B. LA LOI N°2010-2 DU 5 JANVIER 2010 : UNE RÉPONSE ATTENDUE PAR TOUS

1. Les trois grands objectifs de la loi
a) Reconnaitre

La loi vise au premier chef à réparer. Au-delà, il s'agit aussi de reconnaître les souffrances de ceux qui, par leur travail ou du fait de leur présence à proximité des sites, ont développé une maladie radio-induite. La reconnaissance est celle des victimes.

C'est pourquoi, lors des discussions parlementaires, le titre du projet de loi a été modifié pour intégrer pleinement le mot de « reconnaissance ».

En mettant en place un dispositif d'indemnisation, l'État reconnaît pleinement les souffrances des individus, quel que soit leur statut.

b) Simplifier

La loi vise également à simplifier la procédure de demande d'indemnisation de ceux qui connaissent des dommages sanitaires suite à leur présence sur les sites contaminés, en instituant une procédure unique quelle que soit la catégorie dont ressort le demandeur.

En effet, la procédure d'indemnisation avant l'entrée en vigueur de la loi était complexe et différait selon que les demandeurs étaient militaires, personnels civils ou civils.

Ainsi, les militaires relevaient des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité, certains agents civils de l'Etat et les salariés de droit privé relevaient du code de la sécurité sociale, certains agents relevaient du régime de sécurité sociale spécifique à la Polynésie française, tandis que la population relevait, quant à elle, du régime de la responsabilité administrative. Les premiers devaient apporter la preuve du lien de leur maladie avec le service, les deuxièmes bénéficiaient d'une présomption d'imputabilité, les troisièmes avaient une présomption d'origine professionnelle des maladies radio-induites tandis que sur les derniers pesait la charge de la preuve.

En instaurant un interlocuteur unique quelle que soit la qualité du requérant, la loi simplifie considérablement la procédure de demande d'indemnisation.

c) Indemniser

La procédure précédente, outre le fait qu'elle était complexe puisque différente selon la catégorie du demandeur, avait également une limite : les demandeurs devaient apporter la preuve que la maladie développée était la conséquence de leur présence sur les sites, ou à proximité, lors des campagnes de tirs.

Or, les cancers étant des maladies sans signature, la preuve du lien entre la maladie et le service est presque impossible à faire ! De plus, la présomption de causalité prévue par le code des pensions nécessitait que la maladie survienne dans les soixante jours, or les cancers sont des maladies qui se déclenchent plusieurs années après. Même la procédure de faisceau de présomptions ne permettait pas aux dossiers d'aboutir. Par conséquent, peu d'indemnisations à ce titre étaient accordées.

En mettant en oeuvre une réparation intégrale du préjudice, la loi cherche à véritablement indemniser ceux qui souffrent aujourd'hui.

2. Le contenu de la loi5 ( * )
a) Les conditions de temps, lieu et maladie

Pour pouvoir déposer une demande d'indemnisation, plusieurs critères doivent être réunis. Si l'un au moins de ces critères manque, alors la demande est rejetée. Tels sont les objets des articles 1, 2 et 3 de la loi n°2010-2 du 5 janvier 2010, dont les modalités pratiques sont définies par un décret en Conseil d'État.

(1) Le lieu : avoir séjourné dans un périmètre géographique déterminé ...

La loi définit les zones dans lesquelles le demandeur doit prouver avoir séjourné. Ces zones ont été déterminées, lors des discussions parlementaires, en fonction des informations portées à la connaissance des rapporteurs et couvrent :

- pour le Sahara, le centre saharien des expérimentations militaires, le centre d'expérimentations militaires des oasis, et une zone périphérique définie par un calcul angulaire 6 ( * ) .

- pour la Polynésie, un secteur angulaire 7 ( * ) comprenant les îles et atolls de Moruroa, Fangataufa, Reao, Pukarua, Tureia, l'archipel des Gambiers, d'Hao 8 ( * ) et Tahiti 9 ( * ) .

Ces périmètres couvrent les sites des expérimentations et le périmètre ayant subi des retombées radioactives suite aux essais.

(2) La période : ... au moment des campagnes d'essais ...

La loi prévoit également les périodes pendant lesquelles le demandeur doit avoir séjourné dans les lieux déterminés. Ces périodes correspondent aux campagnes de tirs aériens au Sahara et en Polynésie. La période incluant Tahiti correspond à l'accident intervenu lors de l'essai Centaure.

