèle salarial se prête mieux, à mon sens, au portage multi-titres. Sans l'étendre à tout le territoire, une mobilisation générale permettrait de couvrir une fraction plus importante du territoire français.

M. Denis Bouchez, directeur du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) . - Je souhaiterais apporter quelques éléments complémentaires sur le portage. Nous sommes convaincus que l'avenir passera par le portage multi-titres, compte tenu des économies d'échelle. En effet, il faut avoir un volume suffisant pour que le réseau de portage soit économique viable. Nous, PQN et PQR, avons donc besoin de travailler ensemble pour apporter suffisamment de volume. Nous avons du stock et nous cherchons à développer le portage. Je dois dire qu'en 2009, la PQN a cru en la capacité de La Poste à développer ce mode de distribution. Des engagements écrits avaient été pris, avec une cible de 75 % de couverture par portage. Or, ces ambitions ont été brutalement revues à la baisse, à travers la fermeture de plusieurs centres de portage. Tant mieux si cela repart avec Neopress. Au final, le portage se développe, mais encore difficilement car il s'agit d'un métier complexe. Je pense par ailleurs qu'il faudra s'interroger sur les synergies possibles entre les différents acteurs de la distribution (messageries, poste...).

Je voudrais aussi aborder la question de la TVA applicable à la presse en ligne, et rappeler que le développement du numérique ne passe pas que par les pure-players . Cela concerne aussi massivement la presse traditionnelle. Comme le SPIIL, nous réclamons donc la neutralité technologique à travers l'application du taux super réduit de TVA à la presse en ligne.

M. Philippe Marini, président . - Une telle extension coûterait cher...

M. Denis Bouchez, directeur du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) . - Pour le moment, ça ne coûte rien car nous ne vendons pas beaucoup d'offres numériques. Abaisser immédiatement le taux permettrait, d'après les estimations que nous avons fait réaliser par des cabinets extérieurs, de multiplier par 10 les ventes de contenus, certes sur un taux abaissé. Mais, compte tenu de la multiplication des contenus, cela rapporterait autant, sinon plus, à l'Etat. Tel est le paradoxe ! Je conclus sur ce sujet en soulignant que nous ne nous ne comprenons pas bien la stratégie du Gouvernement dans ce dossier, alors que le taux réduit de TVA en faveur du livre numérique, lui, semble acquis.

S'agissant de l'accord de la presse écrite avec Google, le fonds sera opérationnel d'ici la fin de la semaine. Il est doté de 20 millions d'euros par an sur trois ans, soit 60 millions d'euros au total, aux termes des accords signés. Au-delà de la collaboration entre Google et les éditeurs de presse pour leur développement numérique, c'est la première fois que des acteurs privés mettent en oeuvre une forme de partenariat. J'insiste sur ce point : c'est une expérience unique et inédite. Aucun autre secteur d'offres culturelles privées, dans aucun autre pays, n'a mis en place une telle forme de partenariat.

M. Philippe Marini, président . - Pourriez-vous nous préciser qui on aide, et selon quelle répartition ?

M. Denis Bouchez, directeur du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) . - Cette opération sera bien sûr transparente. L'ensemble de la mécanique sera rendue publique, y compris l'attribution des aides. Concrètement, le fonds aidera les projets innovants de développement numérique reconnus comme tels de manière extérieure, tels que les sites Internet de la presse IPG.

M. Philippe Marini, président . - Cet accord ne pose-t-il pas des questions en termes d'indépendance vis-à-vis de Google, et de neutralité technologique ?

M. Denis Bouchez, directeur du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) . - Non, car le fonds prendra la forme d'une association totalement autonome, qui prendra ses propres décisions, et dotée pour ce faire d'un conseil d'administration composé de sept membres (un représentant de Google, trois représentants de la presse et trois personnalités qualifiées extérieures). Il n'y a plus de lien avec la technologie Google.

M. Philippe Marini, président . - C'est important de le dire...

M. Botbol, président du syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL) . - Je voudrais préciser que le SPIIL s'est prononcé pour la suppression de l'abattement fiscal des journalistes, en cohérence avec notre position globale. Nous ne nous sommes d'ailleurs pas fait que des amis à cette occasion...

