B. LE PROTOCOLE N° 16 À LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

Le Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l'Homme, comme le n° 15 examiné par l'Assemblée parlementaire lors de la précédente partie de session, a été élaboré à la suite de la Conférence de haut niveau dédiée à l'avenir de la Cour européenne des droits de l'Homme, organisée à Brighton (Royaume-Uni) les 19 et 20 avril 2012.

La déclaration finale de la Conférence indiquait notamment que la Cour pourrait rendre sur demande des avis consultatifs sur l'interprétation de la Convention, dans le contexte d'une affaire particulière au niveau national, sans préjudice du caractère non-contraignant de ces avis pour les autres États membres. Ce principe de l'avis consultatif est au coeur du projet de Protocole n° 16 sur lequel l'Assemblée parlementaire devait émettre un avis.

Intervenant au nom du groupe PPE, M. André Schneider (Bas-Rhin - UMP) a insisté sur l'opportunité pour les États de définir précisément les juridictions qui pourront saisir la cour :

« Le projet de Protocole n o 16 devait répondre à deux impératifs : renforcer le dialogue des juges nationaux et de la Cour, mais également, à terme, diminuer les contentieux, notamment ceux faisant l'objet de recours répétitifs.

Sur le premier point, la possibilité pour les hautes juridictions nationales de saisir la Cour pour obtenir un avis sur les questions de principe relatives à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention et ses protocoles, constitue une avancée majeure, que nous devons saluer. En effet, trop souvent, la jurisprudence de la Cour n'apparaît pas d'une parfaite lisibilité et plusieurs juristes ont fait remarquer des incohérences entre la jurisprudence de la Grande Chambre et celle des formations subalternes. Nous pouvons donc souhaiter et espérer que cette nouvelle procédure permettra dans l'avenir de lever les ambiguïtés et les problèmes d'interprétation et ainsi de favoriser une meilleure application de la jurisprudence de la Cour dans les États membres. Cependant, la réalisation du deuxième objectif pourrait être compromise, comme le suggèrent les critiques du rapporteur. L'obligation de motiver tout refus d'accepter une demande d'avis consultatif en réunissant cinq juges de la Grande Chambre, par exemple, ne me semble pas de nature à réduire le travail de la Cour, bien au contraire ! Il en est de même de la multiplication des langues dans lesquelles ces demandes d'avis peuvent être présentées à la Cour.

Prenons néanmoins pour acquis qu'une plateforme de dialogue juridictionnel a été établie. Son efficacité dépendra essentiellement de la suite qui sera donnée au niveau national à ces avis, dont le protocole précise qu'ils sont consultatifs et donc non contraignants.

Les États devront d'abord définir avec soin quelles hautes juridictions pourront saisir la Cour. La diversité des organisations juridiques dans les 47 États du Conseil de l'Europe laisse présager un nombre important de hautes juridictions susceptibles de saisir la Cour. Les États devront montrer leur responsabilité en ce domaine et sélectionner les plus hautes juridictions de leur pays. Ces hautes juridictions auront alors un rôle essentiel : présenter des demandes recevables pour ne pas obliger la Cour à multiplier les réunions du collège chargé de motiver le refus de demandes d'avis ; tenir compte le plus possible des avis pour faire évoluer leur propre jurisprudence et ainsi atteindre l'objectif de diminution des requêtes répétitives qui, pour certains États, sont majoritaires - je pense notamment à l'Italie. Au-delà du pouvoir judiciaire, les avis consultatifs n'auront une réelle utilité que s'ils permettent à chaque État de résoudre un certain nombre de problèmes, peut-être même en modifiant la législation.

En tant que parlementaires, nous devrons être attentifs à la façon dont s'appliquera ce Protocole dans nos pays, s'ils le ratifient, puisque je rappelle que c'est facultatif. C'est à ce prix que ce projet de Protocole prendra tout son sens.

Pour conclure, je voterai cet excellent projet d'avis. »

Cette nouvelle procédure devrait générer automatiquement un surcroît de travail pour la Cour, déjà en situation de surcharge. Cette évolution devrait néanmoins permettre de renforcer la cohérence de l'interprétation et de l'application de la Convention. C'est en tenant compte de cet élément que l'Assemblée parlementaire a adopté un avis positif sur ce Protocole.

M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - UMP) a souhaité que ce texte constitue une première étape en vue de l'instauration d'un véritable système de questions préjudicielles :

« Le projet de Protocole n o 16 est le résultat des réformes de la Cour préconisées par les États dans la Déclaration de Brighton. La procédure qu'il prévoit est une avancée importante : elle établit ce dialogue des juges que beaucoup appelaient de leurs voeux pour assurer une meilleure application des droits de la Convention.

Cependant, ce Protocole n'est qu'un premier pas, une première étape de la mise en place d'une plateforme de dialogue juridictionnel dont le rapporteur se félicite à juste titre.

Comme l'a mentionné mon collègue André Schneider, l'acceptation d'une demande d'avis passe par la réunion d'une formation de cinq juges de la Grande Chambre, qui devra motiver un éventuel refus.

Par ailleurs, la Cour indique que lorsqu'une partie ne sera pas satisfaite de l'avis rendu, elle pourra toujours lui soumettre une requête après l'adoption d'une décision définitive dans l'ordre interne. C'est le point 12 de l'avis de la Cour en annexé au rapport.

Ces dispositifs allégeront-ils la charge de travail de la Cour ? Je n'en suis pas persuadé.

Le Protocole n o 16 permettra de développer un dialogue des juges efficace, concourant à la clarification et à la stabilisation de la jurisprudence. Le caractère purement consultatif et non contraignant des avis m'amène néanmoins à me demander si ce sera vraiment le cas.

Le projet de protocole rappelle, en faisant référence aux « Hautes Parties contractantes » dans son préambule, que l'Union européenne va prochainement adhérer à la Convention. Comment alors ne pas faire le parallèle entre le mécanisme du Protocole n o 16 et le système de questions préjudicielles mis en place à la Cour de justice de l'Union européenne ? Comment ne pas s'interroger sur cette disproportion de pouvoirs entre ces deux Cours appelées à travailler ensemble dans un proche avenir ?

Dans ce nouveau contexte, ne serait-il pas plus rationnel de mettre également en place un système de questions préjudicielles en bonne et due forme, qui s'impose officiellement à tous ? La Cour pourrait alors trancher a priori les points de droit qui posent des problèmes d'interprétation aux juridictions nationales et pourrait ainsi prévenir effectivement l'apparition de bon nombre d'affaires répétitives.

Les points de droit ainsi tranchés éclaireraient la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme pour l'ensemble des juridictions européennes concernées et faciliteraient l'application de sa jurisprudence en Europe.

Pour toutes ces raisons, il me paraîtrait utile que notre organisation réfléchisse à l'instauration, dans une étape ultérieure, d'un véritable système de questions préjudicielles, portant sur l'interprétation et sur l'application de la Convention et de ses protocoles. Ces questions seraient adressées à la Cour par les juridictions suprêmes nationales, selon le modèle du système en vigueur auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.

La Cour est au coeur du système de protection des droits de l'Homme en Europe. Donnons-lui les moyens de jouer son rôle. Le président Bratza rappelait ainsi avec justesse : « Les droits de l'Homme ne sont pas un luxe, ils doivent être fondamentaux ». Il faut qu'il en soit de même de leur application par les juridictions de nos 47 pays.

Pour toutes ces raisons, je voterai en faveur de cet excellent rapport. »

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