Au Sahara :

- entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires ;

- entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques.

En Polynésie française :

- entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Moruroa et Fangataufa ;

- entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans les zones de Polynésie française comprenant les îles et atolls de Reao, Pukarua, Tureia et l'archipel des Gambiers ;

- entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans l'atoll d'Hao ;

- entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans l'île de Tahiti.

Ces dates correspondent, au Sahara, pour la date d'entrée, au début des expérimentations, et pour la date de fin, au démantèlement des sites. Pour la Polynésie, c'est le même système qui a été retenu pour Moruroa, Fangataufa et Hao. Les périodes pour les autres îles correspondent aux essais aériens susceptibles d'avoir provoqué des retombées radioactives. Quant à Tahiti, il s'agit de la conséquence de l'essai Centaure.

(3) La maladie : ... et avoir déclenché une maladie radio induite inscrite sur la liste

L'article 1 de la loi n°2010-2 précitée établit le droit à réparation pour toute personne remplissant les conditions de lieu et période, et souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants.

La liste des maladies radio induites, basée sur les travaux de l'UNSCEAR, comportait initialement 18 pathologies : leucémies (sauf leucémie lymphoïde chronique car considérée comme non radio-induite), cancer du sein (chez la femme), cancer du corps thyroïde pour une exposition pendant la période de croissance, cancer cutané sauf mélanome malin, cancer du poumon, cancer du côlon, cancer des glandes salivaires, cancer de l'oesophage, cancer de l'estomac, cancer du foie, cancer de la vessie, cancer de l'ovaire, cancer du cerveau et système nerveux central, cancer des os et du tissu conjonctif, cancer de l'utérus, cancer de l'intestin grêle, cancer du rectum, cancer du rein.

Cette liste a été portée à 21 par l'ajout, en 2012, de trois pathologies : les lymphomes, myélomes et myélodysplasies. Par ailleurs, les mots « chez la femme » sont supprimés concernant le cancer du sein.

b) La création d'un comité d'indemnisation et d'une commission consultative de suivi
(1) Le CIVEN

Le CIVEN est l'élément central de la procédure d'indemnisation. Sa création est prévue à l'article 4 de la loi n°2010-2 précitée. En instaurant un interlocuteur unique chargé de la réception, de l'instruction et de l'indemnisation des victimes, la loi met en oeuvre l'objectif de simplification qui était le sien.

Le comité est une instance composée notamment d'experts médicaux et présidée par un Conseiller d'État ou conseiller à la Cour de cassation. Les experts médicaux, spécialistes notamment des effets des rayonnements ionisants, sont nommés sur proposition du Haut Conseil de la Santé Publique.

Le CIVEN est chargé d'instruire les demandes et, pour ce faire, peut faire procéder à toute expertise médicale, scientifique, ou peut demander la communication de tout document utile à n'importe quel organisme.

Il est appuyé, dans l'exercice de ses fonctions, par un secrétariat composé de fonctionnaires, en charge notamment de la réception des dossiers. À compter de cet enregistrement, le CIVEN a quatre mois pour statuer et faire part au ministre de sa recommandation, celui-ci a ensuite deux mois pour rendre une décision.

(2) La commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires

La loi met également en place une commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires. Composée de dix-neuf membres représentant tous les acteurs du dossier 10 ( * ) , cette commission doit se réunir deux fois par an et est consultée sur le suivi de l'application de la loi et sur toute demande de modification des conditions permettant le dépôt d'un dossier, comme la liste des maladies ou l'étendue du périmètre géographique. Elle peut à ce titre faire part de ses recommandations au Parlement et au ministre de la défense.

La commission se réunit sur convocation du ministre de la défense ou à la demande de la majorité de ses membres.

c) Le lien avec les expositions et le caractère « négligeable »

La loi n°2010-2 ne met pas en place une présomption de causalité irréfragable à partir d'une dose d'exposition : l'idée de seuil a été rejetée après discussion. Une présomption irréfragable, avec ou sans seuil, aurait été irresponsable compte-tenu de la probabilité de chaque individu de déclencher un cancer au cours de sa vie.