Par ailleurs, je souhaiterais compléter - et nuancer - les propos de Denis Bouchez sur l'accord Google/presse. Il faut préciser que l'accord signé à l'Elysée comprend deux volets : l'un, relatif au fonds, qui sera rendu public. L'autre, de nature commerciale, qui porte sur des questions publicitaires et s'avère beaucoup plus opaque et secret. Ce deuxième volet est directement lié aux technologies Google et intéresse davantage le géant du numérique pour dominer le marché français. Si l'on veut être complètement transparent, j'estime que cette partie de l'accord devrait également être rendue publique.

M. Philippe Marini, président . - Elle le sera probablement dans le cadre du respect des règles communautaires sur la concurrence. Les enquêtes diligentées par la Commission s'appuieront sur des constatations de cette nature.

M. Denis Bouchez, directeur du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) . - Il est vrai que l'accord comprend deux volets. D'un côté, le fonds précédemment mentionné, qui est autonome. De l'autre, la possibilité, pour tous les éditeurs de presse qui le souhaitent, de conclure des accords commerciaux avec Google. L'idée est de permettre aux éditeurs de presse de créer des synergies de volume pour améliorer leurs performances publicitaires.

M. Francis Delattre . - Quelle sera la fiscalité de tout cela ? Peut-on connaître le contenu de ce volet commercial ?

M. Denis Bouchez, directeur du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) . - Il n'y a pas de fiscalité particulière à cet accord. Ne nous demandez pas de régler le problème de la fiscalité des grands acteurs du numérique ! Les accords commerciaux devraient relever en théorie du secret des affaires entre les différents partenaires.

M. Philippe Marini, président . - Je vous remercie, nous avons déjà bien progressé sur ce sujet pour aujourd'hui.

M. Philippe Dominati . - Il y a donc un fonds, d'une part, et des accords commerciaux secrets, d'autre part. Mais sont-ils vraiment différenciés de l'action du fonds ?

M. Denis Bouchez, directeur du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) . - Ce sont deux choses différentes. Le fonds sera autonome. Nous créons un objet totalement nouveau, cela prend du temps mais son architecture devrait être connue à la fin de cette semaine. En tout cas, le fait d'être éligible ou non au fonds Google est sans lien avec le bénéfice ou non des accords commerciaux.

M. Claude Belo t , rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles » . - Mais l'un a précédé l'autre !

M. Philippe Marini, président . - En effet, on imagine que s'il n'y avait pas eu d'accords commerciaux, il n'y aurait pas eu de fonds. Il reviendra, en tout état de cause, à la Commission européenne, dans le cadre de ses prérogatives en matière de concurrence, de savoir si elle recherche un accord transactionnel avec Google pour tâcher de réduire sa position dominante ou si, comme je le souhaite, la question doit être traitée par la jurisprudence, via la Cour de justice de l'Union européenne.

Pour faire la synthèse de notre audition, je donne maintenant la parole aux représentants du Gouvernement.

Mme Laurence Franceschini, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) . - Je tiens moi aussi à saluer le travail de la Cour des comptes, qui est riche et intéressant et qui contient des propositions structurantes pour la politique publique à mettre en oeuvre dans ce domaine.

Le rapporteur spécial a dit que nous ne parvenions pas à tourner la page du système d'après-guerre. C'est vrai que cette page est lourde et que certains aspects, en particulier celui, primordial, du pluralisme, demeurent au coeur de la politique.

Nous faisons face depuis 2009 à une double difficulté : le secteur de la presse a été confronté à une évolution de son modèle, du fait du développement du numérique, en même temps qu'il était frappé, comme l'ensemble des secteurs, par la crise économique. L'argent public injecté entre 2009 et 2011 n'a peut-être, de ce fait, pas eu toute l'efficacité espérée.

Les entreprises de presse sont avant tout des entreprises et ont besoin d'une certaine stabilité. C'est, comme le souligne la Cour des comptes, une filière économique où la solidarité entre les familles de presse et les différents types de presse (gratuit, payant, généraliste, spécialisé, etc.) doit jouer.

Je pense, contrairement à Claude Belot, que les choses ont changé. J'ai parlé du tournant de 2009 : nous avons créé récemment le fonds pour les services de presse en ligne, doté de 20 millions d'euros ; quelques années auparavant avait été créé le fonds d'aide pour la distribution de la vente au numéro et, surtout, le fonds de modernisation.

Les nouvelles technologies sont souvent présentées comme une menace. Nous sommes, je crois, dans une période intermédiaire en termes de « transition » numérique. Il faut s'en saisir car la presse en ligne peut représenter une grande chance pour accroître la diffusion des idées auprès de nos jeunes concitoyens.