A contrario, elle établit une présomption de causalité avec limite : l'Etat a la possibilité de considérer le risque comme négligeable. Aux termes de la rédaction de la loi, le demandeur n'a pas à prouver qu'il existe un lien entre la pathologie et les essais nucléaires, la présomption de causalité existe du moment où il justifie des conditions de lieu, période et maladie. Néanmoins, cette présomption peut être renversée s'il apparaît que le risque lié aux essais est « négligeable ».

d) Les autres dispositions de la loi
(1) Le préjudice propre

La demande d'indemnisation déposée selon la procédure créée par la loi n°2010-2 est une demande au nom du préjudice propre subi par le requérant.

Un ayant-droit peut présenter la demande pour une personne décédée, pour le préjudice subi par cette personne, mais ne peut demander à être indemnisé pour son propre préjudice par cette procédure.

(2) La réparation intégrale du préjudice

Toute personne répondant aux critères de lieu, période et maladie peut obtenir réparation intégrale de son préjudice. Ainsi l'indemnisation prendra en compte les préjudices patrimoniaux (dépenses de santé actuelles et futures, perte de gains professionnels présents et futurs, frais d'assistance) et extra-patrimoniaux (déficit fonctionnel temporaire et permanent, souffrances endurées, préjudice esthétique, d'agrément et d'anxiété).

(3) Le délai de 5 ans

La loi institue un délai de cinq ans permettant le dépôt, par un ayant-droit, d'une demande d'indemnisation pour une personne décédée avant la promulgation de la loi, à dater de celle-ci.

(4) La non-fiscalisation des indemnités

L'article 8 de la loi prévoit que les indemnités versées en application de ladite loi sont affranchies de l'impôt. Un alinéa 33 ter est ainsi rajouté à l'article 81 du code général des impôts.

(5) Le caractère non-cumulable des indemnités

Les indemnisations versées au titre de la loi n°2010-2 précitée ne sont pas cumulables avec d'autres versées au titre du même préjudice (article 5). Par ailleurs, l'acceptation de l'offre d'indemnisation rend irrecevable toute autre forme de demande de réparation juridictionnelle pour la réparation du même préjudice (article 6).


* 5 Le texte de la loi est reproduit en annexe du présent rapport.

* 6 D'une part, dans un secteur angulaire de 10 degrés centré sur le point (0 degré 3 minutes 26 secondes ouest, 26 degrés 18 minutes 42 secondes nord), compris entre l'azimut 100 degrés et l'azimut 110 degrés sur une distance de 350 kilomètres, et, d'autre part, dans un secteur angulaire de 40 degrés centré sur le point (5 degrés 2 minutes 30 secondes est, 24 degrés 3 minutes 0 seconde nord), compris entre l'azimut 70 degrés et l'azimut 110 degrés sur une distance de 40 kilomètres et prolongé sur l'axe d'azimut 90 degrés par un secteur rectangulaire de longueur 100 kilomètres.

* 7 Secteur angulaire de 100 degrés centré sur Moruroa (21 degrés 51 minutes sud, 139 degrés 01 minute ouest), compris entre l'azimut 15 degrés et l'azimut 115 degrés sur une distance de 560 kilomètres, comprenant les îles et atolls de Reao, Pukarua, Tureia et l'archipel des Gambiers.

* 8 Initialement, le texte de la loi limitait à « certaines parties de l'atoll de Hao » : le centre de décontamination des appareils et du personnel, le centre d'intervention et de décontamination et le centre technique. Le décret n°2012-604 du 30 avril 2012 a étendu le périmètre à l'ensemble de l'atoll.

* 9 Initialement, le texte de la loi limitait à « certaines zones de l'île de Tahiti » : la commune de Taiarapu-Est (comprenant les communes associées de Faaone, Afaahiti-Taravao, Pueu et Tautira), la commune de Taiarapu-Ouest (comprenant les communes associées de Teahupoo, Vairao et Toahotu) et, dans la commune de Hitia'a O Te Ra, la commune associée de Hitia'a. Le décret n°2012-604 du 30 avril 2012 a étendu le périmètre à l'ensemble de l'île.

* 10 Cette commission comporte quatre parlementaires (deux députés et deux sénateurs) ; le Sénat y est actuellement représenté par M. Marcel-Pierre Cléach et Mme Michelle Demessine.

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