L'aide au transport postal, dans la séquence des accords conclus en 2008, est en baisse, l'accent étant mis davantage sur le portage. Le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) a été doté, à cette fin, d'un montant d'environ 30 millions d'euros.

Depuis 2012, il y a une évolution qui devrait être prolongée à la suite de la remise du rapport de Roch-Olivier Maistre au printemps dernier. Il s'agit notamment du développement de la contractualisation - nous avons signé une convention avec 21 groupes de presse et 5 sont en cours de finalisation -, de la création du fonds stratégique pour le développement de la presse, de la volonté d'évaluer la presse et, enfin, du renforcement de la transparence. Cette dernière est en effet souhaitable et, sur le site de notre direction générale, nous avons publié le montant des aides ; je crois que cela doit toutefois être accompagné de commentaires, faute de quoi ces publications entraîneraient des réactions de la part d'autres secteurs.

S'agissant des réformes engagées, je citerai la volonté forte de la ministre de la culture et de la communication de porter le taux super réduit de TVA pour l'ensemble de la presse, y compris numérique ; le ciblage des aides mis en oeuvre via un fonds stratégique unifié. Cela se fera probablement en prenant en compte la remarque de Maurice Botbol sur la presse de la connaissance, en tout cas sur une période limitée ; la conditionnalité des aides sur des critères sociaux ou d'emplois ; et la réforme du portage, sur lequel une étude est en cours. Il faut aller dès que possible vers le portage multi-titres.

C'est aussi une réforme de la gouvernance, avec la création de trois instances : la conférence annuelle des éditeurs, afin que les familles de presse évaluent ensemble leurs besoins ; une commission de la distribution pour parler de l'ensemble des vecteurs de cette dernière ; enfin, une commission de l'innovation, pour que la presse relève le défi du numérique.

Au total, on observe une réorientation qui va dans le sens des recommandations de la Cour. Cette dernière a raison de fixer des objectifs à moyen terme car, j'y insiste, il s'agit d'entreprises qui ont besoin de visibilité. A cet égard, certaines d'entre elles souffrent d'une grande fragilité de leurs fonds propres, qu'il faudrait conforter.

M. Philippe Marini, président . - Je passe la parole à Alexandre Grosse, en lui demandant si le Budget est lui aussi favorable au taux réduit de TVA pour tous.

M. Alexandre Grosse, sous-directeur de la 8 e sous-direction du budget . - Je salue à mon tour le travail de la Cour des comptes qui est riche, clair et surtout cohérent. Sur le bilan, la Cour a déjà tout dit : il s'agit d'un secteur qui a connu, et qui continue de connaître, des difficultés sérieuses. La direction du budget n'appréhende pas ce secteur uniquement sous l'angle des aides de l'Etat, mais aussi comme un secteur économique qui engendre, par ailleurs, de fortes externalités positives.

Cependant, les difficultés sont différentes selon les familles de presse : la presse magazine, par exemple, se porte moins mal que la presse IPG.

De plus, il ne faut pas sous-estimer la combinaison entre les problèmes structurels liés au passage au numérique et les difficultés conjoncturelles, renforcées par le fort effet démultiplicateur attaché aux recettes publicitaires dans un contexte de crise économique.

Le bilan dressé par la Cour est, de façon générale, un cas d'école ou presque des limites de l'intervention budgétaire sur un secteur économique. Même si le plan a été d'une ampleur exceptionnelle entre 2009 et 2011, l'effort s'est poursuivi en 2012, en 2013 et même dans le projet de loi de finances pour 2014, où le niveau des aides reste supérieur à ce qu'il était avant 2009.

M. Philippe Marini, président . - Est-il supérieur au niveau de 2013 ?

M. Alexandre Grosse, sous-directeur de la 8 ème sous-direction du budget . - Non, il poursuit sa décroissance progressive.

M. Philippe Marini, président . - L'aide à la distribution postale est-elle également sur une tendance de baisse ?

M. Alexandre Grosse, sous-directeur de la 8 ème sous-direction du budget . - Oui, les accords de 2008 prévoient une baisse qui court jusqu'en 2015. Il y a actuellement une concertation pour préparer l'après-2015.

En juillet, des annonces importantes ont été faites : la refonte des aides à la distribution ; le maintien de la TVA à taux réduit au profit de l'ensemble des familles de presse, qui a pour contrepartie la solidarité entre les groupes de presse s'agissant de la distribution ; l'élargissement du taux super réduit de TVA pour la presse en ligne. Sur ce dernier point, on ne peut pas dire que cela ne va pas être coûteux pour l'Etat, d'autant plus que le coût d'une telle mesure s'avèrera sans doute très dynamique au fil des années.

La Cour des comptes estime que l'on peut revenir au niveau qui prévalait avant 2009 pour les aides budgétaires. La prochaine loi de programmation des finances publiques comprendra un budget triennal qui courra jusqu'en 2017, permettant à l'ensemble des parties prenantes de se projeter. Les mutations du secteur sont tellement rapides qu'il est difficile de prévoir les aides qui seront les plus pertinentes dans deux, trois ou quatre ans : c'est pourquoi nous devrons privilégier les aides neutres, qui favorisent l'environnement global des entreprises de presse, et non pas des aides ciblées. Cela va dans le même sens, d'ailleurs, que les aides comme le crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) ou le plan numérique, dont bénéficient pleinement les entreprises de presse.

En conclusion, les bonnes solutions ne sont donc pas toutes déjà imaginées et elles sont d'abord entre les mains du secteur lui-même.

M. Philippe Marini, président . - Monsieur le rapporteur spécial, avez-vous, au terme de ce débat très fructueux, des considérations supplémentaires à formuler ?

M. Claude Belot, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles » . - Nous avons vécu un moment intéressant et nous avons eu un débat fructueux sur le travail de grande qualité de la Cour. Il faut rester lucide et garder à l'esprit la vitesse d'évolution des mutations numériques en cours. Je vous citerai à cet égard une anecdote personnelle : je cherchais un livre épuisé. Je ne l'ai pas trouvé chez les bouquinistes, mais sur Amazon. Imprimé aux Etats-Unis, je l'ai reçu dans les 48 heures. J'en conclus que si l'on veut éviter que Google, Amazon et les autres ne prennent nos destins en main, nous devons garder à l'esprit la nécessité du mouvement : il faut s'adapter !

Par ailleurs, j'estime que le Gouvernement doit réaffirmer sa volonté d'avoir un taux homogène de TVA entre la presse écrite et la presse en ligne, et doit agir vite dans ce dossier, car il est réellement incompréhensible de pénaliser les nouvelles technologies.

M. Philippe Marini, président . - Dès lors que nous aurons des dépenses supplémentaires d'un côté, il faudra en supprimer de l'autre, surtout si l'on veut réduire le déficit et faire en sorte que la dette ne progresse plus... Je donne maintenant la parole au Président Lefas pour conclure nos travaux.

M. Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes . - La formule des auditions pour suite à donner à une enquête de la Cour des comptes, expérimentée depuis plusieurs années par votre commission, démontre aujourd'hui encore toute sa pertinence et son efficacité, en ce qu'elle a permis d'expliciter les positions des uns et des autres, de faire apparaître des points de convergence mais aussi des zones d'ombres et des points d'interrogation.

Nous aurions pu approfondir davantage certains aspects du sujet, mais nous étions tenus par le délai prévu par la LOLF. Nous nous sommes efforcés de réaliser le diagnostic le plus précis possible, dans sa réalité concrète. Il me semble déceler parmi nos intervenants une forme de consensus sur la nécessité de définir un horizon de moyen terme, car il y a des enjeux économiques et humains derrière toutes ces problématiques ! J'ai cru comprendre, à travers les propos de Mme Franceschini, que la réforme proposée par le Gouvernement s'inscrit dans cette perspective de moyen terme. De ce point de vue, je voudrais saluer la création de la commission de la distribution, car les enjeux sont particulièrement lourds en ce domaine (structures, chaîne de transport). Nous devons donc tracer un schéma d'action à moyen terme. Celui-ci doit à mon avis passer par la transparence, une contrepartie nécessaire en termes de résultat. C'est aussi le début de la pédagogie.

Deuxièmement, ce schéma implique une simplification du système des aides, notamment des aides à la distribution, les éditeurs ayant eux-mêmes du mal à appréhender les tenants et les aboutissants de l'aide au transport postal, comme l'a souligné M. Bouchez.

S'agissant du soutien ou non à la presse spécialisée (donc non IPG), les règles ont été fixées par la loi. Il appartient à la commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP) de définir quelles publications relèvent de la catégorie IPG et peuvent donc prétendre aux aides directes.

En ce qui concerne le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), nous proposons que les aides soient fléchées principalement à destination des titres IPG, mais pas seulement. La presse non IPG pourrait donc en bénéficier aussi, notamment en cas de projets de mutualisation d'investissement dans les plateformes numériques.

Le troisième principe qui doit nous guider est, à mon sens, celui de la neutralité de l'Etat. De ce point de vue, il faut garder à l'esprit la problématique des conflits d'intérêts potentiels.

Le quatrième principe doit être celui de la prévisibilité et de la capacité d'anticipation des acteurs, dès lors que la trajectoire à moyen terme est fixée. Il reste un gros travail à faire sur le portage, à travers le développement d'opérateurs viables. Cela pose la question de la mutualisation et de ses conditions, et du dialogue entre la PQR et la PQN. L'enjeu est de favoriser la structuration d'acteurs pour réduire la charge budgétaire directe liée à l'aide au transport postal.

De surcroît, une réflexion m'apparaît également indispensable sur le modèle économique technologique et numérique. Si la presse quotidienne nationale a su relever le défi de l'accès aux nouveaux supports, il faut maintenant garantir la viabilité de ce nouveau modèle économique, ce qui passe par la collecte de recettes. De ce point de vue, il conviendrait de mener des réflexions approfondies en s'inspirant des plateformes de vidéo à la demande et des plateformes de vidéo à la demande par abonnement. Ces outils ont des impacts dans le domaine de la presse écrite (éditorialisation, moteurs de recherche, tarification intelligente susceptible d'attirer le lectorat jeune...). On pourrait s'inspirer à cet égard des modèles étrangers (le Guardian par exemple).

Au-delà, il faut bien sûr mettre l'accent sur les indicateurs, qui demeurent encore trop centrés sur les moyens et les résultats, et garder en tête la contrainte budgétaire forte, qui doit être intégrée dans le schéma à moyen terme.

Enfin, je tiens à souligner le rôle de l'Agence France Presse, essentiel dans ses trois compartiments stratégiques : bureaux à l'étranger, information de première main, là où il n'y a pas forcément de correspondant pour les grands titres de la presse nationale, mais aussi la vidéo et la photo, avec la problématique soulignée en début d'audition par Mme Laborde sur le statut des journalistes photographes.

S'agissant des niches fiscales, je note qu'il ne semble pas y avoir d'a priori négatif à la suppression de certaines d'entre elles...

M. Philippe Marini, président . - Nous n'avons pas traité toutes les questions aujourd'hui, mais beaucoup de choses ont été dites qui nous ont permis de mettre en perspective cette politique publique. Le travail de la Cour me paraît plutôt bien accueilli par nos intervenants, qui ont été consultés pour la réalisation de l'enquête. A partir de toutes ces réflexions, je pense que l'on peut faire évoluer prudemment le système. Dans votre dernière annexe, vous chiffrez une économie raisonnable de 150 millions d'euros par an. C'est un montant modeste mais toujours bon à prendre par les temps budgétaires actuels...

J'aurais aimé aller plus loin sur la rationalisation des comparaisons internationales et l'enseignement qu'on pourrait en tirer. Il faudrait arriver à réaliser un tableau comparatif permettant de rapprocher les performances économiques du secteur et le niveau d'aides publiques, tout en gardant à l'esprit que les comparaisons reposent toujours sur des conventions.

En tout état de cause, je propose à Mme Franceschini et à M. Grosse de bien vouloir répondre à un questionnaire budgétaire complémentaire, certaines questions n'ayant pu être approfondies aujourd'hui, faute de temps. Cela nous permettrait de renforcer encore notre expertise. Merci aux uns et autres d'avoir contribué à notre information. J'espère que la substance de cette audition sera bien diffusée et qu'elle contribuera à faire progresser les esprits dans le cadre de l'exigence de transparence et d'une nécessaire pédagogie.

Au terme de ce débat, la commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

ANNEXE - COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES FINANCES

Ce document est disponible en format PDF.


* 1 Le rapport d'enquête de la Cour des comptes, ci-joint en annexe, a été reçu par votre commission des finances le 30 août 2013.

* 2 Les exemplaires diffusés représentent de l'ordre de 80 % du tirage.

* 3 Publicité commerciale et petites annonces.

* 4 Chiffre de la Cour des comptes, qui souligne le manque de fiabilité de cette donnée.

* 5 Chiffre de la Cour des comptes.

* 6 Le bénéfice du taux de TVA à 2,1 % est lié à l'octroi d'un agrément par une commission administrative, la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), qui constitue le point d'entrée dans le « régime économique général de la presse ». Ce dernier ouvre droit à plusieurs aides, dont le taux réduit de TVA et l'aide au transport postal.

* 7 Le coût de cette mesure est traditionnellement évalué en comparaison avec le taux réduit de TVA (5,5 %). Mais si l'on rapportait cette mesure au taux normal de 19,6 %, son coût serait de l'ordre du milliard d'euros.

* 8 A périmètre constant, l'aide au transport postal s'élève à 150,5 millions d'euros en projet de loi de finances pour 2014. Cette forte baisse par rapport à 2013 s'explique par la fin de la compensation du moratoire postal décidé en 2009, une baisse tendancielle, prévue par les accords « Schwartz », du besoin de compensation des tarifs postaux de près de 20 millions d'euros, et par un ajustement correspondant à une fraction modérée (50 millions d'euros) de l'impact du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) sur la dotation versée par l'Etat au titre de l'aide au transport postal.

* 9 L'aide de l'Etat passerait de 242 millions d'euros en 2009 à 180 millions d'euros en 2015, soit une diminution de 62 millions d'euros (-25 %).

* 10 Le portage consiste à livrer les journaux et magazines au domicile des lecteurs, abonnés ou non.

* 11 Les vendeurs colporteurs sont les personnes qui effectuent, sur la voie publique ou par portage à domicile, la vente de publications quotidiennes et assimilées, alors que les porteurs de presse assurent la seule distribution de ces publications et non pas leur vente.

* 12 Dispositif d'une durée de trois ans prenant la forme d'un congé de conversion à l'issue d'un licenciement, pendant lequel la rémunération est de 85 % du salaire annuel précédent la première année, 80 % la deuxième année, et 75 % la troisième année.

* 13 L'aide relevait d'un versement unique de 4 000 euros, montant qui correspond en moyenne à une exonération de 30 % des cotisations sociales personnelles des diffuseurs de presse.

* 14 Dotée de la personnalité civile, créée en 1944 sous la forme d'un établissement public autonome dont le fonctionnement est assuré selon les règles commerciales, l'Agence France Presse (AFP) déroge cependant au droit commun des sociétés, en l'absence de capital social et de contrôle du conseil d'administration par une assemblée générale. De plus, elle ne peut être dissoute que par la loi. Enfin, l'AFP présente une organisation spécifique, marquée par la présence de l'Etat dans ses instances.

* 15 Ce dernier montant correspond, d'après le rapport annuel de performances de la mission « Médias, livre et industries culturelles » annexé au projet de loi de finances pour 2014, à une reconduction en valeur de la dotation 2013 et à 3,38 millions d'euros de mesures de périmètre.

* 16 Le développement, au plan national, des Messageries lyonnaises de presse (MLP), qui présentent des coûts moins élevés que Presstalis, a contribué à exacerber la concurrence et à déséquilibrer le schéma initial fondé sur le principe de la mutualisation des coûts entre la presse quotidienne nationale et la presse magazine.

* 17 Voir sur ce sujet spécifique les auditions réalisées par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication aux mois de février et mars 2013.

* 18 L'aide aux stocks est fondée sur le nombre total d'exemplaires portés les années précédentes, tandis que l'aide au flux est calculée sur la progression annuelle des exemplaires portés.

* 19 En 2009, la presse quotidienne régionale et départementale a bénéficié de 82 % de l'aide au portage, contre 18 % pour la presse quotidienne nationale.

* 20 Aucun motif d'intérêt général ne justifierait que l'Etat fausse la concurrence en favorisant un mode de distribution plutôt qu'un autre.

* 21 La gouvernance des aides publiques à la presse, rapport au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, et au ministre de la culture et de la communication, remis par Aldo Cardoso, le 8 septembre 2010.

* 22 Sur ce point, le communiqué de presse du Conseil des ministres indique que « l'intensification des échanges avec nos partenaires européens et la Commission européenne pour que cette dernière intègre les services de presse en ligne dans la réouverture des discussions sur la directive relative à la TVA qu'elle doit proposer avant la fin de l'année permettra une décision formelle en 2014 ».

* 23 Source : Agence France presse.

* 24 Source : Agence France presse.

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